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A l’origine des politiques de RSE : une demande sociale

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 102-108)

Conclusion : Un clivage entre personnalité et compétence ?

2.1.3. A l’origine des politiques de RSE : une demande sociale

Les aspirations des jeunes candidats

Une caractéristique importante est généralement attribuée aux jeunes diplômés par les recruteurs : celle de vouloir reconnaître une utilité à leur travail quotidien, et notamment une utilité sociale, résumée sous la formule de la “quête de sens”.

“Ce qui ressort beaucoup des générations les plus jeunes en tout cas c’est ce besoin

de donner du sens à leur activité professionnelle, de pas travailler comme leurs parents sans se poser de question. On a beaucoup de remise en question, on a beaucoup de quête de sens dans les activités professionnelles, c’est pas travailler pour un salaire, c’est au-delà de ça. ” (Mme B., RH, GE)

Cette perception est fortement partagée par les jeunes diplômés interrogés. Ainsi, la solidarité est la valeur première des jeunes générations, et avec elle une forme de morale relationnelle [Galland, 2005165]. Certains cherchent à retrouver ces valeurs de solidarité en

choisissant (dans la mesure du possible) un emploi en cohérence avec ces aspirations, sous peine d’être désinvestis de leur poste si les missions qu’on leur confie vont à l’encontre de celles-ci.

“Et je pense que même si chez moi c’est fortement développé, c’est présent pour tout

le monde. Je pense qu’humainement il n’est pas possible de… De… d’exercer un métier dans un cadre qui ne nous correspond pas et qui va en plus à l’encontre de nos valeurs, peut-être. J’imagine, je ne sais pas, des grosses structures dans lesquelles à un moment donné on nous donne l’ordre de faire telle ou telle chose et humainement ça va trop nous coûter, ça va, ça va pas être possible… Je pense qu’on peut pas, enfin, on peut essayer au début mais on va forcément à la destruction, donc… Peut-être qu’on se détruit, et après, je ne sais pas ce qu’il se passe, on se dégage de ces missions-là, je sais pas…” (Camille, Master 2 Universitaire en

psychologie)

165 Galland, Olivier, Les jeunes sont ils individualistes ? in Galland, dir., Les jeunes Européens et leurs

103 Pour deux jeunes diplômés interrogés, cette question de l’utilité sociale est si essentielle dans le travail quotidien qu’ils cherchent actuellement un emploi directement dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, notamment en association. Ils estiment en effet impossible de trouver un travail dans un autre secteur qui leur permette de répondre à ce “besoin”. Cette aspiration est d’ailleurs particulièrement répandue parmi les jeunes se destinant à un emploi dans le secteur de l’ESS [Cohen Scali, 2016166].

“Sauf que je me suis rendue compte que, là ça fait un an que je bosse dans

l’ergonomie, ce n’est pas le métier en soi que je n’aime pas c’est toutes les conditions autour de… en fait j’aide personne, il n’y a pas de… on est à la chaîne et donc voilà, du coup ça m’a un peu dégoutée.” (Samantha, Master 2 Universitaire de

Psychologie)

“Parce que je, j’ai... le fait que je veuille travailler dans l’économie sociale et

solidaire c’est parce que j’ai besoin d’un travail qui a une utilité, de me sentir utile et d’apporter mon soutien à des personnes dans le besoin, et du coup, le fait, mon bénévolat je l’ai commencé surtout quand j’étais en stage à Airbus, qui n’est pas du tout dans ce secteur, et j’avais besoin en fait de ce complément pour être utile à la société.” (Laetitia, Master 2 Universitaire en communication)

Même chez des jeunes dont la profession permet mal cette adéquation, la question se retrouve : Mario (école de commerce) qui se définit lui-même comme “professionnal

bullshiter” dans son emploi de commercial affirme à la fin de l’entretien avoir souhaité

participer à l’enquête car il est dans sa nature de rendre service lorsqu’il le peut et de collaborer à des actions qui peuvent aider autrui. A noter que cette aspiration se retrouve aussi bien chez les jeunes très engagés dans l’action sociale par leurs activités associatives que chez ceux dont les activités sont plus tournées vers le sport ou la culture, par exemple. Pour Mme B., il appartient à l’entreprise de tenir compte de ces changements d’aspirations et d’adapter leur fonctionnement.

