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L’exemple de Bernard : le bénévole est-il un stagiaire ?

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 195-200)

Conclusion : Des limites à la reconnaissance des compétences transférables

4.3.2. L’exemple de Bernard : le bénévole est-il un stagiaire ?

Au moment où nous rencontrons Bernard, il est diplômé d’un M2 de psychologie du travail depuis déjà deux ans, mais il suit des cours du soir pour un certificat d’ergonomie. Il n’a pas travaillé dans son domaine, l’intervention dans les organisations, depuis son diplôme. Il a réalisé un long CDD dans le domaine de la paye, qui a été très éprouvant. L’expérience professionnelle qu’il affiche sur son CV est très vaste, constituée d’une myriade de petits contrats (plus de vingt) dans des domaines assez divers réalisés pendant ou après ses études. La dernière expérience portée sur son CV dans la rubrique expérience professionnelle est une expérience de bénévolat de compétence, Passerelles et Compétence l’ayant “ recruté ” pour le compte de deux associations.

Il est assez visible que la recherche d’emploi de Bernard a été longue et douloureuse, même s’il affirme garder l’énergie de se battre. Il explique qu’il a identifié le principal problème de sa recherche : le manque d’expérience. Il a alors cherché les différents moyens d'accroître son expérience qui ne passent pas par un contrat salarié classique : service civique (il avait malheureusement plus de 26 ans), (malheureusement réservés aux jeunes de moins de 26

196 ans), contrats de l’armée réservés aux jeunes, possibilité de vendre ses compétences comme consultant à un tarif minimal ou de faire du bénévolat dans les entreprises (ne pouvant faire de stage supplémentaire sans être inscrit en formation pour avoir une convention)… La très longue liste de courtes expériences professionnelles (jobs d’été, participation à des jurys…) qu’il affiche en fin de CV est d’ailleurs révélatrice de cette expérience, pourtant en majeure partie sans rapport avec sa formation, qu’il tient à montrer313.

Le bénévolat de compétences fait partie de cette dynamique de “stratégie du désespoir”. Il ne s’est donc pas engagé au départ dans le but de donner du temps mais bien de recevoir une validation d’expérience et de compétences. Bernard est l’image stéréotypique extrême du jeune diplômé qui a “tout” essayé.

Ce bénévolat est en lien avec sa formation, plus qu’une grande partie des expériences présentes sur son CV. Il y réalise des missions semblables à celles qu’il exerçait en stage, et ce en totale autonomie puisqu’il est seul sur le terrain dans les associations demandant ses services à Passerelles et Compétences, association de bénévolat de compétence qui fait le lien entre des associations ayant un besoin et des personnes disponibles. Par ailleurs, sa dernière expérience professionnelle a pris fin plus d’un an auparavant, et n’était pas du tout dans le domaine qui l’intéresse. Pour toutes ces raisons, Bernard a choisi d’indiquer ses missions bénévoles dans la rubrique “expérience professionnelle”, et de les séparer de ses “centres d’intérêts” présentés dans la marge de son CV (course, dessin, mais également des activités de “formation continue” comme sa participation à des salons professionnels ou la lecture de revues spécialisés dans son domaine).

C’est pour cette raison que nous avons choisi de présenter le CV de Bernard aux recruteurs rencontrés. Les recruteurs interrogés ont parfois considéré ce CV comme un “piège” : en effet, puisque la consigne était de commenter les activités extraprofessionnelles” présentées, la plupart des enquêtés partaient immédiatement dans la marge à droite (parfois pour estimer que la partie “formation continue” n’avait pas à y figurer, ou que la personne qui avait rédigé ce CV en “faisait trop” en indiquant ses lectures scientifiques, “trop” pour passer pour un professionnel expérimentés alors qu’il s’agissait d’un jeune diplômé). Il a souvent fallu attirer spécifiquement leur attention sur la mention “bénévole” à côté de l’expérience en

313 Cette constellation d’expériences a d’ailleurs été plutôt rejetée par les recruteurs auxquels nous

197 question. Les activités bénévoles ne sont donc a priori attendues que dans une rubrique spécifique, dite “à la fin” du CV.

Une fois le sujet recentré sur cette expérience, on constate que le bénévolat de compétences semble un dispositif mal connu. La liste des missions exercées par Bernard dans ce bénévolat a poussé certains recruteurs à supposer qu’il s’agissait d’un stage, et que le terme bénévolat relevait de l’abus de langage.

