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De l’initiative à la contestation, persistance d’une organisation rigide Scout, toujours ou jamais ?

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 161-169)

Conclusion : Une cohérence des activités associatives avec les valeurs affichées de l’entreprise, mais aussi avec ses besoins

3.2.2. De l’initiative à la contestation, persistance d’une organisation rigide Scout, toujours ou jamais ?

La question des associations à connotation religieuse a été longuement évoquée au cours de nos entretiens, notamment avec la présentation du CV de Clémence, avec sa longue expérience de chef Scout.

“Ah, c’est revenu plusieurs fois, c’est pas juste moi qui ai un problème avec le

scoutisme ? Ca me rassure !” (Mme B)

La question du scoutisme est revenue tout au long de notre enquête. Le CV de Clémence a été choisi car le scoutisme semblait être un sujet clivant chez les enquêtés : parmi les conseillers en insertion, certains le défendent comme porteur de compétence et notamment d’une compétence managériale, d’autres sont plus réticents du fait de l’aspect religieux, au point de considérer que cette information ne devait pas figurer sur le CV. Mais même avant que le CV ne leur soit présenté, une forte proportion des recruteurs choisissait cette activité comme exemple de ce qu’ils étaient en train d’expliquer, qu’il s’agisse de parler d’activités qu’ils appréciaient de trouver sur un CV ou d’activité qu’ils ne souhaitaient pas y voir. C’est pourquoi il nous semble intéressant de nous y attarder ici. Cette question cumule en effet plusieurs points abordés plus haut :

- une connotation religieuse : même s’il existe des scoutismes de plusieurs reli- gions et des scouts laïques, le scoutisme reste attaché à la religion catholique dans l’imaginaire. Par ailleurs, il est considéré par certains comme une activité très prosélyte.

- une forte connotation sociale de classe aisée

- une perception comme lieu d’acquisition de nombreuses compétences à la fois par les jeunes qui le mettent en avant et certains recruteurs. Cette perception est d’ailleurs favorisée par les organisations elles-mêmes, les Scouts et Guides de France se déclarant “Plus belle école de management !”262.

Parmi les jeunes diplômés rencontrés, Clémence et Rémi ont été chefs scouts et l’indiquent sur leur CV, mais de façon très différente. Pour Clémence, son expérience de chef scout puis

162 de directrice de camp est très importante dans la construction de son identité, et elle se reconnaît d’ailleurs une sorte d’identité collective, fondée sur des valeurs partagées, avec les autres scouts qu’elle rencontre. Elle a par ailleurs utilisé le scoutisme pour mettre en avant ses expériences d’organisation et d’encadrement de groupe, expériences que la RH qui l’a recrutée dans le cadre du poste qu’elle occupe actuellement a qualifié de “gestion de projet”. Rémi pour sa part a choisi d’indiquer une expérience d’encadrement de jeunes sans

mentionner le cadre du scoutisme. Il s’inquiète de la connotation à la fois religieuse mais aussi marquée par l’image du “boy scout” que cette activité peut avoir : ayant reçu

plusieurs remarques à ce sujet en entretien, il valorise maintenant le contenu de son activité sans en mentionner le cadre. Il estime cependant que l’impact peut être très positif si son interlocuteur connaît le scoutisme et ses implications.

Pour certains recruteurs, la réaction au sujet du scoutisme est assez épidermique, qu’ils récusent l’aspect religieux du scoutisme en tant que tel ou évoquent l’embrigadement qu’il leur semble distinguer derrière. D’autres recruteurs présentent au contraire un a priori très positif envers l’activité, la déclarant de nature à responsabiliser les jeunes qui la pratiquent et, dans le cas des chefs, à les former à la gestion des groupes.

L’aspect social et l’aspect réseau sont également très marqués pour cette activité. Ainsi, si Clémence se déclare prête à favoriser un scout si elle doit un jour recruter (et a d’ailleurs bénéficié de ce réseau pour sa propre embauche), nous avons rencontré un recruteur qui, devant le CV, a déclaré ne pas vouloir aborder le sujet, regardant fixement l’enregistreur, après s’être exclamé par réflexe “Elle serait bien ici, elle a été scout…”. Une suite donnée petit à petit à la conversation a laissé entendre qu’un chef de service avait favorisé le recrutement de plusieurs de ses connaissances, et notamment d’anciens scouts. Le réseau scout, dans son lien réel ou supposé avec la religion catholique, a une forte connotation en termes de milieu social.