166 Cohen Scali, Valérie, et al., Ces jeunes qui s’intéressent à l’économie sociale et solidaire :

104 “ Je pense que ces préoccupations elles ont évolué avec le temps et les générations,

aujourd’hui on a encore des générations qui sont aux commandes qui sont des baby-

boomers pour la plupart, ça va bientôt changer, avec notre recrutement de jeunes

diplômés on a la génération la plus récente qui rentre dans l’entreprise… il faut tenir compte de ces changements de mentalité et de ces changements de mode de travail aussi. ” (Mme B., RH, GE)

Des aspirations partagées par les recruteurs ?

Si les représentants de la jeune génération sont particulièrement enclins à chercher à concilier leur activité professionnelle avec cette notion d’utilité sociale, l’attrait pour l’engagement ne leur est pas réservé. De fait, d’après une étude du Cnam menée en partenariat avec l’Apec167,

60% des cadres interrogés (de plus de 35 ans) pourraient être intéressés par un emploi dans l’économie sociale et solidaire, notamment en raison des valeurs spécifiques défendue par les structures de l’ESS, et 15 % d’entre eux cherchent plus ou moins activement un emploi dans une association ou une fondation. La “quête de sens” ne semble donc pas spécifique aux jeunes, mais plutôt spécifique à une époque, et les jeunes en sont des éléments particulièrement représentatifs en ce qu’ils ont forgé leur identité alors que la recherche d’utilité sociale connaît une grande avancée.

Ces aspirations des candidats sont parfois prises en compte par les recruteurs dans leur évaluation de l’adéquation d’un candidat à un poste. C’est ce qui donne lieu à des stratégies communicationnelles autour des valeurs, ou de la proximité des entreprises et du milieu associatif pour attirer les candidats. Pour Dina, les obligations légales qui entourent l’activité des entreprises sont également une opportunité pour des jeunes faisant montre d’une proximité forte avec le milieu associatif.

“Aujourd’hui on est beaucoup dans le domaine RSE, tout ça. Donc je pense qu’avoir

un côté où on parle justement des politiques sociales, ça peut être bien de l’avoir dans son CV, justement, d’avoir ce côté éthique. Les entreprises se lancent de plus en plus dedans, sont de plus en plus demandeur, y’a des postes justement dans la RSE, ça peut être un plus d’avoir été dans une association, d’avoir touché à ce côté

167 Cohen Scali et al., Mobilité professionnelle des cadres vers l’économie sociale et solidaire, Paris, Apec, 2017 (à paraître)

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humanitaire. Parce que je sais que moi quand j’ai des dossiers on a toute une partie sur euh la partie éthique.” (Dina, école de commerce)

Il est par conséquent à noter que plusieurs recruteurs interrogés semblent naturellement enclins à privilégier les candidats dont les profils (et notamment les activités extraprofessionnelles) dénotent des valeurs dans lesquelles ils se reconnaissent. Les recruteurs évoquent leur envie de recruter “quelqu’un de bien”. Ici, l’inclinaison à l’homophilie que nous évoquions dans le premier chapitre joue assez clairement en faveur des jeunes candidats engagés dans des activités altruistes, et ce parce que les recruteurs concernés se reconnaissent dans cette demande d’utilité sociale et d’engagement, au-delà de l’apport professionnel que ces activités peuvent représenter.

“ C’est professionnel, ça dépend aussi de l’importance qu’on accorde à l’aspect

humain en entreprise, Dieu sait que c’est varié l’aspect humain des personnes… moi je préfère travailler avec des belles personnes qu’avec des enfoirés !” (M. Y.,

Manager, GE)

“Donc ça correspondait bien et au-delà de ça c’est une jolie personnalité, à titre

d’appréciation personnelle, donc ok je suis responsable RH très bien mais je suis moi, aussi, et j’ai trouvé ça extrêmement wah ! d’avoir quelqu’un d’aussi jeune, aussi investi… […] C’est un fil conducteur de comportement, et j’ai été, voilà, très… je vais pas dire émerveillée mais euh très impressionnée par euh la maturité de la personne, euh, par rapport à son âge et par rapport à cet investissement. Et dans une perspective vraiment altruiste, généreuse, et qui était pas euh pour se sentir mieux vis à vis de la misère du monde, on est vraiment dans une projection de j’ai envie de servir, de faire le bien autour de moi et d’améliorer le monde, de rendre le monde meilleur ! Et là… wah !” (Mme D., RH, GE)

Ici, l'engagement altruiste du candidat est perçu comme plus qu'une simple question sociale : Mme D. le perçoit comme un élément essentiel du comportement du candidat mais également une preuve de maturité : si son appréciation est au départ personnelle, elle recentre ensuite sur des éléments qui peuvent être aisément intégrés à une pratique professionnelle.

