• Aucun résultat trouvé

LE CLASSIQUE TERMINAL DANS LES BASSES TERRES MAYAS

3. CRISES MULTIPLES ET TRANSFORMATIONS SOCIO-ECONOMIQUES

3.2. Transformations et réorganisations des sociétés mayas

Les sociétés mayas de la période classique terminale firent face à une série de crises et de bouleversements entraînant guerres, migrations et disparition du pouvoir de certaines factions. Dans le même temps, elles surent s’adapter et se réorganiser pour surmonter les troubles, tant au niveau socio-politique qu’économique. Certaines profitèrent peut-être de la conjoncture comme d’une opportunité de développement.

105

3.2.1. Transformations socio-politiques : concentration des populations, nouvelles pratiques et partage du pouvoir

La disparition des régimes politiques fondés sur l’existence de dynasties héréditaires et de k’uhul ajaw dans les Basses Terres fut marquée par de grandes disparités régionales et

temporelles, avec des tentatives de réinvention de ce modèle politico-religieux en intégrant de nouveaux éléments qui nous sont connus par l’iconographie des monuments, mais surtout avec la mise en place de structures socio-politiques alternatives. Ces dernières semblent avoir permis avant tout un plus grand partage du pouvoir et une importance accrue accordée aux différentes maisons nobles en plein développement depuis la fin du Classique récent.

En effet, les maisons sociales et les nobles qui les dirigeaient devinrent, notamment à partir du VIIIème siècle, de plus en plus nombreux et occupèrent une part croissante des responsabilités politiques. Cela est attesté par l’augmentation de leurs représentations iconographiques aux côtés des souverains et dans les inscriptions des titres non royaux, tout comme l’essor des petits centres vassaux des cités dominantes qui semblent avoir été de plus en plus autonomes (Arnauld, Andrieu et Forné, 2014 ; Demarest, Rice et Rice, 2004b : 566 ; Fialko, 2013 ; Houston et Stuart, 2001 : 74). De plus, les complexes résidentiels de ces élites connurent à la fin du Classique récent et au Classique terminal une forte croissance démographique par l’attraction de nouvelles familles. Cette évolution résulterait d’un processus de contraction des populations à l’échelle des cités autour des principales résidences des maisons sociales, et par conséquent de l’abandon d’unités d’habitat plus modestes (Arnauld et al., sous presse). Archéologiquement, ce processus reflèterait

l’importance du « capital humain » représenté par les paysans et les artisans « recrutés » par telle ou telle faction dans la compétition socio-politique entre les entités rivales (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 ; Demarest, 2013b). Les familles qui formaient ces groupes sociaux intermédiaires auraient acquis à une cohésion de plus en plus forte par la co-résidence et l’édification commune des grandes maisons, démontrant les capacités d’attraction et de mobilisation de main d’œuvre et de ressources des chefs de maisons (Arnauld, sous presse ; Arnauld et al., 2014 ; Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013). Apparurent ainsi des édifices

palatiaux qui regroupaient à la fois des fonctions résidentielles (pour la famille dirigeante, mais aussi des groupes qui lui étaient liés), administratives et politico-religieuses, notamment dans les régions Chenes, Puuc et Río Bec, ou encore à Edzna. Des imitations de ce modèle par l’ajout de pièces adossées aux façades de structures pyramidales ont également été mises au jour à Calakmul ou à El Mirador (Braswell et al., 2004 : 179-180 ; Hansen, Howell y Guenter,

106

2008: 45). Cette contraction de l’occupation au sein de certains complexes résidentiels se faisait en multipliant les espaces de logement, soit par l’adjonction de nouvelles pièces, soit par des réorganisations internes. Les extensions entraînèrent souvent la fermeture de plus en plus grande des ensembles grâce à l’édification de murets, la condamnation de certains passages, la réduction des portes d’accès, afin de maintenir une certaine ségrégation sociale vis-à-vis du reste de la cité (Aquino, 2007 : 601 ; Arnauld, Andrieu et Forné, 2014)10. Les « quadrilatères » fermés sont typiques de la fin du Classique récent et du Classique terminal (e.g. Aquino, 2006 ; Fialko, 2005a ; 2005b ; com. perso. V. Fialko, 2013). Tous ces processus

de transformation architecturale des complexes élitaires tardifs, identifiés à Naachtun (Sion, 2013b ; 2015b ; sous presse), demandent à être précisément réévalués et réinterprétés (voir Chap. 6 et 7).

