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un état de l’art interactionniste

3 Les conduites explicatives-justificatives : définitions

3.3 Types d’explications et de justifications

Bien que d’autres typologies aient été présentées dans la littérature, nous pouvons reconnaître deux familles principales de typologies. La première cherche à établir des typologies en se basant sur le type de « contenu propositionnel » des

explanantia et la deuxième famille dégage des types d’explications en fonction de

la question virtuelle qui relie l’explanandum et l’explanans.

Dans la première famille typologique nous pouvons dégager deux grandes sous- catégories : les explications causales vs. finales et les explications du dit vs. du dire (de re ou de dicto) .

La première distinction entre explanantia causaux et finaux s’enracine dans les travaux des premiers philosophes. En fait, depuis la discussion sur la αἰτία  13

discuté par les philosophes de la Grèce antique (pour une exposition plus vaste cf. Broadie, 2010), différents auteurs ont proposé des typologies pour classer les discours causaux ainsi que les explications. On évoquera ici uniquement les quatre catégories fondamentales de causes proposées par Aristote:

a) Les causes efficientes: il s’agit de causes immédiatement précédentes (l’action d’un sculpteur cause l’existence d’une statue).

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αἰτία signifie “cause” en grec ancien (Dizionario illustrato greco-italiano, Lidell & Scott, édité par Catuadella, Manfredi et Di Benedetto, 1975 (1995)) mais également raison, responsabilité et accusation.

b) Les causes matérielles : ces causes impliquent la substance de la chose qui doit être expliquée (le marbre est le matériel cause de cette statue).

c) Les causes formelles: (le projet pour la statue accomplie).

d) Les causes finales: les propositions (la statue donne lieu à un nombre plus grand de beaux objets en Grèce).

Ces distinctions ont été reprises par Sbisà (1989), qui base sa démarche sur les travaux de Wright et Henrik (1971) et qui distingue quatre types d’explications: causale, téléologique (finales), quasi-téléologique et quasi-causale. Ces types se basent sur l’analyse des conditions suffisantes et nécessaires. Ainsi les explications causales qui exploitent des rapports de condition suffisante ont un pouvoir prévisionnel, comme dans « le terrain est mouillé parce qu’il a plu » (Sbisà, 1989 : 73, notre trad.).

Les explications téléologiques se caractérisent par le fait que entre explanandum et explanans se créent des liens de condition nécessaire et/ou suffisante. Cependant la validité de l’explication ne relève pas de la validité de la connexion mais du fait que celle-ci ait joué un rôle dans le comportement intentionnel de l’agent comme par exemple dans l’explication « il courait pour prendre le train » (Sbisà, 1989 : 74 notre trad.).

Les explications quasi-téléologiques au contraire se définissent par une condition nécessaire. De plus dans ce type d’explication, l’explanandum et l’explanans ont une position différente de celle qu’ils ont dans l’explication causale. En effet, dans les explications quasi-téléologiques c’est la condition à être exposée comme étant l’explanans :

« En une personne engagée dans une activité musculaire lourde, les poumons accélèrent les mouvements respiratoires pour conserver l’équilibre de la composition chimique du sang » (Sbisà, 1989 : 74, notre trad.)

Finalement, dans les explications quasi-causales le locuteur vise à comprendre une action ou la raison pour laquelle cette action s’est produite. Ces explications sont considérées comme quasi-causales parce que si c’est bien une cause qui est amenée, il n’y a pas une réelle relation nomique. Dans le cas de « il a hurlé parce qu’il avait mal » (Sbisà, 1989 :75, notre trad.), le locuteur donne une motivation au fait qu’une personne a hurlé, qui, bien qu’exprimée sous forme d’explication causale, pourrait avoir une intention téléologique.

Sbisà remarque également une relation entre le type d’explanandum et le type d’explication. En fait, seules les explications téléologiques et quasi-causales permettent d’expliquer, en plus que ce qu’une proposition linguistique signifie, les raisons et les motivations de l’accomplissement de ce même acte. Les

explananda se positionnent en fait de manière complexe au niveau de l’énoncé et

de l’énonciation (cf. Jakobson, 1963).

