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L UKASZEWICZ 1986 ; A LSTON 2002 66 L EGRAS 2004, p 98-100 ; B OWMAN 1970.

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régions distinctes, le Delta occidental et le Delta oriental. Au sein de chacune de ces épistratégies, les nomes (une quarantaine en tout) restent gouvernés par les stratèges, qui siègent dans les capitales de nomes ou métropoles. Une quatrième polis rejoint en 130 apr. J.-C. Alexandrie, Naucratis et Ptolémaïs : il s’agit d’Antinoopolis, en Moyenne Égypte. Toutefois, la distinction entre métropoles et cités grecques s’atténue progressivement pour être officiellement abandonnée en 200 apr. J.-C., lorsque Septime Sévère décidé d’élever toutes les métropoles au rang de cités (civitates) en accordant à chacune d’entre elles une

boulè. Cette réforme municipale marque l’achèvement du processus d’imitation des cités grecques par les métropoles, qui disposaient déjà d’un certain nombre d’institutions empruntées au répertoire de la polis67. Prendre en compte la structure administrative de l’Égypte romaine et de son évolution est essentiel, car cela nous permet de mieux comprendre les conditions d’implantation des théâtres dans les villes et les raisons de leur multiplication à cette période.

Examinons tout d’abord au cas par cas les différentes villes possédant un théâtre à l’époque romaine, ainsi que la place occupée par celui-ci d’un point de vue urbanistique. Parmi les théâtres d’époque ptolémaïque, seul le théâtre d’Arsinoé (ancienne Crocodilopolis) sera de nouveau traité, puisque nous disposons pour la période romaine de nombreuses mentions.

1 – Delta et sa pointe a – Péluse (Tell el-Farama)

Implantée à la limite orientale du Delta, au nord du Sinaï, la ville de Péluse68 bénéficie d’une position frontalière stratégique qui lui attribue, dès la période ptolémaïque, le statut d’avant-poste militaire. Point de départ des troupes vers l’est, Péluse est investie d’un rôle à la fois défensif et offensif, visible encore aujourd’hui par la présence d’une imposante forteresse d’époque romaine tardive (deuxième moitié du VIe s.), située au sommet du tell principal

(pl. V)69. Une digue en briques rouges a été détectée dans les salines autour de la forteresse,

67 LEGRAS 2004.

68 HAÏKAL 1995, p. 186 ; CARREZ-MARATRAY 1995 ; id. 1999.

69 ABD EL-MAQSOUD,EL TABAI,GROSSMANN, « The Late Roman army castrum at Pelusium (Tall al-Farama) »,

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reliant probablement cette dernière aux implantations voisines du sud70. Elle mesure 5 à 7 m de large et est coupée régulièrement par des canalisations pour permettre à l’eau de couler à travers la digue et d’en protéger les bords. 900 m ont été dégagés et décapés et environ un autre kilomètre peut être tracé. Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour établir la longueur totale de la digue. De nombreux puits, citernes d’eau, canalisations et des thermes avec des sols mosaïqués ont aussi été localisés autour de la forteresse en plus d’un vaste amas de céramiques, figurines, monnaies, ostraca et autres artefacts qui permettent d’établir la datation des occupations. Malgré l’importance de la ville dans l’Antiquité, peu de traces archéologiques ont subsisté de sa topographie et de son organisation urbaine. Il apparaît toutefois que la ville possédait un tissu urbain relativement étendu, surtout à la période romaine, correspondant actuellement aux collines de Tell el-Farama, de Tell el Kana’is et de Tell el Makhzan à l’est. Considérée comme le second port le plus important d’Égypte après Alexandrie, la ville de Péluse connut une longue période d’occupation, qui débuta au VIe s. av.

J.-C. et se poursuivit au-delà de la conquête arabe au VIIe s. apr. J.-C.