La croissance démographique des groupes sociaux repérables dans leurs habitats aurait eu un sens politique. En effet, les évolutions socio-politiques enclenchées par les différentes dynamiques en cours au Classique terminal exprimeraient probablement le renforcement des maisons sociales et des factions nobles au détriment des souverains héréditaires, peu à peu obligés de partager le pouvoir (Arnauld, Andrieu et Forné, 2014). Cela est perceptible du point de vue architectural dans la construction de grands édifices de réunion, ou la transformation de bâtiments existants dans ce but, reflets d’un partage accru du pouvoir au sein des cités vers la fin du Classique (Arnauld, 2001 ; Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 431 ; Cheek, 2003 ; Demarest, Rice et Rice, 2004b : 560 ; Fash et al., 1992 ; Fash, Andrews et

Manahan, 2004 : 264 ; Ringle, 2012 ; Tourtellot et González, 2004 : 72-73 ; mais voir aussi Bey et May Ciau, 2014). Les changements visibles dans l’iconographie des monuments sculptés, mais aussi l’identité de leurs commanditaires, confirment cette évolution et la perte de pouvoir des k’uhul ajaw. Le type de représentation des souverains et les éléments qui

permettaient de les différencier des autres protagonistes (Houston, 1998 : 341-345 ; Jackson, 2009) disparaissent peu à peu dans un certain nombre de cités où l’iconographie évolua sensiblement. Au niveau spatial, l’implantation des monuments changea également, ces derniers étant de plus en plus souvent associés à des groupes résidentiels élitaires

10

La construction de murets et les fermetures d’accès sont un phénomène commun à cette époque dans les cités mayas, par exemple à Tikal (Valdés et Fahsen, 2004: 159), mais ils sont souvent interprétés comme des moyens de défense érigés par les élites pour se protéger et, en association avec les dépôts de clôture, ils seraient les preuves d’épisodes guerriers (Harrison-Buck, 2012 : 112). Si cette interprétation est plausible pour certains contextes, elle ne peut être généralisée car la signification de ces aménagements et de ces rituels peut être tout autre (Barrientos et al., 2015 ; Sion, 2015b).

107

monumentaux et non plus à des espaces publics liés au pouvoir du roi, comme dans le Groupe 9N-8 de Copan (Webster, 1989a).

C’est par exemple encore le cas à Oxkintok au nord-ouest de la zone Puuc où les représentations montrant une série de dignitaires locaux, datées des alentours de 800 apr. J.-C., sont localisées dans des groupes éloignés de l’épicentre de la cité, un secteur où peu de monuments continuaient alors d’être érigés. Cela suggère une atomisation du pouvoir politique dans laquelle les différentes factions de la cité, au lieu de s’approprier les espaces publics, exprimaient leur puissance nouvellement acquise au niveau de leur complexe résidentiel (Bazy, 2010 ; 2013 : 29-31). Dans la seconde moitié du IXème siècle, après un hiatus dans les inscriptions peut-être révélateur d’un remplacement des élites de la cité, les stèles furent érigées de nouveau en majorité dans l’épicentre et présentent des scènes narratives (audience, captifs…) figurant divers personnages dans des compositions subdivisées en divers panneaux. C’est notamment le cas de la Stèle 3 où sont probablement représentés deux rois recevant assis sur des banquettes, une scène interprétée comme symbolisant le conseil qui dirigeait alors la cité (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 427-428).

De même au IXème siècle, la cité de Caracol connaissait un véritable renouveau politique et les monuments y étaient le support de représentations à l’iconographie bien différente de celle de la période précédente caractérisée par la figure du souverain en pied, paré de nombreux ornements et attributs. Des motifs assez classiques y étaient toujours représentés, comme des paires de prisonniers, mais ces monuments figuraient surtout des scènes de conversation entre des dirigeants de Caracol et des alliés, comme ceux d’Ucanal, ainsi qu’avec d’autres nobles de la cité elle-même (Fig. 2.4). Les personnages y sont tous représentés assis en conversation dans des scènes de relative égalité, avec peu d’ornements distinctifs (Chase, 1985 ; Chase et Chase, 2015 ; Chase, Grube et Chase, 1991 ; Grube, 1994 ; Martin et Grube, 2000 : 96-99). Ces stèles et autels évoquent donc avant tout des conflits et des alliances à dimensions locales, ainsi que les relations entre nobles à l’intérieur même de la cité, certains de ces derniers ayant été eux-mêmes les commanditaires des monuments, comme le montre leur localisation en dehors de l’épicentre. Autant de traits qui évoque la mise en place d’un système de pouvoir partagé basé sur la concertation et la diplomatie entre

108

diverses factions (Chase et Chase, 2014b : 150 ; 2015 : 48 ; Chase, Grube et Chase, 1991 : 11 ; Martin et Grube, 2000 : 99)11.

