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La construction sociale de la "cyberdépendance" au Canada et au Québec

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Academic year: 2021

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La construction sociale de la « cyberdépendance » au

Canada et au Québec

Thèse

Sandra Juneau

Doctorat en service social

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Sandra Juneau, 2017

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La construction sociale de la « cyberdépendance » au Canada et au

Québec

Thèse

Sandra Juneau

Sous la direction de :

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Résumé

Depuis plus de vingt ans, nombre d’acteurs sociaux revendiquent l’existence de la « cyberdépendance » comme nouvelle forme potentielle de « dépendance ». Or, l’idée de lier Internet et dépendance divise les différents experts au sein de différentes sphères d’influence (psychiatrie, médecine, psychologie, etc.), et ce, partout dans le monde. De telles divisions ont cours également au Canada et au Québec. L’enjeu est suffisamment important pour que les acteurs sociaux québécois et canadiens se mobilisent afin de définir, de formuler et d’imposer leurs revendications. Privilégiant une lentille constructiviste, nous avons cherché à documenter l’émergence de la « cyberdépendance » au Canada et au Québec en examinant, plus particulièrement, les rôles joués par différents acteurs sociaux dont les luttes visent à mobiliser l’attention publique dans différentes arènes publiques pour obtenir la reconnaissance officielle de leur version du « problème ». Une analyse qualitative de documents écrits, audios ou audiovisuels anglophones et francophones (2838 pages et 312 minutes d’audio et d’audiovidéo) a permis de documenter des confrontations discursives se déroulant simultanément et s’entrecroisant inévitablement dans les arènes publiques scientifique, psychosociale et médiatique.

Deux grandes écoles de pensée ressortent de ces analyses. La première comprend les contre-discours minoritaires d’acteurs refusant de reconnaitre la « cyberdépendance » comme étant une psychopathologie. À travers leurs revendications, les acteurs sociaux expliquent que l’utilisation d’Internet n’est pas un problème en soi, mais qu’elle est devenue une nouvelle tentative créée de toutes pièces par certains acteurs afin de stigmatiser et médicaliser des activités du quotidien et s’approprier un nouveau champ d’intervention. Parmi les militants du contre-discours, d’autres pensent que l’utilisation d’Internet même n’est pas en cause. Le problème proviendrait plutôt de certaines activités ou applications spécifiques qui ont un potentiel de dépendance et qui ont un effet sur les comportements des internautes. Tous ces contre-discours, qui ont émergé dans les différentes sphères publiques,

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demeurent marginaux et minoritaires dans les analyses documentaires. La seconde école de pensée comprend les discours majoritaires qui prônent une reconnaissance pleine et entière de la « cyberdépendance » comme étant un problème réel. Parmi eux, certains acteurs sociaux proclament non seulement l’existence de la « cyberdépendance », mais en fabriquent une vision essentiellement moraliste alors que d’autres en construisent une vision principalement biomédicale — d’ailleurs davantage dominante. D’autres, experts cette fois-ci, s’interrogent sur les motifs, les conditions et les modalités qui rendent l’expérience virtuelle problématique. Ils tentent de trouver à quel moment le comportement de l’utilisateur « normal » devient pathologique. De là, deux discours s’articulent autour de la biomédicalisation de la « cyberdépendance ». Un premier pan de la médecine véhicule, d’abord, un discours de la maladie physique basée sur des théories scientifiques telles que la neurobiologie ou la génétique moléculaire — la dépendance à Internet aurait alors des causes physiques. Un deuxième pan articule sa construction de la « cyberdépendance » autour de la maladie mentale.

Le travail de documentation de la construction d’un discours a mis en exergue qu’à partir d’une simple présomption sans réel fondement, toute une construction discursive et professionnelle pouvait s’échafauder autour du concept de la « cyberdépendance ». Qui plus est, différents groupes d’acteurs sociaux continuent de débattre d’un problème qu’ils ont bâti de toutes pièces et pour lequel les chances de devenir dépendant semblent presque nulles aux yeux de plusieurs. Et pourtant, leur persévérance dans ce processus de construction sociale témoigne de la présence d’enjeux suffisamment cruciaux pour les inciter à poursuivre leur chasse aux « cyberdépendants ». Cette chasse permet, pour sa part — au terme d’argumentations, de répétitions, d’approbations par les pairs et de récupérations médiatiques — de se convaincre de l’existence objective de la « cyberdépendance », à un point tel que nous avons retracé des activités définitionnelles liées à la problématisation sociale de la « cyberdépendance », à sa structure identitaire, à ses causes et à ses conséquences et la création de stratégies d’intervention. Les joutes discursives entourant la construction sociale de la « cyberdépendance » se poursuivent et les défenseurs de

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v cette nouvelle « pathologie » continuent de militer pour que la « cyberdépendance » soit reconnue comme entité universelle dans une prochaine version révisée du DSM (DSM-5.1). Nous concluons cette thèse en proposant quatre pistes de recherche pouvant documenter davantage la construction sociale de la « cyberdépendance ».

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Abstract

For more than twenty years, a number of social actors advocate for the acknowledgement of the existence of an “Internet Addiction Disorder” as a potential new type of “addiction”. Linking the Internet to addiction, however, creates a divide between experts from various influential fields (psychiatry, medicine, psychology, etc.) all over the world. Such divisions also take place in Canada and Quebec. The stakes are sufficiently high to entice Quebec and Canadian social actors to define, express and impose their own views of the situation. Adopting a social constructivist lens, we have sought to document the emergence of the “Internet Addiction Disorder” as a public problem in Canada and Quebec by scrutinizing, more specifically, the roles played by various social actors who seek to mobilize public attention in diverse public realms in order to obtain official acknowledgement of their own version of the “problem”. A qualitative analysis of English and French written, audio and audiovisual sources (2838 pages and 312 minutes of audio and audiovisual) brings to light a display of discursive clashes unfolding simultaneously, and inevitably intersecting in scientific, psychosocial and media domains.

Two major schools of thought emerge from these analyses. The first comprises the minority counter-discourses of actors who refuse to acknowledge “internet addiction disorder” as a psychiatric disorder. They demonstrate through their argumentation that the use of the internet is not in itself problematic, that the psychiatric disorder is completely fabricated in an attempt, by some actors, to stigmatize and medicalize everyday activities in order to claim a new field of practice. Other actors advocate that internet usage in itself is not the problem, that, instead, the problem stems from certain activities or specific uses that have the potential to create an addiction, and exert their effects on internet user behaviour. These aforementioned counter-discourses that have surfaced in various public realms remain marginal within our document analysis. The majority school of thought encompasses actors who support a complete recognition of “internet addiction disorder” as a real problem. Among them, certain social actors speak of the existence of “internet addiction disorder” in

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vii moralistic terms, while others frame it primarily within a biomedical perspective. The latter position is becoming the most dominant. Others, experts specifically, seek to investigate the causes, predisposing conditions and modalities that make the virtual experience problematic. They attempt to draw the line where “normal” internet usage becomes pathological. From that point, two discourses address the biomedicalization of “internet addiction disorder”. The first is a discourse of physical illness based on scientific fields such as neurobiology or molecular genetics; internet addiction would stem, here, from physical causes. The tenants of a second discourse construct “internet addiction disorder” as a mental illness and promote its classification as one of either a distinct psychiatric disorder, an impulse control disorder or an obsessive compulsive disorder.

