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RICHARD POCOCKE (29 sept au 24 oct 1737) Pococke R., Voyages de Richard Pococke, Paris, 1772, p 11.

« C’était aussi dans ce port que se trouvait l’île Antirrhodes, où il y avait un palais & une petite baie. Cette île paraît avoir été entièrement détruite par la mer, et elle était vraisemblablement vis-à-vis des obélisques ; car l’on voit encore quantité de ruines dans la mer, et l’on en tire souvent de très belles colonnes. On parle d’un théâtre qui était au-

dessus, et de la partie de la ville qui portait le nom de Neptune, et où on lui avait bâti un temple. Je crois que c’était vers l’angle que forme la baie. »

Même auteur, p. 19 :

« Le théâtre, à ce qu’on prétend, était au haut de la ville, au-dessus & vis-à-vis de l’île Antirrhodes, je veux dire sur la montagne qui est près de la porte de Rosette, et qu’on appelle Coum-Dimas. J’en juge par sa figure. On y creusait lorsque j’arrivai à Alexandrie, pour en tirer les pierres. »

28 5. CLAUDE-ÉTIENNE SAVARY (1778)

Savary C.-É., Lettres sur l'Égypte, Paris, Onfroy, 1785-1786438, p. 23.

« Dans le grand port, on trouvoit la petite île d’Antirhode, où l’on avoit élevé un théâtre et une maison royale. »

Ces récits font preuve d’une certaine cohérence entre eux puisqu’ils reprennent pour la plupart les indications fournies par Strabon et César et ne font mention d’aucun vestige visible susceptible d’appartenir au théâtre. Cependant, certains des auteurs nous fournissent des renseignements sur les lieux et monuments qui occupaient au moment de leur visite le secteur qu’ils supposent être celui de l’ancien théâtre. Ainsi, en 1565, Christophori Von Haimendorf Füreri parle de la Tour de César, d’une mosquée et d’un hôpital. Pietro della Valle mentionne « les deux Obélisques », qui correspondent certainement aux obélisques dressés devant le

Kaisarion qui sont restés en place jusqu’au milieu du XIXe s., également appelés « aiguilles de

Cléopâtre ». Richard Pococke place le théâtre sur une colline dénommée Coum-Dimas, près de la porte de Rosette. Ces indications, malgré l’extrême prudence qui s’impose quant à leur fiabilité, convergent néanmoins vers la même zone et sont confirmées par deux cartes de la ville datant du XIXe s., inventoriées dans l’Atlas historique de Gaston Joudet paru en 1921

(pl. II et III)48. En revanche, la présence éventuelle d’un deuxième théâtre sur l’île d’Antirrhodos, comme le déclarent Claude Sicard et Claude-Étienne Savary, demeure incertaine. Même s’il est probable qu’il y ait eu plusieurs théâtres à Alexandrie, les fouilles sous-marines entreprises dans ce secteur ne font état d’aucun vestige susceptible d’appartenir un édifice de ce type49.

Cartes et études de la 2e moitié du XIXe et du XXe s.

C’est au milieu du XIXe s. que l’étude de la topographie et de l’urbanisme de

l’Alexandrie antique prend réellement son essor, nous offrant un nouveau champ de recherche à travers des publications à caractère scientifique. En se fondant toujours sur l’analyse des textes de Strabon, de César et de Diodore de Sicile, qui constituent les trois sources incontournables pour la connaissance d’Alexandrie, des savants de milieux très divers se sont

48 JOUDET 1921. Voir notamment pl. XXXIV à l’emplacement indiqué par la lettre S, légendée « Site of the

theatre », et pl. XXXV au lieu appelé « Fort Crétin », qui correspondrait au même endroit.

