• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5. Processus d’individuation dans des situations de vidéoformation

2. Résonance et imagination, fiction et réalité

2.1. Résonance, simulation et empathie

La mimésis permet non seulement de mobiliser des connaissances, des expériences passées mais est également source de connaissance en mettant en œuvre des processus de projections-identifications multiples. Cette faculté reproductrice du monde perçu à la base de toute connaissance est pourtant peu reconnue à la fois scientifiquement et dans le monde de l’éducation car la conception philosophique dominante des modalités de la connaissance

S. Leblanc – Note de synthèse pour l’HDR– Université de Montpellier 3 – 2012 157

humaine « sous-estime l’accès non réflexif au monde que rend possible l’exemplification

mimétique » (Schaeffer, 1999, p. 57). Parmi les raisons de la non prise en compte de cette

dimension anthropologique fondamentale de l’activité humaine, on peut citer une vision rationaliste de la construction des connaissances basée sur l’opposition vrai-faux, l’invisibilité des processus de simulation auxquels sont soumises les personnes, une conception sérieuse de la connaissance incompatible avec le jeu et le plaisir ainsi qu’une vision unifiée de l’identité personnelle écartant la pluralité de nos modes d’existence.

La confrontation à des EVNF génère une double activité de perception-simulation et d’imagination-projection que nous rattachons à deux concepts-clés chez Simondon (2005a, 2008) : la « résonance interne » qui permet de faire interagir deux ordres de réalités différentes et « l’imagination » qui correspond à l’élaboration d’images mentales conscientes ou non et qui possèdent une force « pro-active ». Cette activité imaginative qui est une réelle anticipation de l’acte en cours de développement s’actualise aussi bien en amont de la perception, pendant celle-ci qu’après la réalisation d’une action. La configuration typique des navigations des formés à travers un « visionnement de la vidéo de

classe » suivi de l’accès au « vécu professionnel de l’enseignant » articule ces deux

processus d’imagination-résonance. Cette articulation se traduit à travers un phénomène « d’écho-simulation-projection » qui ne se limite pas à la reprise des aspects de surface liés aux comportements manifestes de l’enseignant. Durant l’observation de la vidéo de classe, nous avons mis à jour des phénomènes empathiques d’émotions, d’intentions, d’action se manifestant de manière immédiate ou différée et que l’on peut rattacher au concept « d’échoïsation secondaire41 » (Cosnier, 1998). Ainsi, le voir est un voir « en écho » et non un voir pour « imiter des aspects formels et superficiels » du comportement de l’enseignant. Il se synchronise toujours avec des connaissances, expériences de classe vécues plus ou moins proche de la situation visionnée qui sont mises en relation et qui permettent de créer des échanges interactifs de type mimétiques (postures, gestes, déplacement, communication, silence, intonation…) entre le spectateur-formé et l’enseignant à l’écran. Une condition de cette synchronisation est de trouver un rapport proximité/distance satisfaisant entre « ce qui est donné à voir »/« vécu du spectateur-formé » qui soit en phase avec ses dispositions à agir du moment.

41

Le concept « d’échoïsation » (Cosnier, 1998) permet d’appréhender les échanges interactifs de type

mimétiques entre un bébé et les adultes qui s’occupent de lui et qui contribuent à son développement

psycho-cognitivo-comportemental. Pour nommer ces processus qui existent également entre adultes, Cosnier utilise le

S. Leblanc – Note de synthèse pour l’HDR– Université de Montpellier 3 – 2012 158

La notion de « simulation » est exploitée ici en référence aux travaux neurobiologiques qui ont démontré l’existence d’un système de neurones miroir chez l’homme qui associe la perception et l’exécution de l’action (Gallese, 2004). Ainsi, l’enseignant observant une vidéo de classe ne fait pas que « voir » les actions d’un collègue, des élèves ou percevoir leurs émotions, il les vit comme s’il les accomplissait réellement, en fait, il les simule inconsciemment. L’expression « embodied simulation » (simulation intégrée) utilisée par Gallese (2005) désigne le caractère « inconscient et préréflexif » de ce mécanisme dont la fonction est de modéliser les objets, les agents et les événements. Pour que le système de neurones miroir pour l’action soit activé chez l’observateur, il est nécessaire que les agents déclencheurs soient compatibles avec son répertoire comportemental et ses expériences antérieures (Buccino et coll., 2004).