La quasi-totalité des recruteurs a reconnu que l’information était bien à sa place dans cette rubrique, même si certains ont pensé que le terme bénévolat aurait dû être enlevé, parce qu’il n’apportait rien ou encore parce qu’il aurait pu pousser des recruteurs autres qu’eux à ne pas prendre en compte cette expérience.

“Parce qu’un bénévolat, pour une entreprise… C’est assez méchant à dire comme ça

mais c’est pas un travail. Euh je pense que… les recruteurs ils comprennent pas forcément pourquoi c’est dans cette case-là alors que ça devrait être ici, dans les centres d'intérêt. Mais moi personnellement ça me choque pas, moi tant que le CV il est cohérent et que l’expérience est cohérente… Peut-être que je dis ça parce que je suis jeune dans le domaine, mais ça me choque pas plus que ça.” (M. S., RH, GE)

Notons par ailleurs que ceux ayant affirmé plus tôt dans l’entretien qu’ils ne prenaient pas en compte les activités extraprofessionnelles, ou encore qu’il était abusif de les mettre dans l’expérience professionnelle, ont alors estimé que ce n’était pas “choquant”.

“[A propos des activités extraprofessionnelles de Li Mei, présentée comme le candidat A] La première chose c’est qu’ils sont placés au bon endroit, et ça paraît

logique de les trouver tout à la fin, par rapport à ce que je vous ai dit avant.

Enquêteur : Ça arrive que ça ne soit pas le cas ?

Hm… Ça peut être mis en fait un petit peu à l’intérieur, quand je vous parlais tout à l’heure et là on le voit sur le candidat A qui est volontaire marathon pro bono lab Essec, c’est les fameuses associations étudiantes ou [activités réalisées] pendant les études, des fois les personnes vont le mettre dans la formation. On va le trouver dans voilà j’ai fait Essec, tac et dedans il va remettre cette partie-là, qui sont en effet à moitié expérience professionnelle, du moins ils vont le considérer un peu comme ça,

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c’est pas bête, mais moi ça me plait pas, ce n’est pas une expérience professionnelle. Je préfère que ça soit mis tout à la fin.

[Plus tard, devant le CV de Bernard]

Oui mais j’imagine que si il l’a mis là, euh… il est dans la partie euh… parce qu’on est en prévention des risques psychosociaux, et après audit social de structure associative, j’imagine que là il y avait un lien fondamentalement euh… Je le vois pas… Ca me choque pas trop finalement, la notion bénévolat me choque pas trop. Sinon finalement il y a quelques stages aussi qui sont du bénévolat parce que c’est non rémunéré !” (M. H., Intermédiaire du recrutement)

Ces termes, “ça ne me choque pas trop finalement” sont assez représentatifs de ce que les recruteurs ont affirmé par rapport au choix de présentation de Bernard. L'aspect légitime de ce choix est donc reconnu malgré des réticences de départ. Ce cas propose une première piste de réflexion sur les choix de formulation qui peuvent être faits sur les CV, point sur lequel nous reviendrons en détail dans le dernier chapitre, et sur l’évolution que peuvent connaître les opinions des recruteurs dans le cadre d’un processus de recrutement, en fonction des candidats rencontrés, des informations reçues et de la façon dont on leur propose de recevoir ces informations.

Ce qui convainc les recruteurs dans la proposition de Bernard, c’est bien la proximité entre ce qu’il dit de son activité et de ce qui serait dit d’une expérience professionnelle, s’il avait exercé son activité de consultant de façon rémunérée dans une entreprise. Le cadre prend alors une importance bien moindre par rapport aux missions. Bernard a ainsi réussi à dissiper l’image du bénévole qui “fait ce qu’il veut” et réalise des missions sans besoin de résultat, et s’impose au contraire comme un bénévole qui réalise quelque chose qui pourrait être un travail rémunéré. Plusieurs recruteurs interrogés font remarquer comme M. H. que, si on s’en tient à la question de la rémunération, alors les stages sont souvent proches du bénévolat.

199 “Enquêteur : Et vous m’avez dit le bénévolat en expérience professionnelle il a eu raison ?

