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L’opposition loisirs et associations, une hypothèse confirmée, mais insuffisante

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 73-80)

Etudier en miroir les stratégies des jeunes diplômés et leur réception par les recruteurs

1.3.1. L’opposition loisirs et associations, une hypothèse confirmée, mais insuffisante

D’un point de vue théorique, toute activité élective est un loisir [Sue, 1983131] en ce qu’elle

est exercée dans la sphère du temps autonome [Gorz, 1997132], non contraint ou auto-

contraint, conformément à l’expression “avoir le loisir de” (du latin licere, être permis). La classification la plus simple, et la première tentation, serait de différencier simplement les loisirs des activités associatives, en considérant que celles-ci sont celles qui sont exercées dans le cadre d’une association. On peut alors faire l’hypothèse d’une différence de considération entre ces deux types d’activité par les recruteurs, les loisirs étant du côté du subjectif et de la personnalité, les associations du côté de l’expérience.

Dans notre enquête quantitative à destination des recruteurs, nous avons d’ailleurs fait le choix de différencier pour certaines questions les activités dites “loisirs” et les activités associatives, soit d’imposer une classification. Avec cette classification imposée, la différence entre les deux types d’activités est relativement marquée, notamment pour ce qui est de l’idée que de telles activités puissent être le lieu d’acquisition de compétences professionnelles.

Tableau 3 : À quel point êtes-vous en accord avec l’affirmation suivante ? (en % des réponses exprimées) Tout à fait d'accord D'accord Total d'accord Plutôt pas d’accord Pas du tout d’accord

Les loisirs permettent d’acquérir

des compétences

professionnelles.

14,2 42,9 57,1 39,9 3

Les activités associatives permettent d’acquérir des compétences professionnelles.

23,6 60,5 84,1 13,9 2

Source : Claire Margaria Enquête en ligne auprès des recruteurs, 2014

131 Sue, Roger, Le loisir, Paris, PUF, 1983 132 Op. Cit.

74 Une analyse des entretiens par la méthode Reinert permet d’approcher plus finement cette question. Pour les deux populations, la consigne de départ de l’entretien portait sur les “activités extraprofessionnelles”. Les questions de relance servaient ensuite à resserrer le sujet autour des activités associatives, notamment par la présentation aux recruteurs des trois CV de jeunes diplômés ayant chacun un engagement associatif assez marqué. La différence entre ces deux types d’activités apparaît d’ailleurs dans certains entretiens.

“Quand vous dites activité extraprofessionnelle, est-ce que vous faites référence à

euh entre guillemets loisirs ou la partie genre j’ai été le trésorier de telle assoce quand j’étais à l’école ?” (Mme D., RH)

“En fait moi les deux catégories que je mettrais c’est en fait ce qui est de l’ordre

associatif qui pour moi est assimilable à une expérience et après tout le reste qui est pour moi un peu anecdotique…” (Mme R., RH, GE)

Ces entretiens ont été soumis à une analyse qualitative (thématique) et lexicale réalisée avec le logiciel Iramuteq. Cette analyse textuelle permet de découvrir les “mondes lexicaux” [Rouré et Reinert, 1993133] des différents locuteurs, et permet donc de mettre en évidence

les thématiques abordées au cours des entretiens de façon plus objectivée, mais également de mettre en évidence le vocabulaire utilisé. La méthode Reinert permet d’analyser des unités de contexte élémentaires (dites u.c.e. , forme la plus réduite ayant une cohérence sémantique) et de les réunir en classe en fonction des “formes” (mots employés, réduits à leur racine) utilisées par les locuteurs.

Cette analyse découpe les termes employés par les enquêtés (de façon relativement similaire chez les jeunes diplômés et chez les recruteurs) en trois classes, le degré d’association de chaque forme et de chaque variable à une classe étant mesuré par la valeur du Khi². Une analyse factorielle de correspondance permet alors de déterminer si certaines caractéristiques

133 Roure, H., Reinert, M., "Analyse d’un entretien à l’aide d’une méthode d’analyse lexicale", JADT

75 associées aux segments de textes (caractéristiques définissant chacun des entretiens, en l’occurrence) sont fortement associée à l’une ou l’autre des classes lexicales.

A première vue, cette analyse semble conforter notre hypothèse de départ en séparant les termes qui ont trait au “simple loisir” et ceux liés aux activités associatives, eux-mêmes rapprochés des termes concernant l’expérience professionnelle.

Chez les jeunes diplômés (Figure 1), la classe 1, en rouge, regroupe des mots portant sur les différentes expériences des jeunes diplômés (formation, stages, expériences bénévoles et associatives avec les termes “association”, “associatif”, “bénévole”, “participer”, mais aussi des termes pouvant appartenir à l’un ou l’autre des univers comme “responsabilité”, “gestion” et “organiser”) ; la classe 2, en vert, regroupe des termes plus proches de l’entreprise et le vocabulaire de la recherche d’emploi (compétence, expérience, motivation... C’est également dans cette classe qu'apparaît le terme “extraprofessionnel”.) ; la classe 3 regroupe à la fois le terme loisir et des termes associés (jeu, guitare) mais également des termes évoquant l’entretien (avec notamment la très forte présence de question et poser, mais également impression, feeling). Les loisirs sont donc fermement ancrés du côté de l’argumentation, mobilisés pour les candidatures, mais ils sont également bien séparés des activités associatives, plus liés à l’activité professionnelle.

