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Des tiers-espaces d’émancipation par l’action

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 134-137)

cHristoPHE giroguy,

association la ManuFabriK

lEcollEctiFdEsutoPiEn·nE·sduQuartiErdEl’arianEà nicE

Introduction

Depuis 2015, l’association la ManuFabriK ouvre des tiers-espaces dans le quartier de l’Ariane pour aller vers les habitants, pour partager, se (re)connaître et faire ensemble ! Ces espaces permettent de se rencontrer puis, au bout de quelque temps, de concentrer les motivations et les idées. Très rapidement, beaucoup d’habitants se sont retrouvés, se sont sentis acceptés, reconnus et concernés par des dynamiques de projets. Selon Radhuia, une de ces habitantes : « Dans les immeubles et devant l’école, on ne se connaît pas… c’est bonjour, bonsoir ! » Chaque tiers-espace est unique et offre un contexte de diversité de rencontres, souvent improbables, dans des formes collectives d’interdépendance. Inspirée de formes existantes dans l’éducation populaire et dans l’économie solidaire, notre action s’expérimente et se crée « chemin faisant » dans l’altérité, sans copier de modèles.

Nous pensons que c’est ici, dans un quartier populaire grand comme un village de plus de 12 000 habitants, que nous pouvons créer de nouvelles formes d’alternatives en sortant des schémas de gouvernance totalement verticaux et totalement horizontaux. Dans le quar- tier de l’Ariane, plus de 75 cultures différentes se croisent et semblent cohabiter dans un cloisonnement culturel navrant. Depuis la rénovation urbaine commencée en 2012, deux grands ensembles ont été démolis et une partie des habitants relogés en dehors du quartier. Comme effets collatéraux, des liens de voisinage solides ont été détruits et une mémoire du quartier ensevelie sous les gravats. D’autres immeubles ont droit à la résidentialisation1 et à la réhabilitation. Certains habitants pensent qu’il s’agit simplement de mettre de la couleur sur la grisaille délabrée tout en augmentant les charges, notamment avec les travaux d’iso- lation thermique dont ils ne comprennent pas réellement les effets. Beaucoup d’espaces publics et un grand ensemble appelé le Saint-Joseph sont en attente d’une prochaine phase de rénovation urbaine : il s’agira, cette fois-ci, que les habitants aient le droit non seulement

1. La résidentialisation est un type d’opération de rénovation urbaine apparue en France au début des années 1990. Elle est généralement vue comme une amélioration du cadre de vie des quartiers d’habitat social.

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à la parole mais surtout à la codécision, car ce sont eux qui y vivent au quotidien : le savoir d’usage doit être reconnu et faire sa place dans l’institution technique et politique.

Nous partons de l’hypothèse que la première des actions est de créer les conditions du décloisonnement des habitants et des cultures. Les tiers-espaces nous apparaissent comme un excellent moyen de susciter la surprise, la rencontre et l’interconnaissance qui pourront conduire à la construction de « communs2 de voisinage ».

Selon Hugues Bazin, « le tiers-espace est à la fois une réalité de l’expérience humaine et un dispositif opératoire. Le tiers-espace offre une grille de lecture pour comprendre les mouvements émergents. Trois figures du tiers-espace seront décrites : le contre-espace pour sa dimension sociopolitique, le tiers-paysage pour sa dimension écologique et écosysté- mique, le tiers-lieu pour sa dimension d’autofabrication économique et culturelle3 ». C’est un espace autre, à côté des espaces institués, qui permet de faire un pas de côté pour inven- ter ou expérimenter des alternatives dans une logique de transformation sociale.

Dans notre activité quotidienne, les tiers-espaces prennent différentes formes. Contre-espace

Chaque mardi et vendredi matin, lors du marché, nous transformons une petite place, souvent pleine de détritus et aux jardinières sèches et délaissées, en espace de rencontre convivial où fusent discussions et rigolades. Une table est posée avec des informations, des questionnaires, de la lecture, du café, du thé, des gâteaux… Les projets en cours s’écrivent sur des papiers de couleur et s’affichent sur des fils pour susciter la discussion. Le marché est l’un des rares lieux de convivialité où se regroupe la population. Cependant, celle-ci n’a pas d’autres lieux où se poser en dehors de ce contre-espace. Jeunes, seniors, enfants et diverses cultures se rencontrent, apprennent à se connaître et apprennent les uns des autres. Nicole témoigne : « Cet espace m’a permis de discuter avec un jeune homme sur lequel j’avais beaucoup d’a priori et, maintenant, on fait des choses ensemble ! » À des moments ponctuels, des activités spéciales sont programmées avec d’autres structures : ate- lier scientifique des Petits Débrouillards ou atelier Fabrique ton jus avec le vélo-mixeur de l’association le Cyclotrope. Dans les jardinières abandonnées, un petit groupe d’habitants a constitué un collectif informel : Incroyables Comestibles. Depuis peu, le conseil citoyen du quartier tient un stand dans le contre-espace du marché pour aller vers les habitants. L’ouverture de contre-espaces se fait aussi en pied d’immeuble afin de réunir les locataires et les passants pour discuter et s’organiser.

