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La victime d'un complot policier policier

Camillo Berneri selon l'Ovra

1.1.15 La victime d'un complot policier policier

Bien que la police présente Berneri comme un dangereux espion, si nous analysons avec attention la documentation de l’Ovra, nous observons qu’en réalité l'intellectuel anarchiste paraît être plutôt une victime des machinations des services secrets italiens et de ses espions qu’un violent terroriste. Dans la presentation que la police fait de Camillo Berneri, ce dernier ne paraît même pas avoir les capacités nécessaires pour réaliser ce type d'activité. Tout d'abord, les informateurs le décrivent comme quelqu'un d'assez naïf et distrait. Dans une note confidentielle de 30 juillet 1928, un informateur de la Division police politique propose de publier une lettre compromettante de Berneri pour « levarlo di mezzo »478celui-ci étant réputé très distrait, il ne serait pas très difficile de l'obtenir. En outre, Berneri ne paraît pas montrer la prudence nécessaire à l'égard d’Ermanno Menapace, un ancien combattant

fiumano sur lequel il n'avait pas beaucoup d'informations. Dans ses mémoires, l'espion

soutient qu'à partir du 15 décembre 1928, il commence à fréquenter assidûment Berneri à Bruxelles mais il est évident que l'intellectuel anarchiste avait commencé à confier à lui même avant cette date.

A la fin de novembre 1928, Berneri est expulsé deFrance parce qu'il est considéré par le juge comme « un anarchiste dangereux ». Dans le cadre de l’application de cette décision de justice, il pourrait jouir, au début, d'une prorogation de quinze jours et c’est dans cette circonstance qu’il pense demander l'hospitalité en Suisse pour rejoindre son ami Bertoni mais

151 il n'a pas le temps d'organiser les préparatifs de son départ. Le 10 décembre, la police encercle sa maison et il est raccompagné à la frontière belge479. La version que Menapace donne de l'expulsion de Berneri est assez intéressante dans l'optique d'une comparaison avec la version que le protagoniste de l'événement donnera plus tard. L'espion de la police relate dans une note confidentielle que « la polizia aveva solo l'ordine di accompagnarlo al confine e siccome il Berneri avrebbe potuto esser preso alla stazione dai belgi, i due ispettori che lo scortavano, all'arrivo del treno in stazione, lo nascosero nella cucina del vagone ristorante e quando videro che la polizia belga era già salita sul treno, lo fecero scendere ed uscire dalla stazione. Il Berneri attese il treno successivo per Bruxelles »480. Deux ans plus tard, Berneri construit le récit son transfert de cette manière : « In treno con i due nuovi accompagnatori conversazione. Fino a Mons. Là è il passaggio clandestino. Mi si fa passare nel vagone restaurant, si spia il momento in cui i poliziotti belgi salgono sul treno per il controllo dei passaporti. E mi fanno scendere... »481 Évidemment, l'intellectuel libertaire avait raconté à Menapace les détails de son expulsion.

Pour convaincre l'anarchiste italien de sa bonne foi, Menapace se présente comme un communiste en désaccord avec la Concentrazione. Ce choix est cohérent car Berneri paraît particulièrement déçu de l'attitude de cette association antifasciste et apprécie la position de son nouveau camarade. 482 Selon Menapace, il arrive à gagner assez rapidement la confiance de l'anarchiste. L'espion, dans une note du 27 décembre 1928, raconte sa soirée de Noël à Bruxelles483. Il passe cette soirée dans une salle de bal populaire avec l'anarchiste italien Miglioli et quelques militants antifascistes. Une amie de l'informateur aurait dansé avec Berneri et Miglioli pour leur extorquer d'importantes confidences. L'espion fasciste soutient que, depuis le début, il avait eu l'impression de pouvoir manipuler Berneri au vu de son état psychologique. Selon les dires de Menapace, Berneri aurait été très déçu à ce moment-là par les derniers évènements politiques et l'espion de la police aurait donné du réconfort à l'anarchiste : « Mi esprimeva il desiderio di abbandonare la vita agitata per iniziare un'esistenza tranquilla, stanco di illusioni e di disillusioni. Lo seguii nel suo dire approvandolo e confessandogli che anch'io avevo sofferto delle sue stesse disillusioni, che

479 Note confidentielle, 21-12-1928, in Acs, Ministero dell'interno, Direzione generale pubblica sicurezza,

Divisione polizia politica Fascicoli personali Serie A 1927-1944, D. 11, f. Berneri.

