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III – Caractéristiques stylistiques

5. Les femmes âgées : 6 masques

Cette dernière catégorie est la plus faible en nombre de types, puisqu’elle n’en compte que 3 chez Pollux, tous représentés dans les masques provenant d’Égypte, même s’ils sont minoritaires par rapport à l’ensemble des masques répertoriés (cat. 20-22): la vieille femme « louve » (type 28, trois exemples), la « grosse femme âgée » (type 29, deux exemples) et la petite servante âgée (type 30, un exemple). La raison pour laquelle cette catégorie est si peu fournie serait liée à une des conventions artistiques grecques de l’époque classique, selon laquelle, contrairement aux hommes, les signes de l’âge ne doivent pas être apparents chez les femmes, à l’exception de celles qui ont un rang social inférieur418. Les trois personnages sont donc généralement définis comme des servantes, des nourrices ou des hétaïres.

Le masque de la vieille femme « louve » (cat. 21), considérée comme une servante ou une tenancière d’une maison de prostitution419, est reconnaissable par une forme anguleuse, aux joues creuses. Surmonté d’une masse de cheveux frisés, ce masque possède également des sourcils froncés, un petit nez court et des pommettes saillantes. De nombreuses rides et plis trahissent l’âge avancé du personnage, tout comme sa large bouche édentée.

Le deuxième type (29, cat. 22) est caractérisé par une forme ovale ; il est marqué par des plis de graisse au menton et aux yeux, par des joues très rebondies et par un nez large et bulbeux. Tous ces traits confèrent au masque une expression bonhomme et sympathique. Les cheveux sont généralement ondulés et coiffés en arrière, avec un ruban ceignant le front.

416 ADRIANI 1940, pl. XLIV, fig. 5. 417 Cf. annexe 5, tableau 5.

418 WEBSTER,GREEN,SEEBERG 1995, p.35.

419 Ibid. 1995, p. 36. Cette idée s’appuie principalement sur la mosaïque de Dioskouridès (fin du IIe s. av. J.-C.)

représentant la scène d’ouverture d’une pièce de Ménandre, les Synaristosai (« femmes au petit déjeuner »). Le masque scénique porté par la personne de droite semble effectivement correspondre au type 28 ; le personnage a été définie comme « la mère maquerelle », selon l’expression employée par Alain Blanchard dans sa traduction de l’adaptation latine de la pièce par Plaute, intitulée Cistellaria. Cf. BLANCHARD 2000, p. 445.

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Le troisième et dernier masque, celui de la petite servante âgée, se définit par des joues creuses et un menton affaissé, quelques rides, et un nez crochu. Ses cheveux, apparents sur les côtés, sont couverts au-dessus de la tête d’une coiffe nouée sur le front, clairement visible dans l’unique exemple recensé de notre corpus (cat. 20).

Cette typologie synthétique des différents types de masques comiques retrouvés en Égypte amène au même constat que pour le reste du monde hellénistique et romain : les types les plus souvent reproduits dans la petite plastique égyptienne correspondent aux personnages principaux de la Nouvelle Comédie, autour desquels se construit l’intrigue. La prédominance des masques d’esclaves fait ainsi non seulement écho à la place centrale que cette figure occupe désormais dans les pièces dramatiques, mais également à sa popularité auprès des spectateurs, amusés par son caractère facétieux et rusé. La nouvelle hiérarchie des rôles imposée par les grands auteurs comiques tels que Ménandre guide inévitablement le public vers une familiarité avec les personnages les plus présents sur scène, qu’ils attirent la sympathie ou non. Les masques les plus fréquemment utilisés sur scène lors des représentations deviennent logiquement les plus connus, donc les plus souvent reproduits en terre cuite : ainsi, après les masques d’esclaves, la deuxième catégorie la plus représentée est celle des jeunes hommes, puis vient le reste des personnages (hommes âgés, jeunes femmes, femmes âgées), selon une fréquence quasiment équivalente. La typologie des masques comiques en Égypte apparaît donc tout à fait représentative de ce que l’on peut observer dans le reste du bassin méditerranéen.

