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LE CLASSIQUE TERMINAL DANS LES BASSES TERRES MAYAS

2. LE CLASSIQUE TERMINAL : UNE PERIODE DE TRANSITION GRADUELLE ET DIVERSIFIEE ET DIVERSIFIEE

2.1. La région du Petexbatun et du fleuve La Pasión

Le Petexbatun et ses alentours forment une région-clé au niveau des échanges entre les Basses et les Hautes Terres (Demarest et al., 2014 ; Forné, Andrieu et Demarest, 2014),

localisée au sud-ouest du Petén (Fig. 2.1). Elle connut un pic d’occupation entre 700 et 750, sans pour autant apparaître surexploitée du point de vue agricole (O’Mansky et Dunning,

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2004 : 95), grâce à l’abondance des ressources en eau (fleuves et rivières, lacs, marais). Cette région se trouvait dans la première moitié du VIIIème siècle sous la domination politique du royaume centré sur la cité de Dos Pilas (O’Mansky et Dunning, 2004 : 94). Mais la chute de la capitale régionale en 761 apr. J.-C. et la période de guerre endémique qui suivit entraînèrent une crise politique majeure, l’abandon progressif du Petexbatun et d’importantes perturbations dans les circuits économiques régionaux. Paradoxalement, cette situation permit également l’émergence, pour de courtes périodes, de nouveaux centres dominateurs, d’abord Cancuen, puis Machaquila, enfin Ceibal (Fig. 2.2) à la fin du Classique récent et au Classique terminal, et ce avant un abandon quasi généralisé au Postclassique (Arnauld, Andrieu et Forné, 2014 ; Demarest, 2013b).

En effet, en 761 apr. J.-C., la capitale régionale de Dos Pilas qui contrôlait la zone avec l’aide d’alliés comme Cancuen (Fahsen et Demarest, 2001 : 861) fut attaquée par une coalition menée par le centre voisin de Tamarindito, son k’uhul ajaw nommé K’awiil Chan K’inich défait, et la cité en partie détruite (O’Mansky et Dunning, 2004 : 94). L’épicentre fut

réoccupé à la suite de l’attaque sous la forme d’un village de résidences modestes défendu par une série de palissades réalisées notamment avec des matériaux provenant de bâtiments démantelés (Demarest, 2013b : 31 ; O’Mansky et Dunning, 2004 : 94 ; Palka, 1995). Il est important de signaler que les données indiquent un dépeuplement de certaines cités du Petexbatun débutant dès 700 et ayant, par conséquent, pu jouer un rôle dans le développement des rivalités et des conflits dans la région. La chute de Dos Pilas entraîna la fuite d’une partie de la population et des membres survivants de la dynastie régnante vers la cité jumelle d’Aguateca qui partageait le même glyphe-emblème et se présentait comme un centre facile à défendre, protégé par un système de palissades englobant des espaces agricoles et des sources d’eau (O’Mansky et Dunning, 2004 : 95). Cette arrivée d’une main d’œuvre nombreuse permit à la cité de connaître un développement notable sous le règne du souverain Tahn Te’ K’inich dont témoigne la réalisation de nombreuses constructions monumentales et l’érection

de stèles (Ponciano, Inomata et Triadan, 2013 : 69). Dans le reste du Petexbatun, le déséquilibre politique provoqué par la chute de Dos Pilas entraîna l’accroissement des épisodes guerriers à la fin du VIIIème siècle et une multiplication des systèmes défensifs, même au sein des petites communautés, voire la relocalisation de ces dernières dans des secteurs plus faciles à protéger (Demarest, 2013b : 31 ; O’Mansky et Dunning, 2004 : 97-98). Toutefois, cette situation conflictuelle où les nouveaux établissements étaient mieux protégés mais parfois installés dans des zones peu propices à l’agriculture, entraîna un abandon rapide de la région par les populations qui y vivaient encore et leur migration probablement vers des

