• Aucun résultat trouvé

Les grandes orientations de la politique étrangère turque

1.2.2. La Turquie et l’Europe

La Turquie et l‟Union européenne

La Turquie est le plus ancien associé de l‟Union européenne. Elle s‟était adressée à la C.E.E. dès juillet 1959 dans le but d‟établir des liens et de préparer sa future adhésion. Les accords de septembre 1963 créaient une association économique privilégiée entre la Turquie et la C.E.E. et prévoyaient le rapprochement progressif des politiques économiques des deux partenaires. L‟adhésion définitive était prévue (article 28). Conclu dans une période d‟euphorie et de croissance économique, cet accord a mal vieilli et sa réalisation s‟est heurtée à plusieurs problèmes44

: la libre circulation des travailleurs, l‟ouverture de la C.E.E. à certains produits exportés par la Turquie (textile et produits alimentaires notamment), l‟alignement des tarifs douaniers turcs sur les tarifs extérieurs communs de la C.E.E. et, enfin, la question des droits de l‟homme et de la démocratie en Turquie. Le coup d‟État de 1980 a mis un coup d‟arrêt aux relations Turquie-C.E.E. et le quatrième protocole financier a été bloqué.

42

Milliyet, 24/7/97.

43

USA National Trade Data Bank et Anadolu Ajansi, 22/3/98. Voir également “Turkish-Us Economic relations”, DEIK

Bulletin, février 1997.

44

Jean-Joseph Schwed, “La Turquie et la Communauté Européenne”, in Jacques Thobie, Salgur Kançal (ed.), Turquie,

Moyen-Orient, Communauté européenne, Paris, L‟Harmattan, 1989, pp. 359-370. Voir aussi, par exemple, Jacques

Bourrinet, “La CEE confrontée à la demande d‟adhésion de la Turquie”, Revue du Marché Commun, n°324, février 1989, pp. 78-86.

43 Les relations ont repris en 1986 et la Turquie a officiellement présenté sa candidature à la C.E.E. en avril 1987. En décembre 1989, les instances communautaires ont rendu publique leur décision qui était de... ne pas décider : sans opposer de refus définitif à la demande d‟adhésion turque, l‟examen du dossier était renvoyé à une date postérieure à 199345

. Dans son avis sur la demande d‟adhésion de la Turquie, la Commission de Bruxelles motive son refus d‟engager des négociations par des difficultés internes à la C.E.E. et par des obstacles liés à la situation même en Turquie : l‟état de l‟économie turque (inflation, poids du secteur agricole dans l‟économie, chômage, etc.)46, la démographie galopante de la Turquie et bien sûr les risques de migrations qui y sont liés, la question des droits de l‟homme et de la répression du mouvement kurde et, enfin, le règlement des contentieux avec la Grèce, devenue entre temps membre de la C.E.E.

A ces raisons officielles, il faut en ajouter une autre et non des moindres, l‟obstacle culturel. La Turquie a beau être un pays laïc, sa population n‟en est pas moins musulmane et l‟intégration d‟un pays musulman dans les institutions européennes reste problématique. Si l‟alliance avec la Turquie est, pour des raisons politiques et stratégiques, recherchée par les Européens, économiquement et politiquement, ceux-ci ne veulent pas en payer le prix. « Dès lors, les rapports d‟associations apparaissent comme une formule médiane idéale du point de vue communautaire »47

. Côté turc, c‟est bien pour des motifs symboliques (concrétiser sur le plan institutionnel le choix kémaliste d‟une occidentalisation de la Turquie) mais surtout économiques et politiques (accès aux marchés européens et renforcement de sa puissance régionale), que l‟intégration à la C.E.E. est recherchée. Cependant, elle aussi ne veut pas en payer le prix en termes d‟ingérence dans ses affaires intérieures (ou de ce qui est perçu comme tel). L‟arrestation de quatre députés kurdes à la veille du débat au parlement européen sur l‟union douanière avec la Turquie, est, à cet égard, éclairante. Si ces arrestations étaient jugées nécessaires par les autorités turques, celles -ci auraient bien pu attendre quelques jours avant de les réaliser, s‟épargnant ainsi des frictions avec les parlementaires européens. Les dirigeants turcs semblent avoir voulu souligner ici que l‟intégration à l‟Europe ne pourra se faire qu‟à cette condition, et que s‟ils sont prêts à faire de nombreux efforts dans les domaines économique ou culturel (privatisation, laïcité, etc.), ils n„accepteront aucunement de remettre en cause leur droit exclusif de gérer leurs affaires intérieures.

