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un état de l’art interactionniste

3 Les conduites explicatives-justificatives : définitions

3.7 Explications, justifications et troubles du langage

Si l’acquisition et le développement des conduites explicatives a plus largement été prise en compte par des chercheurs travaillant tant sur l’acquisition de la première langue (Hudelot, Salazar Orvig, & Veneziano, 2008) que sur l’acquisition d’une langue seconde (Fasel Lauzon, 2008; 2009), leur gestion de la part de dyades mère-enfant présentant des troubles de développement du langage n’a été, à notre connaissance, que très peu étudiée (Veneziano & Hudelot, 2005).

Comme nous l’avons vu en filigrane dans les sections précédentes, les explications et les justifications nécessitent de nombreuses compétences pragmatiques, socio-cognitives et interactionnelles. Ces conduites sont par exemple indispensables pour interagir de manière adéquate lors d’une résolution de conflits, situation qui se trouve être des expériences inévitables dans la vie d’un être humain et qui demande la prise en compte du point de vue d’autrui pour les résoudre (Shantz, 1986). Pour cette raison (cf. par exemple Veneziano & Hudelot, 2002), les explications et les justifications sont des bons indices qui permettent

d’observer la ToM en action. Dans ce sens, les explications et les justifications s’insèrent dans l’utilisation du langage de manière appropriée à la situation communicative et au contexte discursif. Pour ces raisons, comme le notent Stevens et Bliss (1995), des enfants qui auraient des difficultés d’ordre sociocognitif ou des difficultés à utiliser des formes linguistiques et discursives appropriées pourraient avoir également des difficultés dans la gestion de certaines situations à forts enjeux sociaux comme les résolutions de conflits. Selon Prinz et Ferrier (1983) le manque de certaines formes (notamment les modaux et les phrases complexes) nécessaires pour la résolution de conflits pourraient déterminer les difficultés dans ce genre de situations des enfants avec des difficultés langagières. À l’inverse, Craig (1991) pense que ces difficultés pourraient être expliquées par les difficultés que ces enfants rencontrent à intégrer formes et fonctions et donc à employer certaines formes dans des contextes sociaux.

Loucks (1987), comme le reportent Stevens et Bliss (1995), a été le premier à s’intéresser spécifiquement à la résolution de conflits dans des interactions entre pairs avec un enfant avec TDL. Elle a étudié deux enfants (une fille et un garçon) lors de disputes à l’école avec des enfants typiques en observant que les enfants avec TDL avaient davantage recours à des comportements non-verbaux (y compris la défense physique d’un objet) et que les enfants typiques avaient davantage recours à des stratégies verbales comme des justifications ou des insultes.

Stevens et Bliss (1995) ont analysé davantage d’enfants (30 enfants par groupe) entre 9 et 11 ans. Ils ont proposé aux enfants de participer à trois jeux de rôle et les dyades ont été formées sur la base des compétences langagières (TDL avec TDL et typiques avec typiques) et sur la base de l’âge chronologique (les 9 ans avec les 9 ans et les 11 ans avec les 11 ans). Les enfants avec TDL montrent un profil similaire aux enfants typiques dans la tâche de role enactement tandis qu’ils présentent un profil spécifique dans la tâche de contextes hypothétiques. Dans cette tâche, les enfants avec TDL présentent moins de stratégies coopératives que le groupe contrôle et ces derniers semblent moduler davantage leurs stratégies que les enfants avec TDL. Pour ce qui nous intéresse le plus dans ce travail, les enfants avec TDL, et en particulier les plus jeunes, utilisent

significativement moins de stratégies persuasives et explicatives que leurs pairs typiques.

Marton, Abramoff et Rosenzweig (2005), qui ont étudié des enfants avec TDL

entre 7 et 10 ans en les comparant avec des enfants de même âge chronologique, et Horowitz et al. (2006), qui ont étudié des enfants entre 4 et 7 ans également appariés avec des enfants de même âge chronologique, ont retrouvé des résultats similaires. Les enfants avec TDL semblent en fait utiliser davantage de stratégies de négociation ou de résolution de conflit inappropriées ou quantitativement moins fréquentes.

Concernant des travaux spécifiquement axés sur le discours causal, Donaldson, Reid et Murray (2007) de leur côté ont pris en compte la production des connecteurs causaux d’enfants avec TDL entre 5 et 7 ans. Leur étude part de l’hypothèse que les enfants avec TDL semblent avoir des difficultés liées à la représentation des séquences d’événements et des difficultés à établir les inférences correctes. En effet, leur mémoire pour les détails factuels pourrait présenter des dysfonctionnements (Bishop & Adams, 1992 ; cf. également Ellis Weismer 1985 ; Craig & Chapman, 1987). De plus, toujours selon Donaldson et collaborateur (2007), la vitesse de traitement plus lente affichée par les enfants avec TDL par rapport aux enfants typiques (Miller et al., 2001) pourrait influencer les « full causal sentences (i.e. two clauses linked with a causal connective), as

opposed to when they are required to produce only a single clause in response to a causal question » (Donaldson et al., 2007 :158). L’expérimentation mise en

