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En faire plus et se former par soi-même : la marque du bénévole ?

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 172-174)

Conclusion : Des limites à la reconnaissance des compétences transférables

4.1.1. En faire plus et se former par soi-même : la marque du bénévole ?

Au travers de leurs activités associatives, les recruteurs déclarent fréquemment rechercher chez les jeunes diplômés la “passion”, terme qui est au cœur de bien des affichages de valeurs en entreprise et “l’engagement” ou “l’investissement”. Il est intéressant de noter que ces termes reviennent à la fois dans la liste des valeurs recherchées et dans celles de ces qualités qui, mises au service du poste, deviennent des compétences en soi. Nous avons employé ce terme jusque-là en différenciant peu la question de l’engagement souhaité par les recruteurs et celle de l’engagement associatif, mais il est temps de l’interroger. Dominique Schnapper [2012266], revenant sur les définitions de l’engagement, note deux acceptions du terme, l’une faisant référence au fait de tenir ses promesses, employée notamment dans le cadre matrimonial, l’autre à l’intellectuel ou artiste engagé, qui met sa création au service d’une cause. La question de l’engagement associatif pourrait relever des deux versants : lorsqu’on s’engage pour une association, c’est bien en promettant de donner du temps et des efforts, mais c’est parfois au service de la cause liée à l’objet de l’association, à laquelle on adhère. Ce deuxième aspect, bien présent chez les jeunes candidats, semble moins intéresser les recruteurs, nous l’avons vu en abordant la question du militantisme et des activités connotées. Le fait de savoir “ tenir ses engagements ” en matière d’horaires et de délais est un usage du terme plus fréquent. Mais auprès des recruteurs, l’engagement va au-delà de la promesse formelle. Schnapper insiste, pour l’individu démocratique des sociétés modernes, sur l’importance de la question de l’électivité de l’engagement. L’individu répugnerait à s’engager pour l’avenir, ce qui pourrait disqualifier la notion de promesse et son impact évident sur l’avenir. Pourtant, les engagements humanitaires relèvent d’un choix spontané, hors de toute contrainte, et par conséquent “[témoigneraient] d’un engagement plus authentique et plus fort que celui qu’instauraient les institutions de la charité du passé ou la solidarité objective qu’organise l’Etat providence”267 : avec cette dimension élective,

l’engagement se place alors du côté de la liberté de l’individu, qui par ailleurs peu choisir de

266 Schnapper, D., L’engagement, in Reynié, D., Valeurs partagées, Paris, Presses Universitaires de France, 2012

173 rompre à tout moment son engagement. Qu’en est-il alors du parallèle entre ce choix et l’engagement en entreprise ? Il peut sembler un abus de langage. En effet, le respect de la promesse donnée à l’entreprise dans le cadre du contrat de travail ne correspond pas réellement à un engagement électif si, comme nous l’avons rappelé, le jeune salarié n’est pas réellement libre de ne pas accepter ce contrat ou de le rompre à tout moment : il en a la liberté légale, mais pas la liberté réelle au sens d’Amartya Sen. Ce qui est par contre électif, et ce qui nous semble attendu par les recruteurs, c’est justement d’en faire plus que ce qui est attendu de lui par ce contrat : plus d’heures que ce que celui-ci stipule, par exemple, mais des missions non prévues par ce contrat, et une disponibilité mentale très forte. Cet engagement devient alors d’une certaine façon un engagement pour une cause, mais la cause en question, c’est le fonctionnement du service ou de l’entreprise.

“[...] qui se sont engagés bénévolement et volontairement dans autre chose… ça peut

rassurer parce que bah s’il l’a fait à l’extérieur il peut le faire chez moi. Et si je lui dis “ah bah ça c’est pas prévu dans tes missions est-ce que tu pourras faire ça ?”, on se dit, c’est ptet pas juste, il va peut-être plus le faire parce que s’engager volontairement et bénévolement ça ne le gêne pas. Puis ça montre une volonté d’activité…” (Myriam, Master 2 Universitaire en Communication)

Un des exemples les plus fréquents de l’engagement demandé à un salarié est lorsque l’entreprise s’attend à ce qu’il se préoccupe tout seul de sa montée en compétence sur certains sujets. De fait, la formation coûte cher. S’il a été de nombreuses fois évoqué le fait que les entreprises ne souhaitent plus porter le coût de la formation et de l'acculturation des jeunes diplômés qu’ils embauchent268, donnant lieu à l’affirmation du besoin d’un jeune

directement opérationnel, il semble logique d’extrapoler en pensant que moins ce jeune devra être ensuite accompagné pour faire évoluer sa compétence, moins cher cela sera et mieux cela vaudra. De plus, le salarié “engagé” est celui qui ne comptera pas les heures de travail qu’il fournit, par “culture bénévole” ou parce que le travail l’intéresse.

268 Plusieurs recruteurs interrogés évoquent la possibilité de former le jeune embauché en interne, mais ils font dans ce cas référence le plus souvent à des formations très techniques, par exemple orientées sur un outil en particulier.

174 “ Donc là on avait besoin également d’une expertise informatique. Sauf que lui il

avait aucun diplôme informatique, il était prothésiste dentaire… sauf qu’il était passionné d’informatique ! Tous les week-ends… Dès qu’il pouvait il potassait, il créait des programmes, etc… Et donc là typiquement c’est son activité extraprofessionnelle qui a fait qu’il a eu ce poste. Parce qu’il avait cette compétence. Donc en fait peu importe d’où vient cette compétence, du moment qu’il est passionné ! Et en plus quelqu’un qui est passionné… Bah il compte même pas les heures d’apprentissage, tout ça, voilà, ils dévorent, ils adorent. Donc c’est que bénéfique.”

(M. T., RH, PME)

L’appétence pour l’apprentissage de choses nouvelles est d’ailleurs fréquemment mentionnée par les jeunes qui exercent ou ont exercé des activités associatives, apprentissage que l’entreprise ne serait pas en mesure de favoriser. Là encore, l’entreprise délègue au hors travail le fait de combler ce besoin, et peut s’appuyer sur ce hors travail pour ses propres fins.

“Donc j’ai pas l’impression d’apprendre tant que ça dans mon travail. Donc c’est

pour ça que… On est obligés d’avoir des choses à l’extérieur pour nous stimuler intellectuellement…” (Thérèse, Ecole de commerce)

On voit au travers de ces quelques verbatims que la notion d’apprentissage dépasse largement celle d’apprentissage professionnel, et surtout se réalise de plus en plus majoritairement dans les marges, à la fois celles de l’entreprise et celles de l’enseignement supérieur.

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 172-174)