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un état de l’art interactionniste

2 Les troubles spécifiques du développement du

2.5 Les adultes face aux enfants présentant des TDL

Selon de Weck et Salazar Orvig (2006), il est évident que les parents sont les principaux partenaires des cliniciens. De plus, la place des parents a fortement changé au fil des années dans le cadre des interventions logopédiques. Si, pendant longtemps, les interventions thérapeutiques étaient essentiellement centrées sur l’enfant, la situation est désormais différente : « les professionnels accordent aujourd’hui une place beaucoup plus centrale aux parents, que ce soit dans la phase de consultation et/ou dans celle du traitement proprement dit » (de Weck & Salazar Orvig, 2006).

Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, l’adaptation des mères semble en fait varier selon plusieurs facteurs. L’une des questions que les chercheurs intéressés par le sujet se sont posées et se posent fréquemment est la suivante: est-ce que l’étayage d’une mère est le même face à des enfants présentant ou non des TDL ?

Les résultats obtenus par les auteurs qui se sont penchés sur cette question sont contradictoires (voir pour une synthèse de Weck, 2001 ; 2010). Certains auteurs considèrent que les mères des enfants avec TDL proposent à leurs enfants des stratégies étayantes quantitativement et qualitativement différentes de celles

proposées par les mères d’enfants typiques (Bondurant et al., 1983 ; Piérart, 1990 ; Moseley, 1990 ; Nelson & al., 1995 ; Conti-Ramsden & al., 1995 ; Piérart & Leclercq, 2005), alors que d’autres affirment le contraire (Rondal, 1983 ; Conti- Ramsden & Friel-Patti, 1983, 1984 ; Conti-Ramsden, 1990 ; Whitehurst & al., 1988 ; Rescorla & Fechnay, 1996).

De Weck (2010) propose l’idée selon laquelle les résultats divergents pourraient s’expliquer, d’une part, par le fait que les troubles étudiés sont très hétérogènes, et, d’autre part, par le type de groupe contrôle pris en compte (pairs d’âge chronologique vs. pairs d’âge linguistique).

D’autres recherches pointent le fait que des différences seraient observables plutôt au niveau de la conversation (notamment en qui concerne la prise de tour de parole, Vigil & al., 2005 et l’usage des expansions et des extensions, Paul & Elwood, 1991) qu’au niveau quantitatif (Vigil & al., 2005 ; Paul & Elwood, 1991).

Selon de Weck (2001), dans une situation de dialogue injonctif, les adultes s’adaptent aux enfants en fonction des capacités linguistiques de ces derniers mais indépendamment de l’âge chronologique. Il semblerait que dans une situation de ce type, « ce [ne soit] pas la nature des stratégies d’étayage en tant

que telle qui diffère, mais le type de formes utilisées ». Dans ce sens, « les adultes sélectionnent des priorités dans leurs interventions vis-à-vis des différents enfants, afin que l’activité langagière puisse se réaliser et réussir » (de Weck, 2001 : 369).

Ce constat rejoint les positions de Bruner (1983) à propos de l’adulte qui est le garant de la réussite de l’activité et de Mc Tear et Conti-Ramsden (1996) à propos du « réglage minutieux » du langage des adultes.

Dans le cadre du projet du FNS « Interactions mère-enfant en situation logopédique », les équipes de de Weck et Salazar Orvig (cf. par exemple : Bignasca & Rezzonico, 2010 ; Ingold et al., 2008) ont proposé une distinction entre les stratégies facilitant le niveau de la forme linguistique et celles portant sur l’activité en cours. Elles ont ainsi pu reconnaître sept formes d’étayage linguistique (exemples tiré de Ingold et al., 2008, p. 73) :

 Les reformulations reprennent en les modifiant des propos antérieurs. Elles peuvent être phonologiques, lexicales, syntaxiques ou énonciatives.

Exemple 1 (reformulation phonologique) : Enfant - des [p]

Mère - oui je pense que c’est des pommes

 Les demandes de dénomination.

