• Aucun résultat trouvé

Les grandes orientations de la politique étrangère turque

ET POLITIQUE SEMI OFFICIELLE DE LA T URQUIE

Dans cet environnement politique complexe, de nombreux acteurs influent, directement ou indirectement, sur la politique extérieure du pays.

La formation de la diplomatie de la Turquie est en grande partie l‟œuvre du ministère des Affaires Étrangères. Si les décisions ne sont pas, en dernier ressort, de son pouvoir, il influence très largement les prises de décisions des hommes politiques et en assume l‟application. Son staff jouit d‟une bonne réputation en Turquie et à l‟étranger, de même que le corps diplomatique. Mais ce qui caractérise surtout le personnel du ministère, c‟est son unité idéologique. Celui-ci est très profondément occidentalisé et attaché aux valeurs du kémalisme102. C‟est, avec l‟armée, l‟institution la plus farouchement kémaliste. Dans la pratique, le ministère a opté pour une approche prudente des nouvelles régions qui s‟ouvraient à la diplomatie turque (Asie centrale, Caucase, Balkans) et il est en grande partie responsable de « l‟autolimitation » de la diplomatie turque dans les Balkans103. Cette prudence s‟explique par la volonté de ne pas heurter diverses sensibilités, notamment dans les Balkans où l‟on est très méfiant quant aux véritables objectifs de la Turquie. Il s‟agit de ne pas prêter le flanc aux accusations de politique néo-ottomane ou de retour à l‟expansionnisme traditionnel des Turcs. De fait, le département des affaires balkaniques semble bien moins actif que les autres départements (et peut-être moins bien organisé). Ce département chapeaute les relations avec les cinq républiques ex-yougoslaves, la Bulgarie, la Roumanie et l‟Albanie (la Grèce et Chypre ont les honneurs d‟un département spécifique).

En Asie centrale et au Caucase, le ministère s‟est souvent contenté de suivre les initiatives du secteur privé ou de les susciter sans intervenir directement. Le caractère expérimental de la politique turque dans ces zones l‟a même parfois conduit à confier l‟application de cette politique à divers groupes de pressions. En 1992, le ministère s‟est doté d‟une Agence de coopération internationale (TICA) destinée à mettre en œuvre les programmes de coopération culturelle et économique de la Turquie avec les pays de l‟Asie centrale. Les activités de TICA se sont dans un deuxième temps élargies à l‟ensemble de la CEI et aux Balkans. TICA offre une aide sur des projets ponctuels d‟envergure variable et dans des domaines très divers (financement de stages pour des journalistes, envoi d‟experts en statistiques dans un pays, financement de conférences, donation de matériels informatiques, préparation d‟études de faisabilité dans le domaine des

102

Saban Calis, “The Turkish State‟s Identity and Foreign Policy Decision-Making Process”, Mediterranean Quarterly, Vol. 6, n°2, printemps 1995, pp. 149-150.

71 transports, financement de publications, etc.104). Son fonctionnement souple et la présence de coordinateurs de TICA sur le terrain lui permet de rapidement évaluer les besoins et d‟y répondre. TICA a été créée au sein du ministère des Affaires Étrangères mais, officiellement, cette agence agit de façon indépendante. Ses membres ne sont pas des diplomates accrédités et ses initiatives ne sont pas officiellement pilotées par le ministère. En d‟autres termes, le ministère se réserve la possibilité d‟endosser les initiatives de TICA ou de s‟en dissocier, forcément au vu des résultats obtenus. De plus, les coordinateurs de TICA installés sur place peuvent prendre très officieusement des contacts avec les représentants de divers mouvements (partis d‟opposition, etc.). Enfin, TICA a également une mission d‟information. Elle publie à cet effet deux revues : Avrasya

Etüdleri/Eurasian Studies publie en anglais et en turc divers articles de recherche sur la situation

économique ou politique dans l‟espace CEI-Balkans ; et Avrasya Dosyası/Eurasian File diffuse diverses brèves informations sur les activités de TICA et annonce les colloques ou appels d‟offre commerciaux (répercutés par les coordinateurs). Le budget de TICA est en constante réduction (50 millions de dollars la première année, 5 millions de dollars en 1997) mais les dirigeants de TICA peuvent négocier au coup par coup auprès des dirigeants du pays l‟octroi d‟une enveloppe pour un projet précis105.

