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Classification liée aux différents contenus en ligne

1.4 Classer les types de « cyberdépendance »

1.4.2 Classification liée aux différents contenus en ligne

Outre les profils d’utilisation, la classification de la « cyberdépendance » peut aussi s’effectuer par le biais de typologies. Celle de Young (1999) est constituée de quatre types spécifiques de « cyberdépendance » qui se distinguent en fonction du contenu numérique recherché. Le premier type, la dépendance à la sexualité en ligne, est la plus commune et consiste à regarder, télécharger, acheter de la pornographie ou participer à des activités à caractère sexuel en ligne. Le second, la cybercommunication, touche la cybercorrespondance et l’engagement dans différentes relations en ligne. En troisième lieu, le comportement « obsessionnel » ou « compulsif » lié aux jeux et aux transactions en ligne comprend tout ce qui est offert sur le réseau Internet. Finalement, dans le cyberamassage20, dépendance peu commune, la personne tend à surfer compulsivement à la recherche d’une grande quantité d’informations sans être capable de les trier. Pour cette dernière, une grande partie du pouvoir accrocheur d’Internet provient plutôt de l’abondance de son contenu.

19 À l’instar d’Adam (2012, p. 146), nous reconnaissons la distinction conceptuelle existant entre le concept de classe et celui de catégorie. À cet égard, nous convenons que les classes sont mutuellement exclusives alors que les catégories s’articulent au sein

d’une systématique d’ensemble.

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Steiner (2009), pour sa part, suggère deux familles d’Internetomanie. La première, l’Internetomanie primaire, englobe toutes les personnes dépendantes à Internet qui entretiennent une relation de fascination avec leur ordinateur et avec la communication en ligne (clavardage, courriel, forum, etc.). Ainsi, Internet n’est plus considéré comme un support de dépendance classique, mais comme un outil offrant de nouvelles pratiques addictives. Dans l’Internetomanie secondaire, la personne n’est fascinée ni par la technique ni par l’informatique ou le monde virtuel lui-même. En revanche, sa connexion à Internet représente un moyen de développer une autre dépendance comportementale telle que le jeu pathologique, les achats compulsifs ou la dépendance sexuelle.

Chez Greenfield (1999), trois classes d’utilisation d’Internet sont offertes. Les vagabonds électroniques qui naviguent sur Internet pour le plaisir de découvrir de nouveaux sites et qui ne présentent aucun problème, les intoxiqués des salons de clavardage ou de courriels qui privilégient ce type d’échanges au détriment de contact humain et les utilisateurs d’Internet comme outil qui les amènent vers des dépendances comme le jeu, les achats, le sexe.

Pour leur part, Deschryver et Rifaut (2005) émettent l’hypothèse qu’il existe quatre types de « cyberdépendance », soit : l’addiction à l’information, aux jeux en réseau, l’addiction à caractère relationnel ou communicationnel et celle à caractère virtuel. Les psychologues américains Pratarelli et coll. (1999) proposent également une typologie comprenant trois profils types d’internautes qui est centrée, certes, sur les comportements « dysfonctionnels » liés à l’utilisation excessive d’Internet, mais qui inclut également l’utilisation productive d’Internet. On retrouve, ainsi, les usagers raisonnables qui utilisent Internet modérément et considèrent l’ordinateur comme un objet nécessaire. Ils en font une utilisation fonctionnelle. Le second profil type est celui des drogués du Web. Ceux-ci sont incapables de se passer d’Internet, tant de jour comme de nuit; ils se coupent et s’isolent de la vie quotidienne et présentent des comportements dysfonctionnels occasionnés par l’utilisation excessive d’Internet. Le troisième profil regroupe les accros du cybersexe qui feraient un usage compulsif

27 d’Internet centré sur les sites pornographiques et seraient à la recherche de gratifications sexuelles ou sociales.

Louati et coll. (2007) proposent, quant à eux, une catégorisation plus fine qui se subdivise en cinq sous-groupes de « cyberdépendance » : la « cyberdépendance » à caractère relationnel (qui fait référence aux relations virtuelles développées par le biais des sites de réseaux sociaux), la « cyberdépendance » à caractère financier (qui couvre les jeux de hasard en ligne), les jeux d’action et d’aventure ainsi que les jeux de console connectés sur Internet, la « cyberdépendance » à caractère informationnel et, enfin, celle à caractère sexuel.

