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Chapitre 3 : Démarche méthodologique

3.1 Type d’étude

Cette recherche s’inscrit dans une perspective constructiviste puisqu’elle envisage la réalité d’un phénomène social comme étant un « construit », c’est-à-dire créé, objectivé et, par la suite, défini par la connaissance, les intérêts et les interventions de tous ceux qui y participent. Puisque notre étude porte sur l’émergence du phénomène de la « cyberdépendance » au Québec et au Canada, comme nouveau problème public, nous souhaitons mettre en lumière les différents acteurs sociaux, les discours, les stratégies de légitimation ainsi que les enjeux et les intérêts qui font partie de sa construction sociale, tout en faisant ressortir le niveau d’influence ou le poids exercé par ces différents acteurs.

À notre avis, les composantes et indicateurs privilégiés permettront, d’une part, de situer les acteurs dans la construction sociale de la « cyberdépendance »

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comme problème public, et d’autre part, de mettre en lumière les spécificités des rapports de force dans ce contexte. Comme nous croyons que le problème se construit, se thématise, s’interprète et se définit à l’intérieur de différentes arènes publiques, ces dernières constituent donc des espaces essentiels de confrontation où se discutent les problèmes publics, selon des règles du jeu particulières apportant ainsi, chacune à leurs façons, des solutions pour « résoudre » ledit problème. Il convenait, donc, de mettre l’accent sur l’analyse des informations circulant dans les différentes arènes et de surveiller l’influence exercée dans les rapports de force entre ces différents acteurs; tout ça, dans le but de cadrer le problème et d’y prévoir des politiques d’intervention (Joly et Marris, 2001). À cet effet, nous avons sélectionné les trois arènes publiques qui se sont avérées les plus influentes dans la construction sociale de la « cyberdépendance », soient les arènes scientifique, psychosociale et médiatique. Deux principales raisons ont motivé le choix de ces trois arènes.

D’abord, c’est dans ces trois arènes particulières que, selon la recension de littérature publiée dans les quinze dernières années, nous avons observé une grande diversité de discours au sujet de l’utilisation jugée abusive d’Internet. De plus, nous présumons que ces trois arènes publiques s’influencent mutuellement : un aspect non négligeable d’unification dans notre recherche. Un autre point important concerne la multiplicité des apports fournis — toujours par les trois arènes — pour définir et solidifier la construction sociale du discours entourant la « cyberdépendance », ce sont les apports : des différentes propositions pour nommer ledit « problème »; de la richesse des diverses expertises; de la variété des reconnaissances discordantes du problème; de la spécificité des façons distinctes de diagnostiquer le problème et d’en classifier les symptômes. Tous ces chainons sont indispensables parce que chacun échafaude une partie de la construction du phénomène qu’on tente d’appeler la « cyberdépendance ». Mais, avant d’aborder plus en détail notre approche méthodologique, nous estimons à propos de présenter une description des trois arènes publiques retenues pour cette étude.

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Les trois arènes publiques influentes dans la construction sociale de la « cyberdépendance »

La première arène retenue est l’arène scientifique qui regroupe les discours exprimés par différents spécialistes qui contribuent à la construction de savoirs scientifiques. Cette arène est généralement reconnue — en sociologie des connaissances — comme étant l’une des principales sphères d’influence sociale qui régule, police et discipline la légitimation ou la marginalisation des savoirs relativement à des questions complexes, incertaines ou non définies (Knorr-Certina, 1981). Nous estimons que l’analyse de cette arène est primordiale, car les savoirs scientifiques posent des jalons théoriques qui sont régulièrement récupérés par divers groupes revendicateurs dans le but de faire cheminer leurs doléances respectives. La construction sociale de phénomènes « nouveaux » passe par cette arène qui constitue un véritable laboratoire de fabrication de faits scientifiques sur le phénomène à saisir, incluant son identification, sa classification et sa résolution. La construction de savoirs, c’est le pouvoir de définir ce qui est acceptable de ce qui l’est moins dans le processus de régulation sociale.

