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L'opportunisme idéologique de Berneri Berneri

Camillo Berneri selon l'Ovra

1.1.9 L'opportunisme idéologique de Berneri Berneri

En général, la critique majeure que les agents de la police posent à l'égard de l'idéologie des partis antifascistes est leur incapacité à unir leurs forces à cause de leurs divisions théoriques. Menapace, notamment, observe que les dirigeants des partis expulsés par le régime fasciste apparaissent comme des individus n'ayant aucune chance de réussite car ils ne savent que bavarder et se diviser sur des programmes ayant des divergences politiques trop importantes pour être dépassées. Cette image est naturellement en contraste avec celle de Mussolini, l'homme d'action par excellence selon la mythologie fasciste.

Le recours à la thématique du mépris pour les institutions démocratiques est fréquent. Même, lorsque l'ancien combattant analyse la situation politique de la France, il impute son déclin au système parlementaire qui agit comme un frein à l'évolution de ce peuple aux nobles origines. Comme les positions idéologiques sont très différentes au sein de cet organe du pouvoir, les mécanismes du processus décisionnel sont constamment grippés, ce qui entraîne une situation d'inertie politique chronique dans ce pays.

Lorsque les espions de la police prennent en compte la position idéologique de Berneri, ils ont tendance à souligner la multiplicité d'accords que l'anarchiste réalise avec des forces et des institutions politiques de natures très différentes. En effet, selon les informateurs de la police italienne, Berneri n'est pas en contact qu'avec des organisations proches idéologiquement de son mouvement mais il est aussi prêt à organiser, par exemple, des actions politiques avec des groupes nationalistes.

Cette ouverture politique est bien illustrée par des contacts qu'en 1928, il établit avec les indépendantistes du Tyrol par le biais de Schettini, un ami républicain. Selon la police italienne, Schettini souhaiterait rencontrer le député Nicolussi, celui-ci ayant des contacts avec les nationalistes allemands, pour arriver à des accords communs car « nell'Alto Adige tanto i tedeschi quanto gli antifascisti italiani hanno interesse ad alimentare la campagna contro il Governo italiano. »310 Les raisons de cette communion d'intérêts sont évidentes si on tient compte des choix politiques faits par Mussolini au Sud Tyrol. Le gouvernement fasciste avait commencé une politique tendant à imposer la culture italienne dans ce territoire qui avait

99 appartenu, avant la Première Guerre mondiale, au Royaume des Habsbourg. Plusieurs milliers de citoyens italiens avaient été poussés à s'installer au Sud Tyrol, des entreprises du Nord de l'Italie avaient ouvert des établissements dans cette région, les noms de villes et des familles d'origine allemande avaient été italianisés et, en générale, l'utilisation de la langue allemande avait été interdite par Mussolini dans ce territoire. Pour cela, à cette époque le nationalisme allemand présent dans cette région était ouvertement antifasciste. En tout cas, l'auteur de la note souligne que « Schettini e Berneri hanno deciso di non dare alcuna importanza al fatto che l'On. Nicolussi sia in strette relazioni con i nazionalisti tedeschi e di fare in modo invece di stabilire l'accordo al di fuori di ogni opinione politica.» Les contacts entre Berneri et ce milieu sont confirmés par Umberto Ferrari 311. En janvier 1929, cet espion informe la Division police politique que l'anarchiste a accompagné à la gare un individu grand et blond parlant allemand. Ferrari l'a suivi et a découvert que cet individu se rendait directement en Allemagne. L'espion est convaincu que cela confirme l'existence d'une relation entre Berneri et les nationalistes de ce pays, même si, selon la même source, Berneri n'a pas parlé encore avec Miglioli « circa il lavoro che egli dovrebbe svolgere in comune con elementi del Tirolo per la lotta antitaliana in quelle zone »312. Dans la même période, selon la police italienne, une série de lettres envoyées par Schettini313 à Berneri confirment les informations obtenues par Ferrari. Dans une missive du 7 janvier 1929314, le républicain insiste auprès de l'anarchiste pour élaborer rapidement une édition italo-allemande d'une revue « perché sono certo che gli amici tirolesi se vedono il primo numero si decideranno a sborsare il resto »315. En tout cas, à cette époque, Schettini essaye de convaincre Berneri de rejoindre l'Allemagne, dans l'hypothèse où l'anarchiste serait expulsé de Belgique. En effet, selon le républicain, une fois établi à Berlin, l’anarchiste pourrait se consacrer « corpo e anima alla nostra pubblicazione Italo-Tedesca a favore dei Tirolesi oppressi dal Fascismo e saremo così a posto anche con i nostri amici di Innsbruck, i quali attendono da tempo nostre notizie, un po' più concrete delle solite promesse. » Le vif intérêt de l'anarchiste pour la culture allemande serait confirmé aussi par une note de Menapace : l'intellectuel libertaire étudierait l'allemand

