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TYPOLOGIE DES MASQUES DE THÉÂTRE ET DES FIGURINES D’ACTEURS

Les nombreux masques de théâtre et figurines d’acteurs découverts en Égypte forment deux types de production qui témoignent de l’impact exercé par l’univers théâtral dans l’imagerie populaire. De plus, ces représentations offrent, à travers la diversité des personnages, la variété de leurs traits et attitudes, une preuve indéniable de la richesse des répertoires scéniques, en tout premier lieu celui issu de la Nouvelle Comédie. C’est dans le cadre de cette problématique que nous avons réalisé une étude typologique des masques de théâtre et des représentations d’acteurs dans l’Égypte hellénistique et romaine. Celle-ci s’inscrivant dans une perspective synthétique, nous proposons non pas un catalogue exhaustif de ces deux types de production, mais le fruit d’un travail sélectif, motivé par la fiabilité des objets conservés en termes d’identification, de provenance et de date. Un corpus composé d’environ 80 masques et de 85 figurines a pu ainsi être élaboré, soit à partir des catalogues et collections muséographiques, soit à partir du matériel archéologique issu de fouilles anciennes et récentes, publié ou en cours d’étude. Étant les plus nombreuses parmi les images théâtrales, les représentations liées à la Nouvelle Comédie occupent évidemment une place privilégiée dans cette étude. Toutefois, des illustrations d’autres genres théâtraux et d’autres catégories associées à l’univers des fêtes ont également été incluses afin de faire ressortir la large diffusion, par le biais de ce type d’objets, du monde du théâtre dans l’Égypte hellénistique et romaine. Cette étude typologique a également pour objectif de vérifier si, à l’instar du monument théâtral proprement dit, des distinctions chronologiques sont perceptibles : l’époque ptolémaïque est-elle autant représentée que la période romaine ? Existe-t-il des types de productions et des thèmes iconographiques plus caractéristiques pour chacune de ces périodes ? Enfin, il sera pertinent de replacer ce corpus d’objets au sein de l’ensemble des images théâtrales mises au jour dans le bassin méditerranéen afin de mettre en exergue leur fidélité à un langage formel de tradition grecque ou, au contraire, leur originalité à travers d’éventuelles spécificités égyptiennes.

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I – Aspects techniques

1 – Matériaux

Les différents matériaux utilisés pour la fabrication des masques indiquent que ces derniers n’avaient aucune fonction scénique ; ils n’étaient donc pas destinés à être portés sur scène lors des représentations. Les véritables masques scéniques étaient faits de tissu, parfois d’écorce, de bois ou de cuir, et couvraient toute la tête, en comportant parfois des cheveux ; l’emploi de matériaux périssables explique qu’aucun masque scénique n’a été retrouvé préservé dans l’ensemble du bassin méditerranéen346. Le fait peut cependant paraître plus surprenant en Égypte, où les conditions climatiques désertiques auraient pu favoriser la conservation de masques fabriqués en matériaux organiques ; cette absence pourrait peut-être suggérer une concentration des masques scéniques dans le Delta et le Fayoum, régions plus humides et donc moins propices à la préservation de ce type d’objets.

La grande majorité des masques et des figurines d’acteurs provenant d’Égypte est fabriquée en terre cuite et s’inscrit par conséquent au sein d’une vaste production communément appelée dans les publications « Terres cuites gréco-romaines d’Égypte ». Cette production est généralement divisée en deux groupes distincts, définis par la situation géographique des ateliers347 : les terres cuites alexandrines et les terres cuites de la chôra, également dites « du Fayoum ». Ce terme, utilisé naguère en raison du fait qu’un large nombre de figurines a été découvert sur les sites à proximité du lac Karoun, autour duquel se sont développés de nombreux établissements à l’époque ptolémaïque, apparaît cependant réducteur au vu des recherches actuelles ; les terres cuites comprises dans cette catégorie proviennent également d’autres régions, comme l’attestent les recherches récentes entreprises dans le Delta, en particulier à Athribis et à Bouto348, et en Haute Égypte, notamment à Coptos349. Pour cette raison, nous conserverons l’appellation plus appropriée « Terres cuites de la chôra ».

Le type d’argile350 employé dans les terres cuites alexandrines est le plus souvent d’origine calcaire, à l’instar de celui utilisé dans les productions de Maréotide, et est

346 GOT 1997, p. 16.

347 BALLET 1998, p. 217-243.

348 Sur les ateliers d’Athribis, voir SZYMA

ŃSKA 2005, p. 32-37. Sur la mention d’une production de figurines à Bouto, cf. BALLET et al. 2003, p. 233-250, spéc. p. 243 ; sur les ateliers de Bouto, voir notamment BALLET et al. 2009, p. 132-158.

349BALLET 1999b, p. 2-16 ; id. 2002, p. 147-159 ; GALLIANO 2011.