45

“Avis de la Commission sur la demande d‟adhésion de la Turquie”, Europe-Document, édition française, Bruxelles- Luxembourg, n°1589, 20 décembre 1989.

46

A la date de la demande d‟adhésion (1986), le PIB annuel/hab. de la Turquie éta it de 1100 dollars contre 10 700 dollars en moyenne pour la C.E.E.

47

Deniz Akagül, “La demande d‟adhésion de la Turquie à la Communauté européenne. Quelques réflexions sur l‟avis de la Commission”, CEMOTI, n°10, 1990, p. 29.

44 La décision de réactiver les négociations sur l‟union douanière a été prise au sommet de Lisbonne en juin 1992. Mais la Grèce, arguant du conflit chypriote et de maints autres motifs tant politiques qu‟économiques, a ensuite fait obstruction à la conclusion de cet accord. Ce n‟est finalement que sous la pression de la diplomatie française et face à des partenaires européens dans l‟ensemble favorables à cet accord et quelque peu excédés par l‟attitude de la Grèce, qu‟un compromis a finalement été trouvé48. La Grèce n‟a cédé qu‟en échange de la promesse d‟ouverture de négociations sur l‟adhésion de Chypre dans les six mois suivant la conférence intergouvernementale de 1996. Sur le plan économique, c‟est surtout l‟Union européenne qui, dans un premier temps, tirera avantage de cette union douanière avec l‟ouverture d‟un marché de 60 millions de consommateurs. De son côté, la Turquie soutient que sans une assistance financière appropriée, elle sera grandement perdante. En effet, alors que la Turquie exporte depuis 1973 librement vers l‟Europe (à l‟exception du textile), les importations européennes sont, elles, toujours taxées. Cette taxe avait certes été graduellement réduite mais elle était toujours de 12% à la veille de la conclusion de l‟union douanière49. Les 375 millions d‟écus (400 millions de dollars) promis

par l‟Union européenne semblent bien peu alors que le montant des exportations turques vers l‟U.E. dépassait, en 1995, 10 milliards de dollars (contre des exportations d‟un montant de 16,8 milliards de dollars). Depuis l‟achèvement de l‟union douanière, le déficit commercial de la Turquie avec l‟U.E. a pratiquement doublé, passant de 6 milliards de dollars en 1995 à 11 milliards de dollars en 1996. Les P.M.E. turques, plus fragiles, ont plus particulièrement pâti de cette nouvelle concurrence. Les critiques se multiplient donc en Turquie contre cet accord « mal négocié » et finalement peu avantageux50.

Au-delà de cet aspect purement économique, cette étape franchie dans les relations turco - européennes a des retombées politiques et symboliques évidentes. Toutefois, cette union douanière achevée, les obstacles à l‟adhésion ne disparaissent pas. En décembre 1997, les membres de l‟U.E., réunis en sommet au Luxembourg, ont annoncé la liste des pays dont la candidature fera l‟objet de négociations. La Turquie n‟y figure pas. Derrière ce refus, c‟est bien la place de la Turquie en Europe, aussi bien en termes géographiques que culturels, qui est sujette à caution.

L‟européanité de la Turquie en question

En termes géographiques, c‟est la définition même des frontières de l‟Europe qui pose problème. Si ces frontières sont assez clairement établies à l‟ouest, au nord et au sud, puisque sur ces trois faces l‟Europe est entourée d‟eau, cette définition est plus problématique à l‟est. Les

48

Le Monde, 11/2/95, 8/3/95 ; Le Figaro, 7/3/95. L‟accord, signé le 6 mars 1995, a été ratifié par le parlement européen le 13 décembre 1995.