Concernant les caractéristiques stylistiques de ces masques, on distingue très peu de spécificités propres à l’Égypte. Nous avons vu que le masque de l’esclave principal évolue le premier vers une stylisation des traits, visible en particulier dans le traitement de la barbe, mais cette innovation va se propager au-delà des frontières du royaume lagide, témoignant ainsi de la perméabilité des courants artistiques à l’époque hellénistique. Tout en tenant compte des variantes inhérentes à chaque type, la comparaison entre les masques de notre corpus et ceux d’autres régions du monde grec attestent leur homogénéité et de leur standardisation. Ceci témoigne de « la koiné des formes plastiques hellénistiques », selon les termes employés par H. Szymańska420. Seules les caractéristiques techniques peuvent

constituer un indice fiable pour déterminer l’origine égyptienne d’un masque.

420 SZYMA

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Le respect des conventions propres aux différents types de masques scéniques semble donc dominer lors de leur reproduction en terre cuite, quelle que soit leur provenance. Malgré le degré de liberté dont il dispose, le coroplathe semble se préoccuper surtout de rester fidèle au modèle scénique dont il s’inspire ; il sera essentiel de garder à l’esprit ce souci de lisibilité lorsque nous aborderons la question de la fonction de ces masques.

b – Les masques tragiques (21 exemples)421

Aux côtés des masques issus de la Nouvelle Comédie, une vingtaine de masques illustrent la tragédie422, qui connut un grand succès dans les concours d’époque classique et hellénistique grâce aux pièces d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Ayant pour objectif la « purgation » des passions selon Aristote423, la tragédie est également une forme « d’éducation à travers les mythes »424, qui en constituent le thème de prédilection : les récits homériques ont de fait largement contribué à la naissance et au développement de ce genre dramatique, qui s’exprimait dans les concours à travers des trilogies425 ou des tétralogies. Moins fréquents, des sujets historiques étaient également abordés dans certaines pièces, comme dans les Perses d’Eschyle ou les Phéniciennes de Phrynicos.

À l’instar des comédiens, les acteurs tragiques portaient des masques représentant les divers personnages interprétés : ces masques se distinguaient par un agrandissement plus ou moins important du front et de la chevelure, appelé onkos. L’origine de cette convention, qui ne concerne que les masques tragiques, serait attribuée à Eschyle426. Le plus ancien témoignage iconographique de l’onkos soulignerait d’ailleurs son lien avec le dramaturge : d’après une copie conservée au musée du Vatican, il s’agirait d’une statue d’Eschyle tenant un masque à onkos, statue érigée sur l’initiative de Lycurgue aux côtés de celles d’Euripide et de Sophocle dans le nouveau théâtre de Dionysos à Athènes427. Lycurgue étant en charge des

421 Cf. annexe 5, tableau 6.

422 Sur les différentes types de masques tragiques, cf. WEBSTER 1967 ; BERNABO BREA 1981 ; id. 1993 ; id.

2001.

423 ARISTOTE, Poétique, VI, 449 b, trad. M. Magnien, Livre de Poche, 1990.

424 GOT 1997, p. 19-21 ; CANFORA L., Histoire de la littérature grecque d’Homère à Aristote, Desjonquières,

1994.

425 MORETTI 2001, p. 49 : la seule trilogie tragique conservée est l’Orestie d’Eschyle (458 av. J.-C.). 426 BIEBER 1961, p. 22.

427 BIEBER 1961, p. 22 et note 13 : les trois statues des trois dramaturges sont mentionnées par PLUTARQUE, Vie

des dix orateurs, LYCURGUE 11 et PAUSANIAS, I, 21. La copie du Vatican est illustrée dans BIEBER 1961, p. 21,

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finances de la cité athénienne entre 336 et 324 av. J.-C. 428, la statue d’Eschyle serait datée du tout début de la période hellénistique429.

L’onkos n’est cependant pas une particularité propre à tous les masques tragiques, car certains types, notamment parmi les serviteurs, en sont dépourvus. D’après Webster, la taille de l’onkos dépendrait de l’importance des personnages : en d’autres termes, les personnages principaux possèderaient un onkos plus important que les personnages secondaires430.

