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Le travail bénévole et sa valorisation : la professionnalisation par le bénévolat ?

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 185-189)

Conclusion : Des limites à la reconnaissance des compétences transférables

4.2.2. Le travail bénévole et sa valorisation : la professionnalisation par le bénévolat ?

Cette vague de professionnalisation des structures et des activités s’accompagne d’une mise en lumière sur les activités des bénévoles, nommées “travail” bénévole pour insister sur leurs similarités avec l’activité salariée. La littérature entérine en effet progressivement depuis une vingtaine d’année une disparition de la dichotomie entre le champ du “monde du travail”, soit du monde de l’entreprise, et le champ associatif, pour faire naitre une véritable sociologie du travail associatif [Sainsaulieu et Laville, 1997301, Retière et Le Crom in

299 Op. Cit.

300 Combes, Marie Christine, Ughetto, Pascal, Malaise dans l’association : travail, organisation et engagement, Travailler, 2010, n°24

186 Prouteau dir., 2004302]. Le travail bénévole est analysé en recherchant moins le rapport social

de subordination (gage de l’existence d’un contrat de travail, en droit) que la réalisation d’une activité [Ughetto et Combes, 2010303]. Les associations sont alors particulièrement

reconnues comme univers de travail par la recherche, peut-être plus que par leurs acteurs. Avec cette reconnaissance, la question des apprentissages en association dépasse le champ traditionnel de l’éducation populaire, historiquement tournée vers des dimensions culturelles et civiques et qui par conséquent concernerait des savoirs différents de ceux qui peuvent avoir un poids sur le marché du travail [Besse et al., 2016304].

Cette réflexion théorique s’accompagne d’une reconnaissance institutionnelle : sous l’impulsion notamment de France Bénévolat, la valorisation des activités associatives et de leur impact sur la compétence est au cœur du débat sur la compétence transférable. Les activités associatives côtoient notamment l’expérience professionnelle dans la liste des expériences qui peuvent être invoquées pour obtenir un diplôme par la validation des acquis de l’expérience, telle que définie par la loi de Modernisation sociale du 17 janvier 2002 :

“II.-Toute personne justifiant d'une activité professionnelle salariée, non salariée,

bénévole ou de volontariat, ou inscrite sur la liste des sportifs de haut niveau mentionnée au premier alinéa de l'article L. 221-2 du code du sport ou ayant exercé des responsabilités syndicales, un mandat électoral local ou une fonction élective locale en rapport direct avec le contenu de la certification visée peut demander la validation des acquis de son expérience prévue à l'article L. 6411-1 du code du travail.”

Article L355-5 du Code de l'Éducation 305

D’autres actions de valorisation de l’activité bénévole sont également mises en œuvre, notamment d’un point de vue de communication. Reconnaître l’engagement bénévole fait

302 Prouteau, Lionel, dir., Les associations, entre bénévolat et logique d’entreprise, Rennes, PUR,

2004

303 Op. Cit.

304 Besse, Laurent, Chateigner, Frédéric, Ihaddadene, Florence, L’éducation populaire, Savoirs, 2016, vol. 3, n°42

305

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071191&idArticle=L EGIARTI000006524828

187 partie des objectifs institutionnels, comme le montre une note du Centre d’Analyse Stratégique de 2011306.

« Impliquer Pôle emploi dans la valorisation des activités bénévoles :

• dans le cadre du Projet personnalisé d’accès à l’emploi et des ateliers CV, valoriser les activités bénévoles pour l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi en promouvant les compétences transférables ; sensibiliser les employeurs publics et privés aux avantages découlant de l’exercice, par les candidats au recrutement, d’activités bénévoles (implication, autonomie, travail en équipe, etc.). »

Ces actions de communication ont d’ailleurs un effet sur le recrutement comme le montrent les deux testings auprès de recruteurs réalisés par Bougard et al. puis Brodaty et al.: la campagne de l’année Européenne de valorisation du Bénévolat semble avoir eu un effet car l’impact de la présence d’activités bénévoles sur les CV passe de neutre voire négatif en 2011 à neutre-positif en 2013307.