311 Note confidentielle, 2-1-1929, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione Polizia politica,

Fascicoli personali Serie A 1927-1944, D. 11, f. Berneri.

312 Ibidem.

313 Schettini est, en réalité, le surnom de Silvio Bettini, un militant du Parti républicain italien qui a quitté son pays en 1926 pour se réfugier en France. Originaire de Trente, il avait suivi Gabriele D'Annunzio pour reconquérir la ville de Fiume. Après la Deuxième Guerre mondiale. Silvio Bettini fondera aussi le syndicat C.G.I.L et militera dans le Parti communiste.

314 Lettre de Silvio Schettini à Camillo Berneri, 7-1-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 1. 315 Ibidem.

100 en compagnie de l'espion316. Le 5 mars 1929, l'ambassade italienne de Paris répond au ministère de l'Intérieur suite à la demande de celui-ci d'informations sur Schettini et ses relations avec les mouvements indépendantistes au Tyrol. L'ambassade présente ainsi sa version des faits : « il medesimo[Schettini] in unione ai noti Jacometti e Berneri è in rapporto con raggruppamenti tedeschi dell'Alto Adige, ai quali estorce denaro lasciando intendere che i fuorusciti italiani sostengono la causa dell'Irredentismo dell'Alto Adige. »317

Donc, selon les autorités italiennes, Berneri n'est pas seulement un dangereux « subversif » mais aussi un escroc qui, avec ses amis, trompe les nationalistes du Tyrol pour obtenir leur aide financière. Au début, les autorités italiennes croyaient que Schettini et Berneri voulaient réellement collaborer avec les Allemands pour libérer le Tyrol de la présence italienne dans ce territoire. Désormais, selon la police, l'anarchiste et ses camarades feindraient simplement d'être intéressés à leur cause pour financer leurs activités de déstabilisation du pouvoir en place. De toute façon, ces indiscrétions sur les relations entre Berneri et les indépendantistes allemands augmentent la vigilance des informateurs sur la présence de l'anarchiste en Tyrol. Cependant, le préfet de Trente communique au ministère de l'Intérieur que la police locale n'a pas encore aperçu Berneri dans sa province318.

La police fasciste insiste également sur les étroites relations entre l'intellectuel anarchiste et la franc-maçonnerie, l'un des ennemis du Fascisme. Lorsque nous avons analysé les relations que Berneri entretient avec les autres personnalités de l'antifascisme italien, nous avons cité des hommes politiques liés à cette organisation politique comme, par exemple, Schettini. Selon les services secrets italiens, la franc-maçonnerie internationale souvent se cache derrière les actions mises en place par Camillo Berneri. En mai 1928, un agent fasciste communique au ministère de l'Intérieur que Berneri est en train de préparer des attentats à frontière franco-italienne pour salir l'image du régime fasciste véhiculée dans l'opinion publique des autres États. Selon l'auteur de cette information, l'anarchiste a fait des accords avec la franc-maçonnerie pour réaliser ces actes violents.319 Par contre, selon une autre source, dans le même mois Berneri a aussi préparé un attentat contre les participants d'une réunion entre le député Bisi et l'Ambassadeur à l'Hotel Lutezia à Paris, mais finalement l'anarchiste italien se désiste car la Loge maçonnique intervient pour éviter un désastre320.

316 Note confidentielle, 27-1-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 1. 317 Ibidem.

318 Communication du préfet de Trente, 14-1-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 1.

319 Note confidentielle, 16-5-1928, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s.,D. p. p. Fascicoli personali

SerieA 1927-1944,d. 11, f. Berneri.