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centres comme Ceibal ou Altar de Sacrificios (Demarest, 2013b : 31-33 ; O’Mansky et Dunning, 2004 : 100). La cité d’Aguateca elle-même fut attaquée, partiellement détruite et totalement désertée aux alentours de 810 apr. J.-C., malgré ses systèmes défensifs. Dans les faits, on constate l’interruption de la construction de la Structure L8-8 et de la taille de certains monuments sculptés, due à la fuite rapide des habitants qui abandonnèrent une partie de leur équipement matériel in situ. Divers rituels de clôture attribués aux vainqueurs furent

alors pratiqués au sein de la cité, notamment en liens avec les espaces de pouvoir (Inomata et al., 2002 ; Ponciano, Inomata et Triadan, 2013). Finalement, il ne subsistait au début du IXème

siècle que quelques petites occupations autour des cités de Dos Pilas, Arroyo de Piedra et Tamarindito (O’Mansky et Dunning, 2004 : 101). Seul le centre de Punta de Chimino, une cité située dans la lagune Petexbatun sur une presqu’île incluant des terres agricoles et protégée par de substantiels travaux de terrassements (fossés et palissades), vit son développement se poursuivre avec la construction d’un terrain de jeu de balle et de résidences élitaires voûtées (Demarest, 2004 : 114-115 ; 2013b : 31-33 ; O’Mansky et Dunning, 2004 : 101).

Cette situation extrêmement chaotique dans le Petexbatun favorisa, pour un temps, la dynastie de Cancuen, alors alliée et soumise à celle de Dos Pilas. Elle gagna en indépendance avec la chute de la capitale régionale, au cours d’une période coïncidant avec la montée sur le trône du souverain Taj Chan Ahk qui régna entre 756 et 796 apr. J.-C. (Demarest et al., 2014 :

193-194). Cette cité était un important port fluvial tourné vers le commerce localisé près du piémont des hauteurs de la Verapaz, au niveau d’un couloir naturel de communication entre Basses et Hautes Terres (Fig. 2.1). Elle connut un apogée politique et culturel dans la seconde moitié du VIIIème siècle, avec un développement notable de son épicentre (Ibid. : 192), en

particulier de son immense palais (Barrientos, 2014). Cette vitalité architecturale s’expliquerait en partie par des migrations depuis le Petexbatun, avec des mouvements facilités par l’existence de relations politiques entre les élites de Dos Pilas et Cancuen, mais également depuis les Hautes Terres (Ibid. : 782). Un événement politique fut la capture par le k’uhul ajaw et des nobles de Cancuen, vers 795 apr. J.-C., du souverain de Machaquila, une

cité qui était peut-être déjà sous sa domination (Ciudad Ruiz et al., 2013 : 80 ; Fahsen et

Demarest, 2001 : 862 ; Fahsen, Demarest et Luin, 2003 : 708-710). A Cancuen même, le pouvoir était détenu par un roi-sacré qui faisait ériger des monuments sculptés (stèles et panneaux) et était au centre d’un vaste programme idéologique (Demarest, 2013a). Toutefois, certains groupes nobles jouaient un rôle de plus en plus prépondérant dans le régime socio-politique de la cité, comme le montre la multiplication des complexes élitaires dans le site

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(Demarest et Martínez, 2010 : 612 ; Demarest et al., 2014 : 206-207) et les modifications

apportées au palais à la fin du VIIIème siècle (Barrientos, 2014 ; Demarest et al., 2014 :

206-207). Ces évolutions étaient concomitantes à la mise en place par les dirigeants de Cancuen d’une politique économique entièrement tournée vers les échanges à longue distance (Demarest, 2013a ; Demarest et al., 2014 ; Forné, Andrieu et Demarest, 2014), notamment

caractérisée par une stratégie d’évitement du Petexbatun en plein chaos et des rives de l’Usumacinta alors théâtre de nombreux conflits militaires (Demarest et al., 2014 : 194 ;