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efforcés de redonner vie à la capitale des Ptolémées en tentant de retrouver les traces des quartiers et monuments antiques disparus depuis longtemps sous les pieds de la ville moderne. La localisation du théâtre s’inscrit donc tout naturellement dans cette démarche scientifique et de nombreux spécialistes nous proposent leurs interprétations des textes antiques présentés ci- dessus afin de justifier le choix du site50. Ainsi, l’emplacement qui est majoritairement proposé est la pente sud de la colline de l’hôpital gouvernemental, actuel Centre Hospitalier Universitaire situé près de la rue Alexandre le Grand et de la rue Champollion. Effectivement, le lieu semble s’accorder avec les indications fournies par les textes antiques, indications reprises dans les récits de voyageurs. Parmi ces spécialistes, citons tout d’abord T. D. Néroutsos-Bey51 et Mahmoud-Bey El Falaki52, dont la carte indique clairement le théâtre sur une colline (pl. IV.). Néroutsos-Bey confirme cette proposition en situant également l’édifice

sur le plateau non loin du littoral et occupé alors par la gare de chemin de fer de Ramleh, par l’hôpital et par les bastions appelés « Batterie des Juifs » (Tabiat el Yahoudieh). Le lieu semble faire l’unanimité auprès des archéologues de la première moitié du XXe s., à savoir G.

Botti (« Tout le monde est d’accord à le placer à la colline de l’hôpital de Gouvernement »), E. Breccia (« Nous ne serions pas loin de la vérité si nous le placions sur, ou plutôt en contrebas de la petite colline aujourd’hui occupée par l’hôpital »), A. Adriani et A. Calderini53. Seul Saint-Genis54 a tendance à penser que le théâtre n’était pas en front de mer,

mais sur le plateau supérieur.

Cependant, malgré les diverses recherches archéologiques entreprises dans ce secteur, qui seront présentées dans le chapitre II-1 de cette partie, consacré au théâtre d’Alexandrie proprement dit55, aucun vestige ne permet de certifier cette localisation. Le site dit de l’hôpital gouvernemental demeure donc à l’heure actuelle l’hypothèse la plus plausible, mais qui ne doit sa fiabilité qu’au recoupement des sources textuelles.

50 FRASER 1972, p. 23, n. 148-151. 51 NÉROUTSOS-BEY 1888,p.70.

52EL FALAKI 1872,p.45;JOUDET 1921, pl. XXXVII.

53BOTTI 1902,p.119-121;BRECCIA 1914,p.90;ADRIANI 1932-1933,p. 16-18;CALDERINI 1966,p.114-115;

voir également DE ZOGHEB A.-M., Études sur l’Ancienne Alexandrie, éd. Ernest Leroux, Paris, 1910, p. 26.

54 SAINT-GENIS,Description des antiquités d'Alexandrie et de ses environs, dans la Description de l’Égypte,

Antiquités, t. II, 1818, p. 49-50.

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b – Paphos : localisation du théâtre

L’emplacement et l’orientation supposés du théâtre d’Alexandrie trouvent des échos hors d’Égypte : par exemple, sur l’île de Chypre, le théâtre de Paphos adopte une situation semblable. Installé sur le versant sud d’une colline, appelée Fábrika, à une altitude de 30 m au-dessus du niveau de la mer, il offre une vue stratégique sur la ville jusqu’au port. Au sud du théâtre, le sol descend doucement vers le rivage du port de Paphos, à une distance de 650 m. Les similitudes entre l’emplacement et l’orientation du théâtre de Paphos et ceux du théâtre d’Alexandrie prennent d’autant plus de poids si l’on considère le fait que cet édifice fut également construit sous le règne des Ptolémées au début du IIIe s. av. J.-C.

