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du bidonville à travers les arts politiques et la pédagogie sociale

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 100-102)

Victoria zorraQuin,

animatrice plurilingue, chercheuse, membre du LISRA (Laboratoire d’innovation sociale

par la recherche-action) et de l’association Intermèdes Robinson, Nantes et département de l’Essonne

Introduction

Alors que les pouvoirs publics s’acharnent à traiter les bidonvilles comme des espaces à détruire pour le bien de leurs habitants et de la société en général, différents acteurs s’affairent à démontrer que l’on peut aborder cette thématique autrement, en interrogeant la (re)présentation des territoires et la redéfinition des espaces qui les composent. Pour illustrer cette posture et cette méthodologie ma contribution fait part de mon expérience personnelle en tant que bénévole du collectif Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU) et de l’association À Bras ouverts (ABRASSO) dans quatre bidonvilles en Essonne entre l’automne 2012 et l’été 2017.

Les expériences que je voudrais évoquer ici commencent par une invitation que j’aurais eu tort de refuser. En janvier 2013, une amie architecte urbaniste m’a proposé de prêter main- forte à un projet auquel elle participait bénévolement. Il s’agissait d’aller construire des équipements dans un bidonville de Ris-Orangis essentiellement habité par des familles roms roumaines menacées d’expulsion. Participaient à ce chantier des experts de la construction, évidemment, mais aussi des artistes, des chercheurs, des enseignants, des journalistes, des militants chevronnés et des néophytes.

Le maître d’œuvre du chantier était le PEROU, association qui se définit comme un acteur de la recherche-action sur les marges urbaines et l’hospitalité. Sébastien Thiéry – coordina- teur et concepteur des actions du PEROU – inscrit cette démarche dans le champ des « arts politiques », dont l’objet est la question des représentations des territoires et l’objectif de travailler au renouvellement des formats qui servent à définir la « chose publique ». Dans

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II UN AUTRE RAPPORT AU TERRITOIRE QUI TRANSFORME

cette approche des arts politiques – théorisée notamment par Bruno Latour1 – artistes de tous bords et citoyens ordinaires sont convoqués à participer à la création de nouvelles formes de contestation politique et d’aménagement du territoire.

Lorsque je me suis engagée en tant que bénévole auprès du PEROU, j’étais journaliste reporter d’images, et c’est bien cette invitation à se mêler de façon originale à ce qui d’or- dinaire ne nous (journalistes) passionne pas – les politiques d’aménagement du territoire et la gestion des populations précaires et stigmatisées – que j’ai trouvée irrésistible. Il ne s’agissait pas ici de débattre et de manifester pour faire changer une situation, mais bien de s’emparer d’un morceau de ville qui nourrit de nombreux fantasmes et polémiques pour le « pétrir » ensemble et le transformer en quelque chose de différent. Et ce non seulement pour changer le réel, mais avant tout pour changer nos propres regards sur cet espace et ses enjeux.

En 2014, après avoir participé de façon très active aux actions du PEROU, et alors que le collectif commençait à voguer vers d’autres horizons – Calais, notamment –, j’ai cofondé une autre association pour continuer à être présente auprès des enfants roms dans l’Essonne. Avec Joana Zimmermann, rencontrée au PEROU, nous avons créé ABRASSO2. Depuis, et jusqu’à l’été 2017, nous avons animé de façon bénévole des ateliers d’expression artistique et d’éveil linguistique pour les enfants et les adolescents. Notre premier grand projet fut

Passerelle, le premier imagier trilingue (français, roumain et romani) fait par les jeunes du

bidonville édité en France. Voyant que l’on ne pourrait pas grand-chose contre la politique de destruction systématique des campements, nous avons voulu mettre au cœur de notre présence sur le terrain un projet qui pourrait survivre au-delà des pelleteuses.

Si mon expérience en tant que bénévole du PEROU constitue le premier pilier de mon engagement, le deuxième se trouve du côté de l’éducation populaire, et plus précisément de la « pédagogie sociale » – une philosophie de l’action éducative et sociale qui trouve ses racines du côté de la Pologne du début du siècle dernier3. En France, elle est notamment mise en application par l’association Intermèdes Robinson, dont je suis devenue membre en 2014. Présente dans l’Essonne depuis vingt ans, cette organisation a développé une expertise particulière autour de l’animation « hors les murs » auprès des publics urbains de toute origine fragilisés par la précarité matérielle. Cette approche a la particularité de mettre l’accent sur l’enfant acteur et surtout « auteur » de ses apprentissages.

Quatre ans après avoir « découvert » le sujet des bidonvilles en France, j’ai décidé d’endos- ser le rôle de chercheur-acteur et de tirer les enseignements de ce que j’avais vécu non seulement avec le PEROU mais aussi avec ABRASSO. Les réflexions que je partage avec vous ici font partie d’un travail plus vaste – et toujours en cours – de recherche-action dans le cadre d’une formation de manager d’organisme à vocation sociale et culturelle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Dans un premier temps, je reviendrai sur le travail du PEROU à Ris-Orangis et à Grigny entre l’automne 2012 et l’été 2014. La deuxième partie tentera de faire le pont entre les arts politiques et la pédagogie sociale, à travers l’analyse des actions de l’association ABRASSO, petit rejeton du PEROU sur ces mêmes territoires. Nous verrons comment ce projet a per- mis de creuser davantage la question de la requalification de l’espace et des relations entre habitants et non-habitants du bidonville.

1. latour B., 2011, « Il n’y a pas de monde commun : il faut le composer », Multitudes, no 45, p. 38-41.

2. www.facebook.com/abrass0/ ou abrasso.contact@gmail.com

3. Sur ce sujet vous pouvez consulter Aux sources de la pédagogie sociale. Écrits choisis (2016), Paris, L’Harmattan. Cette sélection de textes originaux d’Helena Radlinska (1879-1954) a été établie et annotée par Ewelina Cazottes, Grégory Chambat et Laurent Ott.

DU BIDONVILLE AU « LIEU DE VIE » : LA REDÉFINITION DE L’ESPACE DU BIDONVILLE À TRAVERS LES ARTS POLITIQUES ET LA PÉDAGOGIE SOCIALE

Si les arts politiques inventent des pratiques pour labourer les tiers-espaces et en dégager de nouveaux récits, la pédagogie sociale propose une philosophie de l’animation péda- gogique auprès des enfants et une déontologie du militantisme. La dernière partie de mon exposé s’intéressera donc à la façon dont ces disciplines éclairent la question de la gouver- nance et comment cette question s’articule avec la méthodologie de la recherche-action.

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 100-102)