Étudiant des interactions mère-enfant, Callanan et al. (1995) proposent également de classer les explications en trois catégories basées sur les types de causes: les explications qui se basent sur des causes préalables (prior cause en anglais) qui sont des causes directes qui ont eu lieu avant l’événement expliqué (ex : “he’s

crying because Susie hit him”) ; les prépositives (purposive) qui se focalisent sur la

conséquence en tant que fonction ou proposition pour un comportement (ex: “she

pushed the car so it would roll down the hill”) et finalement des explications

interprétatives qui donnent des raisons qui justifient le fait de croire quelque chose comme étant vrai (ex. : “it must be raining because the patio is wet”).

La deuxième grande distinction est celle qui s’articule autour de la dichotomie de

dicto – de re qui trouve ses orignes dans les travaux de Frege et Quine. Pour ne

citer qu’un travail récent, Gross et Nazarenko (2004) montrent en fait que « l’opposition fondamentale est celle qui sépare la cause du « dire » de la cause du « dit », ce qui invite à mieux caractériser les deux sphères de l’objectif et du subjectif, de l’explication et de la justification » (p.49). Les explications d’un fait (ou du « dit » ou de re) relient deux contenus tandis que les explications d’une énonciation (ou du « dire » ou de dicto) justifient un acte énonciatif. Ainsi dans la première catégorie rentrent des exemples comme « le terrain est mouillé parce

qu’il a plu » et dans la deuxième catégorie les cas qui impliquent le locuteur en tant qu’énonciateur comme dans « je t’ai posé cette question parce que je me suis perdu ».

De leur côté, Kyratzis, Guo et Ervin-Tripp (1990, cf. également Sweetser, 1990 et Zufferey, 2006) ont décrit les fonctions du connecteur because chez l’enfant en dégageant trois emplois principaux : des emplois de justification d’un acte de langage (ex : prends mon sac parce que je dois ouvrir la porte), des emplois de

contenu (qui marquent une relation entre deux événements, ex : il mange parce qu’il a faim) et des emplois qui permettent de marquer une relation épistémique (ex : ça doit être un ours parce que / puisqu’il adore le miel). Ainsi, Zufferey (2006)

propose que les types « acte de langage » et « épistémique » relèvent d’une usage interprétatif, et plus particulièrement le premier type d’un usage

métacommunicatif et le deuxième d’un usage métagnitif.

La deuxième grande famille de classification se base sur la question (virtuellle ou explicite) à laquelle un énoncé répond. Nous n’allons exposer ici que les classifications qui ont été conçues pour caractériser le langage des enfants.

Donaldson (1986) propose quatre types d’explications définis sur la base d’une question et de l’aspect expliqué.

 Ainsi elle présente des explications empiriques qui répondent à une question en « pourquoi » glosable par « qu’est-ce qui a causé ça » et qui expliquent notamment des éléments ou des états en termes d’événements ou états temporellement précédents (« il mange parce qu’il a faim »);

 des explications intentionnelles qui répondent également à une question en « pourquoi » mais glosable en « pour quelle finalité ? » et qui expliquent donc des actions ou des éléments (souvent futurs) avec des buts ou des intentions (« il ne mange plus rien pour maigrir ») ;

 des explications déductives qui répondent à une question en « comment tu sais que ? » qui justifient donc une idée, un concept ou un jugement sur une conclusion ou autre acte mental qui demande une justification (ex : « il a dû faire un régime parce qu’il a tellement maigri ») ;

 et finalement elle propose des explications procédurales qui répondent à des questions en « comment je fais pour » et qui explicitent les étapes à effectuer pour parvenir à un but. (« pour faire une bonne bolognaise il faut avant tout faire revenir des oignons, de l’ail, du céleri et des carottes dans une cuillère d’huile, etc. »).

Sur la base de la typologie de Donaldson (1986), Barbieri et al. (1989, 1990) partent également de la question à laquelle une explication répond pour les classifier. Elles proposent ainsi des explications en why (pourquoi) mais également des what-explanations et des how-explanations..

Les explications en pourquoi donnent les causes ou des raisons finales qui peuvent expliquer des faits ou des actions (langagières) des participants. Ainsi cette catégorie regroupe d’un côté les explications causales et finales que nous avons décrites plus haut et de l’autre les explications de contenu (comme dans l’exemple 4) et les justifications d’acte de langage (comme dans l’exemple 5).

Exemple 4 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

Cristina (à Dario en parlant d’une poupée) La bambina non può bere il latte, non può bere il latte / perché é a dieta. (La gamine ne peut pas boire de lait, [pro] ne peut pas boire de lait parce qu’elle est au régime).