2 – Théâtres et métropoles

Si les cités grecques d’Égypte constituent le cadre le plus favorable à l’implantation des théâtres, doit-on pour autant en conclure qu’elles sont les seules ? D’autres villes, bien qu’elles n’aient pas le rang de polis, ont accueilli des immigrants grecs et se sont développées durant le règne des Lagides ; parmi elles, les capitales de nomes héritées de l’époque pharaonique ont conservé leur rôle administratif, judiciaire et fiscal56. Dans la hiérarchie, les plus hautes fonctions sont majoritairement occupées par des Grecs, telles que les postes de stratèges et d’épistratèges ; bien que la frange la plus importante de la population soit égyptienne, la présence de cette élite d’origine grecque va faire de ces capitales de nomes des foyers de diffusion de la culture hellène au sein de la chôra. À une échelle moindre que les

poleis, les capitales de nomes vont donc également être dotées d’institutions et de monuments publics empruntés au répertoire grec.

L’existence de théâtres au sein des métropoles est donc tout à fait envisageable ; toutefois, nous ne pouvons nier une fois encore l’extrême ténuité des sources qui nous imposent la plus grande prudence. Si des théâtres ont été édifiés dans ces villes à l’époque lagide, cela demeure un phénomène visiblement peu répandu.

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Nous disposons uniquement de trois sources pour appuyer cette hypothèse et elles sont toutes très délicates à interpréter. La première se trouve sur le papyrus P. Cair. Zen. 5982357, issu des archives de Zénon et provenant de Philadelphie (Kôm el-Kharaba el-Kebir), fondation de Ptolémée II Philadelphe située au nord-est du Fayoum ayant le statut de kômé. Il s’agit d’une lettre, datée du 10 juin 253 av. J.-C, qui fut rédigée par un banquier et homme d’affaires du nom de Promèthiôn, vivant à Mendès dans le Delta, et qui concerne le prix de la cire. Mais ce qui nous intéresse ne se trouve pas dans le contenu de cette lettre, mais au verso du papyrus ; on peut y lire une note très brève, qui, d’après R. Bagnall, serait d’une écriture différente de celle employée au recto de la lettre58. Elle se présente de la manière suivante : « τὸ θέατρον οἰκ[οδο]µῆσαι », que l’on peut traduire par « construire un théâtre ». En l’absence de contexte, il est bien sûr impossible de savoir de quel théâtre il s’agit et si sa construction a pour lieu Philadelphie. Nous n’avons qu’une seule autre mention du mot θέατρον en lien avec la ville de Philadelphie dans le P. Lond. VII 2140, qui proviendrait

également des archives de Zénon59. Là encore, on ne peut certifier que l’édifice en question ait été implanté dans cette ville. Si aucun indice archéologique n’a été découvert, il convient cependant de rappeler que Philadelphie, bien qu’il s’agisse d’une kômé, présentait un cadre relativement favorable à l’implantation d’un théâtre ; conçue selon un plan orthogonal, la ville possédait d’après les papyrus divers temples, dédiés à des divinités grecques et égyptiennes, et plusieurs édifices publics, tels qu’un grenier, des archives, une prison, des bains et un gymnase60. La présence de ces bâtiments ne garantissant en aucun cas l’existence d’un théâtre, celle-ci demeure pour l’instant au stade de simple hypothèse.

Le troisième document est d’une toute autre nature, puisqu’il s’agit à la fois d’une source épigraphique et d’une source architecturale. Il provient de la ville de Crocodilopolis, actuelle Medinet el-Fayoum, nommée à partir de 116 av. J.-C. Ptolémaïs Euergétis en l’honneur de Ptolémée VIII, puis Arsinoé à l’époque romaine. Capitale du XXIe nome depuis

l’époque pharaonique, alors dénommée Shedet, elle conserve son statut à la période lagide et est rebaptisée par les Grecs Crocodilopolis en l’honneur du dieu crocodile Sobek, dont la ville était le centre du culte. L’exploration du site fut très limitée, notamment à cause de la

57 BAGNALL, DEROW 2004, n°100 ; CLARYSSE, VANDORPE 1995, p. 51 ; THOMPSON 1988, p. 74; MEIJER,

VAN NIJF 1992, p. 67 ; ORRIEUX 1983, p. 76. Cf. annexe 2, n° 13.

