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ESSAI DE TYPOLOGIE

DES ESPACES THERMAU

4. Les abonnés ou les vertus des activités physiques

Les abonnés, pour leur part, résident à proximité ou directement à Bagnoles de l’Orne. Ils viennent donc annuellement pratiquer des séances d’aquagym de quarante minutes l’après- midi, deux à trois fois par semaine, au sein du B’o Resort, celui-ci remplissant dès lors une fonction équivalente à celle des salles de fitness ou de remise en forme situés dans les centres urbains12. Il paye ainsi un forfait à l’année. Comme le curiste, les abonnés annuels viennent

12 Sur ce point, voir : ERNST Audrey, PIGEASSOU Charles, « "Être seuls ensemble" : une figure moderne du lien social dans les centres de remise en forme », Movement & Sport Sciences, n° 56, 2005, p.65-74.

avant tout pour soulager des douleurs corporelles et mettre un pied dans la cure à la suite d’un souci de santé. Il est d’ailleurs fréquent qu’ils fassent parallèlement une cure dans la saison De ce fait, en découle un rapport au bien-être atypique. Le bien-être s’apparente dès lors, dans le discours des abonnés, à un retour à un état « pré-maladie », un état d’être plus agréable loin des douleurs subies. Alain (soixante-et-un ans, Magny-le-Désert) propose à cite titre sa vision du bien-être : « Ah bah le bien-être… Celui qui a une vie normale, qu’est-ce qu’il pourrait dire du

bien-être ? Est-ce qu’il va se rendre compte de ce que c’est que le bien-être ? Parce qu’il a vécu que du… Le bien-être en fin de compte, moi je peux considérer ça comme quelque chose de courant, d’avoir une vie régulière, vous allez me dire "c’est très difficile", mais pour moi le bien-être ça peut être ça, que tout aille bien, le bien-être c’est tout simple. Le mal-être c’est l’inverse, donc c’est qu’on a de gros soucis donc quand on a connu le mal- être ça peut être plus facile d’en parler. Parce que quand on a connu le mal-être c’est qu’on a connu… euh, on a tous les symptômes, on a toutes les douleurs, on a tous les, ça on le sent ça, et lorsqu’on se soigne et que l’on revient, qu’on n’a plus tout ça, là, on retrouve le bien- être ». De ce fait,

les abonnés évoquent un bien-être largement articulé autour des volets physiques et psychiques. Ainsi selon leurs déclarations, les deux sont corrélés au point que l’un sans l’autre n’est pas atteignable. Pauline (trente-huit ans, la Ferté-Macé), qui prend d’abord avec dérision et ironie la question sur le bien-être, expose un point de vue allant dans ce sens : « Quand je vais pas

bien physiquement, je sais que c’est parce que je ne vais pas bien mentalement. Forcément ! Donc l’un est corrélé à l’autre […]. Mon bien-être, c’est ce que je vous disais, c’est mon équilibre mental et physique donc c’est oui, si je vais bien au travail c’est mon objectif, c’est juste d’être bien ». Claudine (soixante-dix sept ans, Bagnoles de l’Orne) pour sa part évacue

rapidement ma question. Sans aucun temps de réflexion, elle définit la notion comme un état «

sans douleurs, reposé, l’esprit dégagé de tout souci ».

La moyenne d’âge des abonnés tend à être plus basse que celle des curistes sans que cela soit énormément significatif. Retrouvant à chaque séance le même groupe de personnes, ils créent des relations sociales plus ou moins approfondies avec leurs homologues et goûtent aux plaisirs de la sociabilité. Les abonnés recréent ainsi des habitudes profondes que ce soit par rapport au lieu mais également par rapport à leurs semblables qui deviennent à ce titre des partenaires d’activité. Alain donne son sentiment quant à celles-ci : « On a nos habitudes. Avec

les copines après l’aquagym, hop on boit la petite tisane. Sinon, qu’est-ce qu’on fait d’autres ? On a les mêmes horaires avec les mêmes avec qui on s’entend le mieux ». Dès lors,

HAISSAT Sébastien, TRAVAILLOT Yves, « La pratique dans les salles de remise en forme : des interactions normalisatrices entre les pratiquantes », Movement & Sport Sciences, n°76, 2012, pages 33-37.

cet engagement régulier dans les soins de bien-être et activités physiques d’entretien proposées par l’espace thermal permet l’approfondissement des relations sociales, qui ne sont plus ici éphémères mais travaillées. Vincent Caradec revient d’ailleurs sur cette notion lorsqu’il évoque la pratique des voyages organisés. Il expose ainsi qu’il « ne va pas de soi de conserver, sur le long terme, des liens avec les personnes que l’on a brièvement rencontrées. Car le maintien des relations sociales nécessite un "travail", suppose un investissement temporel : écrire, téléphoner, et si l’on souhaite aller plus loin, accepter l’invitation de ces nouveaux amis et, en retour, les recevoir chez soi. De plus, ce travail visant au maintien du lien doit être effectué par les deux parties, faute de quoi, le lien est condamné à péricliter, l’asymétrie de l’échange signifiant que le désir de maintenir la relation n’est pas réciproque »13.

De ce fait, les abonnés tendent à passer du temps ensemble et à se retrouver parfois en dehors du spa pour partager d’autres activités de loisir (notamment la marche). Si, certains déclinent parfois ces sollicitations à cause de leur âge et des difficultés motrices qui en découlent (comme c’est le cas de Claudine, évoqué plus haut), boire une tisane à la fin du cours d’aquagym est devenu à leurs yeux la moindre des choses. Ainsi, sourires, boutades et complicité accompagnent les cours des abonnés. Cette ambiance générale permet de manière généralisée d’accéder à leur idéal de bien-être. Alain donne l’exemple d’une quatrième abonnée avec qui j’ai pu discuter informellement : « Depuis un an et demi qu’elle vient, son état général,

elle a même diminué ses traitements médicaux. Elle a retrouvé, bon c’est pas… elle n’est pas à 100% non plus, mais elle est beaucoup mieux. Parce qu’elle a retrouvé un équilibre. Ce qui compte c’est surtout ça, l’équilibre. Auparavant elle avait une vie un petit peu en dent de scie. Bon, elle avait une vie régulière mais elle n’était pas très bien et là elle marche régulièrement, elle vient à l’aqua régulièrement, certains soins là, bon elle a repris une habitude, un rythme de vie… Ah, c’est un rythme de vie qu’il faut retrouver. Tout simplement ».

L’ensemble des abonnés avec qui je me suis entretenu confient tous que la pratique d’activités physiques au sein du B’o spa thermal est source de bien-être. La régularité devient dès lors tour à tour le socle de leur thérapie corporelle, puis, à force d’habitudes, permet la pérennisation de relations amicales salvatrices. Ainsi, les abonnés conjuguent à l’ambiance zen du spa thermal la sociabilité et l’entretien physique pour atteindre un bien-être convoité. Satisfaits de ces facteurs ils n’hésitent d’ailleurs pas à revenir au fur et à mesure des années.

13 CARADEC Vincent & PETITE Corinne, « Voyages organisés à la retraite et lien social », Retraite et Société, vol. 56, n°4, 2008, p. 147.