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La population hédoniste ou la volonté du bien-être immédiat

ESSAI DE TYPOLOGIE

DES ESPACES THERMAU

3. La population hédoniste ou la volonté du bien-être immédiat

En effet, la population que je définis sous l’appellation « hédoniste » s’approprie le spa thermal pendant les après-midis ainsi que tout au long du week-end. Sensiblement plus jeune que la population curiste, les hédonistes sont prêts à s’offrir des soins plutôt chers pour se détendre. L’hédoniste vient, dans cette perspective, s’immerger à Bagnoles de l’Orne le temps d’une semaine ou d’un week-end, dans une « bulle touristique consacrée aux loisirs et à la famille »7. Deux sous-types se distinguent ainsi à l’intérieur de cette catégorie de population : les courts-séjours du week-end et les hédonistes de la semaine. Si les premiers viennent essentiellement de la région parisienne, les seconds ne marquent pas une régularité aussi importante. Néanmoins, nombreux sont aujourd’hui les comités d’entreprises qui proposent des offres préférentiels pour quelques jours au spa de Bagnoles de l’Orne. Or, s’ils diffèrent quant à leur provenance et leur durée de séjour, leurs caractéristiques ainsi que leurs aspirations sont sensiblement les mêmes. L’hédoniste séjourne la plupart du temps au B’o cottage résidence de charme et recherche la détente et le dépaysement. Ainsi, il considère ce séjour comme un loisir. C’est dans cette perspective qu’il laisse de côté l’ensemble des tensions de sa vie quotidienne pour recréer « des émotions par la production d’un type spécifique, fondamentalement agréables et dédiées au plaisir »8. Cette population hédoniste vient souvent accompagnée d’un ou une ami(e) ou en couple. Ils caractérisent ainsi leur séjour comme une parenthèse leur permettant de prendre soin d’eux et de se ressourcer pour réaffronter le quotidien de la vie active. En témoignent d’ailleurs les propos d’Emmanuelle (cinquante-neuf ans, région parisienne) : « Je

ne suis pas sûre d’avoir des attentes mais je suis qu’il y en aura des bénéfices. Non ce qui est important c’est ce qui se vit là maintenant et

7 REAU Bertrand, art. cit., p. 123. 8

c’est sûr que cette parenthèse, cette façon particulière de pouvoir vivre son entrée en soi, de pouvoir aller vers ses envies, de profiter du soleil d’écouter les oiseaux, oui ça peut faire que du bien, il n’y a pas de doute ! Il n’y a pas d’attente particulière ! ».

Leur rapport au bien-être diffère ainsi largement de la population curiste. Pour la plupart encore dans la vie active, les hédonistes subissent des pressions de la vie quotidienne plus intenses que celles ressenties à la retraite. Par ailleurs, Norbert Elias démontre que « dans notre société, pour être classés comme normaux, les adultes doivent contrôler à temps la vague montante de leur excitation »9. Situation qui peut s’avérer exigeante et oppressante. Ainsi, la sphère de loisir, apparait comme un exutoire, un lieu où l’individu peut se laisser aller, loin des tensions et des contrôles qui rythment son quotidien, à des excitations modérées fondamentalement agréables. Dans cette perspective, Norbert Elias souligne que « ces sentiments n’ont pas seulement pour fonction de libérer des tensions, comme on le croit souvent, mais bien de restaurer cette dose de tension qui est un élément fondamental de la santé mentale »10. Investir le B’o spa thermal comme pratique de loisir pourrait ainsi permettre aux hédonistes un réel bien-être mental. En effet, comme le rappelle Bertrand Réau,

« la fonction des loisirs ne se résume pas à un simple relâchement des tensions du travail ou à un moment de récupération et de reconstitution de la force de travail : si tel était le cas, le repos serait plus efficace et l’on ne comprendrait pas qu’une partie du temps libre soit consacrée à des activités de loisirs »11.

Ils envient de ce fait un bien-être immédiat permettant une évasion directe. Elisabeth (soixante-neuf ans, Équeurdreville-Hainneville) propose sa définition du bien-être : « Le bien-

être ? Non c’est d’être bien dans sa tête et dans sa peau. Si vous êtes bien dans votre tête c’est très bien vous avez une certaine relation avec les autres, je pense. Bien dans votre peau et bien ça aide à être ouvert aux autres et puis à penser à autre chose ». Bernadette (cinquante- neuf

ans, région parisienne) et Emmanuelle proposent une définition sensiblement similaire. Ainsi pour Emmanuelle, dans le mot bien-être « il y a le mot être et ça, ça me tient à cœur

« être », et pourquoi pas bien… Être bien, bien avec soi même bien dans qui on est, bien dans la présence à soi, bien dans le contact avec ce qui nous entoure, des choses comme ça quoi ».

Pour Bernadette, le bien-être c’est « être bien ! [Rires]. C’est dans les deux sens et on oublie

bien souvent, parce que bien-être c’est être-bien et voilà. On oublie bien souvent le sens des mots, donc il faut les remettre à l’endroit et quand on les remet à l’endroit on en prend

9 ELIAS Norbert, DUNNING Eric, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1994, p. 85-6. 10 Ibidem, p. 121.

pleinement conscience ». Néanmoins, Bernadette souligne cette idée du besoin de se poser et

de prendre du recul par rapport aux tensions quotidiennes. À ses yeux, le bien-être « c’est un

luxe, c’est un luxe ! Ca devrait être plus souvent et la plupart du temps, on ne prend pas le temps de se poser. Et c’est vrai qu’actuellement, le bien-être c’est prendre son temps, c’est bien s’asseoir, se poser quelque part, donc c’est prendre du temps. Voilà ! ».

Ainsi, cette population hédoniste est également conquise par l’offre de bien-être véhiculée et s’y est largement identifiée. C’est ce qu’évoque Elisabeth (soixante-neuf ans) avec volonté : « Ah oui, de toute façon si vous venez ici c’est que quelque part vous cherchez quelque chose.

Déjà pour vous et puis pour les autres parce que comme vous cherchez le bien-être de vous donc automatiquement il y a le bien-être des autres aussi, automatiquement tout le monde est bien, vous entendez les gens rigoler, les gens papoter, c’est ça, c’est la vie des gens heureux, peut-être que quand ils vont rentrer… Et puis les gens peut-être que quelque part ils oublient leurs problèmes, ils vont les reprendre quand ils vont remonter dans leur voiture ou qu’ils vont sortir de là en fermant la porte. Quelque part c’est ça quand ils sont ici je pense. Si c’est comme moi, si vous rentrez ici, vous laissez tout dehors, tous vos problèmes dehors et vous prenez que le bon. Pour moi c’est ça, c’est prendre que le bon, se faire du bien, se faire bichonner et être heureux. La vie c’est ça, être heureux ! C’est génial quand même hein ». Bernadette partage le

même sentiment. Profiter du séjour telle une parenthèse en réorganisant ses habitudes de vie constitue une pratique importante à ses yeux :

« C’est vrai que tous les soins, il y en a qui sont préférés par rapport aux autres mais c’est pas

désagréable. Moi j’étais au B’o Cottage et c’est vrai que de poser la voiture par exemple, de tout faire à pied, ça c’est bien, ouais ! Venir par le petit chemin forestier, c’est agréable, voir les écureuils, je veux dire se poser, être à l’écoute de l’autre, de la vie, de l’eau qui coule, ouais de la nature ».