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Chapitre 3. Observatoires de l’activité dans des EVNF

1. Principes méthodologiques de l’observatoire

1.1. Situation « d’étude privilégiée » et « prometteuse »

Pour saisir des phénomènes intéressants relatifs à l’apprentissage-développement professionnel, notre approche cherche à combiner deux principes méthodologiques celui de

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choisir des situations qui « jouent », pour les acteurs impliqués, sur l’opposition « familier/inhabituelle », et celui de « validité écologique » à partir de situations d’expérimentation qui respectent un isomorphisme partiel avec les situations culturelles observées (Theureau & Jeffroy, 1994). Compte tenu du caractère d’inachèvement de l’homme et de son développement essentiellement culturel à travers les objets et systèmes techniques (Stiegler, 2010), il nous semble utile et fécond de concevoir et d’étudier des situations de formation instrumentées qui ouvrent des « espaces de possibles » pouvant paraître partiellement artificiels aujourd'hui mais qui possèdent le potentiel de devenir le quotidien de demain. La notion de « situation d'étude privilégiée » (Grison & Riff, 2002) consiste à élaborer-choisir les situations d’étude : a) les plus pertinentes qui pré-orientent le couplage acteur-environnement du point de vue des phénomènes visés, b) les plus faciles d’accès à des matériaux empiriques tout en respectant du point de vue méthodologique les deux critères de « validité écologique » et de « primat de l’intrinsèque » relatif à l’étude des cours d’action et c) les plus fécondes pour les différents acteurs impliqués (praticiens, chercheurs, informaticiens-techniciens…) du point de vue épistémique et transformatif. En prédisposant le couplage acteur-environnement, on crée les conditions pour faire émerger des phénomènes de manière plus manifeste, pour mieux les observer, comprendre leur dynamique, et pour construire de nouvelles connaissances.

Pour rendre compte à la fois du caractère d’indétermination et du caractère processuel des situations mises en place que ne restitue pas, selon nous, la notion de situation d’étude privilégié, nous préférons utiliser les qualificatifs de « porteur » et « prometteur » (Leblanc, 2001a, 2004a, 2010b) en référence aux travaux de Jullien (1996) sur la notion de « potentiel de situation ». Une situation « porteuse et prometteuse » ne vise pas directement un but qui conduirait à une action prédéterminée et donc ne cherche pas à imposer un effet. Elle ne peut obtenir un effet qu’indirectement en laissant se réaliser un processus, c’est-à-dire la transformation de la situation, et du coup c’est l’effet qui s’impose à elle. Pour appuyer cette pensée de la « processivité », Jullien (1996, p. 150) remplace le terme d’effet jugé trop « causal », « explicatif », « produit », « fini », par le terme « d’effect » qui restitue l’idée de processus engagé, qui est appelé à découler « naturellement », à advenir, à se déployer et qui reste indéterminé. Du coup, des situations « porteuses et prometteuses » sont des situations qui permettent d’« obtenir du potentiel » à travers leur propre déroulement (Jullien, 1996).

Cette « énergie potentielle de la situation » est à envisager sous l’aspect du potentiel moral (e.g. implication des acteurs, relation de confiance, regard des autres…), du potentiel

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topographique (e.g. modalités de vidéo-projection, positionnement des acteurs…), et du potentiel d’adaptation (e.g. ouverture à l’autre, empathie, ajustement…). Il est donc nécessaire d’emmagasiner un maximum de potentiel dans la situation de collaboration chercheur-formés-formateurs pour « saisir l’occasion », c’est-à-dire le moment le plus adéquat pour recueillir « l’effect » de processus qui sont engagés depuis longtemps. En amont de « l’occasion », il est essentiel de pré-sentir le potentiel de la situation à son stade embryonnaire, c’est-à-dire à « l’état d’amorce ». Par exemple, si nous avons pu saisir l’occasion de recueillir des données sur une situation d’entretien tutoral nouvelle35 conçue par deux maîtres-formatrices pour s’éloigner de leur pratique habituelle de débriefing pédagogique et didactique, c’est parce que nous avions repéré lors d’un stage de formation de tuteurs, quelques semaines auparavant, leur tendance à vouloir faire évoluer leur pratique d’accompagnement (Leblanc, soumis (a)).