49

45 débats portent notamment sur l‟intégration ou non de la Russie et de l‟Anatolie. Selon une convention séculaire, elle-même probablement au moins partiellement issue d‟un combat non moins séculaire entre l‟islam et la chrétienté, cette frontière passerait au milieu d‟Istanbul, par les détroits du Bosphore et des Dardanelles et par la mer Égée. Les Turcs soutiennent, eux, que les détroits relient plus qu‟ils ne séparent. Les dizaines de vapur faisant de multiples navettes quotidiennes entre les deux rives en seraient le symbole ! L‟Anatolie serait inséparable de la péninsule balkanique et l‟histoire aurait démontré comment et combien ce couple indissociable fait partie intégrante de l‟Europe. L‟Empire ottoman n‟était-il pas « l‟homme malade de l‟Europe » ? Enfin, pour certains, si les détroits et la mer Égée ne constituent en rien une frontière, ni l‟Anatolie ni les Balkans ne sauraient être considérés comme européens et constitueraient plutôt une zone intermédiaire entre l‟Orient et l‟Occident. Ce vieux débat sur la pertinence d‟une notion de « région intermédiaire » entre l‟est et l‟ouest a d‟ailleurs resurgi sur les franges du monde est ou sud -est européen. En fait, c‟est surtout face au rejet de l‟Europe que cette alternative de « l‟entre-deux » est débattue. L‟idée d‟une fédération gréco-turque a été ainsi avancée en Grèce à l‟époque de la dictature des colonels, c‟est-à-dire à un moment où les relations entre la Grèce et l‟Europe étaient au plus bas51 ; la synthèse turco-islamique en Turquie ou l‟eurasisme en Russie ont été formulés ou relancés alors que leur exclusion des structures communautaires devenait patente.

En termes de valeurs, c‟est l‟état de la démocratie, élément essentiel du système de valeurs sur lequel repose l‟entité européenne, qui est en cause. Ainsi, en 1963, le C.E.E. envisageait bien l‟adhésion de la Turquie, alors grand chantier de la démocratie, alors que, au même moment, elle rechignait à admettre le Portugal et l‟Espagne qui avaient une situation économique analogue mais un système politique irrecevable52. Toutefois, il semble que le facteur déterminant (avoué ou non) faisant obstacle à cette adhésion soit avant tout l‟islam. L‟Europe reposerait-elle uniquement sur des bases judéo-chrétiennes ? Pourtant, il ne semble pas que dans l‟esprit des créateurs de la C.E.E., cette question religieuse ait eu une quelconque importance. L‟accord d‟association de 1963 prévoyait bien expressément une adhésion de la Turquie. Or, celle-ci, en 1963, était déjà peuplée de musulmans ! Que s‟est il donc passé depuis lors ? Les sociétés occidentales ont subi de plein fouet une importante crise économique qui a généré un important chômage et de multiples problèmes sociaux. Ces problèmes ont eux-mêmes généré des problèmes d‟intégration des populations immigrés, celles-ci étant en grande partie de confession musulmane. Conséquence de cette crise

50

Voir, par exemple, les critiques de Bülent Ecevit et Ġsmail Cem, Milliyet, 24/7/98.

51

Stéphane Yerasimos, Questions d‟Orient. Frontières et minorités des Balkans au Caucase, Paris, La Découverte, 1993, pp. 18-19. Cette thèse fut reprise par l‟historien grec Dimitri Kitsikis. Voir par exemple son ouvrage, L‟Empire

ottoman, Paris, PUF, Q-S-J n°2222, 1994.

52

Nur Vergin, “L‟Union européenne est-elle un „club‟ chrétien?”, Rencontre du CERI, “La Turquie aux portes de Bruxelles”, 5 décembre 1995.

46 économique, les pays de l‟Europe occidentale s‟érigent en citadelle et se sentent menacés par la présence sur leur sol d‟éléments « étrangers », éléments avec lesquels ils doivent partager les maigres richesses épargnées par la tourmente économique. A ces facteurs de replis fiévreux, s‟ajoute une réaction culturelle faisant resurgir les spectres d‟antan, l‟invasion des barbares, aujourd‟hui réalisée non plus par les armes militaires mais par l‟immigration et la natalité. Enfin, les Turcs souffrent plus particulièrement d‟une image séculaire de barbares datant de l‟avancée des Turcs en Europe au XVe et XVIe siècle ; image aujourd‟hui floue et tempérée mais tenace et qui pèse sur les relations entre la Turquie et l‟Europe. Ainsi, alors que la démocratie est certes très inégalement appliquée en Turquie, on a bien souvent tendance en Europe à souligner les manques à la démocratie (et qui sont nombreux) plus que les progrès dans ce domaine.

La rhétorique de la Turquie vis-à-vis de l‟Europe

La Turquie se présente souvent, et est présentée, comme un pont ; un pont entre l‟Europe et l‟Asie, entre le monde chrétien et le monde musulman, entre l‟Orient et l‟Occident, en bref, un pays charnière et un « carrefour naturel » dont Istanbul/Constantinople serait le symbole. Cette vocation s‟expliquerait par une situation géographique exceptionnelle et une identité culturelle originale. Vigilante gardienne du flanc sud de l‟OTAN, peuplée de musulmans mais laïque et occidentalisée, la Turquie serait géographiquement et socio-culturellement un pays intermédiaire et un pont stratégique dont on ne se lasse pas, en Turquie, de rappeler l‟importance. La Turquie a en effet érigé ce rôle de pont en dogme de son profil et en composante centrale de sa stratégie d‟approche des puissances occidentales. C‟est parce qu‟elle est un pont entre différents sous-systèmes qu‟elle revêt une importance stratégique aux yeux des Occidentaux et c‟est sur cette idée qu‟elle a bâti toute son image de puissance régionale.

