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Chapitre 5. Processus d’individuation dans des situations de vidéoformation

3. Transformations et intégration communautaire

3.1. Se transformer soi-même en comprenant les « transformations

La spécificité de la formation professionnelle est de chercher à articuler une double transformation de l’activité, celle en situation de formation et celle en situation professionnelle. L’activité débutante se transforme en général de manière importante dans les premiers mois et les premières années d’exercice professionnel. Elle est marquée par une succession d’états passagers ou de compromis provisoires caractérisés par une apparente stabilité. Or si la transformation en cours n’est pas forcément visible, elle peut

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s’opérer imperceptiblement, en silence sans se faire remarquer pour, quelques mois après, apparaître de manière spectaculaire. Les situations de formation contribuent à ce processus à la fois en orientant vers telles ou telles types de transformations, en les accélérant et en rendant certains aspects de ces modifications en cours visibles. Quand l’activité s’est transformée, il ne s’agit pas d’un simple ajustement de surface aux contraintes de la situation professionnelle rencontrée, mais de la « trans-formation » plus profonde (passage d’une forme à une autre) de l’ensemble de ses composantes. Nous postulons que cette transformation se fait selon un processus « transductif » définit comme une activité qui « se

propage de proche en proche à l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine opérée de place en place… » (Simondon, 2005a, p. 32-33).

La comparaison de l’étude des « transformations silencieuses » d’un enseignant débutant Romain au bout de six mois d’exercice professionnel avec les « transformations

silencieuses » d’une enseignante-stagiaire en formation navigant deux heures dans Néopass@ction en présence d’un chercheur (Ria & Leblanc, 2011) met en évidence des

processus de modification-continuation de leur activité réelle et fictive similaires. Romain enseignant débutant prototypique (de bon niveau de formation académique mais sans formation professionnelle adaptée) a vécu pendant plusieurs mois une véritable mise à l’épreuve dans une situation professionnelle problématique face à une classe d’élèves difficiles dans laquelle il était en difficulté pour démarrer son cours et enseigner sa discipline. Il est parvenu, seul, à s’extraire difficilement de cette situation en remettant tout d’abord en cause deux croyances a) qu’une attitude silencieuse en début de cours, les bras croisés, suffirait à générer du silence, b) que l’obtention du silence et de l’ordre de la classe était un préalable absolu à toute autre activité.

Parallèlement, le visionnement de la première séquence vidéo avec Romain qui présente un début de cours perturbé puis le visionnement de l’entretien de vécu professionnel où il décrit ce qui a changé dans sa manière de démarrer son cours avec cette même classe six mois plus tard conduit l’enseignante-stagiaire à construire une nouvelle intelligibilité de la situation. La situation de début de cours prend alors une tout autre signification pour elle : il ne suffit plus de trouver des postures ou des interventions pour obtenir le silence et calmer des élèves mais il s’agit d’imaginer des modalités d’action permettant de mettre les élèves rapidement et individuellement au travail.

De son côté, six mois après, Romain accueillait les élèves dans le couloir pour leur distribuer dès le seuil de la porte de sa classe une fiche de travail scolaire. Cette modalité d’entrée en classe reflétait son intention d’anticiper le plus tôt possible le contrôle de la

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situation, et de positionner d’emblée et ostensiblement les savoirs scolaires comme enjeu de transaction avec les élèves. Cette nouvelle modalité de mise au travail reposait sur la conviction qu’un exercice écrit effectué individuellement avec des consignes minimales pouvait contribuer de manière efficace à la diminution du bruit et à la main mise sur la classe dans son ensemble.

En découvrant Romain six mois plus tard avec la même classe réaliser une entrée dans le calme, en enrôlant immédiatement les élèves dans une activité individuelle de lecture-compréhension d’images vidéo en allemand, l’enseignante-stagiaire construit de nouveaux éléments de connaissance relatifs à l’accueil des élèves au seuil de la porte, à l’anticipation de leur mise au travail, à l’accroche du support pédagogique, à l’adaptation des contenus à leur niveau et à la posture plus dynamique de l’enseignant qui circule dans la classe. Elle repère la modification cruciale au niveau des modalités de début de cours qu’il a dû opérer pour reconquérir sa propre légitimité professionnelle menacée, ainsi que sa continuation en termes d’exigences et de préparation didactiques qui lui confère une certaine stabilité professionnelle. En parallèle de cette déconstruction-reconstruction de l’activité de Romain, elle interroge sa propre pratique de manière concomitante et reconstruit en partie le processus de « modification-continuation » de ses dispositions à agir dans des situations de classe comparables.

Le changement d’échelle de temps (court, moyen, long termes) qu’offre l’EVNF pour analyser et repérer des modifications significatives de l’activité des enseignants, ces modifications désignant l’affleurement visible de ces « transformations silencieuses », met en perspective différemment le propre développement professionnel des utilisateurs. Plutôt que de prétendre reconfigurer leur situation professionnelle sur la base d’un modèle expert imposé et commandé du dehors, le dispositif conçu cherche à induire des effets en intervenant discrètement sur le repérage de modifications manifestes et significatives en comparant dans une situation identique l’activité d’un même enseignant au bout de quelques mois, l’activité de plusieurs enseignants débutants sur une durée d’expériences équivalente (quelques mois à une année) et/ou avec des enseignants plus expérimentés (6-7 ans).

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3.2. Transindividualité entre « l’in-group » des novices et

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