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Expressions matérielles de la prospérité dans les sociétés mayas classiques

2. QUELLE PROSPERITE ? QUELLE MATERIALISATION ?

2.2. Expressions matérielles de la prospérité dans les sociétés mayas classiques

et pouvoir politique (e.g. A. Chase et D. Chase, 1992 ; McAnany, 1993 ; Tomasic, 2009). Le

statut socio-politique d’un groupe peut rapidement changer sans modifier pour autant que sa situation économique. Toutefois, il semble évident qu’un groupe au statut élevé est plus à même d’étendre ses réseaux et de diversifier ses activités, ce qui favorise son développement et son enrichissement par rapport à un groupe de statut inférieur. Il est avéré dans de nombreuses sociétés que les dirigeants démontrent par leur richesse leurs qualités de leaders et l’efficacité de leurs réseaux, tout en marquant leur statut supérieur par leur capacité à redistribuer une partie de ces richesses afin de développer leur influence sociale (e.g.

Brumfiel et Earle, 1987 ; Demarest, 2013a ; Helms, 1993 ; Hirth, 1992). On a ici plusieurs dimensions de la prospérité comme « capacités » selon Smith.

2.2. Expressions matérielles de la prospérité dans les sociétés mayas classiques

Il s’agit de croiser autant que possible les données du mobilier et de l’architecture associée pour mesurer la prospérité et les inégalités socio-économiques, souvent «à multiples facettes » (e.g. Hendon, 1991 ; Hoggarth, 2012 ; Palka, 1995 ; 1997). Cette notion de

prospérité combinant la richesse mobilière aux capacités d’action et de reproduction permet alors de faire la relation archéologique entre a) le développement d’une entité sociale et sa longévité, au travers des dynamiques constructives (mobilisation de main-d’œuvre) et démographiques, et b) les données concernant ses capacités d’accumulation de biens (assemblages mobiliers, dépôts et sépultures). Il s’agit donc de comparer les divers groupes sociaux au regard de l’ensemble de ces critères afin d’établir les niveaux d’inégalités sociales entre les unités d’une même communauté pour une période en particulier (e.g. Carballo,

2009 ; Hirth, 1993 ; Palka, 1997 ; Smith, 1987), puis de les recontextualiser de manière diachronique à différentes échelles spatiales afin d’identifier les dynamiques sociales de chacune de ces entités (e.g. Masson, 1997 ; 2002 ; Smith, 2015). Il faut encore y intégrer les

facteurs socio-économiques pouvant influer sur la richesse et les capacités, comme la taille des groupes sociaux et leurs spécialisations artisanales, en tenant compte des biais taphonomiques et chronologiques inhérents aux analyses archéologiques (e.g. Smith, 1987 :

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2.2.1. L’architecture résidentielle : le meilleur indicateur des capacités de développement d’une entité sociale

Pour caractériser la prospérité des entités sociales au sein d’une communauté agraire maya des Basses Terres au Classique, cette architecture exprime directement les capacités d’investissements et de mobilisation de main-d’œuvre des groupes sociaux (e.g. Abrams,

1998 ; Blanton, 1994 ; Carmean, 1991 ; Carmean, McAnany et Sabloff, 2011 ; Hirth, 1993 ; Olson, 2001 ; Smith, 1987 ; Wilk, 1983). Ces investissements architecturaux représentaient de véritables marqueurs physiques de la réussite sociale de chacune des entités en inscrivant de manière durable leurs lieux de résidence au sein d’un site, notamment ceux des familles dirigeantes, et en exposant leur réussite au travers de la qualité des constructions, voire au moyen d’un programme décoratif exprimant visuellement cette prospérité et l’identité sociale du groupe (e.g. Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 482 ; Fash, 1989 ; Hendon, 2009a :

116 ; Michelet, Nondédéo et al., 2013).

