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La population curiste ou l’ardeur d’un soulagement corporel

ESSAI DE TYPOLOGIE

DES ESPACES THERMAU

2. La population curiste ou l’ardeur d’un soulagement corporel

Le curiste matinal qui réalise sa cure au spa thermal vient tout d’abord dans l’optique de soulager des douleurs corporelles. La station de Bagnoles de l’Orne proposant trois orientations (phlébologie, gynécologie et phlébologie), le curiste souffre essentiellement de pathologies liées à ces orientations. D’un âge souvent avancé (les enquêtés qui répondent à cette première catégorie vont de soixante à quatre-vingt dix ans), la population est majoritairement féminine bien que les hommes soient de plus en plus nombreux à chaque nouvelle saison. Leur devise peut être résumée comme suit. « La vie est vue comme un projet à long terme que les individus doivent mener à bien en adoptant un style de vie sain »2. Venir en cure thermale s’inscrit à ce titre dans une démarche volontariste de prise en main de son existence. En effet, « la personne vieillissante, responsable de son état, est sommée de s’adonner aux bonnes pratiques qui lui permettront de conserver son autonomie et de rester active, non seulement pour elle, mais aussi pour le bien de la société »3. En investissant de manière régulière l’espace thermal, via des séjours de trois semaines répétés pendant plusieurs années, le curiste tente de prendre en charge son vieillissement et, par extension, de se conformer aux injonctions véhiculées par la société. En revenant plusieurs années de suite dans la même ville thermale, il développe un attachement à cette dernière et à la station choisie. Il y créé dès lors des habitudes dans ses pratiques mais également au sein de l’établissement thermal lui-même. Il développe ainsi une véritable relation avec les lieux et avec les « autochtones », notamment les professionnels qui y agissent au quotidien. Federica Tamarozzi le note d’ailleurs lors de son travail sur la station de Salsomaggiore en Italie. « Par rapport à d’autres pratiques touristiques, le séjour thermal est caractérisé par la longue durée et la réitération des voyages ; il favorise ainsi une profonde connaissance mutuelle entre la population locale et ses hôtes saisonniers »4. Elle ajoute par ailleurs qu’un « curiste est, en général, fidèle à la source thermale de son choix »5.

Le curiste traditionnel apprécie les relations sociales qu’il considère comme une condition nécessaire à un bon séjour thermal. Lors de son séjour, il habite de manière générale dans un appartement loué voire acheté à Bagnoles de l’Orne. Ce type de résidence apparait d’ailleurs comme le lieu central de leur parenthèse dans la bulle bagnolaise, au cœur des

2 COLLINET Cécile, DELALANDRE Matthieu, « L’injonction au bien-être dans les programmes de prévention du vieillissement », L’Année sociologique, vol. 64, n°2, 2014, p. 458.

3

Ibidem, p. 455. 4

TAMAROZZI Federica, « "Retour aux sources" Flux et reflux du tourisme thermal à Salsomaggiore », Ethnologie française, vol. 32, n°2, 2002, p. 415.

nouveaux repères qu’ils créent. Dès lors, il occupe à leurs yeux une place fondamentale. Martine (soixante-cinq ans, la Ferté-Bernard) constitue le parfait exemple : « L’année dernière c’est à

cause de ça que je suis venue plus tard au moins de juin, parce que la période que j’avais prise la première année, je voulais revenir au même moment mais l’appartement n’était pas libre ».

Nicole (soixante-neuf ans, Lens) propose les mêmes arguments lorsqu’elle évoque la régularité de sa venue à la station thermale : « Nous venons toujours à la même période, parce que les

périodes après, notre maison de location est prise. On a une maison qui est vraiment très, très bien… ».

L’ambiance du spa thermal, éloignée de celle plus médicalisée de la partie B’o thermes, vient modifier la sensibilité de cette population qui prête désormais une grande attention à la décoration et à la relation personnalisée avec les professionnels du lieu. Ainsi ces clients considèrent-ils comme un facteur essentiel d’être connu et reconnu par le personnel soignant. Ayant un niveau de vie plutôt confortable, ils n’hésitent pas à s’offrir le supplément spa pour obtenir un confort de cure plus important. De plus, réfractaires aux médicaments et désireux de diminuer leurs doses liées aux pathologies, ils envisagent la venue en cure comme une solution « naturelle » permettant d’atteindre ce but. Au sein du profil pur de curistes, deux catégories se distinguent. Les curistes sur prescription médicale représentent la grande majorité de cette population. Pour ceux-là, la cure est remboursée partiellement ou en totalité par la Sécurité sociale. Les curistes libres ne bénéficient par du remboursement de leur cure. Ces derniers viennent ainsi réaliser séjour d’une à deux semaines à leurs frais. S’ils partagent les mêmes caractéristiques que les premiers, quelques détails les différencient. En effet, trois cas de figure se présentent. Les cures libres peuvent d’abord être réalisées par des personnes aisées ne supportant pas la fatigue occasionnée par les trois longues semaines de cure qui décident d’effectuer uniquement deux semaines à leurs frais. Elles peuvent ensuite être effectuées par des curistes qui font une cure remboursée pendant la saison mais qui tiennent à ajouter une semaine supplémentaire comme « piqure de rappel » à un autre moment de la saison. Les cures libres peuvent enfin être accomplies par des individus qui cherchent uniquement à conjuguer un besoin de coupure et de détente aux bienfaits corporels que peut fournir un séjour à Bagnoles de l’Orne.

