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Les activités associatives : la possibilité d’une compensation ?

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 121-125)

Conclusion : Un clivage entre personnalité et compétence ?

2.3.2. Les activités associatives : la possibilité d’une compensation ?

Un élément est cependant plus directement déductible des entretiens réalisés et tient à la question de la compensation par l’extérieur de ce que l’entreprise ne peut fournir. C’est cette idée qui est derrière les politiques de mécénat et de partenariat avec les associations : si l’entreprise ne peut pas en elle-même apporter une utilité sociale, contribuer au développement durable ou à la lutte contre les inégalités, alors elle s’allie avec des associations qui pourront apporter ces éléments.

Il en va de même au niveau individuel du salarié : les politiques de bien être, notamment, qui visent à contrer les effets stressant des changements organisationnels et des organisations paradoxantes [Dejours et Bègue, 2009178, Gaulejac, 2011179]180, passent souvent par des

éléments qui sont externes à l’organisation du travail (salles de sport dans les entreprises, par exemple) et parfois externes à l’entreprise, en permettant au salarié de réaliser son envie d’être utile par une activité qui n’a rien à voir avec son activité de travail.

Pour les entreprises qui n’ont pas de politiques de ce type, il devient alors important de vérifier au moment de l’embauche que le candidat aura la possibilité de trouver ce ressourcement dans ses activités extérieures181. Les activités associatives jouent alors un

rôle de compensation, lorsque que le jeune diplômé est en emploi, en grande partie semblable au rôle que nous avions détaillé pour les jeunes diplômés en recherche d’emploi : elles permettent de sortir d’un quotidien considéré comme pesant, de couper avec l’activité stressante quotidienne, mais également de se reconnaître un rôle social et une utilité. On retrouve ici l’idée de Friedman [1964182] selon laquelle “Les besoins d'intérêt, de

signification, de participation, d’achèvement que ne satisfont pas les tâches rationalisées [...] influencent les activités qu’ils recherchent durant leur “temps libre”.” L’auteur note déjà

178 Dejours, Christophe et Bègue, Florance, Suicide et travail, que faire ?, Paris, Seuil, 2009 179 De Gaulejac, Vincent, Travail, les raisons de la colère, Paris, Seuil, 2011

180 Notons d’ailleurs que, lors d’une discussion informelle, un salarié de la Fondation d’une entreprise de télécommunication ayant connu une vague de suicides très médiatisée a expliqué que ladite

Fondation (créée à la fin des années 80) avait pris une importance nouvelle et notamment mis en place le mécénat de compétences “après la période malheureuse”.

181Notons à ce sujet que les recruteurs anglo-saxons interrogés par Rubin et al. parlent généralement de personnalités “well rounded”, ce qui peut se traduire par accompli mais également par “équilibrées”. Rubin et al., Using extracurricular activity as an indicator of interpersonal skill : prudent evaluation or recruiting malpractice ?, Human Resource Management, 2002, vol. 41/4

182 Friedman, Georges, Le travail en miettes, Spécialisation et loisirs, Bruxelles, Editions de

l’université de Bruxelles, 2012 pour la présente édition, [Paris, Gallimard, 1964, pour la Nouvelle édition revue et augmentée]

122 dans les années soixante l’apparition dans les entreprises de “clubs” et “sociétés” destinées à encadrer ce temps libre. Rougier [2016183] constate d’ailleurs le rôle de l’engagement

associatif comme compensation de l’insatisfaction professionnelle chez certains des ouvriers qu’il étudie.

Si Friedman faisait alors référence aux tâches rationalisées des travailleurs à la chaîne, il nous semble actuellement possible de considérer que le travail des jeunes cadres répond à la même logique. La première raison est celle de “l’emploi en miettes” que nous avons évoqué au premier chapitre, qui empêche de donner du sens à son parcours. Mais le travail quotidien tend lui aussi à perdre sa signification pour les cadres : faire appliquer des décisions dont on ne comprend pas la finalité, réaliser des tâches répétitives de reporting, être embauché alors qu’on a obtenu un diplôme de Bac +5 sur un poste qui nécessite une qualification et une compétence bien moindre184, ou décorrélé des études suivies (cette non-corrélation entre

poste et études est présente pour 55% des diplômés Bac +3 et plus185 d’après l’enquête

Génération 2010)... Les raisons de ne pas trouver dans son emploi d’intérêt et de signification ne manquent pas.

“On est tout le temps assis sur des chaises, devant nos bureaux, on est avec nos

téléphones et des écrans. […] Oui, juste le fait de s’aérer le cerveau, parce qu’ils savent que ce qu’on fait c’est monotone, ça peut être répétitif, et les gens risquent de péter un câble. Donc ça c’est une échappatoire, ça permet d’aller se défouler, et comme ça au taf on est calme, on est tranquille… […] Mais juste pour eux ça crée un équilibre.” (Adel, Ecole de commerce)

“C’est juste que j’ai l’impre...enfin je n’ai pas l’impression, c’est juste que j’en suis

convaincue, que mon travail, euh, fin… il me convient et tout, c’est...mais j’ai besoin de faire quelque chose d’utile, et je n’ai pas l’impression d’être utile à la société en faisant du contrôle de gestion pour ma boîte. Donc on est obligé de compenser en faisant des… des choses pour lesquelles on… des choses qui ont du sens et qui

183 Rougier, Cyrille, Le sport à côté. Les logiques sociales de la permanence d’un investissement associatif en milieu populaire, Sciences sociales et sport, 2016, vol.1, n°9

184 L’un des recruteurs interrogés au cours de notre enquête évoquait ses recrutements (pas si rares) de jeunes diplômés de Bac +5 universitaires, notamment en histoire de l’art ou dans d’autres disciplines ayant une réputation semblable, pour des postes de vendeur en prêt à porter.

