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ESSAI DE TYPOLOGIE

3. Un investissement spatial

L’investissement est aussi l’investissement d’un lieu. La bulle thermale s’organise autour d’un espace propice à la redéfinition de la vie quotidienne. Marc Augé caractérise pour sa part « Center Parcs » comme un lieu d’« entre soi, au paradis »9. Pour ma part, j’ai rapidement fait l’analogie entre la « bulle Center Parcs » et la ville de Bagnoles de l’Orne investie par les personnes côtoyant la structure thermale.

Évoquant les Villages de vacances familiaux (VVF), Bertrand Réau souligne que « l’architecture de vacances est explicitement conçue pour produire chez les vacanciers un sentiment de dépaysement »10. L’architecture bagnolaise produit le même effet. La ville est d’abord totalement ceinte de forêt, de sorte que la plupart des routes menant à Bagnoles imposent sa traversée pendant quelques minutes. Ainsi ces voies s’apparentent à de longs tunnels au cœur des bois qui ne sont pas sans rappeler les différents sas d’accession permettant le passage vers des univers différents. Une fois dans la ville, et comme présenté brièvement dans le chapitre précédent, les pelouses fleuries, l’architecture, le lac, et toute l’ambiance de la ville, permettent véritablement au curiste de réinventer une vie et de créer, selon un ancien coach sportif de la structure avec qui je me suis entretenu l’année passée, une

« coupure pour le bien-être qui est vraiment bénéfique et qui leur permet de se sentir mieux,

mieux dans leur peau, mieux dans leur tête et du coup, […] jouer sur tous les aspects de leur vie quotidienne ».

9 AUGE Marc, art. cit..

Loin de se cantonner aux frontières de l’établissement B’o Spa thermal ou à leur lieu de résidence, les personnes investissent véritablement la ville de Bagnoles. Dans cette optique, des lieux préférentiels jalonnent leur nouveau cadre de vie. Le lac, le château, le cinéma du casino, les salons de thé, le quartier Belle époque ainsi que la forêt environnante deviennent des espaces appréciés et largement fréquentés à pied, la voiture étant certes utilisée pour venir à la station mais complètement délaissée pendant la durée du séjour. Ces pratiques ont leur importance. Reprendre contact avec la nature environnante est ainsi une sorte de soin supplémentaire que le cadre de Bagnoles de l’Orne pourrait apporter. « La promenade est un des éléments incontournables de la villégiature thermale » rappelle Frédéric Dutheil dans son travail historique mené à Vichy sur la période 1850-1870. Déjà au XIXe siècle, « flâner, déambuler font partie intégrante de l’emploi du temps du curiste. Entre deux soins, pour se rendre aux buvettes, avant ou après les repas, le matin et l’après-midi, la clientèle se retrouve dans les parcs de la station »11.

De nos jours la pratique est encore omniprésente. « La forêt, le château là haut, j’y

descends jusqu’au roc au chien là-bas, et puis le tour du lac j’aime beaucoup. Bah, tout me plait. Même là derrière, les trois routes avec les grandes, grandes maisons. [Elle décrit les

maisons du quartier Belle-Epoque] Oh il y a des maisons ! » s’exclame Nicole (soixante-neuf ans, séjour de trois semaines, Lens). Maryse (soixante-dix ans, Périgueux) est pour sa part attirée par la forêt bagnolaise : « Je fréquente, bon ça dépend du temps, mais j’aime beaucoup

Saint-Ortaire, aller jusqu’au bout, jusqu’au Chêne qui est magnifique ! Donc en forêt… J’ai fait avec ma sœur du vélo rails qui était très agréable. L’autre jour où il faisait très beau, on a fait du vélo rails, c’était très bien. J’aime beaucoup aller au château à pied, d’ici. Autour du château, c’est magnifique. En fait, j’ai tous les jours, voilà ma préoccupation ici, c’est qu’est- ce que je vais choisir comme parcours aujourd’hui. Voilà ma préoccupation. Parce que tout me plait et, justement, c’est pas lassant ». Catherine (quatre-vingts deux ans, séjour de deux

semaines, Palaiseau) rappelle quant à elle son origine résidentielle avec légèreté et humour : «