Exemple 2 : Mère - i(l) voit passer un quoi ? c’est quoi ? =((pointe))

Enfant - Un char.

 Les propositions de dénomination : la mère fournit une dénomination sans que ce soit une correction.

Exemple 3 : Enfant - oui// c’est

Mère - c’est un épouvantail !

 Les ébauches : la mère fournit un ou plusieurs phonèmes permettant à l'enfant de trouver un mot.

Exemple 4 : Mère – c’est un che +

Enfant – c’est un cheval .

Les demandes de clarification : ont été uniquement considérées dans cette

catégorie les demandes centrées sur la forme linguistique et non pas sur le contenu de l'intervention de l'enfant.

Exemple 5 : Enfant - et moi [ee] Mère - hein ?

Enfant - j’ai raison . hein °?

 Les propositions et demandes de définitions : la mère interroge l'enfant sur le sens d'un mot ou elle lui en donne une définition.

Exemple 6 : Mère - tu sais ça = ((pointe du doigt l’image)) c’est c’est faire de l’autostop on met le pouce comme ça = ((tend le pouce, imite l’action)) / tu vois ?

Enfant - °hm .°

Du côté des stratégies se focalisant sur la tâche (exemples tirés de Bignasca & Rezzonico, 2010), ces études ont mis en évidence une série de stratégies centrées sur l’accomplissement de la tâche. Les mères proposent à leurs enfants des conduites de type guidage pour les inciter à participer à la narration en leur adressant des questions factuelles (sur les éléments de la page qui font l'objet de l'attention conjointe de la dyade), des questions anticipatrices (portant sur la suite de l'histoire et les pages du livre qui vont suivre), des instructions (informations ou directives inhérentes au déroulement de l'activité), des demandes d’explications (à caractère non descriptif et de type "pourquoi" ou "comment"), ainsi que des relances (incitations non spécifiques permettant l'avancement de l'activité).

Exemple 7 : Art – 7;4 ans, TDL

Enfant: oh làlà ! qu'est-ce qui se passe ? //là ? = ((pointage)) Mère: [ipø]

Enfant: il pleut hein ? il a pas de chance . hein ?

Dans le cadre de ce projet, d’autres stratégies ont été mises en évidence comme les conduites réflexives (lorsqu’une mère fournit un modèle qui rend explicite son raisonnement en relation avec l’activité en cours, typiquement des explications) ainsi que les réactions de la mère aux comportements de l'enfant qui ont pour but d'évaluer, d'accepter ou de refuser les propositions de ce dernier, en lui fournissant un feed-back, lorsqu’elle soutient l’enfant dans l’élaboration de la tâche en cours.

Au niveau quantitatif, les mères des enfants avec TDL (il s’agit d’enfants entre 5 et 7 ans) produisent davantage de stratégies étayantes au niveau linguistique que les mères d’enfants typiques appariés selon l’âge chronologique, et en particulier des reformulations (Ingold et al., 2008 ; Rezzonico et al., 2013). Ces mères utilisent un plus grand nombre de reformulations dans les quatre situations prises en compte dans le cadre des recherches (jeu symbolique, lecture conjointe d’un livre d’images, jeu de devinettes par questions et jeu de devinettes par indices). Par ailleurs, la situation joue elle aussi un rôle très important dans la quantité de reformulations proposées (Rezzonico et al., 2013) : toutes les mères (que ce soit celles des enfants avec TDL ou celles des enfants T 5-7 ans) ont produit moins de reformulations dans les deux jeux de société que dans le jeu symbolique et elles ont produit le plus grand nombre de reformulations dans l’activité de lecture conjointe. Les reformulations des mères d’enfants avec TDL ne se différencient pas uniquement au niveau quantitatif mais également au niveau qualitatif. Il s’avère que les mères des enfants avec TDL ont produit davantage de reformulations phonologiques (et de reformulations morphosyntaxiques dans la situation de lecture conjointe) que les mères d’enfants typiques de 5-7 ans, celles- ci ayant produit proportionnellement davantage de reformulations lexicales (ibidem).