Sur cette base, on peut soutenir la thèse que des vidéos de classe qui montrent de manière ostentatoire une bonne pratique d’enseignants très expérimentés prennent le risque de se couper du monde des possibles du spectateur-formé ayant peu d’expérience à cause d’une « perfection distanciatrice » (Pujade-Renaud, 1976, p. 108). Cette configuration « démonstration-reproduction du modèle » qui est à la base d’un certain nombre d’artéfacts vidéo a fait l’objet d’une analyse critique dans le domaine de l’enseignement de la danse classique qui a mise en évidence les risques de blocages des élèves-danseurs en termes d’apprentissage-développement face à la fascination ressentie devant la perfection du mouvement du professeur (Harbonnier-Topin, 2009). Des analyses comparables dans le domaine de la formation des enseignants ont montré les limites du pilotage et de la structuration de la formation par l’expertise professionnelle. Les débutants estiment peu utile le visionnement et l’analyse de séquences d’enseignement menées par des enseignants experts dans la mesure où ces pratiques leur apparaissent trop éloignées des leurs et ne correspondent pas aux difficultés auxquelles ils sont confrontés (Serres & Ria, 2007). Pour que ces processus de simulation s’activent en formation, il est donc nécessaire de rechercher le meilleur décalage entre l’activité cible et l’activité visée via ces EVNF. Si l’écart entre les deux activités est trop grand, il empêche toute simulation en formation et projection dans la situation de travail. La recherche du meilleur écart entre l’accomplissement en travail réel et l’accomplissement en environnement d’apprentissage-développement est donc déterminante pour favoriser cette immersion-simulation-projection des utilisateurs dans l’activité cible.

Par ailleurs, cette simulation permet de partager le contenu phénoménal des relations intentionnelles des autres et « d’être en empathie » (Gallese, 2004). Si ce

S. Leblanc – Note de synthèse pour l’HDR– Université de Montpellier 3 – 2012 159

mécanisme n’est pas nécessairement le résultat d’un effort cognitif voulu et conscient, nous pensons que l’accès à la conscience préréflexive des observateurs grâce aux techniques de verbalisations simultanées et interruptives favorise la compréhension de l’action de l’autre du fait même de l’explicitation d’émotions, de sensations, d’actions à la fois perçues via la vidéo et ressenties via cette simulation intégrée. Cette immersion mimétique se décline par un enchaînement de points de vue en « première personne » : soi-même à la place de l’autre en adoptant les émotions-intentions inférées ou repérés chez autrui, soi-même à la place de l’autre en vivant la situation à partir de ses propres émotions-significations-intentions, soi-même à la place de l’autre en modifiant la situation à travers un processus d’anticipation-projection d’actions-intentions différentes.

Ce regard en « première personne » nourri du vécu émotionnel et intentionnel de l’acteur est indispensable pour pouvoir appréhender et comprendre la situation du point de vue de l’autre : « comme nous n’avons aucune expérience immédiate de ce que les autres

hommes ressentent, nous ne pouvons nous faire une idée de la manière dont ils sont affectés, sinon en concevant ce que nous ressentirions nous-mêmes dans une pareille situation » (Jorland, 2004, p. 44). L’empathie envisagée comme une capacité à ressentir les

émotions pour soi et pour autrui, à se glisser à la place de l’autre pour en comprendre les intentions tout en faisant la distinction entre soi et autrui constitue une disposition essentielle pour s’immerger dans une nouvelle situation et apprendre de cette situation fictionnelle.

Documents relatifs