Tiers lieu nomade : les actions du Groupe habitants Ariane propreté

Le Groupe habitants Ariane propreté (GHAP) est né en 2015 de balades dans le quartier pour changer de posture et de regard. Il s’agissait de faire une marche exploratoire sur le thème de la propreté. Depuis, plusieurs actions sont nées : grands nettoyages, cartogra- phies, interpellation des institutions, jeux de sensibilisation pour les enfants, art de rue avec la « femme canettes » (son costume est fabriqué avec des canettes ramassées dans les rues et porté lors d’un carnaval et d’autres évènements du quartier), repérage des seringues usagées et formation sur leur ramassage et leur recyclage. Depuis sa création, le groupe a organisé plus de dix actions de nettoyage dans les rues, les terrains vagues, les bords de la

2. Un commun est une ressource partagée, gérée et maintenue collectivement par une communauté ; celle-ci établit des règles dans le but de préserver et de pérenniser cette ressource tout en fournissant à tous la possibilité et le droit de l’utiliser.

3. bazin H., 2015, « Les figures du tiers-espace : contre-espace, tiers-paysage, tiers-lieu », Filigrane. Musique, esthétique,

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rivière – souvent avec le soutien des médias locaux et des associations du quartier. Après deux ans d’exis- tence, le groupe doit se poser et réfléchir à ses perspectives et à ses liens avec les services institutionnels et avec les élus. Ce questionnement a émergé à l’occasion de l’anniver- saire du GHAP, le 4 juillet 2017. Pas toujours facile d’avoir le sentiment de faire à la place des responsables municipaux, pas toujours facile de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes ! Tiers-paysages

Le GHAP a passé une convention avec la mairie pour l’exploitation de deux espaces délaissés qu’il a net- toyés : la PANPA (jardin partagé en permaculture) et Les 4 Sources (jar- din d’agréments avec ateliers réem- ploi et parentalité) sont nés. Les habitants se sont réapproprié ces espaces nauséabonds (plus d’une

tonne de déchets a été sortie de ces terrains). L’un des lieux est clôturé, l’autre reste ouvert : deux expériences différentes et complémentaires qui permettront, à moyen terme, d’analy- ser les forces et les faiblesses des dynamiques mises en place.

L’art social

L’art, pour nous, est par définition social, mais il est utile d’utiliser ce pléonasme tant l’art s’éloigne du peuple. Ce que nous appelons l’art social est l’art fait par des non-experts et qui rapporte la parole de situations vécues. Nous avons accompagné neuf créations de théâtre-forum (éducation, non-violence, résilience, racisme, discrimination, le rôle du père, le regard des autres), trois embellissements d’écoles et de nombreux ateliers créatifs (aqua- relle, arts plastiques, dessins).

Une partie de l’implication dans les tiers-espaces a abouti à des formes d’actions collec- tives. Le besoin d’un lieu ressource s’est fait ressentir pour travailler au calme et réfléchir. Mais pas n’importe quel lieu. Les habitant·e·s ont voulu un lieu neutre (n’appartenant ni à la mairie, ni au centre communal d’action sociale [CCAS], ni à la métropole Nice-Côte d’azur [NCA]) ; un lieu qui leur appartient et qu’ils autogèrent. Ainsi le local l’Utopie est-il né ! Tiers-lieu : l’Utopie

L’Utopie s’est d’abord affichée comme un tiers-lieu ne comprenant pas que du numérique. L’Utopie est riche d’expériences, de conflits, de joies, de partages improbables et d’une envie d’agir pour des lendemains définitivement meilleurs.

Comme postulat, nous nous posons plusieurs questions : comment ne pas reproduire les logiques de pouvoir ? Quelle forme de gouvernance sommes-nous en train de créer ? Est-ce

Équipe de « femmes canettes » lors du festival de l’Ariane.

© La ManuF

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que l’on crée de l’économie populaire ? Si oui, comment et sous quelle(s) forme(s) produire de l’économie qui sert au territoire ?

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