Exemple 5 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

Silvia (à Serena). Aspetta / non ho finto. (attends je n’ai pas fini)

Les what-explanations répondent à la question « c’est-à-dire ? » ou « qu’est-ce

que c’est ? » (comme dans « explique moi ce qu’est ce jeu » et font référence à

des objets, des actions humaines ou des expressions verbales. Ces explications spécifient (angl. : to state) le type ou les caractéristiques de l’objet ou de l’action en question (comme dans l’exemple 6). Elles clarifient en particulier le point de vue avec lequel l’objet doit être considéré. Elles peuvent également clarifier le sens d’une action non verbale (comme dans l’exemple 7). Ce type d’explications peut être mis en relation avec les explicitations (Salazar Orvig, 2008).

Exemple 6 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

((Serena et Silvia sont en train de frapper des mains sur la table. Carmela les imite. Serena et Silvia la regardent))

Serena ((à Silvia)) / Carmela vuole fare come noi. (Carmela veut faire comme nous.)

Exemple 7 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

Carmela ((à Silvia en lui montrant une image d’un coq)) Qui ! ((indica)) Piri pi pi ((imitando il verso del gallo)) (ici ! ((pointe)) Cocorico ((en imitant le bruit du coq))

Silvia /un gallo . ( un coq)

Les how-explanations (les déductives de Donaldson, 1986) répondent quant à elles à la question « comment ? ». Dans leur articulation en « comment tu sais ça », elles deviennent ainsi la preuve (angl. evidence) d’un jugement sur une action humaine (exemple 8) ou d’une affirmation (exemple 9). Ces explications s’apparentent également de très près aux explications épistémiques telles que les ont définies Kyraztis et al. (1990).

Exemple 8 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

((Cristina a vu que Dario a pris le bouchon de sa bouteille))

Cristina : ((en pleunichant)) Ah, l’hai preso tu, eh ? Furbo ! (c’est toi qui l’a pris, petit malin)

Exemple 9 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

((Serena prend une pièce d’un puzzle))

Serena ((à Silvia)) Veh ! un leopardo ((regarde ! un léopard))

Silvia ((à Serena)) Questo qua é un leone, / ha la bocca grande ((c’est un lion, il a une grande bouche))

Sur la base de ces typologies, Veneziano et ses collaborateurs (Veneziano, 2001; Veneziano & Hudelot, 2002, 2005; 2009; Veneziano & Sinclair, 1995) gardent dans leurs CEJ (les conduites explicatives-justificatives), dont il a été question plus haut, uniquement les explanantia qui répondent à une question en pourquoi.

Il faut préciser que les explications que Barbieri et al. (1990) classifient de « how » peuvent être produites suite à une question en pourquoi. Dans l’exemple (fictif) 10 nous pourrions imaginer que suite à l’affirmation regarde ! c’est un léopard,

l’interlocuteur réponde par une question pourquoi ? et que le premier intervenant réponde à son tour parce qu’il a des tâches noires.

Exemple 10 (Barbieri et al., 1990: 252, notre trad.)

Loc 1 regarde! C’est un léopard Loc 2 pourquoi ?

Loc 1 parce qu’il a des tâches noires

Par ailleurs Barbieri et al. (1990) précisent que leurs explications en comment ne sont qu’un cas spécifique des explications en pourquoi. Dans nos analyses (nous y reviendrons dans le chapitre 9) nous allons combiner ces deux types d’explications en pourquoi et en comment en un seul type. Cette démarche aura l’avantage d’avoir une première catégorie d’analyse plus large qui sera différenciée par la suite.

Ces types d’explications présentent des traits distinctifs qui permettent de les séparer, ils possèdent également des traits communs qui nous permettent de toutes les regrouper sous l’étiquette d’explication: elles « relèvent d’un changement de plan qui manifeste une réélaboration de la signification » (Hudelot, Préneron & Salazar Orvig, 1990 :248).

En plus, les différents types d’explication ou justification sont apparentés par le fait que les trois fournissent une raison à un événement passé ou futur ou à une conclusion/déduction et ils s’opposent en cela aux explications procédurales de Donaldson (1986) qui répondent à la question comment faire (Simon, 2009).

Ces typologies permettent également aux auteurs de délimiter leur champ d’investigation et rentrent parfois dans les critères mêmes d’identification d’une explication. Les différentes propositions peuvent se chevaucher et soulèvent d’autres questions, notamment celle de la délimitation des notions d’explication et de justification.

3.4 Peut-on délimiter les notions d’explication et celle de