Deux édifices de type théâtral ont été mis au jour sur les sites actuels de Tell el-Farama et de Tell el Kana’is. Le théâtre de Tell el-Farama71 (pl. V), orienté au nord, se

trouve plus précisément à l’est de la forteresse romaine tardive. Dans le cadre des prospections géophysiques entreprises depuis 2005 sous la direction de Tomasz Herbich, une carte de la zone du théâtre a été dressée à partir des données électromagnétiques : elle révèle une partie du réseau viaire et des bâtiments situés au nord de l’édifice72 (pl. VI). Parmi ces derniers, une construction en briques cuites de forme carrée comprenant une pièce circulaire de 35 m de diamètre a été repérée ; il pourrait s’agir du bouleutérion de la ville73. Le théâtre était donc implanté dans le quartier monumental de Péluse, à proximité des axes principaux et d’autres édifices publics. La date de sa construction n’est pas encore déterminée avec certitude ; il semble qu’elle se situe au Haut-Empire74.

Le second bâtiment, dénommé « arènes-théâtre », a été repéré quant à lui à environ 1,5 km au nord-est de Tell el-Farama, sur une des îles de Tell el Kana’is (pl. V)75. En dépit du

70 BARD 1999.

71 AL TABAI et al. 2003;GAWLIKOWSKI 2004 ; JAKUBIAK 2005 ; id.2006:id.2007.Les restes de la cavea

avaient déjà été mentionnés par Jean Clédat dans « Le temple de Zeus Cassios à Péluse », ASAE 13, 1914, p. 79-85,spéc. p. 81, mais le plan est placé dans une mauvaise position (ibid., fig. 1d).

72HERBICH. T., « Geophysical methods and landscape archaeology », EA, 41, septembre 2012, p. 14. 73JAKUBIAK 2009, p. 65-74.

74 AL TABAI et al. 2003, p. 271. Nous reviendrons sur la question de la datation du théâtre lors de son analyse

architecturale proprement dite.

75 CARREZ-MARATRAY,WAGNER 1993, p. 105-110 ; JARITZ et a.l 1994, p. 123-166 ; JARITZ et al. 1996, p. 102-

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manque d’informations sur la topographie du site et son évolution, il semble que l’île bordait à l’est un bras du Nil dont le gruau est encore nettement visible au nord ; cette branche fluviale a apparemment été remplacée assez tôt par un canal situé plus à l’ouest. Ainsi le théâtre était implanté dans un cadre relativement palustre. Par ailleurs, le bâtiment occupait certainement une position centrale au sein des faubourgs orientaux de Péluse, même si son environnement urbain demeure inconnu. En effet, les sondages réalisés tendent à montrer l’existence d’un important tissu urbain disséminé sur l’ensemble des îlots, dont il ne reste malheureusement que les niveaux de fondation.

Les arènes-théâtre s’élevaient, semble-t-il, sur une petite éminence naturelle située pratiquement au centre de l’île (pl. VII). Aucune construction ne fut mise au jour à l’est, au sud et à l’ouest de l’édifice ; en revanche, de très nombreux restes de murs, en partie liés au théâtre, sont apparus en direction du nord. Si au premier abord, l’environnement actuel de l’édifice lui confère un aspect isolé, les nombreux sondages et relevés effectués portent à croire qu’une grande partie de l’extrémité nord de l’île était bâtie et que le théâtre s’intégrait pleinement dans le paysage urbain à l’époque romaine76. Les données archéologiques semblent indiquer une édification légèrement plus tardive que le théâtre de Tell el-Farama, soit vers les IIe-IIIe s. de notre ère77.

Péluse constitue le seul cas de ville antique sur le territoire égyptien où deux édifices théâtraux sont attestés. Comme nous le verrons dans le chapitre III, ces deux édifices diffèrent dans leurs fonctions et donc dans leurs formes, car si le théâtre de Tell el-Farama semble bien avoir servi de cadre à des représentations dramatiques, les arènes-théâtre de Tell el Kana’is accueillaient plutôt des spectacles propre aux « jeux du cirque », soit des chasses et des combats.

Ceci implique également que la ville bénéficiait d’une grande vitalité culturelle et que la population manifestait un grand intérêt pour le monde du spectacle et du divertissement. Nous reviendrons sur ce point lors de l’analyse architecturale de ces édifices mais nous pouvons d’ores et déjà souligner le fait que Péluse semble se démarquer par une imprégnation plus importante de la culture romaine ; ce phénomène s’explique par la forte militarisation de l’ensemble de la pointe orientale du Delta, comme en témoigne notamment la présence d’un camp romain à Tell el-Herr78, daté du Bas-Empire. L’établissement de garnisons dans cette

76 H. JARITZ et alii 1996, p. 102. 77 Cf. p. 124.