Pollux recense 28 types de masques tragiques pour la période hellénistique, répartis comme pour les masques comiques en 5 catégories : les hommes âgés (6 types de masques), les jeunes hommes (8 types de masques), les vieilles femmes (2 types de masques), les jeunes filles (6 types de masques) et les serviteurs (3 types de masques masculins et 3 féminins). Établir une correspondance entre ces catégories et le matériel archéologique est aussi difficile que pour les masques comiques car les principales différences établies par Pollux dans sa description sont rarement discernables sur les masques fragmentaires431 : en effet, lorsque la partie inférieure du masque est manquante, on ne peut distinguer les hommes âgés des jeunes garçons, qui se démarquent comme dans la comédie par la présence ou non d’une barbe. Il est également rare de pouvoir dissocier masques masculins et masques féminins lorsque la polychromie n’est pas préservée : en effet, sur les masques scéniques, la couleur du teint est la principale différence entre les hommes, qui présentent une carnation rouge, et les femmes, au teint rose ou blanc432. Même dans les cas où le masque est suffisamment conservé pour être attribué à une catégorie de personnages, l’identification du type se révèle le plus souvent impossible, car les critères de distinction sont avant tout fondés sur des nuances de teint et/ou de la chevelure ainsi que sur l’expression faciale, parfois délicate à interpréter.

Malgré ces problèmes d’identification, les masques tragiques les mieux conservés provenant d’Égypte semblent représenter en grande majorité des jeunes hommes et des jeunes filles (16 exemples sur 21). Au-delà de la présence d’un onkos plus ou moins haut, ils sont caractérisés par d’imposantes coiffures aux formes variées : mèches ondulées ou boucles tombantes encadrant la face (cat. 24 et 28), cheveux rassemblés en couronne et ceints par un bandeau horizontal, cheveux ramenés en pointe sur le dessus de la tête (cat. 23), etc. Chaque type de coiffure est révélateur du sentiment dominant chez le personnage représenté : ainsi, le

428 MORETTI 2001, p. 82. 429 WEBSTER 1967, p. 13. 430 Ibid., p.21. 431 BERNABO BREA 1981, p. 119. 432 Ibid.

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masque de jeune homme pourvu d’une chevelure négligée traduit la détresse amoureuse ou la misère, au même titre qu’un masque de jeune fille ayant des cheveux coupés courts exprime le deuil.

Les traits faciaux, en particulier la bouche ouverte associée à la forme des yeux et des sourcils, traduisent également avec une grande force expressive toute une palette d’émotions qui forment l’essence pathétique de la tragédie : le caractère farouche et fier du jeune héros est par exemple illustré par des sourcils froncés et un regard dur, tandis que la tristesse souvent due à l’infortune du jeune héros ou au port du deuil de la jeune héroïne est marquée par des sourcils levés et des yeux tombants, à l’expression douloureuse (cat. 28). Tous les masques de jeunes filles, identifiés comme tels grâce à leur couleur blanche, sont empreints d’une grande souffrance, accentuée par la pâleur du teint.

Contrairement aux masques comiques, les serviteurs sont peu fréquents (deux exemples supposés, cat. 27), ce qui s’explique sans doute par leur importance moindre dans l’intrigue des tragédies. De la même manière, la place prépondérante occupée par les jeunes héros et héroïnes sur scène fait écho à celle qu’ils détiennent dans la petite plastique. Le schéma est par conséquent identique à celui constaté pour les masques comiques : les types les plus fréquemment reproduits dans les masques tragiques correspondent aux personnages principaux des pièces de théâtre.

c – Les masques satyriques (9 exemples)433

Parmi les trois grands genres théâtraux apparus à l’époque classique, le drame satyrique434, qui aurait été inventé par Pratinas de Phlionte (fin VIe – début Ve av. J.-C.), est

sans doute le plus méconnu car peu de pièces sont conservées : la seule œuvre complète est le

