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Chapitre 2. Cadre épistémologique et théorique pour lier conception et

1. Articulations itératives entre conception, formation et recherche

1.2. La coopération entre chercheurs et praticiens comme voie de

Les choix épistémologiques des chercheurs se construisent à partir d’options théoriques et méthodologiques mais aussi sur des options éthiques définissant un mode de relation avec les participants (Theureau, 2005). Dans le courant de la « rationalité

technique » (Schön, 1994) où la rigueur scientifique est le principal organisateur de

l’activité du chercheur, la question de la collaboration avec les participants ne se pose pas puisque ce paradigme postule que ce sont les scientifiques qui détiennent la connaissance experte et valide. Les participants sont appréhendés comme des sujets-objets à étudier d’une manière extérieure sans se préoccuper des significations qu’ils donnent à leur activité et à la situation de recherche. Un souci d’objectivité, de neutralité, de minimisation de la participation des acteurs caractérise cette épistémologie de la recherche. Deux biais majeurs inhérents à cette objectivation et à cette quête de rigueur méthodologique sont la simplification de la situation analysée, voire sa réduction et la construction de catégories triviales pour analyser l’activité des acteurs (Veyrunes, Bertone & Durand, 2003).

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Un observatoire est un ensemble de méthodes pour accéder à l’expérience d’acteurs in situ et de procédures pour traiter ces matériaux qui doivent respecter les présupposés épistémologiques sur lesquels se fondent l’analyse de l’activité et l’élaboration de pistes de formation (ces présupposés sont évoqués à la suite dans le cadre théorique).

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Une épistémologie pratique de la recherche construite à partir d’une « entrée

activité » (Barbier & Durand, 2003) constitue une alternative en accordant une position

centrale à l’action dotée de sens, à l’intentionnalité et aux interprétations des acteurs (Dosse, 1995), en s’intéressant à la cognition « située » (Lave, 1988 ; Suchman, 1987) et « distribuée » (Hutchins, 1995) dans un contexte particulier et en plaçant au cœur du processus de recherche la relation entre chercheurs et praticiens (Pinsky, 1992 ; Theureau & Jeffroy, 1994 ; Schwartz, 1997). La recherche est alors envisagée comme une activité collective située articulant des visées professionnelles et des visées scientifiques. Le chercheur ne se situe plus en position surplombante par rapport à la situation analysée mais est engagé dans une entreprise collective, une collaboration sociale et recherche un compromis acceptable entre la rigueur attendue par la communauté scientifique et la pertinence attendue par la communauté professionnelle. Dans cette option épistémologique la centration sur l’activité des acteurs permet d’une part de décrire et comprendre celle-ci et d’autre part de leurs fournir des opportunités de développement.

Cette activité est considérée comme essentiellement opaque et une partie des clés de compréhension est détenue par les acteurs eux-mêmes. Pour accéder à sa compréhension, il est donc indispensable de concevoir les individus non plus seulement comme des « opérateurs » décodant des signaux, résolvant des problèmes et réalisant des tâches, mais comme des « acteurs » autonomes, intentionnels et motivés, psycho-affectifs et sociaux se fixant eux-mêmes des objectifs significatifs et produisant des actions dans l’interaction avec leur environnement (Linard, 1996). Les impliquer aux différentes étapes de la recherche facilite cette construction mutuelle du sens de leurs actions. Nous avons identifié principalement trois conditions de possibilité d’une coopération entre praticiens et chercheurs (Leblanc, 2004b) : a) un engagement du chercheur dans la situation sociale, b) une contractualisation renégociable préservant la pratique, c) des apports mutuels entre praticiens et chercheurs.

Le chercheur doit s’intégrer de manière authentique dans la communauté de pratique étudiée. Pour cela, il doit partager le langage professionnel, être familier de la culture, connaître les spécificités du milieu étudié, engager une collaboration avec les acteurs dans la durée et se faire reconnaître progressivement comme une aide potentielle pour améliorer les pratiques. La posture de recherche qui nous paraît la plus appropriée met de côté toute position « d'exterritorialité » (Schwartz, 1997) surplombante sur l’activité des acteurs mais également une position crédule, dite « d’inductivisme naïf » (Chalmers, 1987) consistant à penser que l’on peut conceptualiser directement la pratique à partir des faits

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livrés par l’observation. Notre posture de chercheur vise à tenir deux objectifs indispensables à la collaboration des acteurs : a) l’objectif d’une exploration et d’une description détaillée de l’activité avec le concours des acteurs en manifestant une «

solidarité pratique », un intérêt pour découvrir les dessous caché de la pratique et b)

l’objectif de mise à distance et de décalage conceptuel qui positionne le chercheur comme différent du praticien. Faire parler les acteurs sur leur expérience vécue nécessite une proximité culturelle permettant des échanges et la création d’un climat de confiance favorisant un respect mutuel des différents acteurs.