Documenting the construction of a discourse highlights how, from an objectively unsubstantiated assumption, an entire discursive and professional construct can be built around the concept of "internet addiction disorder". Far from over, a debate continues between various groups around a social problem completely fabricated by themselves and for which the likelihood of becoming addicted seems almost impossible, according to some. Their perseverance in this social construction nevertheless reveals stakes high enough to justify persisting in their hunt for “internet addicts”. This hunt allows us, through debates, repetition, peer approval and media coverage, to become convinced of the objective existence of an "internet addiction disorder", to the point where we have been in a position to trace definitional attempts related to the social problematization of "internet addiction disorder", to its identity structure, to its causes and consequences, as well as to the creation of intervention strategies. The discourses surrounding the social concept of “internet addiction disorder” persist, with believers in this new “disorder” advocating for “internet addiction disorder” to be listed as a universal entity in a future revision of the DSM 5 (DSM-5.1). We conclude this dissertation with a proposal of four research avenues to further document and reflect upon the social construction of “internet addiction disorder”.

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Table des matières

RÉSUMÉ………. ... III ABSTRACT... ... VI LISTE DES TABLEAUX ... XII ÉPIGRAPHE…………. ... XIV REMERCIEMENTS ... XV AVANT-PROPOS ... XVIII INTRODUCTION ... 1 Chapitre 1 : Problématique ... 5 Introduction ... 5

1.1 Problématiser un nouveau phénomène social ... 8

1.2 Débattre de l’existence de la « cyberdépendance » ... 11

1.3 Définir et diagnostiquer la « cyberdépendance » ... 18

1.4 Classer les types de « cyberdépendance » ... 24

1.4.1 Classification de profils d’utilisation d’Internet ... 25

1.4.2 Classification liée aux différents contenus en ligne ... 25

Conclusion ... 28

1.5 Limites des études recensées ... 30

1.6 Objectifs de la thèse ... 32

1.7 Pertinence de la thèse ... 33

Chapitre 2 : Cadre théorique ... 35

2.1 Construction d’un discours sur la sorcellerie et les sorcières selon Kai T. Erikson ... 35

2.2 Construction des problèmes sociaux selon Malcom Spector et John I. Kitsuse ... 38

2.2.1 Modèle d’analyse séquentiel de l’évolution des problèmes sociaux ... 40

2.3 Construction des problèmes publics selon Joseph Gusfield ... 42

2.4 Médicalisation de la déviance selon Peter Conrad et Joseph Schneider ... 45

Chapitre 3 : Démarche méthodologique ... 51

3.1 Type d’étude ... 51

Les trois arènes publiques influentes dans la construction sociale de la « cyberdépendance » ... 53

3.2 Méthodes de collecte de données et analyse des données ... 55

3.3 Corpus documentaire ... 57

3.3.1 Critères de sélection ... 57

3.3.2 Composition du corpus documentaire ... 59

3.4 Analyse des données ... 67

3.5 Les mesures prises pour garantir la qualité scientifique de l’étude ... 70

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Chapitre 4 : Débattre de l’existence de la « cyberdépendance » ... 75

4.1 La naissance d’un nouveau concept : la « cyberdépendance » ... 76

4.1.1 La naissance d’un nouveau concept : la « cyberdépendance » au Québec ... 77

4.1.2 La naissance d’un nouveau concept : la « cyberdépendance » au Canada ... 78

4.2 Les discours minoritaires de non-reconnaissance de la « cyberdépendance » comme un problème ... 81

4.2.1 Les joutes propres à l’arène scientifique ... 81

4.2.2 Les joutes propres à l’arène psychosociale ... 85

4.2.3 Les joutes propres à l’arène médiatique ... 89

4.3 Les discours majoritaires de reconnaissance de la « cyberdépendance » comme un problème ... 97

4.3.1 La construction moraliste de la « cyberdépendance » ... 97

4.3.2 La construction biomédicale de la « cyberdépendance » ... 100

4.3.2.1 La « cyberdépendance » : Un mal physique? ... 101

4.3.2.2 La « cyberdépendance » : la faute de mon cerveau ou de mon ADN? ... 102

4.3.2.3 La « cyberdépendance » : une maladie mentale ou un trouble mental? 109 4.3.2.3.1 La « cyberdépendance » : un trouble spécifique ou un trouble préexistant 110 4.3.2.4 La « cyberdépendance » : un désordre de dépendance? ... 115

4.3.2.4.1 La « cyberdépendance » : une nouvelle dépendance ... 116

Chapitre 5 : Classifier et identifier la « cyberdépendance » ... 121

5.1 La « cyberdépendance », une terminologie controversée ... 121

5.2 Classifier la « cyberdépendance » ... 129

5.2.1 Classer la « cyberdépendance » comme trouble impulsif ou compulsif ... 130

5.2.2 Classer la « cyberdépendance » comme substance ou comme dépendance comportementale ... 132

5.2.3 Classer la « cyberdépendance » en fonction de profils d’utilisation d’Internet 139 5.2.4 Classer la « cyberdépendance » en fonction du contenu en ligne ... 142

5.3 Identifier la « cyberdépendance » : un objet de savoir standardisé ... 150

5.3.1 Établir des critères diagnostiques psychiatriques selon les tenants de la « maladie mentale »... 151

5.3.2 Établir des critères diagnostiques psychosociaux selon les tenants du « désordre de dépendance » ... 161

5.3.3 Établir des critères diagnostiques souples selon une approche quantitative ou qualitative ... 167

5.3.3.1 Approche quantitative d’utilisation d’Internet ... 167

5.3.3.2 Approche qualitative d’une souffrance significative et de conséquences 173 Chapitre 6 : Expliquer la survenue de la « cyberdépendance » ... 177

6.1 Facteurs de risque selon les tenants du désordre de dépendance ... 179

6.1.1 Facteurs prédisposants ... 179

6.1.2 Facteurs facilitants et de renforcement ... 186

6.1.3 Facteurs précipitants ... 187

6.2 Facteurs de risque selon les tenants de la maladie mentale ... 189

6.2.1.1 Troubles anxieux ... 191

6.2.1.2 Troubles de l’humeur ... 193 6.2.1.3 Troubles envahissants du développement et syndromes neurologiques . 196

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x

6.2.1.5 Troubles sexuels ... 199

6.2.2 Axe II : Les troubles de la personnalité ... 200

6.3 Répercussions liées à la « cyberdépendance » ... 204

6.3.1 Répercussions physiques ... 205

6.3.2 Répercussions psychologiques ... 207

6.3.3 Répercussions familiales et conjugales ... 208

6.3.4 Répercussions sociales ... 210

6.3.5 Répercussions scolaires ou professionnelles ... 213

6.3.6 Répercussions financières ... 215

6.3.7 Répercussions judiciaires ... 215

Chapitre 7 : Réagir à la « cyberdépendance » : la construction de pratiques de gestion et de régulation sociale ... 221

7.1 Le premier moment de l’intervention : la prévention ... 223

7.1.1 Prévention de la « cyberdépendance » : stratégies communicationnelles ... 224

7.1.1.1 Prestations de type public ... 224

7.1.1.2 Documentations écrites et visuelles sur la prévention de la « cyberdépendance » : rapports, publications et dépliants... 225

7.1.1.3 Différentes plateformes médiatiques : écrites, audiovisuels et Web ... 228

7.1.2 Prévention de la « cyberdépendance » : stratégies éducatives ... 232

7.1.2.1 Ateliers préventifs sur l’utilisation d’Internet... 233

7.1.3 Prévention de la « cyberdépendance » : stratégies environnementales ... 234

7.1.3.1 Mesures politiques et législatives du contrôle de l’utilisation d’Internet 235 7.1.3.2 Mesures réglementaires et contractuelles de l’utilisation d’Internet ... 236