Golden et Scherer, 2013 : 413). Les données matérielles illustrent clairement l’établissement d’une « voie occidentale » et de liens avec les régions de Palenque et de Comalcalco, voire du Veracruz (Demarest et al., 2014 ; Forné, Andrieu et Demarest, 2014). On constate que

Cancuen importait de l’obsidienne de Zaragoza, de la céramique à pâte fine des groupes

Chablekal et Campamento. Les assemblages mobiliers et l’architecture indiquent également

que la cité accueillait alors des populations venant de la Verapaz, zone des Hautes Terres la plus proche (Forné et al., 2010 ; Forné, Andrieu et Demarest, 2014 ; Forné et al., 2013). Tout

démontre que Cancuen était à cette époque une véritable plaque tournante commerciale entre les Hautes Terres et les Basses Terres, par le biais d’abord du fleuve La Pasión, puis de ses affluents situés à l’est (d’où l’importance du contrôle de Machaquilá), mais aussi du corridor occidental (Demarest et al., 2014 : 194 ; Laporte et Mejía, 2002 : 85). Cependant, la crise finit

par toucher également la cité, malgré la mise en place de nouvelles stratégies politico-économiques. En effet, Cancuen fut violemment attaquée par un adversaire non identifié, défaite, rituellement abandonnée et désertée de manière définitive vers 800. Cet épisode se traduisit par le massacre de la famille royale et de hauts dignitaires, jetés dans un des réservoirs du Palais et dans le port principal, alors que pour sa part, le dernier souverain K’an Ma’ax, accompagné d’un autre individu, fut inhumé rapidement dans le palais, lequel était

encore en cours de modification (Barrientos, 2014 : 786-787 ; Demarest et al., 2014 : 210).

La fin brutale des dynasties de Cancuen et d’Aguateca dans les années 800-810 apr. J.-C. fut saisie comme une opportunité par les dirigeants de Machaquila, lesquels pourraient bien avoir été responsables de ces épisodes guerriers, bien qu’aucune référence épigraphique connue n’en atteste. Ainsi, en 800, un nouveau souverain nommé Ochk’in Kalo’mte’ monta sur le trône de la cité à nouveau indépendante (Ciudad Ruiz et al., 2013 : 80-81). Lui et ses successeurs remodelèrent Machaquila dans la première moitié du IXème siècle selon un impressionnant programme d’urbanisme qui modifia profondément l’aspect de la cité, avec l’érection de nombreuse stèles et l’édification de structures monumentales. Certaines de ces constructions présentaient d’ailleurs un style de décoration architecturale également observé à

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cette époque dans le sud-est du Petén et à Ceibal, caractérisé par de multiples similitudes techniques avec ce qui était alors réalisé dans le Puuc (Ciudad Ruiz et al., 2013 : 83 ; Laporte

et Mejía, 2002). Des liens avec le sud-est du Petén et le Belize ont également été notés au niveau céramique (Ciudad Ruiz et al., 2013 : 83), démontrant une stratégie tournée vers l’Est

(Fig. 2.2). Cette région riche en ressources naturelles (minerai, bois de pin…) et voie d’accès à la Côte Caraïbe comportait plusieurs centres (Ucanal, Ixtonton, Calzada Mopán, Sacul) alors en plein essor (Laporte, 2004 ; Laporte et Mejía, 2002). Mais dès le milieu du IXème siècle, la cité de Machaquila ne connut plus d’aménagements notables ni d’érection de stèles, un édifice lié au dernier souverain identifié ayant même été détruit. Elle se dépeupla et de nombreux dépôts de clôture furent réalisés dans les groupes résidentiels abandonnés (Ciudad Ruiz et al.,