De plus, les transformations des édifices et l’aménagement des unités d’habitat se révèlent être de bons marqueurs de la croissance démographique et de la longévité d’occupation. L’instabilité résidentielle ne pouvait être que perçue comme négative à l’échelle de la communauté (Smith, 2015 : 7-8). Au contraire, la continuité d’occupation résidentielle, sa stabilité, est en soi une marque de prospérité dans une société d’agriculteurs (Michelet et Arnauld, 2006 : 67 ; Smith, 2015 : 9 ; Wells, 2013 ; Wilk, 1983 : 108). Quant à la croissance démographique d’un groupe, elle est perceptible au travers de l’édification de nouvelles résidences, de l’ajout de nouvelles pièces ou de la subdivision d’espaces existants. Elle indique des capacités à garder en son sein des familles de plus en plus nombreuses, voire à attirer de nouveaux membres et donc la vraie prospérité du groupe (e.g. Arnauld et al., 2012 ;

Arnauld, Lemonnier et al., 2014 ; Smith, 2015 : 10 ; Wilk, 1983 : 111).

2.2.2. Les assemblages de mobilier domestique : expression des stratégies de développement économique

Les assemblages de mobilier domestique sont l’une des principales sources d’informations à notre disposition pour mesurer les inégalités sociales au sein des communautés mayas par la richesse — quantité et diversité des biens — pour repérer leurs activités et pour déduire leurs capacités d’interaction sociale (Smith, 1987 : 302). Un groupe prospère disposait acquérait de plus grandes quantités de mobilier et de qualité supérieure, et le remplaçait plus rapidement (abondance de déchets, moins de recyclage). La diversité au

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sein des assemblages domestiques, quant à elle, s’apprécie notamment au travers de l’identification du mobilier exogène par les matières premières ou leur facture au sein des différentes classes d’objets. L’obtention de tels objets supposait pour l’entité acquéreuse un coût (transport) et des ressources en information, en relations sociales locales et lointaines et en logistique (Ibid. : 320). La participation à ces réseaux d’échanges lointains semble avoir

légitimé les dirigeants par la possession de biens rares et le contrôle de leur distribution, (e.g.

Helms, 1993 : 49-50 ; Hirth, 1992 : 19 ; Smith, 1987 : 320 ; 2015 : 5-6). C’était aussi une dimension de la capacité des groupes à s’ouvrir et à saisir les opportunités politiques et économiques1 (e.g. Helms, 1993 ; Hirth, 1992 ; Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 ; Smith,

2015 : 5).

En termes d’activités, de très nombreuses études de mobilier domestique ont montré l’autonomie alimentaire des groupes sociaux mayas classiques (e.g. Hendon, 1991 ; Sheets,

2000 ; Smith, 1987 : 309-310 ; Triadan, 2000) et leur autonomie agraire au moins pour les plus grands (e.g. Arnauld et al., 2012 ; Dunning, 2004 ; Lemonnier, 2012 ; Lemonnier et

Vannière, 2013 ; Robin, 2002 ; Robin et al., 2014). Les restes de certaines activités

spécialisées ont été découverts au sein des espaces résidentiels, artisanat à « temps partiel » ou « intermittent » pour la consommation des membres du groupe (Hendon, 1991 : 904 ; Hirth, 2009 : 21-22 ; Inomata et Triadan, 2000 : 62-63 ; Sheets, 2000). Ont aussi été documentées des activités de production de biens destinés à être échangés par le biais de réseaux à longue distance (e.g. Andrieu, Rodas et Luin, 2014 ; Masson, 2001 ; 2002). Mais les relations trop

mal connues entre unités d’habitat et ateliers empêchent de restituer les mécanismes économiques associés (e.g. Andrieu, 2009a : 393 ; 2013 : 21 ; Hayden et Cannon, 1982 : 148).

En dépit de cette inconnue, la diversité des activités perceptibles dans le mobilier permet d’approcher les stratégies de chacune des entités, c’est-à-dire, là encore, leur prospérité comme ensemble de capacités socio-économiques complexes (e.g. Carballo, 2009 ; Hirth,

1993 : 123 ; 2009 ; Smith, 1987 : 319-320 ; 2015 : 4-5).

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Toutefois, l’existence d’un système de marché peut annuler en partie cette nécessité d’établir des relations plus ou moins directes avec les groupes producteurs et les intermédiaires puisque c’est le marchand qui gère ces réseaux, l’acheteur se contentant alors d’une transaction avec le commerçant (Testart, 2001 : 727).