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Camillo Berneri selon l'Ovra

1.1.11 Un militant antimilitariste

Pour comprendre comment Berneri a assumé aux yeux de la police italienne les traits caractéristiques de l'ennemi social, il est nécessaire de prendre en considération les premières notes concernant l'intellectuel italien. Le premier aspect que les informateurs de la police mettent en évidence dans leurs notes est sa position antimilitariste.

Dans la documentation de l'Ovra regardant Camillo Berneri, la première communication qu'on trouve date du 25 mars 1916. À cette occasion, l'attention des autorités compétentes est attirée par les activités antimilitaristes mises en place par le jeune militant révolutionnaire. La Préfecture de Reggio Emilia informe « che il noto sovversivo Berneri Camillo facente parte del comitato direttivo di cotesta Federazione giovanile socialista starebbe facendo propaganda conto la guerra ; »367. Il apparaît ici que la police était déjà sur les traces de Berneri, reconnu comme « subversif » par son appartenance à la jeunesse socialiste. Pourtant ce qui provoque l'inquiétude de la préfecture locale ce sont surtout ses activités de propagande contre la guerre.

La première activité politique d'une certaine importance à laquelle l'anarchiste participe est une conférence antimilitariste à Gênes durant laquelle il ne peut prendre la parole vu qu'il est « percosso e malmenato da un gruppo dissidente »368. La police décide de consacrer une fiche biographique à Camillo Berneri lorsqu'il devient anarchiste mais cette évolution idéologique dépend de sa position antimilitariste de Berneri : « Verso la fine del decorso anno, il Berneri, anche a seguito della guerra e dei suoi principi ultra antimilitaristi, si spinse verso la tendenza anarchica ed apertamente si dichiarò tale e perciò si dimise dal partito socialista rivoluzionario e quindi anche da membro della Commissione esecutiva della Federazione. »369 Par conséquent, selon les sources de la police, c'est bien son désaccord avec

367 Communication de la préfecture de Reggio d'Émile, 25-3-1916 in Acs, Cpc, D. 537, F. 1. 368 Ibidem.

117 la position adoptée par la jeunesse de Parti socialiste face à l'intervention de l'Italie lors la Première Guerre Mondiale qui pousse Berneri à abandonner ce parti.

Dans son nouveau mouvement, le jeune militant révolutionnaire continue à soutenir la cause antimilitariste. Déjà au début de son militantisme dans le mouvement libertaire, la préfecture de Reggio Emilia communique ministère de l'Intérieur que Berneri « unitamente all'anarchico Gobbi Torquato fa propaganda anarchica e contro la guerra. »370 Cet anarchiste émilien a un rôle important dans le parcours politique de Berneri. Malgré ses positions antimilitaristes, Camillo Berneri doit rejoindre la Réale Académie de Turin mais il tombe malade et passe une période de convalescence à Arezzo. Au vue de ses diplômes, à partir du 15 octobre de 1917, Berneri rejoint « il Comando di Corpo di Armata di Alessandria »371 pour fréquenter le cours obligatoire pour les aspirants officiers. Les autorités militaires ont été informées du passé politique de Berneri et le surveillent attentivement. Berneri est bientôt envoyé aussi au Régiment 88 de la Infanterie de Livourne mais il a des problèmes de santé et en novembre rentre à Arezzo chez sa mère.

En analysant les notes de la police concernant cette période de la vie de Berneri, nous remarquons que les autorités militaires ont des difficultés à gérer la présence de l'anarchiste dans l'armée italienne. Il est évident que sa position idéologique peut représenter une grave menace pour la bonne réussite des opérations militaires de l'armée italienne vu que, en faisant partie de cette institution, Berneri pourrait saboter facilement les actions militaires auxquels elle participe. Finalement, l'état précaire de la santé de l'anarchiste paraît une bon prétexte pour l'éloigner de ses responsabilités militaires.

Successivement, les informateurs de la police continuent de faire référence aux positions antimilitaristes de l'anarchiste pendant son exil. Cette vision le différencie par rapport à d'autres partis antifascistes qui ne sont pas si ouvertement contraire à des interventions militaires. Selon un informateur, lorsque Camillo Berneri veut essayer de convaincre des militants de G.L. à militer dans le mouvement anarchiste, l'intellectuel libertaire propose un document capable de susciter la réaction de la part des membres de G.L. qui ne sont pas d'accord avec la position de Rosselli pour ce qui concerne l'application du traité de Versailles. Notamment, selon Brichetti, Berneri soutient que, à propos de la violation du traité de Versailles, « la Germania non ha tutti torti e che bisogna opporsi alla guerra in

370Annotation postérieure de la fiche biographique de Camillo Berneri, in Acs, Cpc, D.537, F.1. 371 Communication de la Préfecture de Arezzo, 3-11-1917, in Acs, Cpc, D.537, F.1.

