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ESSAI DE TYPOLOGIE

2. Un investissement temporel

Une fois arrivés à Bagnoles de l’Orne, et plus précisément au B’o spa thermal, les clients entrent dans une temporalité nouvelle. « "La crise est un état dans lequel les choses irrégulières sont la règle, et les choses régulières impossibles". En ce sens, les vacances marquent un état de "crise" de la vie ordinaire : les repères du quotidien s’y dissolvent, le calendrier n’est plus réglé par le rythme du travail, de l’école et des tâches domestiques »7. Il est en effet possible de faire l’analogie entre le séjour à Bagnoles (qu’il soit bref ou prolongé sur plusieurs semaines) et les vacances. La temporalité est différente pendant le séjour thermal que lors de la vie quotidienne. Pour Alain (soixante et un ans, Magny-le-Désert), la notion de temporalité est inhérente au bien-être : « Il faut que ce soit un état général et continu […] Je crois oui, parce

que des petites choses ponctuelles pour moi ça n’est pas le bien-être. Pour

6 La retranscription intégrale de l’entretien réalisé avec Alain est disponible en annexe n°1.

7 REAU Bertrand, « Evasions temporaires : socialisations et relâchement des contrôles dans les villages de vacances familiaux », Espaces et sociétés, n°120-121, vol. 2, 2005, p. 123. Il cite ici Marcel Mauss.

moi c’est pas ça. Non, non faut que ça devienne un état général. Et ça ne vient pas tout seul. Je ne crois pas. C’est à soi de se le procurer. Il faut réfléchir, il faut gérer sa vie. Il faut s’équilibrer, c’est surtout ça, s’équilibrer. Et une fois équilibré il faut essayer de rester dans la continuité ». Si la plupart des personnes rencontrées n’expriment pas le fait de vivre tout au

long de leur séjour à Bagnoles de l’Orne une vie différente de leur vie quotidienne, elles évoquent bel et bien une parenthèse, un break nécessaire soit pour réaffronter les affres d’une vie urbaine et active, soit pour se recentrer entièrement sur leur personne.

Plusieurs des protagonistes avec qui je me suis entretenu soulignent cette idée de break chère à leurs yeux. « Bah je vais dire que c’est trois semaines où je vis un peu entre parenthèse

de ma vie habituelle, où je ne reçois pas de courrier, je ne reçois pas de factures [rires] explique

Michèle (soixante-quatre ans, séjour de trois semaines, Seine-Maritime). J’ai pas de gestion de

maison, etc. Bon je fais un minimum mais je veux dire il n’y a pas grand- chose à faire, donc pour moi c’est vraiment le côté tranquille ». Bernadette (cinquante-huit ans, séjour de cinq

jours, région parisienne) dit la même chose : « Une vie entre parenthèses. Voilà, ouais, des

bonnes parenthèses hein, une bonne parenthèse ! ». Ou encore Martine (soixante-cinq ans,

séjour de trois semaines, la Ferté-Bernard), qui est enchantée de ne pas subir les contraintes quotidiennes de la vie : « Donc il y a des fois je me dis "oh bah là il fait beau il faut que j’en

profite, faut que j’aille m’occuper de passer la tondeuse des choses comme ça", hop la sortie elle est évincée d’office alors que là, je vous dis c’est vraiment la petite parenthèse… On n’a pas de contraintes quotidiennes… ». Comme le souligne Bertrand Réau, « les rythmes

journaliers sont reconfigurés en vacances »8. La suite du témoignage de Martine (soixante-cinq ans) l’exprime : « Les soins ici au spa, c’est tous les matins. Donc tous les matins on va avoir

des soins qui vont nous soulager, qui vont nous faire du bien et après hop on s’en va, on profite, on profite. Pour moi, ça veut dire profiter de la nature, pouvoir ressortir l’après-midi et se sentir bien en fait sans les contraintes. Comme je vis seule, c’est pas vraiment des contraintes mais comme j’ai une maison que je dois entretenir toute seule avec un petit jardin tout, ça, ça crée des contraintes […]. Ici, on n’a pas de contraintes quotidiennes… ».

Il serait ici possible de rendre compte de nombreuses autres déclarations similaires. Néanmoins, les témoignages de Claudine (soixante-dix sept ans, inscrite à l’année aux cours d’aquagym, Bagnoles de l’Orne) et de Maryse (soixante-dix ans, Périgueux) permettent de prendre conscience de la manière dont le moment passé au spa peut s’avérer être un réel

temps pour soi déconnecté de tout aspect extérieur. Voici les propos de Claudine : « Tant que

j’y suis peut-être oui mais sorti de là on a les soucis qui reviennent quand même hein […]. Pas tout de suite. Quand je suis ici, j’oublie tout oui. Quand je suis ici. Mais une fois que je suis, enfin peut-être pas dès que j’ai passé la porte mais quand je suis rentrée chez moi, bon bah il peut se produire un évènement qui fait que vous perdez un petit peu votre… Les soucis reviennent, donc automatiquement le bien-être en pâtit ». Quant à Maryse, elle déclare :

« Bah repos, repos d’abord. On a l’impression justement en rentrant dans cette bulle que l’on

a laissé tous les soucis derrière, qu’on ne sait pas ce qui se passe à côté. Justement en ce qui me concerne, je ne veux pas avoir les problèmes des autres puisque j’ai laissé les miens […]. Non. Moi je rentre ici pour du bien-être mais voilà je vois la vie ici avec pas de soucis, repos et bien-être. Je viens chercher ça et jusqu’à maintenant j’ai trouvé ça ».