Des représentations en tous points similaires de discussions entre deux ou trois nobles12 ornent également certains récipients céramiques du type Pabellon Moldeado Exciso

(Fig. 2.5), outre des scènes de caractère militaire et des représentations de prisonniers (Werness, 2003 : 31-41). Cependant, un autre type de vases moulés et excisés désigné comme

Ahk’utu’ Moldeado Exciso, également associé aux élites du Classique terminal et parfois

identifié au sein des mêmes assemblages céramiques (Chase et Chase, 2005), était, quant à lui, porteur d’une iconographie et de textes plus « classiques ». Y figurait principalement une représentation d’un souverain paré d’ornements distinctifs, dont l’iconographie se retrouve sur des stèles de k’uhul ajaw datées du IXème

siècle, dépeint avec un captif ou dans des scènes de palais (Helmke, Colas et Awe, 1998 ; Helmke et Reents-Budet, 2008 : 41).

Ce dernier exemple est significatif. Les études sur l’iconographie et sur les pratiques liées aux monuments sculptés (stèles et autels) montrent que le Classique terminal (notamment le IXème siècle) correspond à une période de transition, plutôt qu’à la disparition brutale et totale d’un régime politico-religieux, avec des différences notables et des adaptations particulières qui apparaissent d’une cité à l’autre au sein d’une même région (Rice et Rice, 2004 : 133-134). Alors que les groupes nobles prenaient à cette époque une place prépondérante, avec dans certains cas l’instauration de véritables régimes aristocratiques, des pratiques fortement liées aux k’uhul ajaw perdurèrent toutefois ou furent adaptées. Cela

transparaît dans une certaine continuité d’utilisation des stèles et des autels alors que ce type de média était le symbole par excellence du régime politique classique, comme dans les exemples précédemment évoqués où ils permettaient alors de délivrer un message différent, évoquant les changements socio-politiques en cours dans les Basses Terres. De même, le déplacement et le repositionnement de monuments sculptés anciens dans des cités où l’on avait cessé d’en ériger et où, le plus souvent, la dynastie régnante semble avoir disparu, doivent être considérés comme des phénomènes qui symbolisent le maintien de certaines traditions malgré les bouleversements et la réorganisation qui caractérisent cette période (Arnauld, Andrieu et Forné, 2014 ; Freidel et Escobedo, 2005 : 5). De tels déplacements datés

11

La présence de scènes similaires sur des banquettes découvertes à Río Bec prennent aussi sens dans cette perspective puisqu’elles servaient à la réception d’alliés ou de représentants d’autres maisons sociales (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 483-484 ; Arnauld et Lacadena, 2004).

12 Néanmoins, dans les scènes avec trois individus, il est possible que l’un des personnages représente en fait le Dieu du Maïs (Werness, 2003 : 39-41).

109

du Classique terminal ont notamment été observés à El Perú-Waka’ (Freidel et Escobedo,

2005), El Zotz (Garrido Lopez et al., 2012 : 337), La Milpa (nombreuses stèles déplacées

mais les datations sont peu sûres ; Hammond et Tourtellot, 2004 : 296), Yaxha (Hermes et Martinez, 2005) et Naranjo (Aquino, 2007). Ces nouvelles érections montrent une nette préférence pour des monuments datant du Classique ancien, les nouveaux groupes dirigeants tentant ainsi de rétablir des liens avec des périodes anciennes de l’histoire des cités, considérées comme« fastes », en intégrant parfois ces éléments déplacés directement à leurs complexes résidentiels (Aquino, 2007 : 602 ; Zralka, 2008 : 145, 152). Dans certaines communautés, comme à Calakmul, les habitants reprirent même l’érection de nouveaux monuments aux alentours de 900 apr. J.-C., mais ceux-ci étaient alors porteurs d’inscriptions illisibles et de représentations anthropomorphes qui copiaient les monuments anciens sans en atteindre la qualité technique (Martin et Grube, 2000 : 115).