480 Note confidentielle, 14-12-1928, in Acs, Ministero dell'interno, Direzione generale pubblica sicurezza,

Divisione polizia politica Fascicoli personali Serie A 1927-1944, D. 11, f. Berneri.

481 Camillo Berneri, Pensieri e battaglie, édité par le Comitato Camillo Berneri, Paris, 1938, p.67 482 Ermanno Menapace, Tra i fuoriusciti, Les Imprimeries générales, Paris 1933

483 Note confidentielle, 28-12-1928, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione Polizia politica,

152 anch'io non sentivo che del disgusto verso il fuoruscitismo impotente e vile e sotto forma di fraterna rivelazione » 484. En même temps, pour influencer Berneri, Menapace lui fait croire que « grazie all'intervento di alcuni vecchi amici, avevo regolato la mia posizione e che, pur non tornando in Italia e non diventando mai fascista, avrei tuttavia vissuto tranquillamente col lavoro che stavo cercando in Belgio. » Les idées de Menapace auraient convaincu Berneri de la possibilité de compter sur son amitié pour changer de vie :

« Piacque questo mio discorso al Berneri e [...] approvò la mia condotta e si disse felice, dopo questa leale spiegazione reciproca, di diventarmi amico. Mi attese il giorno dopo a casa sua e, per non dilungarmi, dirò che il colloquio finì con l'accordo che io gli avrei procurato con una sistemazione e con l'impegno da parte sua di cessare da ogni attività politica. Onestamente devo dichiarare che mi prometteva di non voler in alcun modo , né allora, nè mai servire il fascismo. »

Finalement, Berneri décide de ne pas interrompre son activité politique et l'espion profite de la confiance que Berneri lui accorde pour continuer à le manipuler.

En avril 1929, l'anarchiste veut envoyer une lettre à Guido Miglioli pour lui expliquer la situation politique actuelle. Menapace profite de sa position d'homme de confiance de Berneri pour en faire parvenir une copie à la Division police politique du ministère de l'Intérieur. La lettre relate les tensions existantes entre Berneri et le groupe antifasciste dirigé par Donati. Ce dernier a toujours été considéré par les informateurs de la police italienne comme un dangereux contestataire. Par exemple, dans une note confidentielle, on dit que « non nasconde la sua impazienza ed il delirio di agire in qualche modo contro l'odiato Regime Fascista.»485. En outre, Donati est considéré comme « intimissimo del Berneri », il est donc encore plus redoutable, car il peut compter aussi sur le réseau du militant anarchiste. Pour cela Menapace essaie de créer des tensions entre les deux amis et rendre ainsi plus difficile leur collaboration.

Selon Menapace, la lettre que Berneri envoie à son ami Miglioli « dà un'idea di quello che bolle nella pentola e quale stato di cose abbiano creato le mie accuse contro Bazzi486 da Camillo adoperate »487. Menapace avait lancé des accusations contre Bazzi sur son passé ombrageux car ce dernier avait été un ami de Mussolini. Berneri, à son tour, avait créé la

484 Ermanno Menapace, Tra i fuoriusciti, Les Imprimeries générales, Paris 1933 485 Note confidentielle, 9-2-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 1.

486 Carlo Emilio Bazzi était un ami personnel de Benito Mussolini et du général Del Bono, mais sa gestion discutable des fonds destinés aux anciens combattants de la Première guerre mondiale l'isole au sein du mouvement fasciste et il décide de passer à l'opposition.

153 polémique au sujet de Donati parce qu'il savait que le militant populaire fréquentait assidûment le groupe de Bazzi. Encore une fois, nous pouvons observer comment Menapace arrive à manipuler Berneri et son entourage pour servir les intérêts de la Division police politique.

