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La transmission de l’expérience militante : un enjeu de l’éducation populaire

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 105-108)

Bien souvent, c’est lorsque la question de la transmission d’une expérience militante se pose que les enjeux de l’éducation populaire deviennent palpables. Il me semble que les arts politiques et la pédagogie sociale ont le souci de transformer leurs actions en matériau pour la recherche afin d’en tirer des connaissances nous permettant de nous mêler à la politique d’aménagement du territoire, de nous l’approprier ou de devenir géographes et urbanistes, et de faire face aux défis sociétaux en étant conscients de nos agissements et de notre pouvoir.

La question de la transmission amène les questions suivantes : de quoi sera constitué ce récit ? Qu’avons-nous fait ? Pour qui ? Avec quels effets ? Quel degré de réflexivité et d’auto- critique sommes-nous prêts à tolérer ? Qui aura la charge de l’écrire ? Les réponses à ce chapelet de questions sont lourdes de conséquences – eu égard aux financeurs, à l’opinion publique, aux partenaires et aux bénéficiaires. Je ne connais pas de structure où ce travail de bilan d’une action militante se soit fait sans difficulté, sans conflit. Le PEROU, comme beaucoup d’autres structures, n’en a pas été épargné. Je pense que, dans notre cas, les moments de convivialité ont joué un rôle fort intéressant, à double tranchant. Au-delà de ce que les fêtes organisées et vécues à la barbe des autorités peuvent avoir de subversif, ces moments-là sont aussi un moment clé de la vie du collectif. C’est au cours de danses euphoriques au beau milieu de l’après-midi, enivrés de jus de fruit, que les frontières se brouillent entre gadjé, Roms, bénévoles, salariés, jeunes, vieux, machos, féministes, experts et étudiants. L’effet de ces temps partagés est à la fois éphémère et définitif.

DU BIDONVILLE AU « LIEU DE VIE » : LA REDÉFINITION DE L’ESPACE DU BIDONVILLE À TRAVERS LES ARTS POLITIQUES ET LA PÉDAGOGIE SOCIALE

Bien entendu, dès le lendemain, tout le monde se retrouve à sa place et on sait parfaitement qui est qui. Mais ces moments hors du temps peuvent commencer à ouvrir une brèche pro- fonde, irréversible. C’est en tout cas ce qui s’est passé pour certains d’entre nous au PEROU. Être devenus « constructeurs » dans ces conditions-là nous a donné des ailes. Certains, qui, comme moi, n’avaient pas de trajectoire d’engagement militant, ont commencé à gagner en confiance dans leur puissance à agir individuellement et collectivement. Les idées se sont mises à fuser et nous les avons soumises à Sébastien Thiéry en étant persuadés que tel ou tel projet était en complète harmonie avec la philosophie de ce que nous étions en train de faire. Lors de nos rencontres hebdomadaires aux Caves de Petit-Thouars, nous avons discuté avec passion de notre « à venir ensemble » et nous avons demandé à Sébastien de soutenir nos idées. Il ne l’a fait très que très mollement ou pas du tout.

Les divergences avec Sébastien ont poussé la majorité de ceux qui avaient été chargés de missions des actions à Ris et à Grigny à prendre leurs distances. C’est regrettable, mais là se cachent aussi les chemins de l’émancipation pour ceux qui sont devenus par la suite por- teurs de leurs propres projets. Arriver à se détacher de l’agenda de Sébastien, si j’ose dire, a permis au collectif de ne pas tomber dans l’adoration d’un leader charismatique.

Le conflit est inévitable et salutaire. C’est le conflit qui nous fait avancer sur les plans per- sonnel et collectif. À nous de questionner nos rapports au chef, de l’aider par notre vigi- lance dans son exercice du pouvoir. Mais si l’éducation populaire peut fonctionner comme une sorte d’éthique de l’engagement et de la gouvernance, elle ne doit pas devenir un outil inquisitoire. Souvent les chefs adoptent le comportement problématique des chefs parce qu’au départ ils ont osé mouiller leur chemise, risquer leur tête pour nous faire bouger tous. À nous aussi de bien vouloir prendre des risques et de ne pas laisser les personnages cha- rismatiques seuls face aux autorités que l’on tente de faire changer d’avis.

Quoi qu’il en soit, nous devrons continuer à avancer dans des espaces d’ombre, à tâtons, sans certitudes. Quoi qu’on fasse, il restera toujours une part d’inconnu. Dans notre cas, nous devrons vivre, bénévoles et familles avec une question fondamentale, sans réponse officielle du moins : est-ce que la présence du PEROU a précipité ou a retardé les expulsions des terrains où l’association s’était engagée ? Est-ce que le projet de la « base de vie » (sorte de village d’insertion auquel le PEROU a participé et que l’on est en train de reproduire dans le nord de l’Île-de-France) existe grâce à la pression du PEROU et d’autres associations ? Sur ce point les avis divergent, aussi bien au niveau des militants que des familles. Reste à inventer les moyens pour donner davantage de place à la voix de celles et de ceux qui n’ont pas l’habitude d’écrire. Nous ne pourrons être efficaces que si on arrive à faire de ce processus de requalification des espaces une aventure véritablement collective dont le sens soit construit brique par brique par chacun d’entre nous.

Un centre socioculturel embarqué

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 105-108)