7.2 Le second moment de l’intervention : le repérage systématique et l’intervention précoce ... 238

7.2.1 Les outils de repérage de la « cyberdépendance » ... 238

7.2.1.1 Outils de repérage quantitatifs ... 238

7.2.1.2 Outils de repérage qualitatifs ... 244

7.3 Le troisième moment de l’intervention : l’intervention curative ... 246

Introduction ... 246

7.3.1 Les ressources de traitement pour les « cyberdépendants » au Canada et au Québec 249 7.3.1.2 Les ressources publiques et leurs produits et services en « cyberdépendance » ... 252

7.3.2 Les mécanismes de contrôle social : objectifs curatifs privilégiés par les intervenants sociaux pour traiter la « cyberdépendance » ... 258

Conclusion : la médicalisation comme dispositif de contrôle social ... 264

Chapitre 8 : Conclusion et pistes de recherche ... 266

BIBLIOGRAPHIE ... 297

Annexe A — Principales terminologies du phénomène de « cyberdépendance » 356 Annexe B — Classification en fonction de profils d’utilisation d’Internet ... 369

Annexe C — Classification en fonction du contenu en ligne... 376

Annexe D — Synthèse des critères diagnostiques inspirés du DSM selon les tenants de la santé mentale ... 391

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xi Annexe E — Critères diagnostiques psychosociaux selon les tenants du désordre de dépendance ... 393 Annexe F — Critères diagnostiques inspirés du DSM selon les arènes scientifique et psychosociale ... 404 Annexe G — Critères diagnostiques psychosociaux selon les tenants du désordre de dépendance ... 412 Annexe H — Critère diagnostique souple : approche quantitative d’utilisation d’Internet ... 431 Annexe I — Synthèses des facteurs de risque de la cyberdépendance ... 436 Annexe J — Internet Addiction Test — Internet Addiction Scale — Indices de Détection de Cyberdépendance — Generalized Problematic Internet Use Scale — Test d’Orman — Tests retrouvés sur Internet ... 440

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Liste des tableaux

Tableau 1 ... 16

Principales appellations du « problème » de « dépendance » à Internet ... 16

Tableau 2 ... 23

Définitions conceptuelles de la « cyberdépendance » et propositions de critères diagnostiques ... 23

Tableau 3 ... 27

Constructions scientifiques des catégories de « cyberdépendance » ... 27

Tableau 4 ... 65

Corpus documentaire dans les différentes arènes publiques ... 65

Tableau 5 ... 357

Principales terminologies du phénomène de « cyberdépendance » dans l’arène scientifique ... 357

Tableau 6 ... 360

Principales terminologies du phénomène de « cyberdépendance » dans l’arène psychosociale ... 360

Tableau 7 ... 362

Principales terminologies du phénomène de « cyberdépendance » dans l’arène médiatique ... 362

Tableau 8 ... 365

Synthèse des terminologies dans les trois arènes ... 365

Tableau 9 ... 370

Classification scientifique en fonction de profils d’utilisation d’Internet ... 370

Tableau 10 ... 374

Classification psychosociale de profils d’utilisation d’Internet ... 374

Tableau 11 ... 375

Classification médiatique de profils d’utilisation d’Internet ... 375

Tableau 12 ... 377

Classification scientifique en fonction du contenu en ligne ... 377

Tableau 13 ... 382

Classification psychosociale liée aux différents contenus en ligne ... 382

Tableau 14 ... 387

Classification médiatique liée au contenu offert sur Internet ... 387

Tableau 15 ... 392

Synthèse des critères diagnostiques inspirés du DSM selon les tenants de la santé mentale ... 392

Tableau 16 ... 394

Classification scientifique de critères diagnostiques psychosociaux selon les tenants du désordre de dépendance ... 394

Tableau 17 ... 397

Classification psychosociale de critères diagnostiques psychosociaux selon les tenants du désordre de dépendance ... 397

Tableau 18 ... 400

Classification médiatique de critères diagnostiques psychosociaux selon les tenants du désordre de dépendance ... 400

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Tableau 19 ... 432

Construction psychosociale du critère diagnostique souple selon l’approche quantitative d’utilisation d’Internet ... 432

Tableau 20 ... 433

Construction médiatique du critère diagnostique souple selon l’approche quantitative d’utilisation d’Internet ... 433

Tableau 21 ... 437

Synthèse des facteurs prédisposants des trois arènes ... 437

Tableau 22 ... 438

Synthèse des facteurs facilitants et de renforcement des trois arènes ... 438

Tableau 23 ... 439

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Épigraphe Les seules limites à mes réalisations dans la vie sont celles que je m’impose.

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Remerciements

C’est avec fébrilité et grand soulagement que je termine cette très longue aventure. Pour moi, cefut presque l’ascension du mont Everest! La réalisation de cette thèse de doctorat fut l’aboutissement d’un téméraire défi lancé, il y a plus de dix ans. Pourtant, rien dans mon parcours professionnel n’indiquait qu’un jour, j’allais réaliser des études doctorales, mais il faut croire que naturellement, après avoir consacré une quinzaine d’années au travail de terrain comme intervenante sociale auprès d’une clientèle présentant des problèmes de dépendance, je me devais te tenter une pareille ascension. Après avoir relevé tous les défis, un à un, me voici à la fin de cette montée vertigineuse. La rédaction de cette thèse a certes été le projet le plus ardu de ma vie, mais c’est avec de tels défis que la vie prend un sens. Or, un tel exploit ne se réalise pas seul, je sais. Sans de nombreuses personnes, à qui je veux adresser mes remerciements, cette thèse n’aurait jamais vu le jour.

Mes premières pensées s’arrêtent tout naturellement à ma directrice de thèse madame Joane Martel, à qui je tiens à exprimer toute ma gratitude. Depuis 2007, elle a su me guider par ses conseils précieux et constructifs. Merci d’avoir cru en moi, d’avoir repoussé mes limites à leur maximum pour aller chercher tout le potentiel et la persévérance qui se cachaient tout au fond de moi. De m’avoir fourni tous les outils nécessaires afin que je puisse parcourir les diverses pistes de cette montage sans trop m’égarer. Je te remercie de toutes ses heures consacrées à la lecture et la relecture afin de me faire part de tes corrections, tes suggestions, tes questionnements et tes commentaires afin de me pousser à aller plus loin dans mes réflexions et mes analyses. Merci pour ta rigueur professionnelle et surtout de me l’avoir transmise.

Je remercie les membres de mon comité de thèse messieurs Michel Dorais et Stéphane Leman-Langlois pour leurs lectures et leurs commentaires constructifs ainsi que madame Sylvia Kairouz d’avoir a accepté d’évaluer cette thèse.

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De plus, je souhaite remercier mon employeur actuel, l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), pour l’octroi de deux années de perfectionnement qui m’ont permis d’avancer la rédaction de cette thèse en toute quiétude. Quel privilège d’avoir pu consacrer du temps à la lecture pour nourrir ma réflexion! Merci à madame Jennifer MacLean pour la traduction anglophone du résumé de cette thèse. Un merci tout spécial à ma marraine Jacqueline Boivin qui m’a fait un cadeau inestimable et d’une grande générosité en acceptant de consacrer plusieurs heures, et ce, à deux reprises à la révision linguistique de cette thèse afin de s’assurer de la qualité de la langue française. Tous, vous avez été d’une aide déterminante.