En réalité, il faut garder à l’esprit qu’à la même époque, des dirigeants du type k’uhul ajaw étaient toujours en place au IXème

siècle, voire au tout début du Xème siècle, dans certaines capitales régionales des Basses Terres, comme Tikal ou Tonina (Ebert et al., 2014 ;

Martin et Grube, 2000). Il apparaît que dans des centres (re-)devenus indépendants et connaissant une période de renouveau, des individus s’attribuèrent également de tels titres à la suite de la fragmentation des territoires des grandes entités régionales. C’est le cas dans le Petén Central où ce processus concerna les cités de Jimbal, Ixlu, Xultun, Uaxactun, Xunantunich et Nakum auparavant subordonnées aux souverains de Tikal et Naranjo (Hermes et Zralka, 2012 : 193-197 ; Martin et Grube, 2000 : 52-53 ; 83), mais aussi sur les rives du fleuve La Pasión, à la suite de la chute de Dos Pilas, dans les centres de Ceibal et Machaquila (Just, 2006). Des stèles y furent alors érigées, mais de manière souvent sporadique, et même si les monuments continuaient de représenter les souverains selon certains codes classiques (figure seule en pied…), de nombreuses innovations iconographiques évoquent des tentatives d’adaptation de ce modèle au travers de l’intégration de nouvelles influences. Ce processus peut également être étudié sur certains récipients céramiques (Werness, 2003) et sur des figurines (Halperin, 2012).

Ces éléments novateurs, un temps interprétés comme les preuves de l’arrivée de groupes non-mayas à cette époque (e.g. Tourtellot et Gonzalez, 2004 : 60-62) ou de

mouvements de population depuis le nord de la péninsule vers le sud (e.g. Chase, 1985), sont

aujourd’hui considérés comme mayas au service de rhétoriques politiques particulières en ces temps de crise. Un bon exemple de ces divers discours concerne Machaquila, où artistes et gouvernants adoptèrent pour leurs stèles (datées de 801 à 840 apr. J.-C.) des canons

110

esthétiques classiques, reprenant notamment des éléments des monuments de Dos Pilas, ancienne puissance régionale, qu’ils intégrèrent à une iconographie plus locale. Et dans un souci de marquer la continuité du pouvoir, ils suivirent une répétition thématique stricte (Just, 2007 : 20). Au contraire, les dirigeants de la cité voisine de Ceibal développèrent un discours visuellement hétérogène (Fig. 2.6). En particulier dans le programme sculpté associé à la Structure A-3 (datée de 849 apr. J.-C.), le souverain fut représenté au centre de ce qui semble être son « réseau » géopolitique (six entités sont mentionnées, dont Tikal, Calakmul et Ucanal), avec l’ajour d’éléments stylistiques de Machaquila et d’Ucanal, créant ainsi un discours de rupture et de représentation d’un nouvel ordre régional (Ibid. : 23-28). Par la suite,

les stèles érigées sur ce site (datées de 869 à 899 apr. J.-C.) montrèrent de plus en plus d’éléments non classiques et d’influences extrarégionales, par exemple dans une composition en panneaux comme à Oxkintok, sans pour autant adopter des canons radicalement nouveaux, et avec un programme iconographique évoquant la richesse des réseaux qu’entretenait alors la cité. Des évolutions apparaissent également sous la forme de personnages anonymes et de dates de commémoration moins strictement liées aux fins de katun, peut-être en lien avec des

réorganisations politico-religieuses (Ibid. : 39-40). Un certain nombre de ces nouveaux

éléments iconographiques et idéologiques sont attribués à des innovations et des influences en provenance du nord de la péninsule du Yucatán et de la Côte du Golfe, les zones les plus dynamiques des Basses Terres mayas au Classique terminal du fait de leurs liens avec le reste du monde mésoaméricain, notamment au plan économique.

3.2.2. Changements économiques : nouveaux modes d’organisation et ouverture vers le Mexique Central

Le Classique terminal correspond à une période d’importantes transformations des modes de gouvernance et d’organisation sociale des sociétés mayas des Basses Terres, mais également à une évolution notable des fondements économiques de ces dernières, notamment au niveau des réseaux d’échanges à longue distance et de la distribution des biens. Il semble que ces changements, qui préfiguraient l’avènement des économies postclassiques, constituaient l’aboutissement de processus ayant débuté dès le Classique récent. Parmi ceux-là, la montée en puissance des maisons nobles pourrait avoir résulté en partie de l’émergence d’une élite intermédiaire commerçante, notamment liée aux échanges avec le Mexique Central et au développement des marchés de certaines cités bien localisées à cet effet.

111

On observe à partir de la fin du Classique récent un accroissement et un déplacement vers les côtes maritimes des réseaux d’échanges à longue distance, au détriment des routes commerciales fluviales et terrestres qui traversaient la péninsule du Yucatán et assuraient la prospérité des entités politiques localisées au cœur des Basses Terres mayas (Aimers, 2007 : 351 ; Demarest, 2013b : 39 ; Turner et Sabloff, 2012 : 13912). Le développement de ces voies maritimes n’est certes pas tout à fait nouveau puisque des communautés tournées vers le commerce à longue distance s’étaient déjà développées au cours du Classique sur les côtes de la péninsule du Yucatán, notamment au nord de celle-ci, une région dépourvue de réseaux fluviaux.