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caractérisé par sa finesse et par une couleur rouge clair ou marron rosé. Les terres cuites du second groupe, de loin les plus nombreuses, sont principalement fabriquées à partir du limon du Nil, qui offre une argile plus épaisse, donnant généralement une couleur marron ou brun- rouge foncé après cuisson. Cette distinction ne reflète cependant qu’une tendance générale et l’on rencontre des contre-exemples dans les deux catégories351 : ainsi, concernant les terres cuites alexandrines, on note également l’usage d’argiles alluviales, en particulier dans les contextes de consommation de la capitale. À l’inverse, certains sites de la chôra, comme Coptos352, attestent dans leurs productions l’utilisation d’argiles calcaires. Par conséquent, le type d’argile employé ne constitue pas un critère suffisant pour définir l’origine alexandrine ou non d’une terre cuite.

Les figurines d’acteurs et les masques en terre cuite se définissent le plus souvent par une pâte alluviale plus ou moins micacée, de texture fine à moyennement fine, et par une surface brun-rouge. Bien qu’elles semblent minoritaires dans notre corpus par rapport aux pâtes alluviales353, les argiles calcaires sont également employées pour les deux types d’objets. Ceux-ci forment par conséquent un ensemble relativement représentatif de la petite plastique égyptienne en termes de composition et de traitement du matériau. Enfin, on trouve également quelques exemples de masques théâtraux et de figurines d’acteurs fabriqués dans d’autres matériaux, qu’il convient déjà de mentionner : la faïence (deux figurines et deux masques), le bronze (un masque miniature, une tête), le calcaire (une tête), le plâtre (quatre masques), le stuc (une tête), l’ivoire et l’os (un masque et une figurine).

2 – Technique de fabrication des objets en terre cuite354

À l’image des autres types de terres cuites, les figurines d’acteurs sont moulées en creux au moyen d’un moule bivalve ;

l

es masques sont réalisés selon le même procédé, à la différence près qu’un seul moule est utilisé. Sur les figurines, le revers apparaît souvent moins soigné que l’avers, jusqu’à être parfois grossièrement travaillé, laissant visibles les sutures réalisées lors de la jonction entre les deux parties de la figurine. La base, généralement

351 BALLET 1995, p. 260-261. 352 Cf. supra n. 350.

353 Constat établi seulement d’après les exemples où l’origine de la pâte a été identifiée, ce qui ne concerne pas

l’ensemble du corpus.

354 Voir en particulier MULLER 1997 ; id., Les terres cuites votives du Thesmophorion. De l'atelier au sanctuaire, Etudes

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ouverte, est de forme circulaire ou rectangulaire, permettant ainsi de poser l’objet sur une surface plate. Le revers est souvent percé d’un trou circulaire (plus rarement carré), assimilé à un trou d’évent permettant à l’eau de s’évaporer pendant la cuisson, ce qui évite par conséquent les risques d’éclatement ; or, cette définition est contestée par différents spécialistes355, qui s’appuient sur le fait que cette fonction serait déjà assurée par la base ouverte de la figurine. Le trou d’évent apparaîtrait donc superflu. À l’inverse, comme le précise Fr. Dunand356, certaines figurines de petite taille à base fermée ne possèdent pas non plus de trou au revers, sans que cela n’ait eu une incidence lors de la cuisson, une simple fissure suffisant généralement à prévenir le risque d’éclatement. D’après H. Philipp357, cette cavité serait un trou de suspension, servant à fixer la figurine au mur à l’aide d’un crochet et d’un tenon. Cette hypothèse, qui nous paraît convaincante, s’appuie notamment sur une observation d’E. Bayer-Niemeier358, qui remarque que les figurines possédant une bélière de suspension ne sont pas pourvues de ce trou. Une autre fonction technique nous a été personnellement proposée par A. Muller359 : il pourrait s’agir tout simplement d’un trou permettant au coroplathe de consolider la paroi interne en y passant le doigt ou, dans les cas des figurines ayant des éléments rapportés, d’une fenêtre d’assemblage. Tout ceci souligne les difficultés associées à la question de l’usage des figurines, sur laquelle nous reviendrons amplement dans le deuxième chapitre de cette partie.

Une fois cuits, les figurines et les masques étaient recouverts d’une préparation blanchâtre obtenue à partir d’argile délayée ; des traces de cette couche de préparation sont encore bien visibles sur la plupart d’entre eux. Des couleurs vives pouvaient ensuite être appliquées, dont très peu ont subsisté, notamment parce qu’elles étaient posées après la cuisson. De nombreuses pièces semblent cependant n’avoir reçu qu’un engobe, généralement noir ou rouge, leur conférant un aspect poli, voire vernissé.

355 NACHTERGAEL 1995, p. 259-560 ; voir également KASSAB TEZGÖR D.,« Tanagréennes d’Alexandrie », BCH,

Suppl. 33, 1998, p. 227-228 et p. 207, n.4, où l’auteur précise que « le trou d’évent est davantage destiné à aider au séchage de la pâte avant la cuisson […]».

356 DUNAND 1990, p. 6. 357 PHILIPP 1972, p. 6-7.

358 BAYER-NIEMEIER 1988, p.15.

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