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Chapitre 2. Cadre épistémologique et théorique pour lier conception et

1. Articulations itératives entre conception, formation et recherche

1.3. L’articulation entre l’analyse de l’activité et le processus de conception

L’approche ergonomique à laquelle nous nous référons est celle initiée par Pinsky et Theureau à la fin des années soixante-dix et développée par la suite à travers les travaux du groupe de recherche « anthropologie cognitive et conception ergonomique » (Theureau & Jeffroy, 1994). Une des caractéristiques fondamentales de cette approche est de chercher à « comprendre pour concevoir, à connaître pour agir » (Pinsky, 1992). Dans cette approche, l’ergonome n’est pas considéré comme un « contrôleur », un « vérificateur », un

conseiller » du technicien, un « ajout » ou un « supplément » qui serait extérieur à la

conception en préconisant des « recommandations » mais se situe à l’intérieur, fait partie réellement de la conception et apporte des « contributions ergonomiques » (Pinsky, 1992). La conception ne se limite donc pas « à créer des machines mais plus fondamentalement

des situations de travail » et le rôle de l’ergonome est alors de « voir et concevoir ce que les artéfacts font » (Pinsky, 1992, p. 16). Dans la même perspective, Rabardel et al.

définissent l’approche ergonomique comme celle « centrée sur l’activité des hommes au

travail qui s’appuie sur l’analyse du travail réel pour contribuer à la transformation et/ou à la conception des situations et des systèmes de travail » (1998, p. 9).

Confrontés au « paradoxe de l’ergonomie de conception » (Pinsky, 1992) qui tient à ce que pour étudier une situation, il est nécessaire d’attendre qu’elle soit entièrement conçue, c’est-à-dire trop tard pour en aménager la conception, nous le contournons en

étudiant l’activité de manière récurrente dans des situations qui se rapprochent de plus en plus de la situation future du fait qu'elles sont sélectionnées ou construites au fur et à mesure du processus de conception (Theureau, 2001). Il ne s’agit pas de prédire l’activité mais plutôt d’approcher « les formes possibles de l’activité future » des utilisateurs dans la mesure où celle-ci ne peut pas être prévue dans le détail (Daniellou, 2007). A chaque grande étape du processus de conception, programmation18, conception, implantation, maintenance (Pinsky, 1992), la démarche itérative articule l’analyse de l’activité en formation avec le développement de l’environnement numérique :

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Le terme de « programmation », utilisé par Pinsky et Theureau en 1979, a été emprunté au domaine de l’architecture dans lequel il y avait une véritable réflexion sur la relation entre les gens et les situations à concevoir. L’étape de « programmation » était celle de la traduction des besoins humains en termes spatiaux et matériels aboutissant à ce que l’on appelle en architecture un « programme ». Nous conservons le sens de ce terme lorsque nous parlons de l’étape de programmation qui dans le contexte informatique possède un autre sens.

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- dans des « situations de référence » qui préexistent à la conception de l’artéfact (étape de programmation). Les situations de référence permettent d'analyser les cours d'action des futurs utilisateurs de l’artéfact (formés et formateur) dans les situations de formation comportant une aide artéfactuelle plus ou moins insatisfaisante mais considérées comme pertinentes par le projet de conception (e.g. les situations d’analyse de pratiques exploitant des vidéos d’enseignants débutants enregistrés en classe). Ces analyses permettent de formuler des premières recommandations qualifiées d'orientations de conception qui ouvrent et ferment des pans entiers à l’activité future (e.g. les situations exposant seulement la vidéo de classe sans avoir le point de vue de l’enseignant seront proscrites)

- dans des « situations tremplin » avec des « utilisateurs pionniers » (étape de conception ou implantation). Les situations tremplin permettent d'analyser les cours d'action dans des « situations d’expérimentation écologique hors situation naturelle » (e.g. l’utilisation de la première maquette de l’hypermédia Penser l’entraînement) et « en

situation naturelle » (e.g. l’utilisation de la plateforme prototype de vidéoformation Néopass@ction juste avant sa mise en ligne) comportant une aide artéfactuelle

globalement ou partiellement plus satisfaisante que celle qui existe dans la situation de référence. Nous préférerons utiliser la notion de « situation prometteuse » qui nous semble plus consistante théoriquement (cf. chapitre 3 et 6). Ces analyses permettent à la fois de tester la pertinence des spécifications provisoires qui sont à la base de la conception et de prévoir des formes possibles d’activité des utilisateurs qui nourrissent de nouvelles spécifications (e.g. faire des liens directs entre certaines ressources qui n’avaient pas été anticipés par le concepteur)

- dans des « situations grandeur nature » c’est-à-dire dans un contexte de formation ordinaire (étape d’implantation et de maintenance). Ces situations permettent de faire ressortir les difficultés d’appropriation, les détournements d’usage mais également les nouvelles opportunités d’apprentissage-développement pour les différents acteurs, formés et formateurs (e.g. l’utilisation du logiciel Réfléchir les pratiques dans un contexte de formation d’entraîneurs à l’INSEP). Ces analyses permettent d’identifier des modalités d’utilisation typiques ainsi que les modifications que les utilisateurs font subir à l’artéfact pour « le mettre à leur main ». Sur cette base, nous concevons des actions de formation pour accompagner l’appropriation-diffusion de l’artéfact en tenant compte de la spécificité des contextes de formation, des caractéristiques du public et des

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visées d’utilisation prévues (e.g. formation à l’utilisation de Néopass@ction dans des dispositifs hybrides de formation).