Le ministère s‟est par ailleurs doté en mai 1995 d‟un institut de recherche (Stratejik

Araştırmalar Merkezi), petite structure qui ne dispose pas de beaucoup de chercheurs (deux en

1998) mais qui fait appel aux chercheurs confirmés en Turquie. Le SAM a officiellement un rôle consultatif. Il remplit deux missions : préparer le travail des diplomates et fonctionnaires du ministère (commande d‟analyses auprès de chercheurs universitaires, organisation de colloques) ; et diffuser à l‟extérieur une meilleure image de la Turquie. Le SAM publie depuis 1996 une revue en anglais (Perceptions, trimestriel) destinée à expliquer les enjeux auxquels est confrontée la Turquie et à promouvoir sa politique106. Quant à l‟institut de politique extérieure (Foreign Policy Institute, rattachée à l‟université de Hacettepe à Ankara), il a été créé en 1974 dans la foulée de la crise chypriote. Cet institut n‟est pas gouvernemental mais il a également pour mission de préparer le travail du ministère107. Son rayonnement est cependant loin d‟atteindre celui de son homologue grec, l‟ELIAMEP, dont les nombreuses publications sont largement diffusées à l‟étranger et notamment aux États-Unis.

103

Explicité plus loin dans la deuxième partie et dans la conclusion générale.

104

Voir le rapport annuel des activités de TICA, TICA. Annual report, 1997.

105

Entretien avec Cem BaĢman de TICA, le 27 octobre 1998.

106

La réaction ne s‟est pas fait attendre. En 1997 le ministère des Affaires Étrangères grec lançait sa propre publication,

Thesis, avec le même objectif : expliciter et justifier la diplomatie du pays.

107

Voir les déclarations du sous-secrétaire d‟État aux Affaires Étrangères et du Président Özal lors de l‟inauguration du nouveau centre à Hacettepe en décembre 1991. Dış Politika/Foreign Policy (publication de l‟institut), Vol. XVI, n°3-4, 1992 (page de garde).

72 De novembre 1991 à juillet 1994, c‟est Hikmet Çetin, membre du SHP, qui est au poste de ministre des Affaires Étrangères. Ce politicien d‟origine kurde quelque peu inexpérimenté en matière de diplomatie, avait pu durant cette période développer de nombreux contacts personnels avec ses homologues dans les Balkans et dans la CEI. Après sa révocation en juillet 1994, pas moins de cinq ministres des Affaires Étrangères se sont succédé en l‟espace de deux ans (Mümtaz Soysal108, Murat Karayalçın, CoĢkun Kırca, Deniz Baykal, Emre Gönensay), ce qui n‟a sans doute guère facilité les contacts personnels et suivis avec les dirigeants étrangers. Par la suite (gouvernement Refahyol), la politique étrangère est entre les mains de Tansu Çiller qui, peut-être parce qu‟économiste de formation, n‟a jamais fait grand cas de la diplomatie et a consacré l‟ensemble de son attention sur les États-Unis et l‟Europe. Ismail Cem, membre du DSP, lui a succédé avec le gouvernement Yılmaz (juin 1997-janvier 1999). Ancien journaliste, diplômé en droit (faculté de Lausanne) et en Sciences politiques (Institut de sciences politiques de Paris), il jouit d‟une bonne réputation en Turquie et à l‟étranger. Il a largement œuvré à la mise en place de la nouvelle doctrine eurasienne. Il a conservé son poste avec les gouvernements Ecevit (janvier 1999 et mai 1999).

Les ministères de l‟Éducation et de la Culture ont, eux, axées leurs actions autour de la promotion de la turcité. Ils concentrent donc leur attention sur le Caucase et l‟Asie centrale (projet de standardisation des manuels scolaires, programmes universitaires en commun, etc.)109. Dans les Balkans, des accords de coopération culturelle et dans le domaine de l‟éducation ont été signés avec presque tous les pays de la région, mais, dans la pratique, les initiatives prises ont plutôt consisté à organiser des festivals folkloriques.