Dans la missive que Berneri envoie à Miglioli, l'anarchiste mentionne Montasini488, un membre du Parti républicain italien en exil et aussi le vice-secrétaire de la Concentrazione

antifascista. Cet ami de l'anarchiste lui avait écrit pour lui communiquer que « sarebbe

necessaria l'uscita dell'Iniziativa per bombardare la banda Bazzi. »489 Selon Menapace, Berneri se montre très intéressé par cette idée et pense tout de suite à « un numero speciale che concepirei così : sunto del mio opuscolo illustrante le responsabilità di Bazzi, Donati…ecc.; attacco a fondo a Donati, attacco a fondo a Bazzi con biografia (residuati di guerra, cooperative combattenti, Nuovo Paese e ultime sue imprese delle quali Menapace dovrà farmi un preciso esposto)[...] ; trafiletto contro Caporali per diffamazione continuata; trafiletto contro la Libertà per il rifiuto di pubblicare la mia risposta al « Pungolo » ; attacco contro la polizia francese in generale e Leluc in particolare ecc. » En effet, dans son journal Il

Pungolo, Donati avait accusé Menapace d'être un espion de la police et avait soutenu que

Berneri se comportait naïvement à son égard. Finalement Camillo Berneri n'avait pas pu lui répondre car La Libertà, le journal de la Concentrazione, avait refusé de publier sa réplique. Par conséquent, Berneri avait voulu réagir aux attaques personnelles de Donati par le biais d'une publication spéciale. Menapace soutient que grâce à son intervention, les amis de Berneri seraient prêts eux aussi à aller très loin dans la polémique contre le militant populaire: « Montasini ha chiesto l'espulsione di Donati dalla Lega dei diritti dell'uomo. Giacometti dovrebbe mandare una lettera ai probiviri protestando contro l'atteggiamento di Donati, idem per Schettini. Così si fiancheggerebbe l'azione di Montasini e di altri. » Berneri même continuerait cette offensive médiatique, en demandant que l'association des journalistes italiens « Giovanni Amendola » expulse Donati en raison de son comportement discutable. Le seul problème restant, selon la version des faits donnée par Menapace, serait le financement du journal. En effet, Berneri n'a pas les ressources économiques pour le financer car « guadagna 10 franchi al giorno per scrivere indirizzi ». De même, les autres amis de l'anarchiste n'ont guère les moyens nécessaires pour élaborer un numéro spécial de

l'Iniziativa. C'est ainsi que Menapace demande à ses supérieurs s'il est opportun de financer

488 Pietro Montasini avait été le Secrétaire du Parti Républicain de Reggio Emilia et avait collaboré avec plusieurs journaux républicains. Victime des violences des groupes fascistes, il se réfugie en France où il devient sous-secrétaire de la Concentrazione antifascista.

154 cette publication pour détériorer encore plus les relations entre Berneri et Donati. En tout cas, l'informateur demande à la Division police politique de plus amples renseignements sur les personnes qu'il doit attaquer pour semer la discorde dans le camp antifasciste. Dans le livre que Menapace a publié en 1930 pour relater son activité d'espion, l'auteur confirme que c'était lui qui avait financé la revue intitulée La Verità pour semer la zizanie entre Berneri et Donati.490 Dans une note confidentielle, Menapace renseigne la Division police politique au sujet des conséquences de la publication de La Verità, la revue fondée par Berneri et ses camarades dans le dessein d’attaquer Donati et Bazzi.