101 La Loge franc-maçonnique paraît toute-puissante en France vu que même les magistrats seraient influencés par cet organisme de pouvoir. Selon les informateurs de la police, Berneri bénéficie de cette situation. Certains fonctionnaires du ministère de l'Intérieur soupçonnent notamment le comportement des autorités françaises parce que, malgré son implication dans l'assassinat de Savorelli, l'intellectuel anarchiste n'a pas été encore expulsé. Un brigadier en mission à l'étranger confirme ces soupçons : « Berneri è protetto in modo speciale dalla massoneria fino al punto che è stato sospeso il decreto di espulsione provocato dalle autorità in seguito alle risultanze dell'assassinio di Savorelli. »321 En plus, dans ses procédures judiciaires l’anarchiste italien est souvent assisté par l'avocat Roberto Lazurik, qui est présenté comme un franc-maçon violent et antifasciste. Selon la police italienne, la loge maçonnique permet à Berneri d'organiser une campagne de presse pour profiter de la célébration du procès pour l'assassinat de Savorelli afin de dévoiler les complots élaborés par Mussolini et son régime à l'étranger. Berneri juge, dans cette optique, très important de pouvoir compter sur les journaux français qui pourront sensibiliser l'opinion publique à ce propos. A cette occasion, « influenti persone dell'alta massoneria, si interesseranno per preparare anche l'opinione pubblica dell'Estero. »322 Même lorsque l'intellectuel italien crée en Suisse « un vero ufficio di informazioni dall'Italia che sono destinate alla stampa francese e inglese »323, il peut compter sur le soutien des franc-maçons. Selon un informateur, pour réaliser ce travail de recherche d'informations, Berneri serait financé par la Concentrazione qui se fait rembourser, à son tour, par le « Grande Oriente massonico di Francia ». L'activité journalistique de l'anarchiste serait donc un instrument de la Loge maçonnique pour manipuler l'information dirigée vers la France et vers l'Angleterre. Vers la fin de juin 1935, la Division police politique soutient que la collaboration entre Berneri et la franc-maçonnerie continue. Notamment, le chef franc-maçon Ottavio Corgini a donné son approbation à un projet de Berneri « circa un'azione decisiva di pochissimi elementi contro S.E. il capo del Governo »324. La franc-maçonnerie s'occuperait de financer ce projet politique. En particulier, selon l'espion Brichetti, le groupe de Berneri essaie d'élargir ses contacts aussi en Espagne, en trouvant un accord « per entrare nella massoneria spagnola. »325

Il est évident que le service secret fasciste a tout intérêt à attribuer à la franc-maçonnerie un rôle important dans l'activité subversive de Berneri car la Loge maçonnique a

321Lettre du préfet de la police en mission en France, 7-6-1928, in Acs, Cpc, D.537, F.1. 322 Note confidentielle, 27-6-1928, in Acs, Cpc, D.537, F.2.

323 Note confidentielle, 27-7-1929, in Acs, Cpc, D 537, F 2.

324 Note de la Division Police Politique,25-6-1935, in ACS, Cpc, D.537, F.2. 325 Ibidem.

102 toujours été considérée comme un de grands pouvoirs occultes qui tramaient contre le Fascisme. En outre, aux yeux de la Division police politique l'accord entre l'intellectuel anarchiste et la franc-maçonnerie démontre l'absence de scrupules de Berneri qui n'hésite pas à impliquer dans ses projets une force économique n'ayant pas les mêmes objectifs politiques que les anarchistes.

Assez complexe est aussi la relation que Berneri entretient avec le service secret du Parti communiste. Nous avons déjà souligné que dans une note du consul italien à Bruxelles Berneri est présenté comme « capo assieme al noto Roncoroni Saverio del servizio di spionaggio organizzato in Francia dal partito comunista. » 326 Ensuite, les espions du service secret fasciste font référence à la participation de Berneri à des actes organisés par le Parti communiste. En août 1928, l'ambassadeur italien à Berlin a envoyé une communication au Ministère des Affaires étrangères pour l'informer que Berneri a participé à une « riunione segreta per organizzare movimento rivoluzionario in Italia »327. Cette rencontre a été organisée par les communistes italiens présents dans la capitale allemande et présidée par Misiano, un des fondateurs du PCI en 1921. A la fin de 1928, selon l'Ambassade italienne à Paris, l'anarchiste participe aussi à une réunion du Secours rouge international pour protester contre la condamnation à mort d'un camarade et pour demander l'amnistie pour tous les communistes détenus en France328. Lorsque Berneri est arrêté par la police française, le Secours rouge international se démontre solidaire à l'égard de l'intellectuel anarchiste, en présentant un communiqué pour protester contre l'intervention de la police dans le domicile de l'anarchiste italien: « La polizia di Tardieu, animata da uno zelo che deve soddisfare Mussolini, si fa in quattro: l'8 dicembre il sig Camillo Berneri, professore d'italiano rifugiato a Parigi, era improvvisamente avvertito, senza la minima ragione, di lasciare la Francia prima del 10 dicembre. »329 Selon un agent du service secret italien, en mars 1929, l'anarchiste italien se rend à la frontière franco-allemande pour rencontrer à nouveau Misiano. En tant que représentant du S.R.I. (Secours Rouge International), l'ancien député communiste aurait garanti à Berneri que les anarchistes condamnés à plus de dix ans de réclusion, pourraient dorénavant se réfugier en URSS. Ces suppositions sont confirmées par le soutien que Berneri reçoit, lorsqu'il se réfugie en Allemagne. Nous avons déjà vu que l'intellectuel anarchiste est hébergé chez Kaps, un militant actif du Parti communiste qui serait venu en contact avec