L‟armée est également un autre acteur de la diplomatie turque et elle dispose, comme nous l‟avons vu, de moyens de pressions sur le gouvernement. Elle n‟intervient toutefois que lorsqu‟elle estime les intérêts stratégiques du pays en jeu. Elle s‟est ainsi désintéressée de l‟Asie centrale mais pas du Caucase. Elle a en partie initié le rapprochement avec la Bulgarie en 1990/91 et est à l‟origine de l‟alliance militaire avec Israël. Ses zones d‟interventions majeures sont le Moyen- Orient, le Caucase et la Russie. Ses dirigeants sont très proches du Pentagone et les interférences entre les deux entités nombreuses. C‟est en très grande partie l‟armée qui définit la politique du

108

La nomination de ce juriste de 65 ans, membre du SHP, avait suscité de nombreuses controverses. Si Mümtaz Soysal est en effet très respecté pour sa défense des droits de l‟homme, il est par ailleurs connu pour son opposition à l‟OTAN et sa froideur vis-à-vis de l‟U.E. Il a démissionné en novembre 1994.

109

Gareth Winrow, “Turkey‟s relations with the Transcaucasus and the Central Asian Republics”, Perceptions, Vol. 1, n°1, mars-mai 1996 (édition internet).

73 pays vis-à-vis des États-Unis et de l‟OTAN. Enfin, l‟armée a bien souvent trouvé un allié dans le ministère des Affaires Étrangères, dont les membres sont très attachés à la laïcité et au kémalisme.

Le régime constitutionnel turc n‟est pas présidentialiste. Le Président n‟est pas élu au suffrage universel (mais par le parlement) et il ne jouit donc pas de cette assise politique que la sanction populaire confère. Toutefois, il dispose de quelques pouvoirs en matière de politique extérieure. Il ratifie et promulgue les traités internationaux, accrédite les représentants de l‟État à l‟étranger et reçoit les représentants d‟États étrangers, convoque le Conseil de Sécurité Nationale (certes généralement sur proposition de l‟armée), nomme le chef d‟état-major (toujours sur proposition de l‟armée) et représente le bureau du commandant des forces armées turques au nom de l‟assemblée nationale (article 104 de la constitution)110. Enfin, et surtout, il s‟engage dans son

serment à veiller au maintien de l‟indépendance, de l‟intégrité territoriale et de la souveraineté de la nation, et au maintien des principes de la République laïque (c‟est-à-dire, le rôle de gardien des valeurs républicaines et kémalistes que s‟est octroyée l‟armée). Le Président Turgut Özal a largement outrepassé ces simples fonctions de gardien des valeurs républicaines et a participé de façon très active à la formation de la diplomatie du pays. Il a ainsi continué à diriger les délégations turques aux réunions internationales auxquelles il participait précédemment en tant que Premier ministre. Il a multiplié les voyages à l‟étranger, entretenu des contacts très étroits avec les dirigeants de ce monde (George Bush), négocié des rapprochements et pris, de son propre chef, des décisions importantes. L‟active participation de la Turquie à la Guerre du Golfe lui est largement due.

Turgut Özal est entré dans le monde politique dans les années 60 en tant que conseiller de Süleyman Demirel, tout comme lui un ancien ingénieur. Mais il n‟est réellement sorti de l‟ombre qu‟en 1980, d‟abord en tant qu‟architecte du plan de redressement économique de janvier 1980, puis en tant que ministre de l‟Économie dans le gouvernement formé par les militaires après le coup d‟état du 12 septembre. Il a ensuite fait carrière sous l‟aile de l‟armée. En 1983, il a créé son propre parti, l‟ANAP qui en novembre a remporté les élections dites libres (« dites » car certains leaders étaient encore bannis de la vie politique). Il a été élu Président de la République en octobre 1989 et a donc dirigé le pays pendant une dizaine d‟année de 1983 jusqu‟à son décès en avril 1993. En politique intérieure, il avait publiquement admis ses origines kurdes et régularisé l‟usage de la langue kurde en privé (ce qui ne changeait rien dans la pratique mais beaucoup dans le symbole, l‟existence d‟une langue kurde était reconnue). C‟est également Turgut Özal qui a aboli les articles

110

Il n‟est toutefois pas le chef des forces armées. Cette fonction est assurée par le chef d‟état -major nommé par le Président de la république sur proposition du Conseil des ministres et, dans les faits, sur recommandation du Conseil de Sécurité Nationale (article 117 de la constitution).

74 du Code pénal bannissant la création de partis communistes ou religieux111. Il a, par ailleurs, largement œuvré à une réintégration de l‟islam dans la vie publique turque. Il était membre de la confrérie des Nakşibendi et avait d‟ailleurs tenté de se faire élire sous l‟étiquette islamiste en 1977. Turgut Özal jouit aujourd‟hui d‟une grande popularité, mais du temps de son vivant, son action avait soulevé de nombreuses critiques. La libéralisation économique accélérée des années 80 avait généré de nombreux problèmes sociaux, et son inclination vers une gestion plus présidentielle de la diplomatie turque n‟avait pas été sans créer des dissensions avec le Premier ministre Süleyman Demirel, son ancien mentor.