Apparemment, la sortie de La Verità avait provoqué aussi des tensions entre Miglioli et Berneri. Menapace affirme qu'« interessante è il fatto che, come prevedevo, Miglioli è adirato contro Berneri per quanto dice di lui nel numero unico de La Verità . »491 Dans une missive, l'informateur décrit aussi l'état d'esprit de Berneri pendant cette période : « Le disillusioni di quest'ultimo anno, la polemica Donati, le continue pressioni della moglie e dei parenti di essa,che avrebbero voluto iniziare una vita di pace, la partenza di gran parte degli amici del Berneri per l'Uruguay(Fabbri, Gobbi,Ugo ed altri), l'assoluta sfiducia in tutti avevano portato Berneri in uno stato d'animo che poteva da noi essere sfruttato »492. L'objectif final de Menapace serait d'éloigner définitivement l'anarchiste d'Europe, en le rendant ainsi inoffensif : « non saremmo mai riusciti ad avere un Berneri compagno di ideali ma sotto forma di prestito personale gli avremmo potuto dare il denaro necessario perché partisse per l'Uruguay, liberandoci così di un individuo che, se dispone di mezzi, è pericolosissimo. » La clé pour convaincre l'anarchiste de partir en Amérique du Sud aurait été Giovanna Caleffi, la femme de l’anarchiste : « colla moglie proprietaria della casa di Parigi io mi ero impegnato di darne un prestito di una ventina di mille lire in garanzia del quale mi avrebbe assicurato sul valore della casa.» Menapace, dans ses missives, paraît convaincu de pouvoir profiter de la situation pour pouvoir pousser l'anarchiste à abandonner son activité politique mais, en août 1929, l'espion écrit à la Division police politique, pour leur annoncer que l'état psychologique de Berneri a profondément changé depuis qu'il a reçu des nouvelles à propos de son ami Rosselli. Ce dernier a envoyé un message à la mère de Camillo Berneri qui l'a immédiatement fait parvenir à son fils. L'informateur confirme à nouveau sa théorie selon laquelle Berneri aurait été sur le point de cesser son activité de contestataire grâce à son influence : « La cosa mi ha molto seccato perché scombussola il mio piano: l'isolamento nel quale Camillo si trova

490 Ermanno Menapace, Tra i fuoriusciti, Les Imprimeries générales, Paris 1933, p.90 491 Note confidentielle, 10-7-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 2.

155 e la sua sfiducia in tutti erano due importanti coefficienti sui quali facevo affidamento. »493 A partir de ce moment-là, selon l'espion de la police, la situation change sensiblement parce que « l'arrivo del Rosselli, che Camillo dice essere buona testa e fornito di buoni mezzi finanziari, gli fa sorgere tante speranze perché dice di avere in lui, sicuramente un forte appoggio. »

Comme à l’accoutumée, Menapace ne renonce pas à s'attribuer un rôle important dans cette phase de la vie de Berneri. Selon sa version des faits, il peut influencer le travail de l'anarchiste en lui donnant des informations fallacieuses sur les autres antifascistes : « siccome io frequentai molto il Ristorante Quaglino gli do tutti i dati sulla condotta dei frequentatori e quindi Salvi, Pistocchi, Sardelli, e quelli della Cooperativa hanno la loro parte .» Dans une note du 23 août 1927, Menapace confirme que son espoir de voir Berneri interrompre ses activités terroristes et de décider de mener une vie plus tranquille s'est évanoui : « tanto che ieri la moglie pianse lungamente e con essa le due bambine. »494. Le comportement de la famille de l'anarchiste démontre que « non c'è quindi in alcun modo di illudersi su una definizione amichevole ».

Étant donné que Menapace n'a pas réussi dans sa tentative de manipuler les sentiments de Berneri, il propose à la Division police politique des solutions alternatives pour neutraliser le « subversif ». Tout d'abord, il relance son idée de « compromettere Berneri attraverso lettere e fotografie ». Comme l'anarchiste a pleinement confiance en lui, Menapace est convaincu de la possibilité de réaliser ce plan mais il n'est pas sûr de ses conséquences : Berneri perdrait sa crédibilité aux yeux des autres antifascistes mais cela ne l’empêcherait certainement pas de continuer ses activités révolutionnaires. Au contraire, selon l'espion fasciste, « : in questo momento l'interessante non è giocare Berneri come uomo politico giornalista ma come uomo d'azione ». L'autre hypothèse proposée par Menapace est : « far arrestare Berneri ...Tra l'inosservanza al decreto d'espulsione e l'uso di documenti falsi verrebbe a prendersi un anno e mezzo e per un po' sarebbe così fuori di circolazione. » Cependant, Menapace déconseille ce choix car il ne pourrait plus continuer son activité d'espion et, par conséquent, il n’aurait pas la capacité d’anticiper les projets de Rosselli et des autres camarades de Berneri. En réalité, nous avons l'impression que Menapace ne souhaite pas interrompre son activité d'espionnage car il ne veut pas renoncer aux avantages économiques que lui donne le travail d'informateur. Finalement, c'est Berneri qui décide d'aller en Belgique pour rencontrer des anarchistes expatriés. Menapace accepte de l'accompagner en voiture pour glaner des informations sur les amitiés de Camillo Berneri. Les