Mais cette « solidarité pratique », pour éviter le piège de la « proximité » envisagée « de manière négative comme un obstacle à l’objectivation » (Albero, Linard & Robin, 2008, p. 24) doit s’accompagner d’une « mise à distance conceptuelle » qui permet de déconstruire et reconstruire leur activité en suspendant l’utilisation des catégories professionnelles et en se débarrassant du sens commun. En effet, les catégories d’observation pré-établies ou à l’inverse ad hoc (construites à partir de ce que propose l’acteur) ne permettent de rendre compte que de ce qui correspond à la préconception des acteurs. Cela valide les catégories du chercheur mais sans découverte nouvelle puisque ce qui n’est pas dans les catégories n’est pas pris en compte. Pour éviter ces biais, la déconstruction-reconstruction des catégories indigènes se réalise sur la base de catégories pré-établies mais qui sont construites à partir d’une théorie de l’activité humaine permettant de rendre compte de sa complexité et de son autonomie.

La contractualisation des attentes des deux parties engagées dans la relation est une condition importante des possibilités de coopération. Les praticiens attendent une aide à la délimitation et à la résolution de leurs problèmes. Leur demande initiale assez vague, peu déterminée évolue au fil de la collaboration en se spécifiant et éventuellement en changeant d’orientation (Veyrunes, Bertone & Durand, 2003). Les chercheurs de manière symétrique ne formulent pas d’hypothèses a priori précises sur l’activité ou les problèmes des acteurs dans la mesure où l’un des enjeux de ce type de recherche est justement de les découvrir (Theureau & Jeffroy, 1994). Pour cela, ils s’appuient sur les « forces d’appel » qui émergent de la pratique (Schwartz, 1997) et accordent un primat aux objectifs des acteurs pour ne pas dénaturer leur activité. Ils attendent un engagement authentique de leur part pour décrire leur activité à un niveau de détails significatifs pour eux.

Cette co-construction des attentes respectives évolue dans le temps en fonction des difficultés identifiées et des analyses menées qui permettent de repérer les unités d’activités significatives pour les acteurs. « Si l’évaluation d’action ne veut pas être une énorme

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machine, elle a tout intérêt à privilégier comme référent ce qui est spécifique pour les acteurs, ce qui à leurs yeux prend le plus de sens » (Barbier, 2009a, p. 124). Cette

contractualisation est également en permanence renégociable par les acteurs qui peuvent à tout moment décider de ne pas être filmés, autoconfrontés. Cette contractualisation se distingue des modèles clients-prestataires ou à une demande, à un problème bien identifié, les chercheurs à partir de leurs éclairages disciplinaires produisent des connaissances scientifiques et préconisent des solutions pratiques.

Grâce à l’observatoire mis en place, le chercheur procure une première « boucle

d’aide directe immédiate » (Saury, 2003) aux acteurs en leur permettant d’accéder à une

partie de leur activité conscientisable. Cet observatoire articulant un recueil d’observation dans la situation (observation participante avec ou sans prise de note, enregistrement audio-vidéo) et un recueil de verbalisations en cours d’activité (verbalisations provoquées, verbalisations interruptives), ou a posteriori (entretien d’explicitation, d’autoconfrontation, entretien hybride) doit perturber le moins possible l’activité des acteurs tout en fournissant des informations pertinentes par rapport aux questions spécifiques qu’ils se posent. Parallèlement, grâce à un engagement authentique, les praticiens fournissent aux chercheurs les matériaux indispensables à la construction de leur objet d’étude et de leurs résultats. Dans cette approche de la recherche, les praticiens sont considérés comme les experts et les chercheurs comme des acteurs mettant à jour cette expertise.

Une deuxième « boucle d’aide différée » (ibid.) est envisagée avec les acteurs à partir de la présentation d’analyse, de résultats produits sur du long terme. Elle permet de déboucher sur de la conception d’aide à destination des acteurs et peut contribuer au développement de nouveaux dispositifs de formation ou d’aide au travail à partir de l’analyse de l’activité réelle. Cette démarche de conception donne aussi l’occasion d’une «

rencontre » des personnes appartenant à différents mondes professionnels favorisant des

rapports dialogiques et des apprentissages mutuels entre les enseignants et les formateurs, les débutants et les expérimentés et l’établissement de rapports dynamiques et ouverts entre recherche et formation (Béguin, 2007b ; Durand, Ria & Veyrunes, 2010 ; Leblanc et al., 2008 ; Ria, Leblanc, Serres & Durand, 2006 ; Ria, & Veyrunes, 2010). Tout au long de nos travaux, nous avons adopté une posture de chercheur engagée, participative, « tout sauf

neutre, où ne pouvait que se nouer, dans une alchimie indéfinie et particulièrement opaque, l’épistémique et le “ transformatif ”, le désir de connaissance et les choix et engagements sur les valeurs du monde à venir » (Schwartz, 1997, p. 4).

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1.3. L’articulation entre l’analyse de l’activité et le processus de

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