Ces résultats vont dans la même direction que ceux de l’étude de Barachetti et Lavelli (2011). Les auteures ont montré que, dans une situation de lecture conjointe, les mères d’enfants avec TDL italophones (âgés entre 3;4 et 5;4) produisent davantage de reprises visant à corriger le niveau linguistique qu’un groupe contrôle avec des enfants pairs d’âge mais également davantage qu’un groupe contrôle avec des enfants appariés selon le MLU. Si la différence avec les mères d’enfants de même âge chronologique peut être imputable aux différences de compétences linguistiques, la différence avec les mères d’enfants de même âge linguistique pourrait quant à elle s’expliquer par le fait que les mères des enfants avec TDL sont conscientes des troubles de leur enfant et qu’elles adaptent leurs stratégies en fonction de cela. L’analyse séquentielle (GSEQ, Bakeman & Quera, 1995) a montré que les enfants avec TDL réagissent avec une réponse minimalement acceptable à ces stratégies étayantes uniquement si la cible est une information cruciale, tandis que les reformulations qui ne fournissent pas aux enfants des informations cruciales ou familières tendent à créer des boucles de séquences correctives inefficientes. Dans les dyades avec un enfant avec TDL, ces cycles ne s’interrompent que lorsque la mère donne une information importante pour la poursuite de l’activité.

De manière similaire, Rezzonico et al. (2013) ont montré que les réactions des enfants à ces étayages ne différent pas significativement entre les enfants avec TDL et leurs pairs d’âge mais que, pour les enfants avec TDL, il y a un taux de reprises de la reformulation de la mère significativement plus élévé lorsqu’il s’agit d’une reformulation lexicale que lorsqu’il s’agit d’un autre type de reformulation. Il faut préciser que les réactions des enfants à ces stratégies d’étayage ne sont que très peu étudiées.

Concernant les stratégies d’étayage spécifiques à la tâche, aucune différence significative n’a pu être mise en évidence (Bignasca & Rezzonico, 2010 ; Ingold et

al., 2008). Cependant, d’importantes différences interindividuelles ont été

observées, ce qui pourrait laisser supposer que, dans le cadre de la tâche de lecture conjointe d’un livre sans texte, ces variations relèvent du style d’interaction des mères (cf. Salazar Orvig & de Weck, 2010).

Nous disposons d’un bon nombre d’études s’intéressant à l’interaction adulte- enfant avec TDL qui analysent les propriétés de la lecture conjointe (cf. plus haut et la synthèse de Barachetti & Lavelli, 2007). L’étude pionnière est celle de Pellegrini et al. (1985). Les auteurs ont montré que les parents des enfants avec TDL seraient plus directifs et moins exigeants que les parents des enfants avec un développement typique du langage.

Ces résultats ont par la suite trouvé confirmation dans différents travaux qui ont tous montré que les mères des enfants avec un dysfonctionnement langagier sont plus directives, qu’elles prennent davantage en charge la tâche et que les enfants jouent un rôle moins actifs que les enfants sans trouble du langage (Light & Kelford Smiths, 1993 ; Ezell & Justice, 1998 ; Girolametto et al., 2000 ; Rabidoux & MacDonald, 2000). Plus récemment, Rabidoux et MacDonald (2000) ont appliqué le protocole d’observation Book-reading Observational Protocol (Kadaverek & Sulzby, 1998) à des lectures conjointes entre des mères et des enfants avec un retard de langage (entre 18 et 42 mois). Les résultats montrent que ces mères ont tendance à lire de longs extraits avec de rares interruptions.