La deuxième arène, celle de l’intervention psychosociale, est le corollaire de la première. La légitimation de certains savoirs se traduit fréquemment en législations, réglementations ou politiques sociales diverses et, dans le cas qui nous intéresse, en protocoles d’intervention sociale. Les intervenants sociaux sont impliqués directement, mais à des degrés divers, dans cette construction sociale de la « cyberdépendance ». Depuis quelques années, ils sont très interpellés par une « nouvelle » clientèle en demande d’aide. C’est alors qu’en s’interrogeant sur l’émergence de ce nouveau phénomène, ils contribuent, à leurs façons, à devenir les « porte-paroles »31 de cette clientèle; ils écoutent les problèmes, des clients, les traduisent et prennent la parole en leur nom. Les psychologues, sexologues et

31 Le concept de « porte-parole » est emprunté à la théorie de l’acteur-réseau ou sociologie de la traduction de Michel Callon et de Bruno Latour, selon lequel toutes les entités humaines et non-humaines doivent être représentées dans les espaces de négociation à partir desquels les réseaux s’élaborent. Les « porte-paroles » rendent alors possible la prise de parole et l’action concertée. Dans Wikipédia l’encyclopédie libre. Repéré à https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_de_l%27acteur- r%C3%A9seau

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travailleurs sociaux — chacun dans leur discipline respective — ont leur propre façon de concevoir la « cyberdépendance », c’est alors qu’on les verra chercher à imposer leur vision sociale, à s’arroger de nouveaux pouvoirs permettant d’élargir leur champ d’intervention. Dans cette arène, nous cherchons également à exposer le rôle des travailleurs sociaux dans la construction sociale de la « cyberdépendance ». Jouent-ils un rôle déterminant ou restent-ils en périphérie des autres corps professionnels dans cette construction?

La troisième arène est celle des médias. La diffusion de la notion de « cyberdépendance » passe aussi par l’investissement d’espaces ni scientifiques, ni psychosociaux, mais médiatiques où le discours des différents acteurs peut avoir des échos en contribuant à influencer l’opinion publique. Dans une société où les médias écrits, parlés ou électroniques prennent une place prépondérante dans la vie quotidienne des citoyens, il nous apparaissait essentiel d’interroger leur participation à la construction sociale de la « cyberdépendance ». Ainsi, la possibilité de recourir à des données médiatiques, pour étudier la construction sociale d’un pareil phénomène en émergence, constituait une voie à privilégier, car les médias sont souvent parmi les premiers à fabriquer collectivement une représentation sociale d’une situation. Nous avons aussi pensé que c’est dans les données médiatiques — où se configurent autant d’argumentations émises par un aussi grand nombre d’acteurs s’exprimant publiquement sur ledit problème — qu’on y trouve la voie la plus féconde pour étudier le processus de construction sociale. De par leur rôle d’informateurs, les différents médias, en traitant les faits ou les événements jugés « importants », contribuent, non seulement à les faire connaitre ou à les faire accepter de leurs lectorats, mais surtout à lancer le débat dans le grand public. Or, on peut dire que l’information consommée par le public est déjà construite par les médias, c’est-à-dire qu’elle a été transformée et structurée pour devenir la nouvelle (McCombs et Shaw, 1972). La manière dont on nomme, assemble et raconte un événement afin d’attirer l’attention du public sur le sujet, rend l’événement intéressant ou pas. Le modèle de la mise en agenda suppose que si les médias parlent d’un événement, leurs publics auront l’impression que l’événement est important, et qu’à l’inverse, s’il n’est pas

55 médiatisé, c’est qu’il n’est pas important (McCombs et Shaw, 1972). Les médias suggèrent, pour ainsi dire, quoi penser en structurant et en dirigeant l’attention des publics. Par conséquent, il convient d’analyser la manière dont circule l’information sur la « cyberdépendance » pour ensuite être en mesure de constater comment le public ainsi que les acteurs des autres sphères sont influencés par l’information de ces différentes plateformes de la presse écrite (journaux et Web), audio et audiovisuelle.

La documentation de la construction sociale de la « cyberdépendance » au sein des trois arènes sélectionnées nous permet de répondre au premier objectif de notre étude qui consiste à mettre en lumière les discours et les pratiques qui participent à la construction sociale de la « cyberdépendance » et permet aussi de faire connaitre l’apport apporté par les différents acteurs dans la reconnaissance de la définition dudit problème au Québec et au Canada. De plus, ces arènes amènent des réponses quant au second objectif qui consiste à éclairer plus particulièrement le rôle des travailleurs sociaux dans la construction sociale de la « cyberdépendance ».

Jusqu’à présent, dans ce chapitre, nous avons explicité la stratégie de recherche que nous privilégions et notre choix de retenir trois arènes publiques pour examiner le processus de construction sociale de la « cyberdépendance », mais nous n’avons pas encore expliqué notre méthode de collecte de données, ni comment nous prévoyons les analyser. C’est ce sur quoi nous nous penchons dans les sections suivantes.