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III – Caractéristiques stylistiques

3. Les femmes (7 exemples)

Plus rares dans la petite plastique égyptienne, les figurines d’acteurs jouant un personnage féminin se limitent à quelques représentations de la vieille servante ou de la nourrice ; seule une figurine complète et six têtes ont été repérées dans les publications. La figurine complète499 (cat. 52), mesurant 14 cm de haut et datée de la fin du IIIe s. av. J.-C.,

représente une vieille femme voûtée marchant, comme l’indique la position de sa jambe droite, légèrement en avant. Le personnage porte un long chiton à manches longues et un grand himation tombant de son épaule gauche ; ce dernier enveloppe à la fois son bras gauche, laissé le long du corps, sa taille, son bassin et ses cuisses. Son bras droit est plié, comme si le personnage tendait quelque chose, mais la main est manquante. Ses cheveux, séparés par une raie au milieu, tombent en boucles sur ses oreilles et sont partiellement recouverts par un fichu appelé sakkos. Le visage est caractérisé par quelques rides sur le front, des petits yeux cernés aux paupières tombantes, des joues creuses et une bouche marquée par

497Provenant a priori d’une fouille de l’Egypt Exploration Fund à Naucratis, n° d’inventaire EA 1976, 0724.3 ;

BAILEY 2008, p. 151-152, pl. 107.

498 Cf. annexe 6, tableau 3.

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de profonds sillons naso-géniens. Il ne présente cependant aucun trait outrancier suggérant le port d’un masque et semble bien proportionné par rapport au reste du corps.

L’interprétation de ce personnage comme étant celui de la vieille servante ou de la nourrice dans la Nouvelle Comédie s’appuie donc principalement sur son attitude et sa tenue vestimentaire, en particulier la coiffure qui est similaire à celle du masque correspondant (n° 30 de Pollux) ; toutefois, s’il s’agit bel et bien d’une vieille femme, la relative sobriété des traits du visage ne permet pas d’affirmer avec certitude qu’il s’agisse d’une figurine d’acteur. Le style adopté pour la figurine, visible notamment dans le soin accordé aux plis du vêtement, s’inspire du type tanagréen500, dont le répertoire reprend effectivement le personnage de la vieille nourrice issu de la Nouvelle Comédie501. En l’absence de masque ou d’un justaucorps apparent, il est donc difficile de distinguer s’il s’agit d’un acteur jouant un personnage de vieille femme ou seulement d’une représentation de vieille femme se rattachant davantage aux scènes de genre. La même question se pose par ailleurs pour l’interprétation d’une des têtes recensées dans notre corpus, datée de la même période et également conservée au British Museum502(cat. 53). En revanche, une autre tête (cat. 54)503, provenant de Naucratis et datée entre 250-150 av. J.-C., semble clairement appartenir à une figurine d’acteur, comme l’indique la présence du masque dont les caractéristiques correspondent très nettement au type de la vieille femme « louve » (n°28 de Pollux), décrit précédemment : la bordure inférieure du masque est en effet visible et laisse apparaître la partie inférieure du visage et le cou. Une identification similaire peut être attribuée à la tête en calcaire conservée au musée de Dresde (cat. 55).

À partir de la fin du IVe ou du début du IIIe s. av. J.-C., un type particulier du

personnage de la nourrice se diffuse dans la petite plastique orientale : il s’agit de la nourrice assise sur un siège, portant un enfant nu allongé de profil504. Ce type de figurines de style tanagréen est tout d’abord fabriqué dans les ateliers de Grèce (Tanagra, Thèbes, Thasos,), puis dans ceux d’Asie Mineure (Myrina) et d’Égypte, où l’on recense deux exemples provenant

500 KASSAB TZEGÖR 2007 ; JEAMMET 2003.

501 JEAMMET 2003, p. 120-122 et p. 130-135, vieille nourrice représentée p. 134 fig. 80. Pour d’autres parallèles,

voir notamment la figurine de nourrice tenant un enfant dans ses bras provenant de Tanagra mais de fabrication probablement attique, env. 300 av. J.-C., n° GR 1911,0416.1, British Museum ; publiée dans BURN, HIGGINS

2001.

502 N° d’inventaire EA 1866,1228.27 ; BAILEY 2008, n° 3527 EA. 503 N° d’inventaire GR 1886,0401.1411 ; BAILEY 2008, n° 3560 GR.

504 Sur ce sujet cf. LECUYER C., Les ateliers de coroplathes aux époques hellénistique et romaine. Production et

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d’Alexandrie et un troisième provenant peut-être de Moyenne Égypte505. Ceci témoigne de la popularité dont jouit l’image de la nourrice au sein du monde hellénistique, qui s’est probablement répandue grâce au succès de ce personnage dans la Nouvelle Comédie.