Réaliser des études doctorales exige de faire des sacrifices pour soi-même, mais aussi pour les proches qui partagent notre vie. Par moment, notre vie sociale et familiale est parsemée d’embuches. Un énorme merci à tous mes proches qui ont su comprendre et respecter cette réalité. À mes parents et mon frère pour leur amour et leur appui. À ma belle-famille, mes beaux-enfants et leurs familles respectives. À toi ma chère Dominique, ma petite sœur de cœur, qui a toujours été là pour m’encourager, me tenir la main lors des moments plus difficiles où tout me semblait insurmontable, dans les moments de doute tu as toujours cru en moi, même dans les heures où le doute devenait insupportable. Tu as aussi en toi tous les possibles, tout ce que tu voudrais être, toute l’énergie pour accomplir ce que tu veux réaliser. Toi, chère Anne-Marie, je te suis reconnaissante d’avoir pris soin de ma santé mentale et physique, et ce, chaque semaine. À ma communauté virtuelle, merci de vos beaux mots d’encouragement et de votre appui indéfectible.

Le dernier des remerciements s’adresse assurément à mon mari, Réjean. Tel un phare illuminé sur le bord de la mer, tu as su me guider tout au long de cet interminable voyage afin que j’évite de perdre mes repères. Parfois, nous avons dû naviguer dans des eaux troubles, traverser vents et marées et même faire face à quelques tempêtes, mais nous nous en sommes toujours bien sortis. Nous avons plusieurs fois évité le naufrage, tantôt en accrochant le fond et parfois en frappant un creux de vague, mais cela nous a permis d’apprendre à naviguer, à surfer sur chaque vague de la vie, pour

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xvii finalement arriver à bon port, ensemble. Tu as été mon plus fidèle lecteur. C’est avec toi que j’ai eu le plus souvent l’occasion de débattre de mes idées pour pousser plus loin ma réflexion. Merci pour ta patience et ta compréhension d’avoir accepté de me voir passer un nombre incalculable d’heures devant mon écran d’ordinateur. Merci de tes encouragements et ton soutien inconditionnel dans toute cette aventure. Sans toi et ton amour, je n’y serais certes jamais arrivée.

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Avant-propos

Cette thèse de doctorat, qui porte sur la construction sociale de la « cyberdépendance » est construite en huit chapitres. Deux manuscrits ont été insérés dans la présente thèse. Le premier manuscrit, à être incorporé, a pour titre La « cyberdépendance » : un phénomène en construction. Il a été publié en septembre 2014 dans la revue Déviance et Société (2014/3, vol. 38, 285-310). Cette revue scientifique, de stature internationale, a été lancée en 1977 et est dédiée à la publication de travaux originaux portant sur des recherches concernant les normes et les déviances ainsi que des débats (prises de position contrastées sur des problèmes d’actualité). De plus, elle publie des analyses — à travers les courants de recherche les plus récents —, des phénomènes de société tels que l’insécurité, les drogues, la délinquance, la prostitution, la corruption, la criminalité organisée ou encore les peines privatives de liberté. L’outil bibliométrique Google Scholar Metrica lui confère en 2015 un H-index de 7 sur les cinq dernières années, ce qui en fait la revue la plus citée de la criminologie francophone. Elle est dotée d’un comité scientifique et est publiée en langue française quatre fois par année. La doctorante est l’auteure principale de cet article rédigé en collaboration avec madame Joane Martel, directrice de recherche. L’objectif principal de ce manuscrit est de présenter les aspects théoriques sur la « cyberdépendance ». La majeure partie de cet article a été insérée dans le premier chapitre de la présente thèse aux pages 5 à 31 et une portion plus modeste a été intercalée au cinquième chapitre à la page 138. Six modifications mineures ont été apportées à l’article original pour l’insertion dans la thèse. Tout d’abord, le mot « article » a été remplacé par « chapitre ». Ensuite, les cinquième et sixième paragraphes, qui constituaient la méthodologie, ont été retranchés puisqu’ils n’étaient pas pertinents à la structure interne de la thèse (p. 8 à 9). La conclusion originale de l’article a été divisée en deux parties. La première partie se retrouve dans les deux premiers paragraphes de la section 1.5 sur les limites des études recensées aux pages 30 à 32 alors que la deuxième partie se situe à la page 138 du cinquième chapitre. Dans la thèse, deux points ont été ajoutés à la suite de l’article original afin d’y introduire les objectifs de la thèse et la pertinence de cette dernière. Ainsi, les

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xix sections 1.6 à 1.7 servent à mettre en exergue les limites des études recensées, à situer les objectifs de la thèse et à exposer la pertinence scientifique et sociale (p. 32 à 34).

Le cinquième chapitre, présentant les résultats d’analyse, est divisé en deux parties. La première partie respecte les règles d’une thèse classique sauf qu’à la fin de la discussion au point 5.2.2, un paragraphe de la conclusion du manuscrit a été ajouté (p. 138). Le septième chapitre, consacré également aux résultats d’analyse, est scindé en deux. La première partie respecte les normes d’une thèse classique alors que dans la deuxième partie, un second manuscrit a été inséré aux pages 243 à 262.

Ce deuxième manuscrit inséré dans la thèse s’intitule Les dispositifs de contrôle social en matière de « cyberdépendance » au Québec et au Canada. Il a été soumis à la revue scientifique Drogues, santé et société. La doctorante est l’auteure principale de ce manuscrit rédigé en collaboration avec madame Joane Martel, directrice de recherche. L’objectif principal de ce manuscrit est d’analyser l’intervention de type curatif en « cyberdépendance » au Canada et au Québec et il a été inséré dans le septième chapitre au point 7.3 de la présente thèse (pages 246 à 265). Quelques modifications mineures ont été apportées au manuscrit pour l’insertion dans la thèse. Tout d’abord, le mot « article » a été remplacé par « troisième point » puisque l’insertion de ce manuscrit suit deux premiers points argumentaires présentant la prévention et le repérage systématique et l’intervention précoce de la « cyberdépendance ». Ensuite, les trois premiers paragraphes de l’introduction (p. 246-247), la recension des écrits (p. 247) et les trois premiers paragraphes sur les considérations méthodologiques (p. 246-248) ont été supprimés puisqu’ils n’étaient pas pertinents à la structure interne de la thèse. De plus, la numérotation des titres et sous-titres de ce manuscrit a été arrimée à l’ensemble de la thèse.

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Introduction

Nous constatons qu’Internet occupe de plus en plus d’espace dans la vie des internautes québécois. Selon des données préliminaires de 2015, plus de 86,2 % des ménages québécois sont branchés à Internet. Cette proportion a connu une hausse de 11,2 points de pourcentage au cours des cinq dernières années. En 2015, les internautes québécois passent en moyenne 22,2 heures par semaine à naviguer sur le Web, soit 1 h 42 min de plus qu’en 2014. Les données québécoises révèlent, au même titre que celles du Canada, que l’âge et le revenu sont des variables importantes dans la fréquence d’utilisation d’Internet. Ainsi, la majorité des utilisateurs réguliers se retrouvent parmi les répondants âgés de 18 à 24 ans et la fréquence d’utilisation quotidienne diminue en fonction de l’avancée en âge (CEFRIO, aout 2015).