Tableau 3

Constructions scientifiques des catégories de « cyberdépendance »

Catégorisation liée à l’utilisation d’Internet

Auteurs Catégorisations Définitions

Scherer (1997) Widyanto et McMurran (2004)

1) Usage essentiel ou professionnel 2) Usage non essentiel ou personnel

1) Utilisation pour le travail ou les études 2) Utilisation récréative

Catégorisation liée au contenu

Auteurs Catégorisations Définitions

Greenfield (1999) 1) Vagabond électronique 2) Intoxiqué

3) Internet un vecteur

1) Navigation pour le plaisir de découvrir (aucun problème)

2) Privilégie les communications par courriels et salons de clavardage

3) Internet comme vecteur d’une autre dépendance (jeu, achat, sexe, etc.) Young (1999) 1) Dépendance à la sexualité en ligne

2) Cybercommunication 3) Jeux et transactions 4) Cyberamassage

1) Sexualité et pornographie

2) Clavardage, courriel, relation en ligne (relations sociales)

3) Tous les jeux sur Internet (personnage virtuel) et transactions en ligne

4) Dépendance à tout genre d’informations Pratanelli et coll.

(1999)

1) Raisonnable 2) Drogués au Web 3) Accro du cybersexe

4) Utilisation positive d’Internet

1) Utilisation modérée d’Internet

2) Utilisation compulsive de jour et de nuit 3) Utilisation compulsive de sites

pornographiques

4) Peu ou pas de dépendance à Internet Deschryver et

Rifaut (2005)

1) Addiction à l’information 2) Addiction aux jeux en réseau 3) Addiction à caractère relationnel ou communicationnel

4) Addiction au virtuel

1) Recherche d’informations au sens large du terme

2) Jeux vidéos, multijoueurs, etc. 3) Clavardage, forum, messagerie électronique, etc.

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Le Tableau 3 qui synthétise les constructions classificatoires de la « cyberdépendance » dont nous avons discuté ci-haut laisse entrapercevoir le degré de sophistication actuelle du fractionnement de la « réalité » de la cyberdépendance en micro « problèmes », chacun nécessitant un regard et une intervention spécialisés, de la part d’« experts » tout aussi spécialisés. Ce découpage classificatoire de l’infiniment petit met en lumière le fait que les savoirs scientifiques et cliniques sont des types distincts de pratique sociale et qu’ils doivent être envisagés dans leurs dimensions politiques, économiques et morales (Giddens, 1979). C’est précisément en tant que tel que les savoirs scientifiques et cliniques acquièrent une influence sociale manifeste et que certains espaces discursifs, notamment ceux ratifiant une forme ou une autre de pathologisation de la « cyberdépendance », peuvent devenir hégémoniques. Nos données n’auront pas permis d’identifier aucun discours véritablement marginal à cet égard au sein de notre corpus.

Conclusion

Internet fait partie grandissante des sphères de la vie quotidienne. Si la plupart des utilisateurs gèrent modérément leur usage du Web, une faible minorité y passerait une grande proportion de leur temps, délaissant ainsi leurs diverses responsabilités et regrettant les conséquences néfastes qu’aurait ce médium sur leurs vies. L’utilisation d’Internet demeure un phénomène social mal connu et ce champ d’études reste encore flou. Il constitue un enjeu crucial sur les plans scientifiques et sociaux. À titre d’exemple, nous avons analysé certains conflits et débats entourant la qualification et la quantification du phénomène que l’on cherche à problématiser. Les acteurs sociaux dont il a été question ne peuvent toujours pas affirmer scientifiquement, dans la première moitié des années 2010, l’existence d’une « dépendance » à Internet. Alors que plusieurs luttaient pour faire reconnaitre la « cyberdépendance » dans le nouveau Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux-version 5 (Block, 2008) et que certains s’interrogeaient sur les critères possibles de son diagnostic (Beard et Wolf, 2001), d’autres contestaient l’idée même que la « cyberdépendance » soit intégrée aux dépendances (Blaszczynski, 2008; Wood, 2008). Force est de constater