De nombreux analystes turcs évoquent les deux tendances de la politique extérieure formulée par les deux grands partis conservateurs de la Turquie, l‟ANAP créé par Turgut Özal et le DYP de Süleyman Demirel. A une tendance active (certains diront aventurière) qui caractérise l‟ANAP, on oppose la politique prudente (certains diront passive) du DYP. Les grandes orientations de la politique étrangère de ces deux partis restent les mêmes mais l‟ampleur et le nombre des initiatives extérieures notamment auprès des nouvelles « zones de prospection » de la diplomatie turque (Balkans, Caucase, Asie centrale) diffèrent. L‟ANAP avait, sous la direction de son fondateur, cherché à développer de très étroits liens avec l‟Asie centrale et c‟est également Turgut Özal qui fut à l‟origine de la création d‟une Zone de Coopération Économique de la mer Noire. Sa politique avait été non moins active au Moyen-Orient où il avait couplé participation à la guerre du Golfe et proposition de construction d‟un « pipeline de la paix ». Plus récemment, l‟ANAP, de nouveau au pouvoir (de juillet 1997 à novembre 1998), n‟a pas hésité à faire monter la pression avec la Syrie en massant des troupes turques à la frontière et cette pression s‟avéra payante (expulsion d‟Öcalan).

Cette équation DYP = politique prudente, ANAP = politique active est donc en partie vérifiée. Toutefois, à l‟exception de l‟éphémère coalition ANAP/DYP au printemps 1996, l‟ANAP n‟a pas été au pouvoir de novembre 1991 à juillet 1997. Et contrairement à son prédécesseur de l‟ANAP (Turgut Özal), Mesut Yılmaz, qui a dirigé le dernier gouvernement ANAP (juillet 1997- novembre 1998), est un homme réputé prudent et timoré. Sa politique extérieure a surtout été dominée par les très virulentes réactions au rejet de l‟U.E. en décembre 1997 et par la mise en place, mais en collaboration avec le ministre des Affaires Étrangères, Ġsmail Cem, membre du DSP, d‟une doctrine eurasienne. La politique balkanique de la Turquie fut, en revanche, clairement plus dynamique et cohérente. Quant aux pressions exercées sur la Syrie, elles semblent avoir été autant l‟œuvre du gouvernement que de l‟armée et elles se sont avérées efficaces aussi parce qu‟une

111

75 coopération militaire avec Israël avait été mise au point entre temps. En politique intérieure, Mesut Yılmaz a tenté, tout comme Turgut Özal, de s‟opposer aux ingérences de l‟armée dans le civil.

Süleyman Demirel est Président de la République depuis 1993 mais il a pour la première fois été nommé Premier ministre en... 1965112. Depuis lors, il a été renversé deux fois par les militaires (1971 et 1980), d‟où une certaine prudence dans sa politique et une sujétion aux « recommandations » de l‟armée nettement plus marquée au DYP qu‟à l‟ANAP. Lorsqu‟il était Premier ministre (jusqu‟en juillet 1993), Süleyman Demirel avait laissé les affaires étrangères aux mains de son ministre113.

Tansu Çiller (DYP) a occupé le poste de Premier ministre de juin 1993 à mars 1996 puis celui de Vice-Premier ministre dans le gouvernement Refahyol (juillet 1996-juin 1997). Elle ne jouit pas, et pour cause, d‟une grande réputation d‟intégrité. Ses liens avec les États-Unis (ou elle a fait ses études et placé une partie de sa fortune) sont également l‟objet de vives critiques. Sa nomination au poste de Premier ministre en 1993 avait l‟avantage de donner une image moderne et occidentalisée de la Turquie. Son alliance avec le Refah trois ans plus tard a, en revanche, altéré son image en Occident. En Turquie, elle semble encore jouir d‟une certaine popularité et dispose d‟une troupe de fidèles au sein du DYP. Mais les manœuvres politiques de Mme Çiller sont de plus en plus ouvertement critiquées. Elle a ainsi fait capoter plusieurs tentatives de formations de gouvernement à l‟automne 1998 et aurait fait alliance avec le Refah en 1996 afin d‟échapper à une mise en accusation juridique pour diverses malversations financières. Un groupe de parlementaires du DYP a fait scission en janvier 1997 et créé un autre parti, le Parti démocratique de Turquie (DTP). Ce parti, dont les membres les plus éminents sont Ġzmet Sezgin, ancien ministre de l‟Intérieur et de la Défense, et Hüsamettin Cindoruk, ancien président du parlement, s‟est allié avec l‟ANAP en juin 1997 pour former un gouvernement.