Les dernières statistiques démontrent que les internautes canadiens et québécois sont classés parmi les plus assidus et les plus réguliers de la planète. Faut-il s’en inquiéter? Est-il possible que l’utilisation d’Internet puisse poser problème pour certains d’entre eux? L’intérêt des chercheurs pour ces questions ne date pas d’aujourd’hui. Certains chercheurs ont voulu établir la fréquence des utilisateurs « problématiques » d’Internet auprès de multiples échantillons. Cette fréquence varierait de 5,9 % à 30 % des utilisateurs d’Internet (et non de l’ensemble de la population, une mesure nécessaire à la mesure de la prévalence) (Greenfield, 1999; Kaltiala-Heino et Rimpelà, 2004; Morahan-Martin, 2005; Parsons, 2006, cités dans Goyette et Nadeau, 2008). Aucune enquête épidémiologique comportant un échantillon représentatif d’une population n’a été menée à ce jour sur l’utilisation « problématique » rendant impossible l’établissement d’une réelle mesure de prévalence (Goyette et Nadeau, 2008). Or, les écarts observés sont attribuables à trois principaux facteurs : les variantes au niveau de la définition même de la problématique à étudier, le nombre limité de répondants et les biais méthodologiques visant le recrutement des échantillons et la sélection des sujets (Greenfield, 1999; Johansson et Gôtestam, 2004; Widyanto et Griffiths, 2006, cités dans Goyette et

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Nadeau, 2008). Garneau (1999a, novembre) ajoute un quatrième facteur soit la qualité du questionnaire de recherche afin de ne pas biaiser les réponses recueillies. À notre connaissance, aucune étude jusqu’à ce jour ne nous permet de tracer le portrait de la situation au Canada et au Québec.

Ce n’est qu’au milieu des années quatre-vingt-dix que des spécialistes en santé mentale se sont intéressés à la possibilité de développer une « dépendance » à Internet. Ainsi, l’année 1995 est centrale dans la construction sociale de la pathologisation de l’utilisation d’Internet puisque c’est à cette date qu’une première définition clinique et scientifique biomédicale est proposée. À cette époque, le psychiatre américain Ivan K. Golberg imagine une nouvelle pathologie (qu’il qualifie lui-même de ridicule) pour mettre en exergue la fascination de notre société pour ses propres dépendances et pour parodier le système de classification du DSM. Ainsi, ne s’appuyant sur aucun fondement scientifique, mais uniquement sur le modèle nosographique du jeu pathologique, il fabrique un nouveau trouble mental l’Internet Addiction Disorder. En ce qui concerne le Canada et le Québec, les premiers récits au sujet de ce « désordre » sont apparus un an plus tard soit en 1996. Bien qu’aucune recherche n’ait établi scientifiquement l’existence de la « cyberdépendance », sa reconnaissance soulève de vigoureux débats. La recherche présentée dans les pages qui suivent met en exergue le processus de construction sociale de la « cyberdépendance » au Québec et au Canada. En effet, nous verrons comment les différents acteurs sociaux en débattent dans trois arènes publiques (scientifique, psychosociale et médiatique). Certains tentent d’y faire reconnaitre l’utilisation dite excessive d’Internet comme un problème public alors que d’autres cherchent le contraire. Cette recherche est motivée par plusieurs interrogations. Depuis quand parle-t-on de la « cyberdépendance »? Comment est-elle définie? Quels sont les intérêts et les enjeux des différents acteurs à la faire reconnaitre comme un nouveau trouble pathologique? Ces questions orienteront la démarche de la présente thèse qui saisit le phénomène de « cyberdépendance » selon une perspective constructiviste, organisée en huit chapitres.

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3 Tout d’abord, la présente thèse constitue une thèse par insertion d’articles. Celle-ci comporte des chapitres traditionnels, tout comme des chapitres qui constituent à proprement parler, des articles ayant été soumis à des fins de publication. Elle est divisée en trois grandes parties. La première, qui est de facture théorique, traite de la problématique de la recherche. Plus précisément, le premier chapitre explore les différents discours quant à la naissance du concept de « cyberdépendance », sa reconnaissance comme problème et sa définition en tant que problème. Ce chapitre se termine avec la présentation des objectifs de recherche qui ont orienté la présente étude et la pertinence scientifique et sociale du thème. Le deuxième, dédié au cadre théorique de l’étude, s’inscrit dans une perspective constructiviste qui permet d’étudier les conditions favorisant la production des différentes constructions de la réalité élaborée par des acteurs sociaux. Pour ce faire, quatre principales perspectives permettant de documenter le processus de construction sociale de la « cyberdépendance » au Canada et au Québec sont mises à contribution : la construction d’un discours de K.T. Erikson, la construction sociale des problèmes sociaux de M. Spector et I. Kitsuse, la construction des problèmes publics de J. Gusfield et la théorie de la médicalisation de la déviance de P. Conrad et J. Schneider.

La deuxième partie de la thèse forme sa partie méthodologique. Le troisième chapitre décrit les aspects méthodologiques mis à contribution en vue de répondre aux objectifs de la présente étude. On y présente notamment une description du type d’étude, des arènes publiques sélectionnées aux fins d’étude, de la méthode de collecte de données, des critères de sélection et de la composition du corpus documentaire, de l’analyse des données, des mesures prises pour s’assurer de la qualité scientifique de cette étude, et se termine par la présentation des limites et lacunes méthodologiques.

La dernière partie de la thèse est consacrée à la présentation et l’analyse des résultats. On y retrouve quatre chapitres (4, 5, 6 et 7). Le chapitre 4 débat de l’existence du concept de la « cyberdépendance » comme un problème public. Il est

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divisé en trois parties, la première présente la naissance du concept au Québec et au Canada, la deuxième les discours minoritaires ne reconnaissant pas la « cyberdépendance » comme un problème, et la troisième les discours majoritaires la reconnaissant, au contraire, comme problème. Le chapitre 5 expose la classification de la « cyberdépendance » en mettant en exergue trois éléments importants : les différentes terminologies promues par les acteurs sociaux concernés, l’insertion de la « cyberdépendance » au sein de systèmes classificatoires et l’agencement de divers critères servant à diagnostiquer ledit phénomène. De plus, l’usage problématique d’Internet est discuté sous deux angles, soit comme un trouble mental ou comme un désordre de dépendance. Le chapitre 6 rend compte des tentatives d’explication de l’émergence dudit problème et présente les facteurs de risque qui contribueraient à l’avènement de la « cyberdépendance » selon les tenants du désordre de dépendance et selon les tenants du trouble mental. Ce chapitre se termine par la description des principales répercussions négatives invoquées comme étant liées à l’utilisation dite excessive d’Internet. Le dernier chapitre d’analyse explore les différentes modalités de réaction sociale afin de réagir à la « cyberdépendance ». Ce chapitre est divisé en trois parties s’inscrivant sur un continuum d’intervention. La première rend compte des réactions sociales s’inscrivant dans l’intervention préventive alors que la deuxième met en lumière les réactions liées au repérage et à l’intervention précoce. La troisième partie analyse les réactions sociales que nous avons amalgamées à l’intervention curative. La conclusion (chapitre 8) se veut un regard critique sur la démarche et sur les principaux résultats de l’étude. La thèse se conclut en proposant certaines recommandations à l’intention des chercheurs qui désireront poursuivre la recherche sur la construction sociale de la « cyberdépendance ».

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Chapitre 1 : Problématique

La « cyberdépendance » : un phénomène en construction1

Depuis quelques années déjà, certains auteurs luttaient pour faire reconnaitre l’utilisation d’Internet comme un objet potentiel de « dépendance » à inclure dans la cinquième version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) alors que d’autres ne partageaient pas cet avis. Ce chapitre porte sur la recension des écrits sur la « cyberdépendance »2. Par le prisme d’un regard critique, ce chapitre trace les principaux discours des acteurs sociaux qui participent à la construction sociale de la « cyberdépendance ». Plus spécifiquement, les affrontements, conciliations et fronts communs qui se constituent et se métamorphosent au sein de deux sphères d’influence importantes sont mis en lumière, soit celles de la science et de l’intervention sociale.