Oui, pourquoi pas, bah oui en fait il a eu raison parce que pour le coup euh c’est juste qu’il était pas rémunéré pour ce qu’il faisait mais clairement il a été consultant, il a fait un audit... donc c’était pas un bénévole qui mettait des enveloppes, qui timbrait, vous voyez, y’a ce type de bénévolat là qui est un peu… bon ça demande pas de compétence particulière, être sûr que tout le monde sera là, où… et encore, peut être que ça demande quand même une compétence particulière d’être sûr que tout le monde sera là, il faut quand même bien s’exprimer, mais mettre un truc dans une enveloppe et l’envoyer y’a pas besoin de compétence particulière, il faut juste être rapide, donc y’a pas lieu de le mettre dans expérience professionnelle, mais là pour le coup ce qui change… il a juste pas été rémunéré !” (Mme N., manager en

association)

L’exemple cité par Mme N. est particulièrement intéressant : il distingue le bénévole « colleur de timbres » du bénévole qui a effectivement pris en charge une mission. Comme nous l’évoquions en introduction, le terme bénévolat a souvent cette connotation d’activité simple et dirigée, même pour cette manager qui travaille en association !

“C’est intéressant de mettre cette expérience comme je disais tout à l’heure parce

que même si c’est pas une activité dans une société c’est une activité à part entière. Et notamment avec les missions qu’elle a eu, audit social, diagnostic, c’est des choses qui peuvent rentrer dans le cadre d’une activité professionnelle en entreprise, peu importe la forme. Le bénévolat c’est juste une forme de contrat qui est différent.”

(M. T., RH, PME)

L’exemple permet donc également de comprendre ce qui se joue dans les discours des recruteurs en matière de lien entre expérience et compétence. On peut en fait résumer trois cas de figure différents, les deux premiers relevant de l’autoformation.

- l’activité associative permet de faire montre d’une expérience difficile à réaliser par le biais d’un stage et ne dépendant pas des connaissances acquises en formation (comme c’est le cas avec la prise d’initiative ou les responsabilités, par exemple) : elle peut alors être reconnue comme gage de la compétence (au sens capacité à combiner ses ressources

200 pour réagir à une situation) du candidat. Cette expérience ne sera pas pour autant reconnue comme valant une expérience professionnelle pour ce qui est de signaler la compétence par tous.

- l’activité associative est une expérience “technique” mais les ressources qu’il faut mettre en œuvre ne correspondent pas à la formation du candidat. Pour des savoir-faire professionnels spécifiques (la comptabilité a par exemple été souvent évoquée avec les postes de trésoriers d’association), si rien ne vient “légitimer” l’expérience associative, alors il est rare que celle-ci soit considérée comme une expérience à part entière. Ainsi, la gestion de budget par un trésorier est bien plus souvent discutée sous l’angle de la prise de responsabilités que sous l’angle technique de la connaissance des écritures comptables. Les savoir-faire moins spécifiques, considérés comme transverses à de nombreuses fonctions, comme la gestion de projet notamment, donnent lieu à des discours plus mitigés, entre expérience irrecevable et pré-expérience dans un espace transitionnel.

- l’activité associative est une expérience “technique” où les ressources mises en œuvre correspondent à des connaissances acquises en formation ou en stage, comme c’est le cas pour Bernard : elle peut être considérée comme le lieu où la connaissance est mobilisée. Ici, l’expérience ne permet donc pas l’acquisition de compétences-ressources mais de s'entraîner à utiliser des ressources déjà acquises, soit de développer sa compétence. Le bénévolat de compétence sera donc toujours dans ce cas de figure, puisqu’il propose aux bénévoles d’exercer dans des missions associatives des savoir- faire qu’ils ont acquis par ailleurs. Notons cependant que, si l’expérience professionnelle est importante, les expériences associatives perdent de la valeur : elles sont alors considérées comme redondantes avec l’expérience professionnelle, et moins légitimement reconnaissable que celle-ci. Elles peuvent cependant rester la preuve de l’appétence du candidat pour le domaine professionnel considéré, puisqu’il l’investit également dans sa vie personnelle.

On retrouve ici les résultats d’une étude américaine [Wilkin et al., 2012314] comparant les

réactions de recruteurs à des CV présentant des expériences payées et bénévoles (paid/volunteer), cohérentes avec le parcours ou non (related/unrelated). Les auteurs

314 Wilkin, C., Connerlly, C., “Do I look like someone who cares ? Recruiter’s ratings of applicants’

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