Enfin, Mme Çiller s‟est faite une réputation en matière de politique opportuniste et populiste. La pure rhétorique électorale de certains partis (Refah notamment) incite d‟autres à relever les enchères. Que ce soit sur le rejet de l‟adhésion de la Turquie à l‟U.E., sur l‟affaire chypriote ou les massacres de musulmans impunément commis au Haut-Karabakh ou en Bosnie-Herzégovine, une « course à l‟indignation » est engagée à laquelle a pleinement participé Tansu Çiller. Elle s‟est systématiquement rendue à Sarajevo trois ou quatre semaines avant une échéance électorale, elle a déclaré (avant d‟être promptement démentie par d‟autres autorités) que la question tchétchène ne

112

Süleyman Demirel a pris la tête du Parti de la justice en 1962. Il a conservé cette position jusqu‟en 1993, dat e de son élection à la présidence de la République. Il a été remplacé par Tansu Çiller.

113

76 pouvait plus être considérée comme une affaire intérieure de la fédération russe (les lobbies caucasiens sont assez influents en Turquie), etc.

Quant aux milieux de gauche, ils sont, comme la mouvance islamiste, loin d‟être homogènes. Ils se sont longtemps opposés, par idéologie anticapitaliste, à l‟adhésion de la Turquie à l‟U.E. avant de s‟y rallier, dans les années 80 (après le coup d‟Etat), estimant que l‟ancrage de la Turquie à l‟Europe ne pouvait que favoriser le processus démocratique en Turquie. Le CHP et le DSP ne font pas aujourd‟hui de l‟enjeu communautaire un thème majeur de leurs discours. Le DSP de Bülent Ecevit, représentant ce que l‟on peut qualifier de gauche nationaliste, est toutefois assez critique vis-à-vis de l‟U.E. et il se prononce pour une nouvelle politique étrangère réorientée vers le Caucase et l‟Asie centrale. Lorsqu‟il était Premier ministre dans les années 70, Bülent Ecevit s‟était activement occupé des questions de politique étrangère114

.

Le Refah s‟est longtemps vivement opposé à l‟adhésion de la Turquie à l‟U.E., mais a plus récemment tempéré ce catégorique rejet, de même que le parti nationaliste turc (MHP). Le Refah se tourne en fait essentiellement vers le monde musulman (monde turcophone inclus mais non privilégié) qu‟il aspire à réunir. Les réponses mitigées de ce monde musulman, pour ne pas parler d‟échec, aux approches d‟Erbakan lorsqu‟il occupait le poste de Premier ministre, n‟ont pu contraindre les doctrinaires islamistes à revoir leur analyse.

Les lobbies ethniques, de même que les mouvements panturcs, ne sont sans doute influents que dans le cas des relations avec le Caucase pour les premiers, de l‟Asie centrale et du Caucase pour les seconds115. Dans le cas des Balkans, ils ont joué un rôle assez marginal (à l‟exception notable des réseaux d‟Albanais du Kosovo)116

. Les dirigeants turcs ont parfois érigé ces réseaux en intermédiaire. Via ces regroupements, ils peuvent en effet prendre des contacts avec diverses mouvances politiques dans d‟autres pays sans s‟engager officiellement 117

; en d‟autres termes, ils permettent à Ankara de discrètement « tâter le terrain ». Ainsi, les diverses réunions de la

114

Deniz Vardar, “Les enjeux européens et régionaux de la Turquie dans la construction des légitimités ”, in Jacques Thobie, Roland Perez, Salgur Kançal (dir.), Enjeux et rapports de force en Turquie et en Méditerranée orientale, Paris, L‟harmattan, 1996, pp. 405-406. Bülent Ecevit était Premier ministre en 1974 au moment de l‟intervention militaire turque à Chypre.

115

Pour les réseaux de la diaspora caucasienne : collecte d‟argent pour la Tchétchénie, organisation de manifestations sur la Tchétéchénie et l‟Abkhazie, détournement du ferry Avrasya au début de l‟année 1996, etc. Pour les réseaux panturcs :