Vander Woude & Barton (2001, 2003) montrent que les interactions entre une mère et un enfant avec TDL varient en fonction de l’âge. Les mères des enfants âgés entre 3 et 4 ans essaieraient, suite à une réponse incomplète de la part de l’enfant, des stratégies visant l’auto-correction de l’enfant plus fréquemment que les mères des enfants âgés entre 5 et 6 ans, ces dernières proposant davantage de corrections directes. Les auteurs émettent l’hypothèse que les mères des enfants plus âgés pourraient percevoir le trouble de leurs enfants comme plus problématique (par rapport aux mères des enfants plus jeunes), modifiant ainsi leurs attentes. Ces auteurs ont également mis en évidence que 96% des réparations sont enchâssées dans des structures de type : réparation de la mère – première réponse de l’enfant – réaction de la mère (confirmation ou seconde réparation) – seconde réponse de l’enfant – réplique de la mère. Par ailleurs, les mères des enfants plus jeunes ne semblent donner l’information correcte que lors de la seconde réparation. Lors de la première réparation, elles essaieraient plutôt de solliciter une auto-correction de la part de l’enfant en signalant juste la difficulté.

De Temple (2001) propose que les mères des enfants avec TDL parleraient davantage dans des situations de lecture conjointe car les difficultés langagières de leur enfant leur feraient supposer qu’il a davantage besoin de médiation pour comprendre l’histoire. De plus, les enfants avec TDL semblent montrer des difficultés à donner des réponses correctes et cela pourrait lamener les mères à prendre davantage de temps pour clarifier les réponses et limiter les requêtes. Il faut cependant rester prudent quant à la mise en relation de ces résultats avec ceux concernant le lien entre le style maternel et le niveau linguistique de l’enfant chez des enfants typiques. Si chez ces enfants un style permettant une participation active de l’enfant semble être particulièrement bénéfique au développement du langage, le style des mères des enfants avec TDL n’est pas à considérer comme l’une des sources de ces troubles mais comme un ajustement aux ressources linguistiques limitées de ces enfants (Longobardi, 2001). Toutefois, comme plusieurs études en témoignent (Girolametto, 1988 ; Olson et

al., 1986 ; Tannock, Girolametto, & Siegel 1992 ; Girolametto et al. 1995, 1996),

des interventions de type guidance parentale se focalisant sur la lecture conjointe et sur les stratégies à employer peuvent favoriser une amélioration du niveau linguistique de l’enfant (notamment au niveau lexical). Nous pensons en particulier au programme « It Takes Two to Talk » proposé par le Hanen Center de Toronto (Pepper & Weitzman, 2004) et, en ce qui concerne l’italien, au modèle INTERACT (Bonifacio & Hvastja Stefani, 2007).

L’une des questions qui mérite d’être davantage approfondie dans ce domaine d’investigation est la variation dans l’adaptation mutuelle entre une mère et un enfant avec TDL, en fonction de la culture, de la langue de la dyade ou de son niveau socio-économique. Girolametto et ses collaborateurs (2002) ont montré que des dyades italophones et anglophones (canadiennes) avec des enfants présentant un retard de langage semblent elles aussi présenter des comportements à la fois divergents et convergents dans le cadre d’un même jeu symbolique (Girolametto et al., 2002). En effet, les mères italiennes semblent utiliser davantage d’énoncés et parler plus vite avec un lexique plus diversifié que les mères canadiennes. En outre, les mères italiennes semblent avoir des attentes plus grandes en matière de participation verbale de leur enfant que les mères

canadiennes, ce qui semble mettre en évidence des différences qui pourraient être culturelles. Les enfants italophones reflètent le comportement de leurs mères, et utilisent donc un plus grand nombre d’énoncés avec un lexique plus diversifié. D’autre part, les mères canadiennes imitent et interprètent davantage les vocalisations de leurs enfants que les mères italiennes.

Synthèse du chapitre

Nous avons exposé dans ce chapitre les caractéristiques linguistiques, pragmatiques et discursives des enfants avec des troubles du développement du langage.

Nous avons vu que ces enfants ne semblent pas seulement présenter des difficultés au niveau formel, mais que ces difficultés influencent leur utilisation du langage ainsi que les productions des personnes qui interagissent avec eux, en fonction d’un ajustement mutuel.

Dans le chapitre suivant (chapitre 4), nous allons discuter des notions d’explication et de justification ainsi que de leur développement.