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un état de l’art interactionniste

2 Les troubles spécifiques du développement du

2.4 TDL et la prise en compte d’autru

Nous allons présenter dans cette partie le rapport entre le langage et la prise en compte d’autrui. Les auteurs se référent souvent à la notion de théorie de l’esprit (ToM). Ce type de réflexions est relativement récent dans l’étude de la pathologie du langage.Avant de présenter les principales recherches dans ce domaine, il est nécessaire d’apporter quelques précisions.

La théorie de l’esprit (Premack & Woodruff, 1978 ; Wimmer & Perner, 1983 ; Leslie et Frith, 1988, inter alia) est une notion fréquemment évoquée dans des travaux scientifiques de natures très différentes. Si l’étiquette reste la même8, tout comme ses principaux traits définitoires, elle renvoie à des traditions et des conceptions très différentes. Généralement, la théorie de l’esprit est considérée comme le processus cognitif permettant à un individu d’attribuer des états mentaux à autrui et à soi-même. Comme le souligne Plumet (2008 : 10), « le terme théorie renvoie à l’idée selon laquelle l’enfant élabore un système interprétatif qui comme toute théorie lui sert à expliquer et prédire des phénomènes dans un certain domaine, bien qu’il s’agisse ici d’une théorie intuitive, naïve et non d’une théorie d’expert ».

L’enfant (ou l’adulte) peut attribuer des états mentaux de premier ordre (directes, comme « Marie est triste »), de deuxième ordre (comme « Marie pense que Pierre est triste ») ou d’ordre supérieur. Les attributions de premier ordre commencent à se mettre en place vers 4-5 ans et se stabilisent vers 6 ans tandis que les attributions de deuxième ordre sont maîtrisées plus tard dans le développement (vers 8-9 ans) (Frith, 1989 ; Gattegno, Adrien, Blanc & Ionescu, 1999). Comme le remarque Plumet (2008), ces données sont vraisemblables lorsque lon s’approche de la ToM avec un regard modulariste (Fodor, 1983). Dans ce sens, une tâche est réussie ou non-réussie (en termes exclusifs) et la réussite serait l’indice de la

maturation du module cérébral donné. La ToM serait donc selon certains un module spécialisé qui arrive tardivement à maturation.

En privilégiant une approche plus constructiviste ou interactionniste, certains chercheurs se sont démarqués d’une logique d’acquisition binaire (acquis / non- acquis) pour considérer le développement de la théorie de l’esprit comme un enchaînement de développements progressifs (Plumet, 2008). Cette logique binaire est induite par le type de tâche qui est traditionnellement employé pour évaluer la ToM : des tâches de fausse croyance. La nature de cette tâche et son évaluation en réussite/échec pourraient, en fait, induire une conceptualisation de la ToM comme un processus qui « apparaît » à un moment donné dans le développement de l’enfant. Par ailleurs, Nelson et al. (2003) questionnent ces tâches en se demandant si l’enfant a réellement besoin d’une théorie ou du concept d’esprit pour les résoudre.

Un autre point qui remet en question une vision modulariste de la ToM est le

hiatus entre, d’une part, la prise en compte de l’autre dont les enfants sont

capables avant trois ans dans des études observationnelles en contexte écologique et, d’autre part, les résultats qu’ils obtiennent dans des tâches de fausse croyance, ces tâches n’étant réussies que vers quatre ans ou plus tard. Or, les enfants prennent en compte, au moins de manière implicite, la présence d’autrui et de ses états mentaux dans leurs interventions verbales autour de 18-24 mois (Dunn, 1988 ; Dunn et al., 1991 ; Veneziano & Sinclair, 1995), c’est-à-dire bien avant qu’ils ne réussissent des épreuves de fausse croyance.

On peut ainsi considérer l’existence d’une ToM en action ou implicite qui constituerait la base sur laquelle une ToM plus explicite serait construite (Veneziano, 2002).

D’autres chercheurs comme Nelson et al. (2003) remettent radicalement en cause la formulation « acquérir la théorie de l’esprit ». Ces auteurs défendent la notion expériencielle de « entering a community of mind », et ce parce que « entering

involves coming into a new place from where one was previously ; here the place is community, that is, a space occupied by people who are related by common purposes and understanding » (p. 25).

Ces precisions faites, nous pouvons revenir au rapport entre TDL et prise en compte d’autrui.