118 ogni modo. »372. Pour le moment, l'intellectuel libertaire a obtenu le soutien des anarchistes et de trotskystes mais il voudrait que Brichetti convainque aussi l' A.R.S à le signer. Dans une note du 16 avril 1936, un informateur anonyme donne d'autres détails sur la position de Berneri à propos de la guerre qui, selon la plupart des antifascistes, pourrait bientôt commencer en Europe. L'anarchiste lombard est favorable à « un'intesa [...]fra i partiti rivoluzionari per sostenere a mezzo stampa, giornali, conferenze per una violenta campagna contro la guerra e contro i partiti che trovano ad essa una qualsiasi giustificazione. »373 La cible principale de cette polémique sont les partis communistes européens et l'U.R.S.S. qui essaient de créer un front commun de toutes les forces démocrate contre Hitler. Cela provoquerait, selon Berneri, une réaction du dictateur allemand et le commencement d'une guerre ayant des conséquences catastrophiques pour l'humanité.

Parmi les notes envoyées à la Division police politique, on trouve aussi un texte présentant la position de Berneri à propos de la victoire de Mussolini en Afrique Orientale374. L'anarchiste souligne les conséquences économiques de cette guerre, car, selon l'informateur de la police, Berneri ne souhaite pas démontrer l'inutilité de ces actions militaires par des arguments idéologiques mais il considère plus efficace de prouver « che la guerra apre al contrario per il popolo del paese vittorioso un periodo di più grande sofferenza, di una più profonda miseria. »375 C'est pour cela que, selon Berneri, il est très important de rappeler que « dei numerosi tecnici di questioni finanziarie italiani e stranieri sono di accordo per valutare il costo effettivo della guerra d'Etiopia almeno a 15 miliardi di lire, ciò che costituisce un peso schiacciante per il popolo italiano, una rovina per il paese. » Selon Berneri, même les perspectives de cette guerre sont très sombres pour le peuple italien : « Mantenere ancora per un tempo indefinito un esercito di quasi 400000 uomini in Abissinia significa imporre al popolo italiano una spesa di altri miliardi di lire, mentre in Italia la disoccupazione e la miseria aumentano. I benefici promessi al popolo sono, al contrario, rinviati continuamente. » De cette façon, d’après l'anarchiste italien, le gouvernement fasciste laissera l'économie italienne dans les mains des capitalistes de Paris et de Londres car les efforts des banquiers italiens ne suffiront pas à sauver le pays de cette terrible crise. Selon cette communication de

372 Note confidentielle, 30-3-1936, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione polizia politica,

Fascicoli personali Serie A 1927-1944,D. 11, f. Berneri.

373 Note confidentielle, 11-4-1936, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione polizia politica,

Fascicoli personali Serie A 1927-1944,D. 11, f. Berneri.

374 Note confidentielle, 16-6-1936, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione polizia politica,

Fascicoli personali Serie A 1927-1944,D. 11, f. Berneri. Cf. texte intégral in Annexe n.30, p.585.

119 l'informateur de la police, Berneri conclut son discours en encourageant ses camarades à diffuser ce message auprès de l'opinion publique :

« Gli anarchici di tutti popoli, di tutte le tendenze svolgano intensa propaganda per far conoscere la verità sull'affare abissino, perché la guerra, anche una guerra di aggressione che benefici delle circostanze piu favorevoli e che termini vittoriosamente rappresenta una rovina per il popolo, una catastrofe nazionale, questo argomento decisivo ed innegabile aiuterà gli anarchici difensori della pace in tutti i paesi a mobilitare la massa del popolo contro il Fascismo.»

Ces considérations attribuées par un espion de la police à l'intellectuel anarchiste sont assez vraisemblables car, en effet, Camillo Berneri même dans ses articles publics essayait de soutenir ses positions, en développant une analyse basées plutôt sur des faits réels que sur des préjugées idéologiques. En tout cas, il est évident que l'informateur décide de présenter de manière détaillée le point de vue de Berneri concernant la guerre en Éthiopie parce que la position que l'anarchiste soutien à ce propos, représente un risque potentiel pour le développement de la politique militaire de Mussolini.

Nous avons déjà vu que, depuis le début de son activité politique, Berneri a été considéré comme une menace pour l'État italien précisément pour son opposition idéologique à la participation de l'Italie à la guerre. La motivation apparaît claire : les autorités italiennes ne peuvent pas se permettre le risque que ces positions antimilitaristes se répandent parmi les jeunes qui sont destinés à rejoindre les rangs de l'armée italienne. C'est pour cela que dès le début de son militantisme politique, Camillo Berneri est présenté comme un ennemi de la société. Dans une note datant du 16 mai 1916, on annonce que « in suo confronto è stata disposta assidua vigilanza ed in caso si renda pericoloso sarà subito schedato e segnalato a cotesto On.le Ministero. »376

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1.1.12 L’anarchiste, une menace