Le processus de conception est appréhendé comme une anticipation des formes possibles d’activité future des utilisateurs à partir de l’utilisation de maquettes, prototypes partiels ou complets pour étudier une activité plus proche de la situation finale d’utilisation. C’est la situation qui est au centre du processus, dans lequel l’artéfact n’est vu que comme un facteur de transformation de la future situation (Haué, 2004).

Par ailleurs, la démarche repose sur une coopération triangulaire aux quatre stades de la conception entre utilisateurs, techniciens et chercheurs-ergonomes qui « va à l’encontre du

principe de séparation de la conception et de l’exécution dominant dans quasiment tous les secteurs d’activité » (Pinsky, 1992, p. 46).

La conception de l’EVNF Néopass@ction (Ria et coll., 2010) illustre a) les apports d’une démarche itérative toujours en cours de conception continuée dans l’usage (Béguin, 2007b ; Daniellou, 2007 ; Norman, 1993a ; Paquelin, 2004 ; Rabardel, 1995 ; Ria & Leblanc, 2011 ; Theureau, 2003) à partir d’une approche dite « expérientielle » (Cahour, Brassac, Vermersch, Bouraouis, Pachoud & Salembier, 2007 ; Leblanc, Durand, Saury & Theureau, 2001) et b) la collaboration visant à favoriser des relations dialogiques entre les enseignants et les formateurs, les débutants et les expérimentés et l’établissement de rapports dynamiques et ouverts entre recherche et formation (Durand, Ria & Veyrunes, 2010 ; Leblanc et al., 2008 ; Ria, Leblanc, Serres & Durand, 2006). Les cinq phases de conception de la plateforme Néopass@ction (Figure 1) rendent compte de ce double processus (Ria & Leblanc, 2011).

La première phase s’est caractérisée par la mise en place d’un observatoire du travail réel des enseignants novices volontaires pour la recherche (toujours en cours) afin de repérer la façon dont ils parviennent à s’adapter à leurs environnements de travail selon des temporalités longues en adoptant des stratégies d’action, des compromis entre les normes personnelles de viabilité et les normes prescrites par l’institution (Ria, 2009 ; Saujat, 2010). La deuxième phase a consisté à sélectionner une partie des modélisations produites à partir de l’analyse du travail réel des novices pour en faire des « artéfacts vidéo-cibles » ayant un degré d’exemplarité de l’agir débutant comme autant de « situations de

référence » pour la formation en prise directe avec les préoccupations des enseignants

débutants ou celles qui devraient être prioritairement les leurs dans un horizon professionnel à court terme.

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Figure 1. Phases de conception de la plateforme Néopass@ction pour la formation des enseignants (Ria & Leblanc, 2011)

La troisième phase s’est traduite par une recherche systématique des effets générés par ces « artéfacts vidéo-cibles » sur l’activité des futurs enseignants ou des stagiaires en formation et en classe.

Forte de ces différents enseignements, la quatrième phase a consisté à concevoir un environnement de formation proposant des « artéfacts vidéo-cibles » les plus en phase avec les préoccupations des débutants et à les agencer, scénariser pour créer un espace potentiel de transformation.

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La cinquième phase s’est concrétisée à travers la réalisation de nombreuses présentations ou formations dans des secteurs très variés (Ministère de l’éducation nationale19, Dgesco20, Sénat, Unesco, Communautés scientifiques, Formations d’enseignants débutants organisées par les rectorats ou les universités, Formations de formateurs, etc.) qui ont permis d’évaluer plus globalement la pertinence et la viabilité de cet artéfact de formation dans un contexte français marqué par une réforme profonde de la formation des enseignants et d’apprécier son « acceptabilité » par les différents milieux professionnels concernés. Cette « acceptabilité » est donc à faire travailler sur quatre axes : a) un axe politico-scientifique avec pour visées de faire évoluer la formation des enseignants en « infiltrant » progressivement les programmes nationaux et la conception nationale de la formation des enseignants, b) un axe en direction des terrains et des professionnels qui constituent la communauté éducative (chefs d’établissement, enseignants, conseillers principaux d’éducation…), c) un axe en direction des centres de formation qui pilote la formation initiale et continue des enseignants (directeurs de centre de formation, responsables de formation, formateurs…) et d) un axe en direction des principaux utilisateurs, c’est-à-dire les enseignants en formation initiale, les enseignants-stagiaires et qui débutent dans le métier (premières années) mais aussi les enseignants plus expérimentés.

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