Les activités à connotation religieuse ou politique : une question de code ?

Devant le CV de Clémence, dans la plupart des cas, les recruteurs se montraient intéressés par le contenu de l’activité. Certains déclaraient une gêne personnelle par rapport à l’image que cette activité pouvait avoir pour eux (dont ils tentaient de faire abstraction comme vu au chapitre 1), d’autres une réticence par rapport à l’aspect religieux. Cet aspect religieux était souvent écarté par les recruteurs les plus convaincus de l’intérêt de l’activité, qui estiment que la simple mention du terme “scout” n’est pas religieuse en soi et ne donne même pas

163 d’information sur la religion de la personne, puisqu’il existe des groupements de scouts de toute religion ainsi que des laïcs. Cependant, plusieurs recruteurs ont signalé dans la discussion autour de ce sujet qu’une activité “véritablement” religieuse, comme le catéchisme par exemple, ou tout ce qui pouvait avoir une connotation de prosélytisme.

La question du prosélytisme et du militantisme se pose également par rapport aux activités politiques et syndicales. Dans les entretiens en face à face, la question recevait des réponses assez mitigées :

“Alors je pense qu’il faut faire le tri, militant je suis pas contre, quelqu’un investi

dans l’écologie par exemple, voilà, l’écologie ça a un sens un peu partisan… Mais pourquoi pas ! Ça oui, pourquoi pas ! C’est vraiment l’affiliation au parti qui me… c’est pas le militantisme, on peut très bien… si c’est quelqu’un qui milite pour qu’on mange plus de la viande ou je sais pas quoi, très bien. Non c’est pas le militantisme qui me dérange, c’est l’affiliation politique, l’expression d’une opinion politique.”

(M.L., Manager, PME)

Ce retrait par rapport à la question du militantisme politique s’explique par une exigence de neutralité faite aux CV, à la fois toujours par rapport à la question de la discrimination, les recruteurs estimant que cette information n’a pas à apparaître sur les CV, mais également par rapport à celle de l’intégration à l’équipe ou du rapport aux partenaires.

“En plus nous pour le coup, dans notre cas, alors ça dépend quel poste mais à des

postes très hauts placés ce serait compliqué d’embaucher quelqu’un qui est encarté dans un parti politique, parce qu’on est trop dépendant, on travaille avec l’Etat, avec le ministère, avec les communes en France, on travaille avec tous les partis politiques, on peut pas mettre quelqu’un qui est connu parce qu’il est encarté dans un parti… on se doit d’avoir une neutralité vis à vis de ça, donc ce serait compliqué.”

(Mme P., RH, PME travaillant dans le développement durable)

La question est en fait celle du contrôle de sa propre image que fait le candidat à travers ce qu’il indique sur son CV, qui doit correspondre au contrôle de l’image de « professionnel » qu’il devra avoir dans l’entreprise. On peut ici faire un parallèle avec ce que constate Georgy

164 [2017263] lorsque les recruteurs font des recherches sur Internet à propos des candidats :

d’une certaine façon, ce n’est pas tellement de savoir ce que les candidats pourraient avoir à cacher que les intéresse, mais de savoir s’ils sont efficaces pour le cacher. Ici il convient de cacher son affiliation militante pour correspondre aux codes professionnels de l’entreprise.

“Et ça je l’ai déjà vu, par contre, par exemple qu’une personne mette membre de tel

parti et participer à l’organisation des journées d’été, université d’été de tel parti,

etc., voilà je porte pas de jugement sur le fait que la personne ait adhéré à un parti

ou à un autre, mais pour moi c’est pas du ressort du CV. Je me dis si d’emblée dès le CV la personne le met, si dès la phase de recrutement où généralement c’est une phase où on se dévoile, on dévoile ce qu’il faut mais pas tout etc., si déjà la personne le met… je me dis est-ce que la personne va pas militer à son étage, ou… voilà moi ça me pose quand même question.” (Mme C., RH, Association)

Il semble que la question ne soit pas mieux perçue par les recruteurs du monde associatif, soit que leur association soit amenée à travailler avec des élus et aie besoin d’une neutralité à l’égard de ces partenaires, soit qu’il soit important de faire une différence entre ce qui est du domaine du travail et ce qui est du domaine de l’engagement personnel. “On ne cherche

pas des militants !” insiste Mme N, manager dans une petite association.