326Communication du Consolât de Bruxelles, 9-4-1928, Acs, Cpc, D.537, F.1.

327 Communication de l'Ambassade italienne à Berlin au Ministère des Affaires étrangères, 5-8-1928, in Acs, Cpc, D.537, F.1.

328 Communication de l'Ambassade italienne, 2-11-1928, in Acs, Cpc, D 537, F 1. 329 Information confidentielle, 5-12-1928, in Acs, Cpc, D 537, F 2.

103 Berneri au travers de la Rote Hilfe Deutschland, la section allemande du Secours Rouge International. En tout cas, la Division police politique continue à croire que Berneri a des fortes responsabilités dans le service secret communiste. Dans une fiche biographique datant de 1930, nous trouvons cette interprétation de l'activité de contrespionnage développée par Berneri en exil : « « Insieme al noto Roncoroni organizzò e diresse, in detto periodo, il servizio di spionaggio creato dal Partito Comunista per sorvegliare gli atti dei fiduciari fascisti. »330

Malgré ces considérations sur la bonne relation entre Berneri et le service secret communiste, selon les informateurs de la police, l'anarchiste est aussi un des principaux adversaires de l'idéologie marxiste. A plusieurs reprises l'intellectuel anarchiste se déclare opposé au projet de « fronte unico comunista che dice di aver sabotato in tutti i modi »331. A Montreuil, l'anarchiste tient une conférence et attaque principalement le parti communiste en soutenant que « i molti partiti borghesi parlano ed hanno messo nel loro programma marxista la corporazione ».332 Évidemment les espions fascistes tiennent à souligner que les nouveaux principes de l'idéologie fasciste influencent fortement aussi la théorie politique du parti communiste. La méfiance de Berneri à l'égard des marxistes conditionne aussi ses choix politiques. Dans un interrogatoire de la police en Italie, l'anarchiste Spada soutient que Berneri et son camarade Damiani se sont rapprochés de la Concentrazione à cause de la nouvelle politique du parti communiste tendant à monopoliser les forces antifascistes.333

Nous remarquons donc une notable contradiction entre l'hostilité que Berneri a maintenue envers les positions politiques du parti communiste et sa collaboration avec le service secret de cette organisation. Par conséquent, l'intellectuel anarchiste, selon les sources de l'Ovra, paraît partagé entre sa vision politique anticommuniste et sa volonté d'utiliser l'appareil du service secret marxiste pour réaliser des attentats contre le régime fasciste. Un épisode qu’un agent fasciste relate, en l'attribuant à Berneri est assez emblématique: « Una volta un membro conosciuto del Partito Comunista, mi offerse delle pistole. Dovevo io rifiutarle perché non provenivano da anarchici ? Le presi e le diedi ai compagni »334. Selon la police italienne, Berneri n'est pas quelqu'un qui a des scrupules idéologiques mais sa priorité est la réalisation de l'action violente contre l'ennemi.

330 Fiche biographique de Camillo Berneri, 14-2-1930, in Acs, Cpc, D.537, F.1.

331 Note confidentielle, 15-6-1933, in Acs, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione polizia politica,

Fascicoli personali Serie A 1927-1944,D. 11, f. Berneri.

