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ABRASSO et la mise en pratique de la pédagogie sociale dans le sillon du PEROU

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 103-105)

Dès les premiers instants sur le terrain de Ris, les enfants ont particulièrement retenu mon attention. Véritables ambassadeurs, ce sont eux qui sont venus à ma rencontre pour briser la glace et assurer les présentations. Avec Joana Zimmermann, artiste plasticienne sympa-

6. Arrêté no 2013/147 du 29 mars 2013 portant mise en demeure d’évacuation des parcelles cadastrées AC 43,45 et AC 9, sises

DU BIDONVILLE AU « LIEU DE VIE » : LA REDÉFINITION DE L’ESPACE DU BIDONVILLE À TRAVERS LES ARTS POLITIQUES ET LA PÉDAGOGIE SOCIALE

thisante du PEROU, nous nous sommes particulièrement investies auprès d’eux. Étant res- pectivement brésilienne et argentine, nous avons tout de suite été surprises par l’envie des enfants de jouer avec les langues, de nous faire découvrir les leurs – le roumain et la langue romani – et de nous interroger sur les nôtres. Nous nous sommes donc mises à dessiner, à chanter et à traduire. Autour de ces jeux est née l’idée, pendant l’été 2013, d’organiser une colonie de vacances in situ, sur le deuxième terrain de Grigny connu par les riverains – et cela ne s’invente pas – comme le « terrain de la folie ».

Conscientes que les pelleteuses allaient sans doute tout détruire à nouveau, nous avons voulu construire avec les enfants et les adolescents un projet qui pourrait survivre à la destruction. Soutenues par le PEROU, nous avons construit du mobilier pour abriter nos ateliers et ainsi aboutir à la publication en 2014 de Passerelle, un imagier trilingue (français, romani et roumain) réalisé par les enfants.

Alors que ni l’une ni l’autre n’avions de formation dans le domaine de ce que l’on pourrait appeler l’animation socioculturelle, nous avons progressivement eu besoin de combler ce manque, de nous outiller pour être présentes sur le terrain. Au moment de la prépara- tion du projet de l’imagier nous avons pu faire connaissance avec l’association Intermèdes Robinson7 et sa méthode de travail : la pédagogie sociale. Rapidement, nous avons compris que nous avions trouvé là le pendant pédagogique de ce que nous avions vécu aux côtés du PEROU.

L’une des principales caractéristiques communes aux arts politiques et à la pédagogie sociale est la volonté d’occuper l’espace public collectivement pour produire d’autres récits politiques. Là où les pouvoirs publics expliquent qu’il faut détruire ou que l’on ne pourra rien pour la réussite scolaire ou l’intégration d’un tel, ces deux disciplines tentent de démontrer le contraire par l’action : que nous pouvons créer et faire exister de nouveaux réseaux de solidarité, que ceux qui sont à la marge peuvent être producteurs de richesse aussi bien au sein de l’école que d’une entreprise.

D’autre part, ces actions donnent à l’art – ou plutôt à l’expression de la créativité indivi- duelle et collective – une place bien particulière. Les deux structures font de ce qui semble

a priori futile – comme monter un spectacle ou danser dans l’espace public ou dans un

bidonville – une affaire très sérieuse, un acte subversif.

De plus, en matière des droits de l’enfant et de nos droits à agir ensemble collective- ment, l’une et l’autre proposent – plutôt que de défendre ces droits – de créer des espaces concrets où ces droits puissent être vécus et exercés.

Ayant cette réflexion en tête, nous avons prêté une attention particulière au fait que nous poser « en tant qu’habitantes » occasionnelles du bidonville nous transformait et transfor- mait potentiellement ceux qui l’habitaient. De notre côté, nous avons pu constater que ce vécu avait changé notre rapport à la ville et à la mendicité. Nous placer dans le bidonville, nous donnait l’occasion unique de regarder la France en face, d’être de l’autre côté. Depuis ce point de vue, nous avons dû humblement accepter l’idée que nous ne pouvions rien résoudre de cette situation si complexe. Nous avons renoncé à cette prétention, mais nous avons, en revanche, gardé la conviction que continuer à inventer des façons créatives d’oc- cuper l’espace ensemble (du bidonville ou de l’espace public en général) ne pouvait être que bénéfique. Ces territoires tendus, en dispute, sont des espaces de liberté à défendre, et c’est dans ces laboratoires que l’on doit continuer à chercher des réponses.

7. L’association Intermèdes Robinson est présente dans les quartiers « difficiles » du nord de l’Essonne depuis vingt ans, elle est

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II UN AUTRE RAPPORT AU TERRITOIRE QUI TRANSFORME

Du côté des habitants, presque cinq ans après le passage du PEROU, la trace que l’expé- rience a laissée dans l’esprit de ceux qui avaient pris part à l’aventure est toujours palpable. Dès que nous avons voulu construire des espaces communs pour que Roms et non-Roms puissent faire des choses ensemble dans le bidonville, la plupart des habitants ont nommé ces lieux – construits ou à construire – « ambassades ». Il me semble que ce n’est pas tant la beauté de celle qu’on avait montée à Ris qui les a si fortement touchés, mais bien tout ce qui s’est passé à l’intérieur et autour de cet édifice qui a eu un impact fort. Cela, ils ne l’avaient pas vécu avant et nous non plus.

À partir de ce qui a été tenté à Ris et à Grigny, deux idées ont commencé à émerger. D’une part, que l’entretien du terrain – notamment sur la question épineuse des poubelles et des poêles – était devenu un enjeu majeur. Les habitants ont bien compris que les mairies lais- saient pourrir sur place les bidonvilles en refusant le ramassage des déchets, l’accès à l’eau et/ou l’installation des toilettes. Le péril sanitaire ou le risque d’incendie étaient devenus les arguments numéro un pour expulser un campement sur-le-champ.

D’autre part, l’idée qu’en fait, si nous le voulions, nous étions capables de construire des espaces communs ensemble et d’améliorer les conditions de vie quotidienne des habitants a commencé à prendre forme. Cela étant dit, il ne faut pas perdre de vue qu’un bidonville fonctionne comme une sorte de copropriété. Ceux qui l’habitent peuvent partager, ou pas, des avis concernant l’opportunité de mener telle ou telle action. Autrement dit, lorsque des acteurs associatifs veulent travailler « en tant qu’habitants » du bidonville, il ne faut pas imaginer que ces derniers signent un chèque en blanc. Travailler ensemble nécessite une négociation permanente. Aucun « chef » de campement ne vous donne un CDI. Le ressenti et la disponibilité des familles évoluent selon les jours et les circonstances – l’approche d’un jugement administratif, la visite de la police ou d’un fonctionnaire de la mairie.

La transmission de l’expérience militante :

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