185 Les résultats communiqués de l’enquête Génération ne permettent pas d’isoler les Bac +5 sur ce sujet.

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servent à d’autre, et y’a que l’humanitaire pour ça, je vais pas trouver ça dans mon travail.” (Thérèse, Ecole de commerce)

Thérèse explique par ailleurs qu’elle trouve dans ses activités extraprofessionnelles, en plus de cette utilité sociale, l’occasion d’apprendre des choses nouvelles, ce dont son emploi lui semble totalement dépourvu.

Cette compensation par le hors travail est l’objet d’une attention par les recruteurs, majoritairement du point de vue bien-être/lutte contre le stress. Les débats actuels sur la “déconnexion”186, liés à l’usage des technologies numériques en entreprise et à leurs

conséquences sur les horaires de travail, notamment, contribuent à l’émergence de la recherche de candidats capables de “couper” entre travail et hors travail, de se ménager des temps de pause dans leur vie personnelle et ce pour éviter des phénomènes de stress intense tel que le burn-out.

“Pitié, surtout pas, surtout pas ! Et moi les gens qui savent couper, qui savent être

très bon dans leur boulot et qui savent complètement couper, je trouve ça mieux, je trouve ça mieux que les gens qui vivent leur boulot 24/24, ça ça m’inquiète ! Si en entretien j’ai quelqu’un qui me dit non mais moi mon boulot j’y pense tout le temps…” (M. L., Manager, PME)

“En fait on cherche quand même des gens équilibrés. Dans le monde d’aujourd’hui,

et ça c’est un mot important, c’est que le boulot on demande… que ce soit des postes débutant, non cadre, ou des postes cadres, ou peu importe, pour ceux qui ont un peu de temps quand même pour eux, si on sent qu’ils ont des passe-temps, des pratiques qui vont leur permettre de décompresser, de s’épanouir… surtout un jeune diplômé il a peut-être une vie de famille qui est pas encore trop là, donc s’il a des projets personnels, des activités extraprofessionnelles dont on sent que ça va participer à

186 Voir par exemple à ce sujet l’accord de branche du Syntec du 1er avril 2014 qui instaure un “droit à la déconnexion” (insistant sur ce point mais sans aller plus loin que les mesures déjà existantes dans le droit du travail) ou l’arrêt de certaines fonctionnalités des serveurs de Réunica pour faire en sorte que les salariés ne puissent plus consulter leurs mails le weekend.

(http://www.miroirsocial.com/actualite/9702/reunica-met-en-pratique-la-deconnexion-automatique-le- soir-et-le-weekend)

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l’équilibre de la personne… C’est parfait. Donc si y’en a pas, moi je vais poser la question.” (M. Q., RH, GE Parapublique)

La responsabilité de la gestion du stress est ainsi reportée sur les personnes, partant du principe que le travail est intrinsèquement lourd et stressant : le stress professionnel est emblématique du travail tel qu’il se vit aujourd’hui dans toutes ses dimensions d’incertitude (liée aux changements organisationnels et aux pratiques de flexibilité notamment) [De Zanet et Vandeberghe, 2005]187. Le recruteur doit donc vérifier que le candidat est capable de gérer

une telle situation.

“On est attentifs à leur, voilà, à questionner sur la capacité que ces personnes-là vont

avoir à gérer des déplacements, gérer aussi des journées parfois très longues parce qu’on a sept ou huit heures d’animation et avant et après il faut venir préparer… Enfin en amont il faut venir plus tôt, préparer, et puis après il faut ranger et repartir, donc c’est des journées de plus de douze heures, hein, normalement, donc c’est, c’est important de se dire comment, qu’est-ce qu’elles mettent en place pour qu’on soit sûrs que dans six mois elles soient pas parties en burn out, quoi !” (Mme F., RH,

Grande Association)

Que la question du stress trouve des réponses en interne ou en externe à l’entreprise, reste qu’elle trouve des réponses majoritairement dans le hors travail. Un mécanisme de même nature est à considérer pour ce qui concerne le besoin d’utilité sociale : soit les entreprises sont à même de proposer un “hors travail” où celui-ci pourra se réaliser, notamment par le bénévolat de compétences ou des journées d’engagement bénévole collectif, soit il faut vérifier que le candidat est en mesure de trouver cet équilibre par ailleurs.

Mme Do. explique que lorsqu’elle recrutait (pour des postes de consultant en organisation) elle regardait particulièrement les candidats qui avaient été engagés dans des activités au sein d’associations pendant leurs études et notamment ceux s’étant engagés sur le long terme dans des ONG.

125 “Ça permet d’éviter la crise de sens. On sait que dans deux ans ils ne vont pas nous

claquer dans les doigts en disant je veux trouver du sens et aller travailler dans des associations, ils ont déjà donné.” (Mme Do., ex-RH, PME secteur du Conseil)

Dans le document Du bénévole au jeune cadre (Page 121-125)