Les recherches dans ce domaine avec des enfants avec TDL sont encore rares et leurs résultats semblent être parfois divergents. Dans les premières études sur le sujet (Leslie et Frith, 1988 ; Perner et al., 1989), les enfants avec TDL obtiennent de meilleurs résultats que les enfants avec autisme. Ceci est confirmé pour des enfants présentant des désordres de type phonologique-syntaxique (Shields et al. 1996 ; Ziatas et al., 2003), même si les enfants avec TDL semblent parfois montrer des résultats plus bas que les enfants avec un développement typique. À l’inverse, les enfants présentant un syndrome sémantico-pragmatique ne se différencient pas des enfants avec autisme dans des tâches de fausse croyance et de déception. Contrairement à ces études, des recherches plus récentes montrent que les enfants avec un trouble phonologique-syntaxique ne réussissent pas davantage que les enfants avec autisme des tâches évaluant la ToM (Gillott et al., 2004). Les auteurs expliquent cette différence, d’une part, par le fait que les « Strange Stories » complexes utilisées dans leur design expérimental pourraient davantage faire ressortir les difficultés des enfants avec TDL que les tâches de ToM de premier et deuxième degrés utilisées dans les recherches précédentes, et, d’autre part, par le fait qu’il pourrait s’agir d’un effet secondaire des difficultés langagières. Ceci serait cohérent avec les résultats obtenus par Miller (2001) qui montrent que les difficultés des enfants avec TDL corrèlent fortement avec le niveau de complexité linguistique de la tâche. Il est important de signaler qu’une forte hétérogénéité a été observée dans le groupe des enfants avec TDL.

Cette discussion nous amène à nous poser la question de la relation causale entre le développement du langage et le développement de la ToM. Si la corrélation entre langage et ToM a pu être vérifiée à plusieurs reprises (ex : Huges & Dunn, 1997 ; Jenkins & Astington, 1996), la direction de la causalité dans cette corrélation a demandé des expérimentations supplémentaires. Ainsi, Astington et Jenkins (1999) ont montré dans le cadre d’un suivi longitudinal que les compétences sémantiques et syntaxiques à 3 ans permettent de prédire les compétences de la ToM à 7 ans, le contraire n’étant pas vrai. Ceci supporte l’idée que le langage joue un rôle causal et déterminant dans le développement de la

ToM. Cette hypothèse est confirmée par le « training study » de Lohmann et Tomasello (2003). Comme le signalent Farrant et al. (2006), le fait que la ToM des enfants avec TDL semble être en retard par rapport à celle des enfants typiques soutiendrait également cette hypothèse. Farrant et collaborateurs (2006) ont pu confirmer que les enfants avec TDL ont des résultats significativement plus bas dans des tâches d’évaluation de la théorie de l’esprit par rapport à un groupe contrôle d’enfants appariés selon l’âge chronologique, et qu’à cela s’ajoutent des difficultés dans la prise de perspective visuelle (Visual Perspective Taking). Ces résultats semblent aller dans la direction de la « Simulation theory » de Harris (1996) qui propose que le langage facilite le développement de la compétence à prendre la perspective d’une autre personne (visuelle ou mentale), la conversation impliquant un changement constant de points de vue. L’hypothèse selon laquelle les capacités de compréhension des perspectives visuelles pourraient être la source de capacités de compréhension des perspectives conceptuelles semble trouver une confirmation dans l’étude de Courtin (1999), qui compare les résultats obtenus par des enfants entandants à une épreuve de fausse croyance à ceux obtenus par des enfants sourds de parents sourds-signeurs. Courtin teste l’hypothèse selon laquelle les caractéristiques de la langue des signes pourraient favoriser la confrontation de l’enfant avec des perspectives visuelles multiples et avoir ainsi un impact positif sur le développement des habiletés nécessaires à réussir une tâche de fausse croyance. Les résultats de son étude confirment cette hypothèse en mettant également en évidence le rapport étroit entre environnement et développement cognitif.

Farrant et al. (2006) ont montré que les enfants avec TDL présentent également des difficultés dans l’engagement socio-émotionnel, dans l’attention conjointe et dans l’imitation par rapport à des enfants avec un développement typique. Ces résultats corroborent l’idée que les enfants avec TDL auraient plus de difficultés lorsqu’ils ne se trouvent pas dans une situation de connaissances partagées (cf. Uzé & Stonehouse, 1996). Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut (de Weck, 2005b ; Ingold et al., 2005 ; Jullien, 2008), dans une tâche de narration individuelle à partir d’images, les enfants avec TDL produisent davantage d’introductions inadéquates que les enfants du groupe contrôle. Par ailleurs, la différence entre

les deux groupes est plus importante lorsque la tâche est effectuée avec un locuteur non-informé que lorsqu’elle l’est avec un locuteur informé.

Cette difficulté à s’adapter à l’interlocuteur est confirmée par une étude de Salazar Orvig, de Weck, Basselier et Henri (2007). Cette étude a évalué l’adéquation des indices produits par des enfants avec TDL avec celle des indices donnés par des pairs d’âge typiques dans une activité de devinettes par indices, dans laquelle les enfants doivent donner des indices pertinents à leur mère pour qu’elle devine un item représenté sur une carte. Les spécificités montrées par les enfants avec TDL soutiennent l’hypothèse que ces derniers auraient des difficultés à s’ajuster à la perspective de leur interlocuteur, que ce soit dans leur première tentative de fournir un indice que dans les tentatives successives faisant suite à une remarque de leur interlocuteur portant sur l’insuffisance de leur proposition.