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ESSAI DE TYPOLOGIE

C INQUIEME C HAPITRE

1. Le rôle du médecin traitant dans la prescription thermale

Comme il a été présenté précédemment, c’est à « une nouvelle culture du corps que les seniors actuels et futurs sont encouragés à se convertir voire à se conformer : bien ou mal vieillir ne serait plus le résultat de la fatalité mais la conséquence de choix de mode de vie, construits tout au long de l’existence, renvoyant ainsi chacun à sa propre responsabilité »3.

1 MEMMI Dominique, GUILLO Dominique & MARTIN Oliver, La tentation du corps, Corporéité et sciences sociales, Paris, éditions de l’EHESS, 2009, p. 91.

2 GUERIN Serge, « Le bel avenir de la silver économie », Sciences Humaines, n°269, 2015, p. 39.

3 HENAFF-PINEAU Pia-Caroline, « Le médecin généraliste, promoteur d’activités physiques et sportives pour les personnes âgées ? », Retraite et société, n°67, vol. 1, 2014, p. 132.

Pia-Caroline Hénaff-Pineau rappelle, en effet, que « l’objectif social d’amélioration de la durée de vie sans incapacité et de réduction des dépenses de santé tend à faire de l’activité physique un pilier majeur et économiquement vertueux des politiques de prévention de la dépendance »4. Si les activités physiques et sportives ont longtemps été perçues comme potentiellement dangereuses pour les personnes âgées, elles occupent maintenant, comme nous l’avons vu, une place de choix et sont mêmes en passe d’être prescrites en complément de la médication. Néanmoins, pour un public « à risques », la pratique de ces activités physiques doit être encadrée pour limiter la « dangerosité de la pratique sportive »5. Le médecin généraliste apparait donc comme la personne idéale pour orienter et sensibiliser les individus. Or, dans son étude, Pia- Caroline Hénaff-Pineau démontre que si le rôle des médecins généralistes est déterminant pour préconiser la pratique des activités physiques à un public non sensibilisé, de nombreux médecins, eux-mêmes non sensibles à ces activités, ne prennent pas le temps d’en parler à leurs patients.

Plusieurs raisons l’expliquent. « Le manque de temps, premier argument invoqué, ne doit pas masquer que l’activité physique n’est pas pensée prioritairement comme une modalité préventive et thérapeutique à part entière et passe certainement au second plan dans la pratique professionnelle malgré la première déclaration sur son intérêt. Il s’agit, avant tout, de s’assurer de la bonne santé, la "vraie", du patient »6. Un autre argument concernerait une mauvaise formation des médecins et un sentiment de ne pas pouvoir faire changer d’habitudes des gens non motivés par les activités physiques. Enfin, suivant la sensibilisation des médecins aux pratiques physiques les injonctions peuvent fluctuer. Ainsi, les « médecins sans aucune pratique personnelle tendent à proscrire les activités sportives et à ne tolérer pour les personnes âgées que les activités quotidiennes utilitaires et fonctionnelles ». Ces derniers se reposent sur la règle des 3R7. Ces médecins peuvent même aller jusqu’à « demander à un patient senior d’arrêter sa pratique, voire refuser de délivrer le certificat médical de non contre-indication »8. En revanche, les médecins sensibles à la pratique d’activités physiques et sportives encouragent leurs patients déjà sportifs à continuer en ce sens si leurs capacités cardiaques le permettent. « La notion de motivation et de plaisir est alors une dimension intégrée à leur réflexion qui contrebalance la seule préoccupation de santé physiologique »9.

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Ibidem, p. 131. 5 Ibidem, p. 132. 6 Ibidem, p. 143. 7

Le règle des trois R propose aux personnes en situation de vieillissement une pratiqué raisonnée, régulière et raisonnable.

8 Ibidem, p. 143. 9 Ibidem, p. 144.

Il est donc évident qu’en tant que pratique encadrée et adaptée au public, l’activité physique et sportive, en ce qu’elle permet aux individus de préserver un corps en bonne santé, fonctionnel et permettant de lutter le plus longtemps contre la déprise et le repli sur soi même, semble constituer une pratique essentielle à un vieillissement réussi. De plus, maintenir en forme son corps permet aux personnes vieillissantes de préserver un capital social nécessaire à leur bien-être psychologique.

En ce sens, la cure thermale qui permet aux curistes de se remobiliser ou d’entretenir leur capital corporel pourrait légitimement être prescrite par des médecins généralistes soucieux a

priori de ne pas faire pratiquer une activité physique trop intense à une population vieillissante.

Il n’en est rien. S’ils occupent un rôle prépondérant dans la prescription d’une cure prise en charge par la sécurité sociale, ils ne sont, la plupart du temps, pas à l’origine de la démarche. Sur les six entretiens que j’ai réalisés avec des curistes venus sur prescription médicale, seuls les médecins traitants de Martine (soixante-cinq ans, séjour de trois semaines, la Ferté-Bernard) et Michèle (soixante-quatre ans, séjour de trois semaines, Seine-Maritime) sont à l’origine de leur première cure. En revanche, pour les quatre autres interviewés ainsi que pour de nombreux curistes avec lesquels j’ai discuté de manière informelle, le discours est totalement inverse. D’ailleurs Huguette (soixante-dix ans, séjour de trois semaines, Liffré) le souligne avec force dès le début de notre entretien : « Je pensais bien faire une cure, il y avait des gens qui m’en

parlaient mais le médecin n’en parle pas du tout, il faut vraiment le solliciter pour qu’il puisse vous faire la demande ! Et après, encore, il me dit "bah faut trouver d’abord une place et je vous ferais la demande après" ». Suzanne (séjour de trois semaines), une curiste avec qui je

discute informellement souligne également qu’elle ne comprend pas que son médecin ne l’a pas laissé venir en cure : « J’ai du me fâcher ! Il voulait me mettre sous cortisone, j’ai dit non ! Ma

fille c’est pareil, elle a du changer de médecin ». Ainsi, bien que le rôle du médecin soit

primordial dans l’attribution d’une cure médicale, ils sont nombreux à « omettre » d’informer leurs patients.