Cyclope d’Euripide, produite à Athènes à la fin du Ve s. av. J.-C.435. Dans les concours de la

période classique, le drame satyrique était étroitement lié à la tragédie : il clôturait une trilogie tragique, en conservant le même auteur et les trois mêmes acteurs. À l’époque hellénistique, le genre devint indépendant et fut considéré comme une épreuve agonistique à part entière. Le drame satyrique peut être défini comme une tragédie aux accents burlesques : il conserve la même structure et la même thématique épique qu’une tragédie tout en introduisant une

433 Cf. annexe 5, tableau 7.

434 MORETTI 2001, p.51 ; GOT 1997, p. 9. Voir également VOELKE 1998. p. 227-248 ; GREEN,HANDLEY 1995,

p. 22-29.

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dimension parodique par le biais d’un chœur de satyres dominé par Silène, père des satyres considéré comme le précepteur de Dionysos.

Dans l’Onomasticon de Pollux, les masques scéniques issus du drame satyrique sont seulement au nombre de quatre, classés du plus jeune au plus âgé : le satyre imberbe ou jeune satyre, le satyre barbu, le satyre à la barbe blanche et le Papposilène ou Silène. La présence ou non d’une barbe ainsi que sa couleur constituent donc pour Pollux les deux principaux critères de distinction, les traits faciaux étant apparemment similaires dans les quatre types de masques : profil bestial, nez camus, oreilles droites et pointues de capridé, chevelure ébouriffée. On note cependant une évolution à l’époque hellénistique vers une humanisation des traits, que l’on attribue notamment à l’influence praxitélienne au cours du IVe s. avant J.-

C436. Le fait que Pollux mentionne uniquement les masques de satyres peut paraître étonnant : qu’en est-il des masques associés aux personnages héroïques, comme Ulysse et Héraklès, également fréquents dans les pièces du drame satyrique ? Il semblerait que ces masques étaient identiques à ceux utilisés dans la tragédie, puisqu’on y retrouve les mêmes personnages mythiques437.

Lorsque l’on confronte les types de masques satyriques recensés par Pollux au matériel archéologique, un problème majeur surgit : comment différencier un masque de satyre issu du drame satyrique d’un masque de satyre appartenant à l’iconographie du thiase dionysiaque ? En l’absence d’un contexte qui laisserait supposer un cadre ou une mise en scène théâtrale, il est impossible de déterminer à partir des seules caractéristiques stylistiques s’il s’agit d’une reproduction d’un masque scénique ou d’une représentation religieuse438. Cette incertitude concernant plusieurs masques de satyres retrouvés en Égypte, nous avons opté pour un élargissement de la typologie en incluant par conséquent dans notre corpus quelques représentations du thiase dionysiaque. Ce choix a surtout été motivé par les liens étroits qui unissent le théâtre depuis son origine au cercle de Dionysos, dont le culte occupe une place prédominante au sein de la dynastie lagide. Ainsi, la sphère dionysiaque constitue dans l’Égypte ptolémaïque le maillon central associant le pouvoir royal à l’univers théâtral. Il serait donc peu judicieux de nier l’expression de cette relation existant entre le théâtre et le culte dionysiaque dans l’iconographie en excluant de notre étude toute représentation qui ne

436 Sur l’évolution des masques vers plus de réalisme à la période hellénistique, cf. BIEBER 1961, p. 80-86. 437 BERNABO BREA 1981, p. 31-44.

438 Sur la relation entre iconographie satyrique et représentations dramatiques, cf. VOELKE 1998, p. 229 ; GREEN

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serait pas clairement d’ordre dramatique, surtout lorsqu’elle détient une portée évocatrice semblable, comme nous le verrons dans le chapitre II de cette partie.

Parmi les masques de satyres retrouvés en Égypte et datés de l’époque gréco-romaine, 9 ont parus suffisamment représentatifs pour être intégrés dans notre corpus. Ils datent tous de la période héllenistique. Deux types se distinguent : d’une part, les masques reprenant le modèle hellénistique des représentations de satyres et d’autre part, les masques de Bès-Silène, figure hybride combinant les caractéristiques du dieu-nain égyptien Bès et celles de Silène.