Introduction

Internet est devenu un outil offrant de nombreuses possibilités tant dans le domaine du travail que dans celui de l’éducation et de la communication. Son utilisation est encouragée socialement aussi bien sur le plan personnel que professionnel et il occupe une place majeure dans la vie de plusieurs individus (Louati, Lederrey, Scariati et Theintz 2007). Récemment, l’Union internationale des télécommunications (UIT) — l’agence des Nations Unies spécialisée dans les technologies de l’information et de la communication (2013) — estimait que plus de deux milliards et demi d’utilisateurs (2,749 milliards pour être précis) à travers le monde étaient branchés à Internet, soit plus du tiers (38.8 %) de la population

1 L’insertion du premier article débute ici. 2

Dans l’optique d’articuler clairement notre trame argumentaire, le terme « cyberdépendance » sera utilisé, dans ce chapitre, afin de nommer le phénomène étudié. Dans le processus de construction sociale dont il est ici question, ce terme est d’ailleurs en voie de devenir prépondérant dans certaines sphères professionnelles ainsi que dans l’opinion publique. Cependant, cette appellation ne doit pas être comprise comme étant révélatrice de la posture épistémologique de l’auteure, et ne sert, dans ce chapitre, qu’à « incarner » un phénomène encore fluide et difficile à saisir sans une terminologie liminaire. C’est pourquoi le terme sera utilisé entre guillemets.

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mondiale3. Or, l’intégration d’Internet dans la vie quotidienne des internautes ne s’est pas faite sans heurts. Un sondage effectué auprès des intervenants sociaux des vingt et un centre de réadaptation en dépendance du Québec met en lumière que, depuis 2003, plusieurs personnes, déjà en traitement pour des dépendances, les consultent également dans l’espoir de recevoir une aide relativement à des « problèmes » et des « souffrances psychiques » apparemment liés à leur utilisation d’Internet (Bouchard, 2009). Or, ces intervenants disent ne pas savoir comment appréhender précisément lesdits « problèmes » en raison de l’absence de définition claire et de critères d’évaluation reconnus. Ce sondage fait écho au questionnement similaire d’autres intervenants dans d’autres pays (Barnéoud, 2012; Benguigui, 2009). Ainsi interpellés par une nouvelle « clientèle » en demande d’aide, les intervenants sociaux et les chercheurs de plusieurs pays occidentaux s’interrogent sur l’émergence ou non d’une dépendance nouvelle.

Ce phénomène préoccupe donc des intervenants et des scientifiques à travers le monde, plus particulièrement des spécialistes du champ des dépendances. Ils s’interrogent sur les motifs, les conditions et les modalités qui font que la pratique de l’expérience virtuelle proposée par Internet pourrait devenir problématique par son utilisation dite abusive. Ils tentent, par ailleurs, de distinguer s’il existe un moment, un espace où le comportement de l’utilisateur d’Internet, décrit comme « normal », basculerait dans l’« anormal ». Mais, d’autres poseront la question tout autrement, à savoir : est-il même possible qu’un individu puisse devenir « dépendant » d’un vecteur tel qu’Internet?

Dans ce chapitre, nous mettons en lumière les principales constructions discursives qui participent à la « problématisation » de l’utilisation d’Internet, plus particulièrement dans les sphères d’influence que sont la science et l’intervention sociale. La sphère scientifique est sélectionnée, ici, pour analyse, car elle est généralement reconnue, en sociologie des connaissances, comme étant l’une des

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7 principales sphères d’influence sociale qui régulent, policent et disciplinent la légitimation ou la marginalisation des savoirs relativement à des questions complexes, incertaines ou non définies (Knorr-Cetina, 1981). La construction sociale de « phénomènes » nouveaux passe donc notamment par l’arène scientifique qui se constitue, dans ces cas précis, comme un véritable laboratoire de production de connaissances sur le phénomène à saisir, incluant son identification, sa classification et sa résolution. La science tend, dès lors, à circonscrire et complexifier toutes sortes d’incertitudes ontologiques et épistémologiques et a généré des « vérités ». La sphère de l’intervention sociale, quant à elle, a été retenue, car elle est le corollaire de la première; la légitimation de certains savoirs se traduisant fréquemment en législations, réglementations ou politiques sociales diverses et, dans le cas qui nous intéressent, en protocoles d’intervention sociale. Spécifiquement, nous analysons comment des acteurs sociaux issus de ces deux sphères d’influence (non mutuellement exclusives) proposent différentes appellations dudit « problème », tentent de le définir, de le diagnostiquer et de le classifier afin d’en identifier les « victimes ».

Notre discussion s’inspire de certains concepts puisés à même la théorie de l’acteur-réseau, ce segment de la sociologie des sciences et technologies qui tente d’expliquer les processus par lesquelles des « revendications de savoir » se disséminent, dans le temps et dans l’espace, et parviennent à s’imposer (ou non) à divers auditoires tels que des communautés épistémologiques, des auditoires politiques ou le grand public (Latour, 1987). Selon Callon (1986), la traduction de « revendications de savoir » en « faits » requiert problématisation et enrôlement. Pour sa part, la problématisation renvoie aux manières par lesquelles les acteurs tentent d’attribuer un caractère indispensable à leurs « revendications de savoir » aux yeux d’auditoires ciblés en définissant ou accentuant les problèmes auxquels ils sont (prétendument) confrontés et en présentant la revendication souhaitée comme étant l’indispensable solution auxdits problèmes (Callon, 1986). Une fois la problématisation parachevée, la table est alors mise pour une série de mises à

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l’épreuve4

dans lesquelles les acteurs cherchent à enrôler les auditoires ciblés — se constituer un réseau d’appuis — en les convainquant de la pertinence et de la validité de la revendication de savoir promue (Latour, 1987). Le sort d’une revendication de savoir n’est jamais joué à l’avance puisque les acteurs et les auditoires peuvent ultimement y adhérer, certes, mais peuvent également la transformer, la marginaliser, l’ignorer. Dans l’une comme dans l’autre des subdivisions de ce chapitre, nous soulignons au passage comment la construction sociale de la « cyberdépendance » est notamment ancrée dans la légitimation professionnelle des acteurs concernés5.

Les discussions qui suivent abordent essentiellement la construction sociale de la « cyberdépendance » dans les arènes scientifique et psychosociale, et ce, au-delà des frontières géopolitiques (mais non pas discursives) du Canada. Dans la mesure où une telle analyse globale pose les fondements des analyses ultérieures, la construction de la « cyberdépendance » dans les arènes judiciaire et médiatique — de même que la situation particulière du Québec et du Canada — feront prochainement l’objet d’analyses distinctes6

.

1.1 Problématiser un nouveau phénomène social

Depuis plus de vingt ans, plusieurs publications (médiatiques et professionnelles) et de nombreuses recherches scientifiques, notamment aux États-Unis, traduisent l’intérêt marqué spécialement des psychologues, des psychiatres et des « psychopathologues » pour la relation que l’humain développe avec l’univers du cyberespace7, et ce, dans le monde entier (Griffiths, 1995). Le premier à s’être véritablement intéressé à une hypothétique « dépendance » à ce cyberespace, fut le psychiatre américain Ivan K. Goldberg, en 1994. Il a été et est toujours considéré

4 Trials of strength.

5 La partie méthodologique a été retranchée de l’article. 6

La construction sociale de la « cyberdépendance » au Québec et au Canada constitue le cœur des analyses de cette thèse de doctorat. Ces analyses seront élaborées dans les chapitres 4, 5, 6 et 7.

7 Dans l’historiographie d’Internet, l’année 1990 est généralement considérée comme marquant la naissance du réseau des réseaux, du monde virtuel (Minotte et Donnay, 2010). La naissance d’Internet contemporain se serait, plus précisément, produite à la suite de la distribution massive des gratuiciels Netscape et Internet Explorer en 1994 et 1995. À la faveur de cette distribution, Internet connut, entre 1995 et 2000, sa plus grande recrudescence (Ouimet, 2006).