58 Zenon Papyri, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire. 59 Cf. annexe 2 n° 14.

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présence de la ville moderne sur l’emplacement de la ville antique61. Nous savons grâce à la documentation papyrologique que Crocodilopolis était une agglomération importante, possédant toutes les institutions dignes de son rang de capitale de nome. La présence d’un théâtre à l’époque romaine est bien attestée par les textes, comme nous le verrons un peu plus loin, et il semble qu’un tel édifice existait déjà à l’époque lagide, si l’on en juge par une portion de mur retrouvée au nord-ouest de la ville actuelle, aux Kiman Farès. Ce mur, unique vestige d’un bâtiment en calcaire, comporte sur sa plus haute assise un fragment de dédicace en grec, dont la date demeure indéterminée ; elle se compose de quatre lignes, où l’on distingue au début de la 1ère ligne « ΠΤΟΛΕΜ…[…]» et à la fin de la 4e ligne « […]ΙΑΝ τοῦ

θεάτρου62 ».

Cette inscription apporterait donc la preuve de la présence d’un théâtre érigé à Crocodilopolis sous le règne des Ptolémées, théâtre auquel appartenait peut-être la portion de mur comportant la dédicace63. Malheureusement, la destruction du site ne nous permet pas de

pousser plus avant nos hypothèses, que ce soit sur l’édifice proprement dit, ou sur la place qu’il occupait au sein de la ville.

Ainsi, les connaissances concernant la relation entre les théâtres et les villes d’Égypte à l’époque lagide sont très limitées. Nous pouvons cependant en conclure que ce type de monument était encore peu répandu, se cantonnant à des cadres urbains conçus sur le modèle de la polis, c’est-à-dire les fondations nouvelles (Alexandrie, Ptolémaïs Hermiou et Philadelphie) ou les refondations ayant un rôle important dans le découpage administratif du pays (Crocodilopolis). Le théâtre apparaît donc comme un édifice nécessitant un certain degré d’hellénisation au préalable pour s’implanter. Mais ce n’est pas la seule condition, car il faut également songer à la fonction première et à l’origine de l’édifice théâtral ; la mise en œuvre d’une telle réalisation architecturale à l’époque hellénistique était avant tout motivée par la présence de concours dramatiques ou de fêtes religieuses au sein desquelles des représentations avaient lieu64. En l’absence de telles manifestations officielles, nul besoin d’avoir un théâtre maçonné, surtout si l’on songe à l’effort que la ville devait fournir pour entreprendre sa construction. L’association de ces deux facteurs – un cadre urbain hellénisé et

61 Parmi les vestiges étudiés, signalons une installation de bains à double tholos bien préservée. Voir DAVOLI P.,

L’Archeologia urbana nel Fayyum di étà ellenistica e romana, Missione Congiunta delle Università di Bologna

e di Lecce in Egitto, Monografie 1, Genroso Procaccini, Naples, 1998 ; EL-KHASHAB A., Ptolemaic and Roman

Baths of Kom el-Ahmar, IFAO, Le Caire, 1949.

62 BERNAND 1981, add. p. 135. Cf. annexe 2, n° 2. 63 VIERECK 1928 ; BAGNALL,RATHBONE 2004, p. 153.

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l’organisation de spectacles à caractère dramatique – préside donc à l’élaboration d’un théâtre à la période hellénistique. Or, si Alexandrie fait preuve dès le début du IIIe s. av. J.-C. d’une

grande vitalité en matière de fêtes, il faut attendre la période romaine pour que le reste de l’Égypte soit véritablement conquis par cet engouement pour les concours et les spectacles, suscitant un contexte d’émulation propice à la multiplication des théâtres. Cela ne signifie pas que la chôra était étrangère au théâtre à l’époque lagide, mais plutôt que ce dernier se développait essentiellement dans un cadre que nous qualifierions de « non institutionnalisé ».