place par ces auteurs compte quatre parties : une réponse à des questions causales sur des images, une tâche de complétion de phrases causales initiées par le chercheur, une tâche d’imitation de phrases produites par l’observateur et une production de phrases causales complètes. 30 enfants avec un trouble du langage et 30 enfants typiques appariés selon l’âge chronologique ont passé ces épreuves. Les analyses ont montré que les enfants avec un développement typique et un développement pathologique utilisent ce type de construction avec la même fréquence, mais le choix des connecteurs des enfants avec TDL semble être beaucoup moins approprié sémantiquement. Si pour les deux groupes le type d’erreur le plus fréquent a été l’inversion de la relation cause-effet le groupe des

enfants avec TDL présente un taux absolu plus haut que le groupe contrôle, ce qui pourrait signaler une certaine difficulté de la part de ces enfants à ordonner les propositions dans une phrase causale. Un autre résultat intéressant mis en avant par cette recherche est que les deux groupes d’enfants ont rencontré davantage de difficultés dans les situations de production autonome (la production de phrases complètes) que dans un prompted context. Les enfants avec TDL semblent donc avoir les bases pour construire des explications « in that they have

causal connectives in their repertoire and are not impaired in their ability to produce causal connectives when prompted with a why question. » (Donaldson et

al, 2007:179). Il est également intéressant de préciser que les enfants avec TDL semblent être plus adéquats d’un point de vue sémantique lorsque les questions étaient marquées avec un connecteur causal.

Concernant l’emploi du connecteur because nous avons des informations qui viennent de l’étude de cas de Schuele et Dykes (2005) que nous avons présentée plus haut. MM, un enfant avec TDL, produit ce connecteur pour la première fois à 4;08 ans (MLU 3.16) et il s’agit du connecteur le plus utilisé par cette enfant parmi tous les connecteurs subordonnants. Elle utilise ce connecteur tant en réponse à une question en pourquoi (donc dans une clause simple) que pour relier deux clauses.

Mainela-Arnold et al. (2006) ont analysé les explications données par des enfants avec TDL dans le cadre d’une étude sur la compréhension des tâches de conservation. Si globalement les enfants ont montré des difficultés dans ce type de tâches, il est intéressant de noter, en ce qui concerne les explications, que les enfants TDL expriment moins d’explications internes (fournissant des raisons comme la réversibilité ou une règle générale ou une hypothèse) en privilégiant davantage des caractéristiques externes.

Veneziano et al. (2005) ont analysé les explications des enfants avec TDL de 6 à 11 ans dans une tâche de narration monogérée composée de trois phases : une première phase dans laquelle l’enfant raconte une histoire à partir d’images, une phase d’étayage (dans laquelle l’observateur pose des questions aux enfants qui portent sur les raisons des événements centraux de la narration) et une phase dans laquelle l’enfant raconte à nouveau l’histoire. Ces auteurs ont montré que les

enfants avec TDL ne produisent qu’un nombre limité d’explications dans leurs narrations. En particulier, et contrairement aux enfants typiques, les enfants avec TDL ne présentent pas une augmentation significative du nombre d’explications suite à la phase d’étayage.

Cependant, Le Normand, Veneziano, Scripzac et Testagrossa (2011) en étudiant les effets de deux modes d’intervention auprès d’enfants avec TDL de 9-10 ans ont pu montrer que les enfants avec TDL, comme les enfants typiques, s’améliorent globalement dans leur narration après les conditions « conversation sur les causes » (l’expérimentateur pose des questions sur les causes et sur les événements de l’histoire) et « modèle d’histoire » (l’expérimentateur raconte l’histoire à l’enfant) et ne s’améliorent pas dans la situation contrôle. Pour ce qui nous intéresse le plus dans cette section, les enfants avec TDL, après les deux types d’interventions produisent significativement plus d’explications rétroactives que les enfants typiques du groupe contrôle. Ces améliorations se maintiennent dans une troisième narration effectuée une une semaine après les deux premières narrations. Ces résultats indiquent que les enfants avec TDL « possèdent bien des compétences de type évaluatif mais elles ne se manifestent pleinement que dans des situations particulières. » (p.219).

Synthèse du chapitre

Dans ce chapitre nous avons vu que les explications et les justifications sont des conduites situées dans des contextes socio-culturels spécifiques. Ces conduites se présentent avec une structure en trois phases, dont les deux premières sont nécessaires (explanandum et explanans) tandis que la troisième (la clôture n’est pas toujours exprimée)ne l’est pas. Elles ne sont pas forcément reliées par un connecteur et plusieurs types d’explications et de justifications ont été mis en évidence. Nous avons également vu qu’elles peuvent être traitées comme une seule conduite compte tenu de leur nature.

Leur développement, progressif, commence vers 22 mois (quand elles apparaissent dans des situations potentiellement conflictuelles) et ne s’achève pas avant 10-12 ans. Peu de travaux ont été faits sur l’usage des explications et des justifications chez des enfants avec TDL, mais il semblerait que ces enfants présentent des difficultés dans leurs utilisations (notamment lorsqu’ils doivent produire des énoncés avec deux clauses).

Nous allons exposer dans le chapitre qui va suivre la problématique, les questions de recherche ainsi que les hypothèses générales qui ont guidé notre recherche.

4 Problématique et hypothèses