Les trois derniers exemples de notre corpus concernant les figurines de vieilles femmes disposent d’un contexte archéologique connu puisqu’ils proviennent des fouilles d’Athribis, site du Delta méridional506. Datées de la haute époque ptolémaïque (fin du

IVe s. av. – règne de Ptolémée V)507, ces têtes témoignent du lien qui existe entre

représentations théâtrales et figures du thiase dionysiaque, que nous avons déjà abordé avec la figure du satyre508 : le premier exemple en terre cuite (cat. 56)509, daté du milieu du IIIe s.

av. J.-C., illustre une vieille femme aux cheveux dissimulés sous un sakkos, accompagnée d’une panthère. Si le visage s’inspire par certains traits du type de la vieille nourrice déjà présenté ci-dessus, son style associé à la présence de la panthère située au niveau de son oreille gauche, en retrait, classe indubitablement cette représentation dans l’iconographie dionysiaque et non dans l’iconographie théâtrale. Il s’agirait en effet d’une illustration de la vieille femme ivre au service de Dionysos, personnage bien connu dans l’art alexandrin et romain510. Le deuxième exemple (cat. 57)511, qui fait également référence aux adeptes du culte de Dionysos, a été retrouvé dans une couche datée de la deuxième moitié du IIIe s. av. J.-

C. ; il s’agit d’une tête non cuite, qui aurait vraisemblablement servi de prototype pour la réalisation d’une série de statues512. L’appartenance à l’univers dionysiaque est cette fois indiquée par une couronne de lierres et de fruits maintenant la chevelure de la vieille femme, au visage émacié et ridé, déformé par une bouche grande ouverte. Enfin, le dernier exemple, relevant cette fois des représentations théâtrales, a été identifié comme une tête d’hétaïre513, très abîmée mais dont le style archaïsant évoque les représentations issues de la Comédie Moyenne, qui s’est développée dans la première moitié du IVe s. av. J.-C.

505 Ibid. Les deux figurines provenant d’Alexandrie sont conservées respectivement au Allard Pierson Museum,

Amsterdam, inv. 935 et au Musée du Louvre, Paris, inv. CA 6671 ; celle provenant soi-disant d’Antinoopolis (cf.

supra p. 142 pour les problèmes liés à cette provenance) est conservée au Musée du Louvre, Paris, inv. AM 1506. Elles seraient toutes datées du IIIe s. av. J.-C.

506 SZYMAŃSKA 2005.

507 D’après le découpage chronologique obtenu lors des fouilles du quartier ptolémaïque. SZYMA

ŃSKA 2005,

p. 24.

508 Cf. supra p. 160.

509 SZYMAŃSKA 2005, p. 75, fig. p. 270, pl. II, cat. 10. ; id., « Terres cuites d’Athribis représentant des vieilles

femmes », Matérialy Archeologiczne 27/2, p. 29-37, fig. 1.

510 SZYMAŃSKA 2005, p. 75; BALLET 2011, p. 64-82. 511 SZYMAŃSKA 2005, p. 75-76, fig. p. 270, pl. II, cat. 11. 512 Ibid., p. 76.

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Comme le souligne H. Szymańska, « Il reste à savoir dans quelle catégorie il faudrait ranger ce type de représentation, dont l’inspiration vient très certainement des personnages de vieilles nourrices dans la comédie moyenne et nouvelle : uniquement dans le groupe de représentations cultuelles ou peut-être aussi dans celui des scènes de genre »514. L’auteur ajoute même que ces figurines pourraient également s’inscrire dans le courant des grotesques hellénistiques, où les faiblesses humaines sont traduites de manière expressionniste. À quel groupe typologique faut-il alors les rattacher : théâtral, cultuel, scène de genre, grotesque ? Pour notre part, nous nous garderons bien de ranger ces représentations dans une catégorie plutôt qu’une autre afin d’éviter une vision trop réductrice de ces images ; c’est la multiplicité et le mélange des notions qu’elles véhiculent qui en font la richesse. De plus, les difficultés rencontrées par les spécialistes lorsqu’il s’agit de classer ce type de représentations dans des catégories prédéfinies sont révélatrices des limites inhérentes à ces dernières : les exemples d’Athribis prouvent notamment que séparer les images cultuelles des images dites « profanes » ou « de la vie quotidienne » aurait tendance à nous éloigner de la réalité historique où un tel cloisonnement n’existe pas. Ces représentations de vieilles femmes témoignent d’une part de la persistance du lien originel qui unit le culte dionysiaque et l’apparition du théâtre grec, et d’autre part de l’importance accordée à l’expression de ce lien dans l’Égypte du IIIe s. av. J.-C.