493 Note confidentielle, 12-8-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 2, F556 494 Note confidentielle, 23-8-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 2, F558

156 deux hommes voudraient par la suite s'installer à Paris avec leur famille respective. Dans son livre, l'espion fasciste donne beaucoup d'importance au fait que l’anarchiste veuille aller vivre chez lui parce que cela aurait démontré la grande confiance que l'anarchiste plaçait en lui : « la mia decisione di stabilirmi a Parigi è stata accolta con gioia da Camillo e famiglia. » Menapace devra chercher une maison dans la capitale française et ensuite Berneri ira vivre chez lui car la police ne pensera pas le chercher là-bas. Menapace choisit de s'installer à Versailles pour éviter les contrôles de la police française et dispose « le cose di modo che tutta la corrispondenza di Berneri, Rosselli, Tarchiani e Cianca dovesse passare per le mie mani e così pure che tutta la corrispondenza in partenza di Berneri potesse essere da me verificata. »495 Par conséquent, Menapace affirme que dans sa position, il sera facile de contrôler tous les mouvements de Berneri et de ses camarades.

Cependant, le 24 octobre 1929, Fernando De Rosa, un ami de Camillo Berneri tente de tuer le prince Umberto de Savoie à Bruxelles. Cinq jours plus tard, Menapace écrit à la Division police politique. Selon l'espion, l'anarchiste n'est pas le responsable de cet attentat mais la police française va le soupçonner, étant donnée sa relation d'amitié avec Fernando de Rosa496. Pour cela, l'informateur espère être bientôt interrogé par les enquêteurs transalpins sur cette affaire. C'est ainsi qu'il espère compromettre Berneri et le faire arrêter.

En outre, Menapace est assez optimiste sur le succès de cette manœuvre car l'auteur de l'attentat n'a probablement pas fait mention de ses propos avec d'autres militants antifascistes : « il De Rosa troppo bene conosceva la leggerezza dei componenti la Concentrazione e quindi è certo che con nessuno parlò di quanto fece. »497 . Ainsi la police française va croire plus facilement à la version des faits que l'espion pense lui suggérer. Finalement, l'espion ne parvient pas à son but parce que Berneri n'est pas arrêté par la police française mais il est frappant de voir que Menapace essaie constamment de manipuler l'activité militante de Camillo Berneri pour réaliser les objectifs politiques des services secrets italiens.

L'agent de la Division police politique essaie de discréditer l'image de Camillo Berneri, même après avoir interrompu son activité d'informateur. En effet, Menapace, grâce aux documents qu'il avait intercepté durant cette période, fait, dans ses mémoires, la reconstruction du plan que Berneri et d'autres membres de Giustizia e Libertà aurait élaboré à l'époque pour réaliser un attentat contre la représentation italienne à la Société des Nations. Comme nous l’avons précédemment signalé, Menapace reporte quelques lettres adressées par

495 Ermanno Menapace, Tra i fuoriusciti, Les Imprimeries générales, Paris 1933, p.95 496 Note confidentielle, 29-10-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 2.

157 Berneri à Rosselli, Sartori et Tarchiani afin de démontrer, selon lui, l'indubitable implication de l'anarchiste dans la préparation de cet attentat498. En réalité, dans ces documents reportés par l'espion de la police, on ne trouve aucune référence explicite au sujet de l'attentat à réaliser contre la représentation diplomatique italienne à Gênes. Pour prouver que l'intellectuel anarchiste était prêt à accomplir un geste extrême afin d'affaiblir le régime fasciste, l'espion envoie à la Division police politique une longue lettre de Camillo au giellista Cianca. Dans cette lettre du 15 novembre 1929, l'anarchiste semble chercher la compréhension de quelqu'un ayant des responsabilités familiales : « Mi rivolgo a lei perché padre e uomo giusto ad un tempo capace di comprendere l'imperiosità degli affetti e le imposizioni categoriche della coscienza morale dell'uomo che non vive soltanto per la propria vita. »499 Berneri serait très inquiet par la situation économique précaire de sa famille ; celui-ci craint d’être la victime