263Georgy, Constance, Visibilité numérique et recrutement. Une sociologie de l’évaluation des

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Les activités à connotation protestataire : une question de contrôle

L’analyse de verbatims issus de l’enquête quantitative laisse cependant apparaître des éléments différents. Il a été demandé aux recruteurs d’indiquer les activités qui pourraient être un moins sur un CV, puis d’expliciter pourquoi. Si 53% des recruteurs estiment qu’aucune activité n’a d’impact négatif sur la lecture des CV, les trois types d’activité les plus mal perçues concernent le militantisme. Le scoutisme ne recueille que 4% d’opinions défavorables (aucune autre activité en lien avec la religion n’étant proposée aux enquêtés), mais il est tout de même la 5e activité la plus mal perçue, après les activités liées aux jeux et jeux vidéo (16%). A noter cependant que 53 % des recruteurs déclarent qu’aucune activité ne les pousserait à écarter un CV.

Tableau 6 : Opinion des recruteurs sur les activités connotées négativement Activités qui pourraient représenter un

frein à la lecture du CV

Activités politiques 27 %

Syndicat étudiant 25 %

Autre activité militante 18 %

Scoutisme 4 %

Source : Claire Margaria, Enquête en ligne auprès des recruteurs 2014

“Activité politique : peut être problématique dans notre association apolitique.

Syndicat étudiant : on fuit toujours les esprits revendicatifs - activité militante (identique) ” (Répondant de l’enquête en ligne)

“Risque d'orientations gauchistes syndicalistes... Risque de contestation, critique de

la direction ou de l'entreprise si ne correspond pas à ses idées (ou pire future syndicalisation). Manque de souplesse. Esprit sectaire. Toutefois l'appartenance à un mouvement politique de droite ne me gênerait pas, car serait preuve d'indépendance d'esprit et adhésion aux valeurs de l'entreprise.” (Répondant de

l’enquête en ligne)

Le manque de souplesse est évoqué comme une des raisons de se méfier de ces candidats, mais la crainte de la revendication point immédiatement derrière.

166 Chez les recruteurs vus en entretien, il n’est pas surprenant que, dans un contexte mettant fortement l’accent sur la question de la discrimination, le rejet de la contestation que certains pensent inhérente à l’activité politique soit attribué aux autres. Certains recruteurs expliquent le danger à donner de telles informations sur son CV, ce dont ils seraient capables pour leur part de faire abstraction mais qui avec d’autres recruteurs signifierait la “mise à la poubelle” immédiate du CV.

“Là vous parlez du syndicalisme, et le syndicalisme est malheureusement des fois un

critère discriminatoire, même si c’est interdit, et c’est possible qu’il y ait des entreprises qui disent des fois mais non… Alors que c’est bien, enfin moi je vais trouver l’aspect positif, bah lui il s’est impliqué ! En plus on n’a pas de risque, enfin, avec les syndicats, si c’est constructif y’a pas de risques au contraire c’est même bien qu’il y ait des syndicats. Mais y’a des sociétés où ça va être lui dans un an ou deux il va être revendicateur et on va plus pouvoir le contrôler. ” (M. T., RH, PME)

Cette crainte de la revendication et de la contestation est un premier indice pour douter de cette horizontalisation de l’entreprise : si l’initiative est plébiscitée, si le fait de “penser différemment” est un élément que les recruteurs déclarent valoriser chez les jeunes diplômés, tout cela doit être aussi soigneusement cadré que possible. De fait, lorsque Dalmas [2016264]

interroge les recruteurs sur les stéréotypes associés à la génération Y (relevés dans la littérature) il observe que parmi les différents éléments positifs ou négatifs qui sont considérés comme propres à cette génération (technophilie, recherche de sens et de bien-être au travail, besoin de communication, opportunisme, faible loyalisme…) la question du respect de l’autorité hiérarchique est la seule à avoir un impact négatif réel sur l’intention des recruteurs de sélectionner un jeune. Aux activités politiques pourraient s’ajouter alors n’importe quelle activité où le jeune a été amené à avoir de très fortes responsabilités.