Chez les recruteurs (Figure 2), les résultats sont relativement semblables. La classe 1 regroupe des mots concernant l’activité de travail (marketing, commercial, entreprise mais également stage et apprentissage), les mots concernant les expériences en association (association, caritatif, bénévole) ainsi que des mots qui pourraient tout aussi bien appartenir à l’un ou l’autre des domaines comme budget, projet, mission, responsabilités ou de nombreux verbes d’action (apprendre, encadrer, investir). La classe 2 évoque l’activité de recrutement (candidat, entretien, lettre de motivation). La classe 3 mêle les termes “question”, “poser”, “penser”, le terme “loisir” et des termes détaillant les activités de loisirs considérées, mais également des activités liées au monde des associations avec des termes comme “scoutisme” et “politique” notamment. La séparation entre les deux univers d’activités est ici moins franche.

76 En rentrant plus en détail dans les u.c.e de chaque classe, on constate que la classe 3 concernant les activités de type loisir mais aussi certaines activités liées au monde des associations regroupe des verbatims “positifs” et des verbatims très “négatifs”, portant les uns comme les autres sur l’impression laissée au recruteur par la mention de l’une ou l’autre des activités. Comme on l’a vu précédemment, les activités assez connotées sont pour certains recruteurs à éviter, ce qui explique qu’elles soient dans les discours séparées des autres activités associatives, considérées comme plus propices à être rapprochée du domaine professionnel. De plus, le terme “loisirs” y est employé à la fois pour évoquer des activités qui relèvent de celles qui “méritent” d’être mises en valeur, de celles dans lesquelles les recruteurs piochent des informations et des activités qui sont à laisser de côté ou n’apportent rien à la candidature.

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Figure 1 : Résultat de l’analyse lexicale pour le corpus jeunes diplômés

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Figure 2 : Résultats de l’analyse lexicale pour le corpus recruteurs

79 L’analyse lexicale laisse donc entendre une séparation assez nette entre deux types d’activités, certaines permettant plus que d’autres le rapprochement avec le milieu professionnel, mais l’association ne semble pas être le seul élément discriminant, même si la présence des termes “bénévole” et “association” dans la classe lexicale concernée pourrait confirmer notre hypothèse de départ.

L’analyse thématique des entretiens révèle que la question est plus complexe et que l’association est un critère qui n’est ni strictement nécessaire (il l’est cependant dans la plupart des cas) ni suffisant pour définir ce que les recruteurs prennent ou non en compte comme expérience et source d’indices utiles au recrutement.

Parmi les activités que l’on retrouve valorisée par les recruteurs se trouvent le volontariat, les responsabilités prises en association mais également les sports d’équipe, par exemple. Le bénévolat est pour sa part parfois très valorisé, parfois plutôt mis de côté.

“Qu’est-ce qui pourrait servir ? A la limite une activité qui… qui pourrait avoir un

intérêt dans le boulot, surtout pour un jeune diplômé… si par exemple la personne a fait du volontariat par exemple où elle a déjà managé des équipes, elle a géré des projets, par exemple…. Ça va être intéressant pour nous. Ou… Quoi d’autre ? [...] ou un sport d’équipe, par exemple, qui va me dire qu’elle peut travailler en équipe, ou un… ou je sais pas, si elle a fait quinze ans de conservatoire c’est intéressant parce que ça montre que la personne a du suivi dans ses projets…” (M. A., RH, SS2i)

“C’est pas le statut qui compte, c’est pas ce qu’a fait la personne, qu’elle soit

bénévole… si c’est dans les clous, elle a pas été planter des arbres au milieu du désert, j’ai envie de dire, ce qui serait utile mais dans un autre genre.” (Mme B., RH,

GE)

Au final, ce n’est pas tant le cadre de l’activité qui va compter (association ou en dehors, statut de bénévole, de volontaire ou de dilettante) mais les missions qu’implique l’activité et surtout la façon dont celle-ci a été investie.

Par ailleurs, les termes employés, loisirs, centres d’intérêts, activités extraprofessionnelles ou activités associatives, s’ils font l’objet d’une prise de position marquée chez certains

80 enquêtés, semblent varier d’un locuteur à l’autre ou même d’une phrase à l’autre chez certains locuteurs.

Ces différents constats nous amènent à tenter de proposer, à partir de l’analyse des discours, une classification des activités qui sont propices à susciter l’intérêt des recruteurs. Ce sont ces activités que nous souhaitons appeler activités associatives, pas tant du fait de leur proximité avec le monde des associations (qui reste flagrante même si elle n’est pas un critère suffisant de définition) mais plutôt pour leur dimension d’associativité.

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 73-80)