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9 comme l’instigateur du concept de « cyberdépendance » (Deschryver et Rifaut, 2005). Dans le cadre de sa participation à un forum de discussion portant sur le Net, destiné aux psychiatres américains et intitulé La Psychologie de l’Internet, Goldberg poste, à la blague (Wallis, 1997), une pseudo classification desdits symptômes de la « dépendance » à Internet dans le but de parodier la complexité et la rigidité du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie. Il nomme ce trouble : Trouble lié à la dépendance à Internet8. Pour ce faire, il s’inspire des critères diagnostiques de la toxicomanie et définit ce « trouble » comme étant un mauvais usage d’Internet qui conduit à une détresse cliniquement significative9. Il transmet cette information sur la Toile en omettant toute justification scientifique. Tout de go, il décrète du même coup que la manifestation, chez un individu, de trois critères au cours de la même année est suffisante pour établir un diagnostic de dépendance à Internet (Benguigui, 2009). Dans ce même élan fantaisiste, il propose également la constitution d’un groupe d’entraide qu’il appellera Groupe soutien à la cyberdépendance10.

Inopportunément, cette bonne blague que Goldberg a transmise à ses confrères-psychiatres sera également remarquée par des néophytes aussi présents sur ce forum. La plaisanterie suscitera de nombreuses discussions si bien que l’idée de l’existence réelle d’une « cyberdépendance » se transmettra comme une trainée de poudre chez différents experts (médecin, psychiatre, scientifique, intervenant, etc.) ainsi que dans différents médias. Un premier article journalistique intitulé « Le leurre et la dépendance à la vie en ligne »11, paru en mars 1995 dans le New York Times, engendre un certain désarroi dans la population, car un médecin spécialiste des dépendances de l’Université Harvard y définit le phénomène comme étant du « computerisme » selon lequel les habitudes en ligne s’apparenteraient à l’exercice ou aux achats compulsifs (O’Neill, 1995). Goldberg tente rapidement de démentir l’information, mais il semble visiblement trop tard, la destinée de sa revendication

8 Internet Addiction Disorder (I.A.D.).

9 La liste complète des symptômes dudit trouble a été repérée à http://www.psycom.net/iadcriteria.html 10 Internet Addiction Support Group.

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10

d’expertise étant désormais entre les mains d’autrui (Latour, 1987). Il se retrouve subitement inondé d’entrevues médiatiques et plusieurs correspondants se joignent à sa liste d’expédition sur le Net afin de discuter de leurs utilisations personnelles d’Internet. Manifestement contre sa volonté, sa nouvelle classification, un peu fantaisiste des symptômes élaborés en faisant appel à l’autorité du DSM-IV, est prise au sérieux et suscite de nombreuses réactions de la part de chercheurs universitaires et de professionnels en santé mentale (Deschryver et Rifaut, 2005). Il faut rappeler le caractère quasi divin du DSM qui constitue la mesure étalon suprême en matière d’évaluation de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui la santé mentale. De là, un pas, vite franchi, conduit directement l’interlocuteur souhaitant faire acte de foi — c’est forcément vrai puisque c’est écrit, semblait-il, dans le DSM. Déjà, la canalisation de l’usage « problématique » d’Internet vers la santé mentale en dit long sur la médicalisation naissante de ce « problème » tout aussi naissant. De surcroit, en s’inspirant de l’instrument hégémonique qu’est le DSM, Goldberg vint emmurer la compréhension sociale de la « cyberdépendance » dans la segmentation spatio-temporelle du monde qui est propre à cette bible du trouble mental. Ainsi, sans que la recherche sur le sujet n’ait réellement débuté, on trouva déjà, dans la première moitié des années 1990, des sites d’information, de discussion, de soutien, mais aussi de traitement en ligne pour les « cyberdépendants » (Benguigui, 2009). Pour certains, une nouvelle « pathologie » venait de naitre et ouvrait, avec elle, un secteur inédit de spécialisation au sein des professions en relation d’aide. Bruno Latour (1987) conclurait, ici, que, dès les premiers moments de sa courte histoire, la « cyberdépendance » a été « traduite » en un fait, comme si l’utilisation démesurée d’Internet ne pouvait, d’ores et déjà, plus s’imaginer sans l’attribut « dépendance », et ce, sans réelle problématisation du phénomène ou enrôlement d’auditoires ciblés.

En effet, depuis la cyberdissémination de la blague de Goldberg, certains affirment que les études effectuées jusqu’à maintenant n’ont pas permis de valider le concept de « dépendance » à Internet en raison de leur manque de spécificité théorique et conceptuelle. Elles présentent des défaillances scientifiques, tant dans l’échantillonnage utilisé, dans la définition des critères que dans la comptabilisation

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11 de la prévalence du phénomène étudié (Caplan, 2002; Lenihan, 2007; Minotte et Donnay, 2010). En marge de telles connaissances, à l’état de véritable gruyère, il convient de mettre en relief deux évidences. La première est qu’à partir d’une simple plaisanterie sans fondement scientifique, toute une construction discursive, sise sur moult narratifs souvent analogues et parfois opposés, s’échafaudera sur le concept de « cyberdépendance ». La seconde est que l’attribut « cyberdépendance », aux sonorités savantes et légitimatrices, est en voie de devenir, notamment dans l’opinion publique, un problème de société.

1.2 Débattre de l’existence de la « cyberdépendance »

Pourtant, l’idée selon laquelle une personne peut développer une « dépendance » à Internet divise les experts des deux sphères d’influence (psychiatre, médecin, psychologue, travailleur social, sociologue). Plusieurs d’entre eux ont donc tenté d’exposer leur vision dudit « problème », ce qui a provoqué de nombreux débats. Une analyse des narratifs a permit de mettre en lumière les trois principales controverses génératrices de ces débats.

Un des principaux enjeux scientifiques gravitant autour de l’existence ou non de la « cyberdépendance » repose sur la controverse entourant la nature même du phénomène de dépendance. La difficulté de préciser clairement ce qu’est une « dépendance » constitue à elle seule un terrain propice à de multiples interprétations et se situe en plein cœur des débats (Room, 1995). Loin d’être l’objet d’une discussion stérile, le concept de dépendance est un enjeu psychosocial de taille dans la mesure où la conception et la définition d’une condition auront un impact direct sur la compréhension du phénomène (Suissa, 2007a). Depuis plus de deux cents ans, l’histoire sociale des dépendances témoigne de la confrontation de différentes représentations sociales sur la manière d’appréhender et de comprendre le phénomène des dépendances (Fonséca, 2004; Hulsman et Ransbeek, 1983; Valleur et Véléa,

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2002). Chaque époque présente son regard, sa façon particulière de les nommer et de les considérer.

Ainsi, certains chercheurs et cliniciens préfèreront construire la question de la dépendance sous l’angle moral en l’associant davantage au « vice », au « péché » ou à une « déviance sociale » (Cormier, 1984), alors que d’autres la construiront plutôt selon l’optique médicale en l’associant à une « maladie » ou une « pathologie » qui doit être endiguée (Lavigne, 1978). D’autres, encore, l’aborderont plutôt sous l’angle du discours psychosocial où la « dépendance » représente une manière de faire face au monde ou à soi-même, un « style de vie » (Cormier, 1984; Peele, 1982). Bien que tous semblent ratifier l’existence d’une « dépendance », la définition du terme variera indubitablement en fonction du cursus scolaire de chacun des professionnels et de la position hiérarchique qu’il occupe dans la société (Hulsman et Ransbeek, 1983). Pour les tenants de l’approche biomédicale, la dépendance se définit par des altérations du système cérébral entrainant une modification des comportements et une dégradation des fonctions du corps, c’est-à-dire une « maladie » (Barnéoud, 2012). Les physiologistes l’expliqueront par un dysfonctionnement des organes et du métabolisme; les généticiens y verront plutôt un désordre génétique associé à des marqueurs génétiques spécifiques ou à l’hérédité (Suissa, 1999) et les pharmaciens expliqueront généralement le phénomène des dépendances par des réactions aux substances et par la tolérance croissante du physique de la personne au produit consommé (Suissa, 1999).

