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Contextualisation historique

Dans le document Recherche-action et écriture réflexive (Page 118-120)

« Nous, citoyen·ne·s indépendant·e·s, faisons vivre un espace de débat et de partage des savoirs sur la place de la République à Paris, depuis le dimanche 41 mars1 (10 avril 2016). Ce lieu a vocation à proposer une autre forme de transmission et de mise en commun des savoirs et des pratiques, hors des cadres scolaires et médiatiques. En cela, nous, collectif d’indépendant·e·s autogéré, voulons continuer à faire vivre ce lieu et cette communauté quo- tidiennement et permettre ainsi aux débats de s’y tenir. Notre fonction est avant tout organi- sationnelle mais chacun·e de nous reste libre de s’exprimer lors des débats, le sujet est choisi par l’intervenant·e, ses propos n’engagent que lui/elle et pas Debout éducation populaire. » Cette charte, approuvée le 8 avril 2016, ou le 39 mars, une semaine après le démar- rage de Nuit debout, place de la République à Paris, signe la naissance de la commis- sion Debout éducation populaire qui s’installe pour la première fois sur la place de la République le 10 avril, rejoignant ainsi le mouvement Nuit debout né de la contestation à « la loi travail et à son monde » au printemps 2016.

Elle s’est donné pour objet de créer, et ce de façon régulière depuis sa fondation, sur la place de la République, un espace dédié au partage des savoirs et savoir-faire expérientiels ainsi qu’à la réflexion collective sur les enjeux contemporains (l’éducation, l’environne- ment, le commerce, la justice, les communs, etc.). Elle s’envisage donc d’abord comme une forme plus qu’un contenu contestataire au sein de l’espace public.

1. Le mouvement Nuit debout, démarré à l’issue de la manifestation le jeudi 31 mars, a décidé de faire perdurer le mois de mars les jours suivants (32 mars, etc.).

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III UN AUTRE RAPPORT À L’ORGANISATION DE L’ESPACE QUI ÉMANCIPE

L’accès libre aux savoirs et la liberté de penser sont au cœur de sa démarche. La com- mission est en effet créée par un groupe d’étudiants et d’enseignants qui se mobilisent au départ contre la réforme de la loi travail via l’organisation à l’université de cours ouverts à tous, y compris à ceux qui n’ont pas de carte étudiante. Ils décident, au bout de quelques jours, de rejoindre le mouvement sur la place, dans l’optique de rendre plus visibles leurs actions et de faire converger les luttes en s’inspirant, selon l’historienne Mathilde Larrère2, d’une expérience antérieure de cours « hors sol » réalisés dans l’espace public lors des mouvements étudiants contre la loi Pécresse en 2007.

La commission, qui s’appelait au tout début « Jardin des savoirs » et qui fut présente aussi sous le nom d’« Université populaire », devient rapidement « Debout éducation popu- laire », revendiquant dès lors son inscription dans la longue tradition de l’éducation popu- laire3. Un article du Monde campus décrivant les tout débuts de cette initiative souligne qu’elle « s’inscrit dans un mouvement de politisation accrue de l’édu- cation populaire4 », alors qu’elle renoue surtout avec le socle de valeurs portées initialement par ce mouve- ment qui a, comme l’affirme Christian Maurel, « un rôle essentiel à jouer dans […] la formation au politique5 ». Elle rejoint ainsi d’autres initiatives souhaitant offrir une alternative aux dispositifs institutionnels se revendi- quant de l’éducation populaire mais oubliant souvent la logique de transformation sociale censée être au cœur de sa démarche.

Cette volonté transformatrice et émancipatrice est en effet indissociable de cette initiative qui repose sur le postulat que le partage des savoirs, la transmission d’expériences et la réflexion collective qui en découle peuvent faire évoluer les individus et le collectif en développant la connaissance de l’autre, la conscientisation, l’esprit critique, et ainsi contri- buer à améliorer la société et le monde dans lequel on vit. Comme l’explique Guillaume Mazeau, un autre historien à l’origine du mouvement : « L’objectif est de provoquer la réflexion et de faire circuler le savoir en répondant aux questions qui sont posées6. » Une commission dont l’action s’inscrit dans une démarche d’éducation populaire qui se veut authentiquement démocratique : en témoigne la charte citée précédemment ou les flyers distribués sur la place la semaine du 51 mars affirmant « la volonté de proposer des débats accessibles à tou·te·s [ ], une véritable démocratisation de la transmission des savoirs ainsi que l’égalité de la parole de tous » au sein de l’espace public. Cet espace ouvert d’ap- prentissage mutuel émerge donc comme une forme d’îlot où se mêlent espoir et résistance face à l’affaiblissement de la démocratie, aux difficultés éprouvées par nombre d’individus (citoyens français ou non) à non seulement sentir qu’ils peuvent peser sur la société dans laquelle ils vivent, mais aussi à avoir le sentiment de pouvoir s’exprimer, d’être écoutés et, enfin, à se sentir faire partie d’un collectif républicain. Un besoin de redonner la parole à ceux qui ne l’ont plus, une mission que s’est aussi donnée l’ouvrage, La France invisible7.

2. Maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’université Paris-Est - Marne-la-Vallée, spécialiste de la Révolution française, engagée dans la commission dès son démarrage.

3. Sans pour autant que ses membres soient tous sensibilisés à ce courant : une grande partie d’entre eux rejoignant au fil des semaines et des mois la commission découvriront en effet l’existence de l’éducation populaire via ce mouvement.

4. graVeleau S., miller M., 2016, « À la Nuit debout, l’éducation populaire se fait en plein air », Monde campus (en ligne),

11 avril.

5. maurel C., 2010, Éducation populaire et puissance d’agir, les processus culturels de l’émancipation, L’Harmattan, Paris. 6. graVeleau S., miller M., op. cit.

DEBOUT ÉDUCATION POPULAIRE : LA CIRCULATION DE LA PAROLE ET LE PARTAGE DES SAVOIRS DANS L’ESPACE PUBLIC

Une recherche-action basée sur l’approche observante,

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