C’est le cas de Chunchucmil, une cité qui prospéra au Classique ancien et au début du Classique récent en profitant de sa localisation privilégiée entre un port sur la Côte du Golfe, Punta Canbalam (Fig. 2.7) et des zones de production de sel (Dalhin et al., 1998 : 12 ; Hutson,

Dalhin et Mazeau, 2010 : 88-89 ; Magnoni, 2008 : 99). Le site connut par la suite un abandon quasi général dans la seconde moitié du Classique récent et la présence d’une population réduite au Classique terminal (Magnoni, 2008 : 109). Cette cité, installée dans un secteur peu propice à une production agricole suffisante pour maintenir sa nombreuse population, devait exploiter la diversité de son environnement (Dalhin et al., 2005 ; Magnoni, 2008 : 100) et

jouer un rôle de centre redistributeur régional, notamment pour l’obsidienne d’El Chayal (Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 87-88). Tout indique que cette large communauté n’était pas dirigée par un pouvoir central dynastique mais par plusieurs factions engagées dans des modalités de compétition/coopération et dominées par les groupes sociaux vivant dans des ensembles dénommés « quadrilatères ». Ces derniers, reliés entre eux au moyen de chaussées, étaient constitués d’une pyramide et de trois bâtiments allongés, organisés autour d’un patio et d’une plate-forme centrale (Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 90-95 ; Magnoni, 2008 : 103). Le reste de la population vivait dans des unités d’habitat densément regroupées mais chacune était séparée des voisines par des murets, ou albarradas (Magnoni, Hutson et Dalhin, 2012).

L’étude des assemblages mobiliers montre que l’ensemble de la population de la cité avait accès aux biens importés, y compris les unités d’habitat modestes. Certaines étaient engagées dans des activités artisanales spécialisées (Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 90-91 ; Magnoni, 2008 : 101-102). L’existence locale de marchés paraît donc probable, assurant la redistribution des biens issus des échanges (Dalhin et al., 2007 ; Hutson, Dalhin et Mazeau,

2010 : 94). De fait, la présence de céramique à pâte fine grise dès le début du Classique récent sur ce site (correspondant sans doute au groupe Chablekal-Tsicul, voir plus avant) permet

112

qui se développèrent à partir du milieu du VIème siècle le long de la Côte du Golfe (Magnoni, 2008 : 296). Du point de vue céramique, ces réseaux correspondent à la « sphère Canbalam » (Cobos, 2003 ; Ek, 2012 : 151-154 ; Jiménez et al., 2006 : 502), exclusivement présente dans

des sites côtiers comme Champoton, Uaymil ou Xcambo (Fig. 2.7).

Localisé au nord du Yucatán, ce dernier site était un petit port et un lieu de production de sel qui s’impliqua fortement dans les échanges à longue distance à la fin du Classique ancien, ce que démontre la présence de céramiques (groupe Dzitbalche-Isla Fina) et de

figurines en provenance du Veracruz, ainsi que d’obsidienne des gîtes mexicains de Zaragoza et d’Ucareo (Jiménez et al., 2006 ; Peña Castillo et Sierra Sosa, 2004 ; Sierra Sosa et al.,

2014a). Ces échanges impliquaient également les environs de Comalcalco et les plaines côtières situées à l’embouchure du fleuve Usumacinta où étaient produites une grande variété de figurines et de céramiques à pâte fine dès cette époque (Ancona et Jiménez, 2005 ; Armijo, Gallegos et Jiménez, 2005 ; Gallegos, 2009 ; López Varela, 2005). Parmi elles, les récipients gris fins du groupe Chablekal-Tsicul distribués exclusivement le long du littoral

occidental de la péninsule du Yucatán (Fig. 2.8a) dans la première moitié du Classique récent, c’est-à-dire avant 750 apr. J.-C.13 (Ancona, Jiménez et Basto, 2009). Cette petite communauté prospère de Xcambo avait fondé son modèle économique sur les échanges et la production de sel, servant peut-être d’ouverture portuaire à la cité intérieure d’Izamal. Son développement commercial favorisa les mouvements de personnes et attira dans la cité des groupes qui arrivaient de toute la côte, mais également de l’intérieur des terres, ce que démontrent les différentes études réalisées sur les défunts (déformations bio-culturelles et analyses des