Mme Do., l’ex responsable des RH qui se réclamait de l’entreprise libérée pour juger le scoutisme peu approprié, évoque le cas des jeunes ayant exercé des fonctions associatives avec de hauts niveaux de responsabilités et de hauts niveaux d’interlocuteurs notamment dans les instances élues. “Si c’est parce qu’il aime les

264 Dalmas, Michel, Que cherchent les cadres chargés du recrutement de la génération Y ? Une

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responsabilités, ça ne va pas fonctionner.” déclare-t-elle en s’interrogeant sur la

“capacité à redescendre” d’une personne ayant eu de telles missions. “Comment

expliquer aux jeunes que l’entreprise ne peut pas reconnaître toutes leurs compétences, seulement celles qui sont immédiatement utiles ?”. Pour être efficace,

il faut selon elle rester “très précisément à [sa] place”. (Mme Do., ex-RH dans une société de conseil)

Avec cet exemple, on note une forme de paradoxe : les jeunes diplômés doivent réussir grâce à leurs activités associatives à se présenter comme de “jeunes professionnels”, déjà dotés d’une certaine expérience permettant d’arguer de leur compétence et donc de se déclarer immédiatement autonomes… Mais ils ne doivent pas s’attendre à être reconnus comme tels une fois le cadre de l’entretien passé. Ce paradoxe se retrouve d’ailleurs dans le discours de Samantha par rapport à son expérience en gestion de projets.

“Et après il voulait me faire faire une formation à la gestion de projet, et j’étais là,

mais gestion de projet, je fais ça depuis six ans ! Il s’en fiche en fait de tout ce qui est associatif, c’est pas reconnu dans l’entreprise. Moi je n’ai pas eu le sentiment que ce soit reconnu.” (Samantha, Master 2 universitaire en psychologie)

Le discours de Samantha est d’autant plus marquant que le manager dont elle parle ici l’avait interrogée sur ses multiples expériences associatives au cours de l’entretien, semblant intéressé. Il se révèle cependant réticent, une fois l’entreprise intégrée, à reconnaître ce qu’elle défend comme ses acquis comme de véritables compétences.

Et justement en entretien, il m’avait demandé… il m’avait dit, oui, posé quand même des questions dessus, mais c’était pas des questions qu’est-ce que ça vous a apporté, c’était qu’est-ce que tu as fait… Et moi à chaque fois j’essayais de dire qu’est-ce que ça m’a apporté, le travail d’équipe, la gestion de projet. Et pareil dans mon boulot, la première chose que je devais faire c’était remplir un CV technique. Et dedans, détailler mes expériences. Et du coup en compétences, moi ma plus-value par rapport à d’autre c’était de pouvoir mettre tout de suite une rubrique “compétences transversales”, par exemple. Dedans j’ai pu mettre bah gestion d’équipe… Mais après euh je sais que mon manager n’a pas repris parce qu’il ne trouvait pas ça

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logique que à 26 ans j’ai déjà de l’expérience dans la gestion d’équipe. Pour lui si je n’ai pas le diplôme qui va avec, non, on n’allait pas le prendre au sérieux, et du coup il m’a retiré ça pour le présenter aux clients. Alors que moi dans mon CV je l’avais mis, bah écoute, j’ai déjà managé des équipes de 20 personnes, un salarié… Il s’en fiche !” (Samantha, master 2 universitaire en psychologie)

Les transformations de l’entreprise dont celles-ci peuvent se targuer ne sont au final que très partielles. La coopération ne remplace pas la subordination mais s’y ajoute. Les cadres “libres et entreprenants” pour être “créatifs” sont une image qui ne doit pas venir à l’encontre d’un respect des codes, des normes et des ordres descendants mais seulement le masquer. Ainsi, si la compétence inhérente à l’exercice de responsabilités dans le cadre d’une activité associative correspond tout à fait aux besoins exprimés par les organisations, associations comme entreprises, on note donc une réticence de certains recruteurs par rapport au cadre dans lequel ces activités peuvent être exercées, les associations pouvant être perçues comme un cadre qui ne s’accorde pas à celui de l’entreprise et peut donner des habitudes qui ne pourront pas être reproduites.

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