106 “ Enquêteur : Et quand vous dites, elle a un grand cœur, c’est plutôt positif pour vous, ça signifie quoi ?

Parce que j’aime bien les gens bien ! [...] Mais c’est pas un critère professionnel, je suis pas sûr que je pourrais dire que je recrute des gens en fonction de leur grand cœur, je suis pas sûr que ça passerait bien… [...] Même si elle me disait j’ai passé trois ans dans le Sahel à sauver le monde… Je trouverais ça extraordinaire et très bien, mais je l’embaucherais pas non plus pour ça mais… j’espère que du coup elle aurait tout ce qu’il me faut avant pour que je puisse l’embaucher !” (M. U., Manager,

GE)

Le point de vue de M. U. est particulièrement intéressant lorsque l’on pense à la forte part de subjectivité qui préside aux recrutements : on a vu que tout critère, même perçu comme peu important, peut jouer pour départager deux candidats de même “valeur” professionnelle, mais on peut également supposer qu’une telle envie que le candidat corresponde sur le plan professionnel peut jouer sur l’appréciation qu’on fait de la compétence de celui-ci et de son adéquation avec le poste, rendant peut-être plus indulgent que pour un candidat qui n’aurait pas cet argument.

Il est également à noter que les trois recruteurs cités ci-dessus travaillent dans de grandes entreprises à vocation profondément commerciale.

Chez les recruteurs associatifs ou d’un secteur péri-associatif, la question se pose également mais avec une autre résonance.

“ Je dirige une filiale numérique d’un groupe médicosocial, groupe associatif, on n’a

pas d’actionnaire, on travaille pour des personnes âgées et des personnes handicapées, avec des logiques économiques réelles, hein, on n’est pas, pas au pays des Bisounours, mais on a quand même… une vocation sociale extrêmement importante, donc c’est vrai que la dans ce poste je fais quand même un… C’est vrai que quelqu’un qui a une sensibilité sociale, qui est prêt à s’investir pour des sujets de ce type aura un plus. Mais dans mes précédents jobs, je bossais pour la presse magazine, une grande société, c’était un autre contexte.” (M.E, Dirigeant TPE)

De fait, dans le secteur associatif ou péri-associatif, la pratique d’activités associatives est un indice de l’existence d’une sensibilité aux questions sociales, de valeurs compatibles avec

107 ce milieu. Au contraire, un jeune d’école de commerce, par exemple, pourra être a priori considéré comme plus sensible aux questions marchandes et de profit qu’aux notions chères aux associations, et celui-ci devra particulièrement défendre son CV. Cette vision de l’étudiant “classique” d’école de commerce est par exemple défendue par Thérèse, observant l’engagement associatif de ses anciens condisciples et les estimant moins attirés par le caritatif mais plus par les voyages ou par les activités dans lesquelles ils trouvent un profit personnel.

En plus des valeurs, il s’agit de s’adapter aux modes d’organisation des associations, qui se réclament d’une polyvalence demandée au salarié assez proche des discours des PME.

“ On voit que c’est vraiment une reconversion, du coup là la partie loisirs autres et activités est déjà beaucoup plus importantes parce que… Une personne qui a fait une école de commerce est très très loin de… de la pratique qu’on peut avoir ici, même s’il a toutes les compétences concrètes pour pouvoir faire, pour pouvoir remplir la mission qu’on va demander, il va avoir du mal à s’adapter dans notre contexte de travail. Et du coup dans ce cas-là s’il n’a pas d’expérience associative, s’il n’a pas fait un volontariat… c’est pas du tout quelqu’un qui va nous attirer !” (Mme O, Manager, association)

Les discours autour de la notion de valeur ne sont cependant pas propres aux recruteurs associatifs, et ce thème a également été très présent dans les entretiens avec les recruteurs du secteur marchand.

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Partie 2 : Les valeurs sociales sont-elles solubles dans l’entreprise

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