Par ailleurs, le caractère fécond de ces situations « porteuses et prometteuses » dépend également du travail de collaboration engagé dans les entretiens permettant de dévoiler progressivement et de manière non-homogène les significations que les acteurs donnent à leurs actions. L’attitude empathique du chercheur, l’acceptation de suspendre momentanément la co-enquête sur l’activité pour mieux y revenir, la prise en compte des attentes professionnelles des acteurs dans la situation constituent des moyens d’agir qui contribuent à l’enrichissement et à la pérennisation de la situation sur des temporalités assez longues (Durand, Hauw, Leblanc, Saury & Sève, 2005). Ainsi, une description minimale de l’activité observable de l’acteur qui est pré-réflexive peut rendre compte de phénomènes extrêmement fins. Par exemple, dans une étude du cours d’action d’une enseignante-stagiaire naviguant sur la plateforme Néopass@ction, on a pu montrer que chaque visionnement de séquences vidéo (de classe et d’entretien des enseignants) engendrait une immersion mimétique susceptible de provoquer un « remodelage de l’expérience » du fait de la mise en résonance des expériences passées vécues en classe avec les significations construites lors de ces consultations (Leblanc & Sève, sous presse ; Ria & Leblanc, 2011, sous presse).

Nous avons ainsi construit des situations « porteuses et prometteuses » en relation avec des environnements numériques et de vidéoformation a) des situations

35 Le caractère nouveau de l’entretien consistait à exploiter des traces d’activité à partir d’enregistrement

vidéo de la situation de classe pour l’une et de notes ethnographiques pour l’autre, en s’appuyant sur un questionnement de type autoconfrontation ou explicitation.

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d’autoformation via des hypermédias pour appréhender l’autoréférentialité et l’exploitation opportuniste des formés au regard de leurs attentes et des possibles liés à l’environnement (Leblanc, 2001a ; Leblanc, Saury, Sève, Durand & Theureau, 2001; Leblanc, Saury, Sève, & Durand, 2003 ; Leblanc, Saury & Sève, 2004 ; Roublot, & Leblanc, 2005), b) des situations de formation en « présentiel enrichi » permettant de saisir les tensions des formateurs entre leur rôle d’instructeur-transmetteur de savoirs et celui d’accompagnateur du développement professionnel (Leblanc & Roublot, 2007 ; Leblanc, 2008), c) des situations de vidéoformation pour rendre compte de processus mimétiques et fictionnels à travers l’activité de « voir l’autre pour faire » (Leblanc, 2009a, 2009b, 2011b ; Leblanc & Sève, sous presse ; Ria & Leblanc, sous presse ; Ria, Serres & Leblanc, 2010), d) des situations de tutorat médiatisées par des artéfacts (vidéo et entretien d’explicitation) pour étudier les processus d’influence et d’accompagnement pour « agir sur autrui » (Leblanc, soumis (a)). Ces différentes « situations d’expérimentation écologique » constituent toutes une réduction des situations de référence de formation (e.g. la navigation-consultation des enregistrements vidéo dans la plateforme Néopass@ction commentée à un chercheur ; la phase nouvelle de questionnement dans une situation de tutorat à partir d’extraits vidéo de classe choisis par les stagiaires ; les interactions du formateur avec des stagiaires travaillant sur des ordinateurs). Ces réductions permettent d’accéder à certaines dimensions de l’activité humaine particulièrement invisibles ou opaques, difficilement accessibles dans des conditions normales, et d’étudier des phénomènes qui peuvent sembler anodins et qui s’avèrent pourtant essentielles à comprendre du point de vue des acteurs impliqués pour enrichir les dispositifs de formation.

Finalement, ces situations sont jugées « porteuses et prometteuses » par la « mise en

situation » des acteurs qu’elles permettent via des artéfacts vidéo numériques censés a)

faire signe pour eux et perturber leur activité « spontanée » b) aider à la construction de nouvelles dispositions à agir, par c) un double appel à l’imagination et à la créativité mimétique (Durand, Meuwly-Bonte & Roublot, 2008). Elles sont également à rapprocher de la notion « d’espaces d’actions encouragées » qui sont définis comme « des

« dérivations » de la réalité ou des transformations des environnements de l’activité cible »

(Durand, 2008, p. 12). Ces situations viennent s’insérer dans des formations conçues comme a) normatives car des actions sont encouragées et d’autres sont proscrites, mais b) non prescriptives car c’est toujours l’acteur qui définit l’environnement qui est significatif pour lui et non l’environnement qui prédétermine ses actions ou ses apprentissages (ibid.).

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1.2. Continuité ou rupture entre la « situation prometteuse » et

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