Si l’Égypte a livré quelques exemples de figurines représentant des personnages de vieilles femmes plus ou moins inspirés de la comédie, force est de constater le même vide typologique concernant les jeunes filles que celui déjà noté pour les jeunes hommes. En effet, contrairement aux masques, aucune figurine de jeune fille n’a été clairement identifiée dans le matériel recensé comme appartenant à la Nouvelle Comédie, alors qu’on en trouve plusieurs exemples dans d’autres régions du bassin méditerranéen515. Cette surprenante absence de figurines théâtrales féminines dans les productions égyptiennes demeure très délicate à expliquer ; même si l’on constate également hors d’Égypte que les personnages féminins de la Nouvelle Comédie sont moins représentés que les personnages masculins à l’époque hellénistique, ils constituent néanmoins une partie non négligeable des figurines théâtrales découvertes aussi bien en Grèce qu’en Asie mineure ou encore en Italie du Sud516. Pourquoi

514 Ibid., p. 76.

515 WEBSTER,GREEN,SEEBERG 1995 ; BIEBIER 1961, p. 96-98, fig. 349-360. 516 BURN, HIGGINS 2001 ; BESQUES 1963 ; id. 1971 ; id. 1986.

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l’Égypte a-t-elle fourni si peu de représentations d’acteurs dans un rôle féminin, sachant que ce type est bien attesté dans les masques ?

L’une des causes les plus plausibles serait un problème d’identification lié tout d’abord à l’état fragmentaire des figurines, qui n’ont souvent que la tête de conservée ; reprenons à titre d’exemple le cas des représentations théâtrales et dionysiaques de vieilles femmes, où sur 7 exemples, un seul a le corps préservé. On ne peut donc généralement s’appuyer que sur les traits du visage ou sur la présence d’un masque pour juger ou non du caractère théâtral de la figurine. Si le personnage de la vieille servante ou de la nourrice présente des caractéristiques faciales et une coiffure relativement reconnaissables même sans masque apparent, l’identification du personnage de la jeune fille s’avère encore plus difficile car les traits du visage sont généralement bien moins outranciers, pour ne pas dire réalistes ; il existe donc un risque de confusion avec de simples représentations de jeunes filles. Toutefois, le mauvais état de conservation des figurines féminines n’est pas la seule cause des problèmes d’interprétation : l’évolution des représentations de personnages scéniques vers plus de réalisme doit également être prise en compte. Durant le Ve s. et la 1ère moitié du IVe s.

av. J.-C., correspondant au développement de la Comédie Ancienne et Moyenne, le costume des acteurs jouant un rôle féminin comportait un rembourrage au niveau du ventre, accessoire déjà mentionné plus haut pour le personnage de l’esclave517. Plusieurs représentations de cette époque attestent en effet la présence de cet embonpoint factice, apparaissant sous les plis du

chiton ou de l’himation518. Il constitue ainsi un critère fiable pour définir la nature théâtrale d’une figurine féminine. Comme nous l’avons déjà mentionné, la Nouvelle Comédie va modifier ces conventions en supprimant ce rembourrage sauf pour les esclaves qui le conserveront jusqu’à la fin de l’époque hellénistique. Afin de respecter ces nouveaux codes visuels, les représentations féminines d’acteurs vont donc progressivement perdre à partir de la fin du IVe s. av. J.-C. l’un de leurs principaux critères de distinction. Parmi les autres

critères déjà abordés pour les autres personnages, la présence d’un justaucorps sous le costume est difficilement perceptible pour les femmes car elles portent souvent un vêtement long, couvrant quasiment l’intégralité du corps. Une attitude ou une expression que l’on pourrait qualifier de dramatique n’est pas non plus un indice fiable car outre la subjectivité qu’implique ce type de jugement, on risquerait d’accorder par erreur une nature théâtrale à bon nombre de représentations de jeunes filles, en particulier parmi les Tanagréennes

517 Cf. supra p. 165.

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alexandrines519. Même si ces dernières trouvent en partie leur origine dans le répertoire scénique de la Nea520, comme nous l’avons vu avec la vieille nourrice, les Tanagréennes ne peuvent être considérées comme des images théâtrales tant d’un point de vue stylistique que fonctionnel. Il ne reste par conséquent que le port visible d’un masque scénique pour définir une figurine comme étant une jeune fille de la Nouvelle Comédie ; or, aucun exemple n’a pu être attesté avec certitude dans l’ensemble de la documentation consultée.