29 que, sur le plan scientifique, la recherche en est à ses premiers balbutiements et que les acteurs des sphères scientifique et de l’intervention sociale sont encore loin d’atteindre un consensus. Malgré l’éclairage récent fourni dans le DSM-5, les tenants d’une approche pathologisante de la « cyberdépendance » demeurent, encore aujourd’hui, divisés sur sa construction sociale en tant que trouble distinct ou en tant que symptôme d’un autre trouble sous-jacent. Des polémiques très actives subsistent aussi à l’égard de la classification appropriée de la « cyberdépendance » comme trouble du contrôle des impulsions ou trouble obsessionnel compulsif ou, encore comme « dépendance » (Winkler, Dörsing, Rief, Shen et Glombiewski, 2013). En dépit de cette absence de consensus qui selon Adam (2012) est si cher aux yeux des concepteurs du DSM, la section III de la cinquième monture dudit instrument — intitulée Troubles sous examen supplémentaire21 — nous informe de l’apparition d’un tout nouveau diagnostic, le « trouble du jeu sur Internet »22. Bien qu’ils ne soient pas prêts à envisager d’inclure ce nouveau « problème » en tant que trouble officiel dans le DSM-5, les concepteurs l’estiment suffisamment significatif pour justifier davantage de recherches et d’expérimentations cliniques à son sujet (APA, 2013; DMS, 2013). Son apparition dans la section des Troubles sous examen supplémentaire signifie que, dans un proche avenir, des études épidémiologiques devront être effectuées afin de documenter l’influence possible de la génétique et des facteurs biologiques sur la prévalence et l’évolution clinique dudit trouble (APA, 2013). Le DSM s’impose aujourd’hui comme outil de « connaissance » d’un nombre croissant de réalités sociales23. Que son utilisation soit optionnelle ou imposée en vertu des différentes chartes professionnelles, le DSM demeure un instrument utilisé autant dans les domaines de l’expertise scientifique, de la recherche et de la formation universitaire que dans celui des soins et de l’intervention sociale. Les idéologies professionnelles et les convictions épistémologiques des scientifiques auront, certes, eu un rôle à jouer dans l’édification de frontières sociales permettant de garder à

21 Conditions for further Study. 22

Internet Gaming Disorder. Communément appelé « trouble de l’utilisation d’Internet », « dépendance à Internet » ou « dépendance au jeu » (Petry et O’Brian, 2013).

23 Le DSM-III-R (1987) comprenait 292 classes diagnostiques alors que le DSM-IV (1994) se composait de 410 troubles psychiatriques. La cinquième version (http://www.dsm5.org/about/pages/dsmvoverview.aspx) comprend un nombre davantage élevé de classes diagnostiques. Gori et Del Volgo (2008) stipulent que cet expansionnisme galopant serait notamment assuré par le soutien politique et économique des compagnies pharmaceutiques, et des compagnies d’assurance.

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bonne distance certaines activités intellectuelles en les targuant de pseudoscience (Knorr-Cetina, 1981). Ce travail de démarcation24 permet également aux scientifiques de résoudre, d’une part, les ambigüités qui sont si caractéristiques des catégories avec lesquelles elles travaillent, de justifier, d’autre part, leurs intérêts de recherche et, enfin, de légitimer leur orientation professionnelle.

Ayant comme corollaire la création de populations homogènes d’individus prêts à traiter, le DSM construit, par ricochet, des sujets foucaldiens produits du pouvoir, mais également de nouvelles manières pour une grande variété d’individus de se comprendre eux-mêmes et de comprendre ceux qui les entourent (Pickersgill, 2011). La fusion de tels scripts culturels, moraux et cliniques contribue à la constitution même du sujet pathologique et à une certaine déviantisation du quotidien. Adam (2012, p. 149) souligne que devant « l’étrangeté et la nouveauté empiriques » n’entrant pas dans le moule de systèmes classificatoires préexistants, trois options se sont historiquement offertes aux entreprises classificatrices : l’exclusion au banc des monstruosités, l’ajout « négocié » de la nouveauté au sein de classes hybrides créées pour les besoins de la cause ou la création de classes nouvelles dans lesquelles insérer la nouveauté.