332 Note confidentielle, 5-3-1934, Ministero dell'interno, Dir. Gen. p. s., Divisione polizia politica, Fascicoli

personali Serie A 1927-1944,D. 11, f. Berneri.

333 Note de l'inspecteur de la Préfecture de Bologne, 21-2-1934, in ACS, Cpc, D.537, F.2. 334 Note confidentielle, 20-61928, in Acs, Cpc, D.537, F.2.

104 Pour ce qui concerne le rôle de Berneri au sein du service secret communiste, parfois les informateurs manifestent certains doutes sur sa réelle appartenance à cette organisation clandestine. Par exemple, en décembre 1929 un informateur anonyme affirme que « il Berneri è presentato come agente comunista al servizio di Mosca : può anche essere vero, ma specialmente nella organizzazione di attentati sul tipo di quello da effettuarsi a Ginevra agisce per conto di uno stato estero, che è la Jugoslavia »335. Cet informateur aurait découvert que « in questi ultimi tempi vari emissari yugoslavi sono pentrati fra i fuorusciti e presso qualcuno come il Berneri hanno trovato terreno favorevole. Alla concentrazione antifascista pare che ancora non abbiano abboccato ma gli approcci continuano. »336

L'anarchiste italien et ses camarades pourraient compter sur l'appui du gouvernement yougoslave mais aussi sur la complicité du Gouvernement français : « Si afferma che di questi intrighi yugoslavi ne fosse al corrente il governo francese, e da questo deriverebbe la impunità di cui ha sempre goduto il Berneri, il quale per quanto espulso ha potuto liberamente rimanere a Parigi. » Dans ce document, au-delà du fait d'attribuer à l'anarchiste italien la volonté de réaliser des actions terroristes, on le met au centre d'un complot international : la Yougoslavie financerait Berneri, sans doute un agent soviétique, pour accomplir des actes terroristes contre l'État italien et la police française le laisserait agir librement.

Le soupçon que Berneri collabore avec la police française est souvent présent dans les informations recueillies par les espions de l'Ovra. Par exemple, en juin 1928 l'Iniziativa, un journal dans lequel collaborait Berneri, publie un appel pour la formation des groupes révolutionnaires. Comme nous l’avons vu précedemment, les membres de la rédaction de

Lotta Umana, un journal anarchiste dirigé par Fabbri, avait manifesté toute sa méfiance

envers ce type d'initiative parce qu'elle risquait de mettre en difficulté toute l'activité des antifascistes en France337. Pour expliquer cette réaction, il faut ajouter que les autorités françaises n'ont jamais toléré ce genre de proclamations. C'est pour cela que, selon l'informateur, cette initiative a suscité la préoccupation et la méfiance de la rédaction de Lotta

Umana et, en général, de tout le milieu antifasciste. Les raisons de cette permissivité se

trouveraient, selon l'auteur de la note, dans les relations particulières existantes entre la police française et Berneri. A ce propos ce dernier aurait rencontré peu de temps avant Leluc, un commissaire de la police parisienne qui l'aurait rassuré à ce propos. Même l'espion Menapace soupçonne que l'anarchiste italien cultive des rapports privilégiés avec la police française. En

335Note confidentielle, 27-12-1929, in Acs, Cpc, D.537, F.1. 336 Ibidem.

105 juillet 1929, l'informateur découvre que Berneri se cache dans sa maison à Paris. L'espion est surpris de ce choix mais c'est l'anarchiste qui lui explique que « un ispettore della polizia francese, una quindicina di giorni or sono, si recava dalla signora Berneri e l'avvertiva che alla Prefettura di Polizia era stata segnalata la presenza di Camillo. »338 L'inspecteur a ajouté que la police française sait comment le retrouver mais « nessuna voglia avevano di arrestarlo e quindi sarebbe stato meglio che se la svignasse. [...]Il posto più sicuro sarebbe stata la propria casa perché nessuno sarebbe venuto a cercarlo. » C'est ainsi que l'intellectuel libertaire décide de rester chez lui et que personne ne l'a dérangé depuis. Cette attitude de la police est compréhensible, selon Menapace, seulement si on prend en considération l'hypothèse que Berneri soit considéré désormais comme un collaborateur du service secret français. Ainsi, on expliquerait aussi toutes les facilités dont, selon les agents de l'Ovra, Berneri jouit à l'étranger. Même après sa libération en 1932, selon un agent de l'Ovra, le comportement de l'intellectuel