Les enquêtés répondant à la catégorie de curistes considèrent très largement les trois semaines de cure comme une rupture pendant laquelle ils peuvent prendre soin d’eux. Néanmoins, la plupart (hormis Huguette qui réalise sa première cure) met un point d’honneur à ne pas être confondu avec des touristes ou des vacanciers. S’ils en utilisent parfois les codes, il y a derrière l’activité du curiste l’idée de volonté, d’engagement et de sérieux dans la

démarche. Quand je la sollicite sur sa vision de la cure, Martine (soixante-cinq ans) confirme ce développement : « C’est un break dans le sens où on s’occupe de moi. À part à la piscine où

vraiment on fait les mouvements, sinon on se laisser guider, on se laisse faire, on se laisse, je dirais entre guillemets, "chouchouter". Par contre, quand je dis autour de moi "bon bah là je vais être absente trois semaines parce que je pars en cure", avant de partir on m’a dit "ah bah bonnes vacances", pour moi c’est pas des vacances ! C’est pas des vacances parce que c’est quand même… Au niveau du corps c’est quand même fatigant ! La troisième semaine, je l’ai toujours trouvée plus difficile en fait, mais d’un autre côté ça permet aussi d’échapper à son quotidien ! ».

Si l’ensemble des populations présentes au sein du B’o spa thermal sont en quête de « bien-être », elles n’en donnent pas toutes la même définition. La définition du bien-être de la population curiste, par son âge et ses pathologies, est très liée à la relation entretenue avec le corps. La brève définition que Huguette (soixante-dix ans, Liffré) fait du bien-être synthétise les nombreuses définitions ayant comme point central ce soulagement corporel auquel s’ajoute un volet psychologique également prépondérant : « Pour moi, le bien-être c’est être

bien dans mon corps, ne pas avoir trop de douleurs par que si vous avez trop de douleurs vous ne pouvez pas avoir envie d’aller vers l’autre. Et aussi être bien dans ma tête, c'est-à-dire ne pas avoir de soucis ». Martine propose à quelques nuances près la même définition : « Pour moi, c’est ne plus avoir de douleurs du tout nulle part et puis quand je vois ce plateau, c’est la

nature, j’adore les promenades dans les bois, ici je me régale »6.

Le bien-être est ainsi pour eux devenu un objectif de vie. Maryse (soixante-dix ans, Périgueux) l’exprime avec beaucoup de pertinence : « Avant c’était le travail, la jeunesse c’était

de se faire une situation, c’est bon… à partir de soixante ans, il faut que ce soit un objectif de vie parce si on n’a pas niveau financier, si on n’a pas acquis et ben c’est trop tard, si on est malade il faut se soigner donc c’est capital, c’est à partir de soixante ans, ce doit être l’objectif, c’est le mien ». Michèle (soixante-quatre ans, Seine-Maritime) corrobore cette idée d’objectif

de bien-être : « Ah oui, oui, ah oui oui, oui, c’est plus qu’évident ! J’ai besoin de ça quand

même pour me sentir bien. Bon c’est vrai après qu’il y a des moments où je le disais au début de notre entretien où je m’occupe tellement du bien-être des autres que peut- être j’ai tendance à négliger le mien. Et c’est pour ça là que ce sont trois semaines qui me sont bien réservées. Et c’est vraiment pour mon bien-être personnel ».

6 Le plateau auquel Martine fait référence est le Roc au Chien, haut-lieu des balades à pied bagnolaises, qui surplombe l’établissement thermal.

Dans cette optique, venir au B’o Resort, particulièrement dans sa partie spa thermal, permet (pour la plupart) de combler leurs attentes et d’atteindre leur idéal du bien-être : un soulagement corporel ponctué d’un retour à la nature. Ainsi Huguette (soixante-dix ans) synthétise une fois encore par son témoignage l’ensemble des propos recueillis auprès de la population curiste : « Moi, je suis bien dans cet univers là, oui, j’ai pu poser les questions que

je voulais, oui vraiment, je… bien ! C’est pour ça que l’année prochaine, je recommencerai cette expérience là et je n’irai pas de l’autre côté ! ». Si la quête du bien-être est bien le

dénominateur commun entre les quatre types de clients qui investissent la cure, ils n’ont pas tous le même rapport avec le spa.