Quand on vient de la région parisienne, il n’y a pas beaucoup de lieux ici où je n’ai pas envie

d’aller ! Non, ce que j’aime bien c’est le parc du casino12 et puis la petite promenade qu’il y a

vers Tessé la Madeleine, le parc de Tessé la Madeleine aussi, ohhhh le château qu’est-ce que c’est beau ! Il y a des arbres superbes, superbes et l’été le château est tout fleuri, c’est merveilleux ». Martine (soixante-cinq ans, la Ferté-Bernard) présente les

11

DUTHEIL Frédéric, « Promenade dans les parcs de Vichy et saisons thermales (1850-1870) », Ethnologie française, n°36, vol. 3, 2006, p. 543.

mêmes régularités que la quasi-totalité des interlocuteurs : « Dans Bagnoles, j’aime bien faire

des tours du lac et puis me promener dans la vieille ville, et forcément la rue principale parce qu’il y a du monde… Et forcément moi je suis dans le quartier Belle-Epoque donc les belles villas… ».

Sur les seize entretiens menés avec les bénéficiaires du B’o spa thermal, seules les personnes venues pour un week-end et qui n’avaient par conséquent pas encore

« apprivoisées » la ville entretiennent un rapport plus relâché à Bagnoles de l’Orne. Pour les autres, des pratiques d’appropriation de l’espace de la station sont identifiables. De ce fait, Bagnoles de l’Orne étant une petite ville, il pourrait s’avérer légitime de souligner l’évidence de visiter les mêmes lieux avec autant de régularité. Cependant, il ne s’agit pas seulement de s’y balader. Il s’agit bel et bien d’instaurer une véritable relation avec la ville. Ces différents espaces sont ainsi investis, des habitudes naissent de cette relation et se pérennisent (parfois d’une année sur l’autre).

Ainsi, la ville de Bagnoles de l’Orne occupe une place prépondérante dans le discours des enquêtés lorsqu’ils évoquent le bien-être. Pauline (trente-huit ans), qui vit à six kilomètres de la ville, évoque en ces termes son rapport à la station : « Moi j’ai toujours eu l’impression à

n’importe quel moment où je viens, que je viens en vacances ! […] Mais pour moi Bagnoles, elle a une image de vacances et un peu de luxe malheureusement. Enfin, une ville qui est restée ancrée de la bourgeoisie que j’avais au collège. Et quand j’ai des amis qui viennent, on vient toujours se promener à Bagnoles ». Elle poursuit, à propos de la « bulle bagnolaise » :

« Je ne sais pas si c’est une bulle parce que c’est lié au plaisir, c’est-à-dire que j’y viens pour

me faire masser, pour aller chez le coiffeur, pour acheter des chocolats et les macarons, pour manger des glaces et aller au restaurant, pour voir des spectacles et des concerts, ça n’est lié qu’au plaisir ! ». Elle n’est cependant pas la seule à souligner l’importance du cadre

géographique. Alain (soixante et un ans) évoque le caractère intimiste de la ville : « Rien que

ça, ici on a tout ce qu’il faut. Même pour un marcheur… On est au pied de tout. Parce que c’est un cocon. Bon ça n’empêche pas qu’on croise du monde ». Enfin, Huguette (soixante- dix ans,

séjour de trois semaines, Liffré) étoffe également cet argument par ses impressions : « Si

j’étais obligée de prendre un bus pour arriver dans la campagne, si j’étais obligée… Ou si je ne l’aimais vraiment pas cette ville ça me contrarierait parce que, ça me ferait m’enfermer sur moi-même alors que là, le fait d’avoir la possibilité de faire de belles balades, ça m’ouvre vers

l’extérieur ! C’est ça qui est bien »13.