La Turquie jouerait également un précieux rôle de rempart face à l‟islamisme. Elle avait déjà joué un rôle de barrière face à l‟expansionnisme soviétique, c‟est aujourd‟hui face aux menaces en tout genre venues du Moyen-Orient que la Turquie s‟érige en barrière protectrice de l‟Occident. Tout comme pour la rhétorique du pont, ce discours lui permet de valoriser son rôle stratégique, le seul peut-être qui intéresse réellement les Européens53. Il se double par ailleurs d‟un discours dramatisant, voire menaçant, sur le thème : « si vous n‟acceptez pas la Turquie au sein de l‟U.E., elle basculera vers l‟islamisme et l‟Europe en pâtira »54

.

53

Voir par exemple, les discours des dirigeants turcs publiés dans la revue Perceptions, revue publié par le ministère des Affaires Étrangères en anglais, et donc destinée à un public étranger : on y parle de « bastion de la démocratie et de stabilité » (Tansu Çiller, ancien Premier ministre, Vol. 1, n°3, 1996), de « pont » et de « confluence des influences » (Ismail Cem, ministre des Affaire Étrangères, Vol. 2, n°3, 1997), etc.

54

Ce fut notamment le thème du discours prononcé par Mme Tansu Çiller, alors Premier ministre, à la veille du vote sur l‟union douanière au parlement européen. Mme Çiller s‟étant, quelques mois après, alliée avec les islamistes pour conserver le pouvoir, cette agitation de l‟épouvantail islamiste risque d‟avoir perdu de sa crédibilité.

47

La Turquie et la défense de l‟Europe

La défense est a priori fondée sur la perception de menaces. Quelles sont, aujourd‟hui, ces menaces pour l‟Europe ? La Méditerranée, bassin d‟affrontement nord-sud où se mêlent tensions ethniques, religieuses et sociales, représente un premier défi. Le Moyen-Orient, zone où l‟Europe s‟approvisionne en pétrole, en est un autre. Le Caucase, éloigné, n‟est pas à proprement parler du ressort de la sécurité européenne, mais il offre aux Européens une source non négligeable en pétrole et gaz naturel et il a, d‟autre part, une influence sur la politique de la Russie qui, elle, figure dans les zones d‟intérêts stratégiques européennes. A cet égard, sa seule fonction de gardienne des détroits fait de la Turquie un précieux allié. Enfin, encore plus proche de l‟Europe de l‟ouest, les Balkans sont en pleine recomposition géopolitique (et recomposition sanglante). Or, dans l‟ensemble de ces zones, excepté la partie occidentale de la Méditerranée, il faut effectivement compter avec la Turquie. En résumé, les motifs stratégiques qui poussent les Américains à s‟allier avec la Turquie sont également en partie pertinents pour les Européens, et plus particulièrement aujourd‟hui alors que ces derniers tentent d‟échafauder un système de sécurité collective. Dans l‟ensemble, cette valorisation de son rôle stratégique, et plus récemment l‟agitation de la menace islamiste, furent une approche finalement plutôt rentable pour la Turquie. Toutefois, cette rente stratégique ne lui a pas permis d‟intégrer les structures communautaires et la position d‟intermédiaire et de pont entre l‟Orient et l‟Occident qu‟elle a longtemps portée aux nues, risque précisément de la maintenir dans cet entre-deux : ni rejetée mais ni acceptée par l‟Europe.