Quant à eux, les psychiatres l’aborderont sous l’angle d’un trouble mental tel que défini dans le DSM avec des critères comportementaux qui leur permettent de distinguer une simple manie d’une véritable « maladie » psychologique (Barnéoud, 2012). Les psychologues l’associeront, pour leur part, à un problème d’estime de soi ou au symptôme d’un malaise cachant des difficultés sous-jacentes (Suissa, 1999). En ce qui les concerne, les sociologues y observeront une réaction de la personne au processus de régulation sociale et l’associeront à des contraintes inhérentes aux rapports sociaux (Suissa, 1999). Malgré cette diversité d’avis professionnels et

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13 scientifiques, le modèle explicatif de type « pathologique » continue de jouer un rôle prépondérant dans le discours scientifique associant la « cyberdépendance » à la maladie (Suissa, 2008).

Pour Walker (1989) et Rachlin (1990), le débat entourant la définition de la dépendance ne s’arrête pas là. Selon eux, l’appellation « dépendance » devrait être utilisée uniquement en cas d’absorption physique de substances comme l’alcool, les drogues ou les médicaments. Seules ces substances peuvent provoquer, à leur avis, un besoin et une tolérance physiques. Au contraire, Peele et Brodsky (1975) ainsi que Weil et Winifred (1983) estiment que la notion de dépendance s’applique aussi lorsqu’il y a absence de substance psychotrope. Ces derniers abordent la question de la dépendance dans une optique plus psychosociale que pathologique. Selon eux, ce n’est pas la substance toxique qui détermine le niveau de risque ou de souffrance, mais bien l’expérience positive ou négative vécue par l’individu en lien avec ladite substance. À la manière de ces auteurs, la dépendance ne serait pas un état permanent, mais relèverait plutôt d’un continuum d’apprentissage de comportements individuels en réaction à des conditions occasionnées par un environnement social et culturel précis (Peele, 1982, 1991; Perkinson, 2003; Valleur et Matysiak, 2003; Weil et coll., 1983). Cette construction sociale particulière permet d’élargir le concept de dépendance en l’accolant à une grande variété d’activités humaines (ex. : jeux de hasard et d’argent), de conduites à risque (ex. : rapports sexuels non protégés) et à toute autre activité jugée « excessive et nuisible » à l’évolution de l’individu (ex. : sexe, travail, sport, etc.). Certains auteurs parlent alors de « dépendance » comportementale et considèrent que la « dépendance » à Internet est bel et bien, dans cette circonstance, une dépendance comportementale au même titre que le jeu pathologique (Block, 2008; Griffiths, 1996, 1997; Marks, 1990; Stein, 1997; Valleur et coll., 2003; Valleur et coll., 2002; Young, 1996; Young et Rogers, 1998).

Or, les dépendances comportementales ont déjà fait l’objet de controverses, car, historiquement, les scientifiques avaient limité l’utilisation exclusive du terme « dépendance » aux substances entrainant une dépendance physique (ex. : alcool,

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drogues) (Holden, 2001; Tisseron, 2008). D’autres acteurs de ce milieu réfutaient totalement la définition dite comportementale de la dépendance en invoquant qu’elle n’était pas répertoriée et qu’aucune définition n’existait dans les deux manuels de classification médicale et psychiatrique les plus utilisés internationalement, soit le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) issu de l’Association américaine de psychiatrie (APA) et la Classification internationale des maladies (CIM) publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans le DSM-IV, la dépendance comportementale se retrouvait plutôt dans la catégorie dite « fourre-tout » des troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs au même titre que la kleptomanie, la pyromanie, etc. Pour Gaon (2008), Holden (2001), Pedinielli, Rouan et Bretagne (1997), Quinn (2007) ainsi que Tisseron, Missonier et Stora (2006) l’utilisation d’Internet ne peut être considérée comme une « dépendance » puisqu’il n’y a pas d’absorption de substances potentiellement toxiques. À leur avis, pas de substance toxique, pas de « dépendance »! Or, dans la cinquième édition du DSM, une nouvelle catégorie fait son apparition. Sous l’intitulé « Dépendances comportementales12 », cette catégorie inclut dorénavant le trouble du jeu13 comme étant un trouble distinct (APA, 2013) à la faveur de recherches suggérant que le trouble du jeu serait similaire aux troubles liés aux substances. Les études ont démontré que le jeu active les systèmes de récompense et produit certains symptômes comportementaux similaires aux troubles liés aux substances (APA, 2013; DSM, 2013).

Malgré la nette tendance à problématiser de plus en plus l’utilisation d’Internet en usant d’un discours axé sur la « dépendance comportementale », plusieurs scientifiques hésitent encore à l’encarcaner dans ce moule. Ils considèrent que l’utilisation d’Internet dite abusive pourra s’enraciner en tant que « dépendance » seulement lorsque la preuve démontrera que les comportements compulsifs sans produit psychotrope conduisent à des changements à long terme sur les circuits de récompense au même titre que la dépendance aux psychotropes, et que le « trouble du

12 Addictive disorders. 13 Gambling disorder.

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15 jeu » depuis peu (APA, 2013; Holden, 2001). Toutefois, Valleur et coll. (2002) dénoncent le manque d’audace de ces chercheurs qui attendent que les technologies de l’imagerie cérébrale procurent des réponses quant à la réalité neurologique du concept de dépendance comportementale.

La seconde controverse entourant l’existence d’une nouvelle « cyberdépendance » tient au fait qu’Internet puisse être, ou non, considéré comme un produit destiné initialement à créer une dépendance. Pour plusieurs psychologues, sociologues et psychiatres, Internet n’est essentiellement qu’un support neutre sans valeur nocive en soi (Potera et Bishop, cités dans Courvoisier, 2007). Selon les tenants de cette approche, Internet n’est pas dangereux pour l’organisme contrairement à d’autres produits tels le tabac, l’alcool, la drogue ou les médicaments qui, selon de nombreuses études, peuvent entrainer des dangers pour l’organisme, lorsque consommés d’une manière excessive (Brisson, 2000; Centre québécois de lutte aux dépendances, 2006). Par ailleurs, l’utilisation d’Internet, même excessive, semble un comportement socialement acceptable et encouragé (Courvoisier, 2007; Lenihan, 2007; Levey, 1997; Rheingold, 1993; Turkle, 1995; Valleur et coll., 2003). Bell (2007) rappelle qu’Internet n’est pas une activité en soi, mais plutôt un réseau de communication14 et que son usage ne peut engendrer une « dépendance », pas plus que ne le font les ondes radio. La notion de « dépendance » n’a donc aucun sens pour Bell (2007).

Bien que certains auteurs, comme Bell (2007), remettent en question la notion même de « dépendance » dans l’articulation de leur vision du « problème », une portion notable d’auteurs tend, a contrario, à confirmer l’existence d’une nouvelle dépendance et s’attarde à promouvoir diverses appellations pour la nommer. C’est ce qui explique la troisième controverse entourant la construction sociale de la « cyberdépendance ».

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