Cette communication institutionnelle s’ajoute donc aux éléments plus concrets de professionnalisation par le bénévolat, ensemble qui génère des effets sur les entreprises et en particulier sur les recruteurs. Les établissements d’enseignement supérieur font notamment rentrer les activités associatives dans leur processus de professionnalisation : le fait d’avoir exercé des missions et des responsabilités est valorisé comme faisant partie de la formation mais surtout de la “pré-expérience” professionnelle. Ces actions suivent notamment les recommandations de la circulaire sur le développement de la vie associative et des initiatives étudiantes de 2011308. Ainsi, 81,5% des jeunes diplômés interrogés en ligne ont au moins

une des activités présentée sur leur CV qui faisait partie de leur cursus. Si les étudiants en Université déclarent souvent ne pas savoir si la valorisation des activités associatives est proposée dans leur établissement, plus de 60% des étudiants d’école de commerce savent que leur école propose une option “engagement associatif”.

306 Naves, M. C., «Développer, accompagner et valoriser le bénévolat », CAS, La note d’analyse :

questions sociales, 2011, n°241

307 Brodaty, Thomas, et al., Évaluer l'efficacité d'une campagne de valorisation du bénévolat, Rapport de recherche, 2013

188 Tableau 7 : Options « engagement associatif » dans les établissements d’enseignement supérieur

Source : Claire Margaria Enquête en ligne auprès des jeunes diplômés, 2014

A l’Ecole des Mines, par exemple, les étudiants doivent tous réaliser un projet en autonomie en première année, et ont le choix de le faire dans une démarche entrepreneuriale ou en partenariat avec une association (préexistante ou créée pour le projet). La professionnalisation est une tendance forte des établissements d’enseignement supérieurs, accédant ainsi aux demandes exprimées ou supposées des entreprises pour améliorer l’insertion des jeunes qu’ils diplôment. Il est d’usage de considérer que cette professionnalisation équivaut à une interpénétration de l’entreprise et de l’enseignement supérieur, par le biais de périodes en entreprise ou d’intervenants dits “professionnels” dispensant des unités d’enseignement, ce qui est particulièrement visible au niveau des Master Universitaires309. Le fait que l’activité associative rejoigne ces activités dites

professionnalisantes est donc particulièrement révélateur de la proximité reconnue entre

309 Le fait que la démarche d’apprentissage et les acquis des cours, aussi liés aux potentielles missions futures ceux-ci soient-ils, ne puissent être considérés comme professionnalisants soulève de nombreuses questions sur la nature de cette “professionnalisation”, sa proximité avec un certain “formatage” des jeunes diplômés (la professionnalisation se fait-elle uniquement par “imitation” de personnes que l’on reconnaît comme “professionnels” ?) et le rôle exact du cours dans l’enseignement supérieur.

189 celle-ci et une activité professionnelle exercée en entreprise en termes de missions et de compétence.

Par ailleurs, le mécénat de compétence s’est comme on l’a dit fortement développé depuis le début des années 2000, les entreprises françaises imitant les mœurs des entreprises américaines [Bory, 2008310]. Nous avons évoqué cette pratique précédemment, en évoquant

comment elle répondait à une demande de bien-être et de sens ainsi qu’à une question d’image. Or ce bénévolat de compétence repose sur le présupposé que la compétence nécessaire à l’exercice de certaines missions associatives est disponible parmi les salariés de l’entreprise car c’est la compétence qu’ils exercent chaque jour au sein de leurs postes : c’est la compétence transférable, avec une logique d’adéquation entre certains postes en entreprise et certains besoins des associations. La réciproque de ce présupposé, soit la transférabilité de la compétence du monde associatif vers le monde de l’entreprise, semble alors évidente. Nous faisons donc l’hypothèse que cette réciproque est au moins partiellement intégrée par les recruteurs et contribue à leur changement de point de vue sur les activités associatives.

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 185-189)