Les Européens considèrent certes la Turquie comme un élément stratégique précieux, mais ils hésitent à s‟engager aux côtés d‟un pays dont la stratégie et les intérêts nationaux les impliqueraient dans des zones à hauts risques (Moyen-Orient, Caucase). A cet égard, la guerre du Golfe a renforcé l‟opinion selon laquelle la Turquie est un important allié stratégique, mais un allié moyen-oriental. Dans les perspectives de formation d‟un « pilier européen de l‟OTAN », les Européens pourraient bien laisser la gestion de la question turque aux Américains. La Turquie a officiellement déposé sa demande d‟adhésion à l‟UEO en avril 1987 mais ne s‟est vue proposer qu‟un statut d‟associé. Le rapport établi pour la Commission politique de l‟UEO en novembre 1992 reconnaissait pourtant clairement l‟ampleur de la contribution de la Turquie à la défense de l‟Europe55

. Les Européens n‟ont par ailleurs accepté que sous pressions d‟Athènes l‟adhésion à l‟UEO de la Grèce56

et encore à une réserve près, et elle est significative des réticences européennes à s‟engager dans ces zones de tensions : les mécanismes de l‟UEO (article 5 du traité

55

Rapport établi par M. Pedro Moya, Assemblée de l‟UEO, 38ème session extraordinaire, document 1341, 6 novembre 1992, pp. 24-25.

56

Athènes avait menacé de ne pas ratifier le traité de Maastricht si ses partenaires européens rejetaient son adhésion à l‟UEO.

48 de Bruxelles modifié) ne s‟appliqueront pas en cas d‟attaque de la Grèce par un pays de l‟OTAN non membre de l‟UEO, c‟est-à-dire... la Turquie (déclaration de Petersberg du 19 juin 1992). La Grèce a, de son côté, émis une objection à l‟encontre de l‟article 10 du traité, déclarant que pour une période de 5 ans, elle « exclut de la compétence de la Cour tous les différents ayant trait à la prise, par la République hellénique, de mesures militaires à caractère défensif pour des raisons de défense nationale »57. Ces réserves et cet amendement formulés de part et d‟autre annihilent en grande partie la portée de l‟adhésion de la Grèce à l‟UEO et risquent d‟affaiblir – au moins symboliquement – les mécanismes défensifs de cet organisme, et, en tout état de cause, ils réduisent la cohésion interne de ses membres. Le protocole d‟adhésion de la Grèce a été signé en novembre 1992 en même temps que l‟accord d‟association avec la Turquie, la Norvège et l‟Islande (ces deux accords entrèrent en vigueur en mai 1995).

Une Turquie excédée : vers une réorientation de la diplomatie turque ?

Le Conseil européen, réuni en décembre 1997 au Luxembourg, a décidé d‟entamer les négociations sur l‟adhésion de 11 pays d‟Europe centrale plus Chypre mais a exclu la Turquie de la liste des candidatures retenues. Les arguments invoqués par les Européens, et notamment la question des droits de l‟homme, non seulement rencontrent l‟incompréhension des dirigeants turcs mais sont également vus comme des prétextes pour refuser l‟intégration d‟un pays musulman. Les dirigeants turcs reconnaissent certes que la situation des droits de l‟homme en Turquie n‟est pas des plus brillantes mais estiment que le pays progresse dans la voie de la démocratie. Et alors que ce processus démocratique fut perçu positivement dans le cas de l‟Espagne et du Portugal au moment de leur adhésion, il est perçu négativement dans le cas de la Turquie. La Turquie estime, de plus, amplement soutenir la comparaison dans ce domaine avec la Grèce, membre de l‟U.E, et encore plus avec la Slovaquie dont la candidature a été retenue au conseil du Luxembourg58. Et alors que ces critères sont imposés à la Turquie comme pré-condition à l‟engagement de négociations, ils ne sont évoqués, pour les onze autres candidatures retenues, qu‟au niveau de leur adhésion59. Enfin, du point de vue économique, avec une croissance annuelle de 8%, les Turcs estiment leur candidature tout à fait recevable. Du point de vue démographique, la Turquie se rapproche, là encore, des normes européennes (baisse du taux d‟accroissement naturel de 2,2% à 1,5% en dix ans). Les arguments démocratiques ou économiques paraissent bien n‟être alors que des alibis et seule la pratique de la religion musulmane peut expliquer le rejet de la Turquie. Enfin, l‟opportunisme des Européens, qui acceptent la Turquie lorsqu‟ils y trouvent avantage

57

Document 1465, 40ème session ordinaire de l‟UEO, rapporteur M. Cuco, 24 mai 1995, p. 45.

58

Semih Vaner, “Vivre avec ou sans l‟Europe ?”, Conférence du CERI, 24 mars 1998.

59

49 (participation à la défense de l‟Europe dans le cadre de l‟OTAN) mais la rejettent dès que quelques difficultés se profilent, est de plus en plus vilipendé.

En rejetant la Turquie dans un autre monde, celui de l‟islam, l‟Europe fait fi de son