2013 : 83-84). De nouveau, cette interruption de l’essor de la cité semble avoir été liée au développement d’un autre centre régional, Ceibal. Après avoir été dominée par Dos Pilas au VIIIème siècle (Vega Villalobos, 2011), cette cité ne connut en effet pas de développement notable et son glyphe-emblème ne fut pas utilisé jusqu’aux alentours de 830, date supposée de l’arrivée, par le biais d’un mariage ou d’une alliance, d’un nouveau roi de rang kalo’mte’

nommé Wat’ul K’atel (Inomata et Triadan, 2013 : 63 ; Tourtellot et Gonzalez, 2004 : 79) en provenance d’Ucanal (Fig. 2.2), une cité du sud-est alors alliée de Caracol (Martin et Grube, 2000 : 98-99). Cette période de montée en puissance de Ceibal, idéalement située sur les rives du fleuve La Pasión, semble être également celle d’une relative paix régionale et d’une reconstitution des réseaux d’échanges (Arnauld, Andrieu et Forné, 2014). C’est ce que montre notamment la diffusion massive de la céramique « orange fin » qui était produite dans le delta de l’Usumacinta et sur les rives du fleuve La Pasión, ainsi que le développement du site stratégique d’Altar de Sacrificios, localisé à la jonction des fleuves Chixoy et La Pasión (Demarest, 2004 ; Foias et Bishop, 1994 ; 2005 ; Forsyth, 2005). Un autre signe de la relative sécurité qui semblait prévaloir correspond au déplacement du centre politico-cérémoniel de Ceibal depuis le Groupe D, défensif, vers le Groupe A, non défensif, bien que ce déplacement avait en premier lieu, sans doute, des raisons politiques qui permirent aux nouvelles élites de la cité de consolider leur autorité en établissant des liens avec eux et les anciens souverains du Groupe A (Inomata et Triadan, 2013 : 63 ; Triadan et Palomo, 2010 : 249-250). Toutefois, le projet le plus marquant est sans conteste la construction de la Structure A-3, un temple radial associé à cinq stèles. Ces monuments, érigés en 849 pour la fin du premier katun du nouveau baktun 10, sont porteurs de représentations de Wat’ul K’atel lors des rites de fin de période,

accompagné des souverains des cités de Tikal, Motul de San José, Lacamtun, Puh et Calakmul (Inomata et Triadan, 2013 : 63 ; Tourtellot et Gonzalez, 2004 : 69). Cet ensemble

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reflète l’importance politico-diplomatique prise par Ceibal au IXème siècle, alors que les autres centres impliqués étaient en déclin plus ou moins avancé, et suggère la prospérité de ses dirigeants, capables de mobiliser des sculpteurs et une importante quantité de jade déposée lors de l’érection des stèles. Ce programme monumental illustre aussi leur volonté de réorganisation et d’innovation politico-religieuses, cela étant notamment perceptible sur les stèles dans l’intégration de nouveaux éléments iconographiques et calendaires « mexicains », ainsi que par la composition en panneaux (exemple de la Stèle 3 de Ceibal) que l’on retrouve à la même époque à Ucanal, dans le Puuc (voir plus avant) et à Chichen Itza6 (Arnauld, Andrieu et Forné, 2014 ; Just, 2006 ; Tourtellot et Gonzalez, 2004). Si Ceibal resta occupée tout au long du Xème siècle, la cité fut désertée peu à peu par sa population (Tourtellot et Gonzalez, 2004 : 80-81), et même plus rapidement par ses élites à la suite de la mort de

Wat’ul K’atel (peut être vers 870). Les rituels d’abandon des résidences royales A-14 et A-16

eurent lieu vers 890-910 (Inomata et Triadan, 2013 : 64 ; Triadan et Palomo, 2010 : 250). Malgré les tentatives d’adaptation politiques menées dans un environnement régional profondément bouleversé par les dirigeants de quelques centres dynamiques comme Cancuen ou Ceibal, mais sur de courtes périodes (Demarest, 2013b : 34), cette région du sud-ouest du Petén fut progressivement désertée et n’était plus occupée au Postclassique que par des populations résiduelles, apparemment sans aucun centre majeur. De petits groupes vivaient notamment dans les cités de Ceibal, Tamarindito, Punta de Chimino et Machaquila, et le matériel céramique de l’époque indique l’existence de relations avec la région des lacs du Petén Central (Fig. 2.2), un secteur alors encore occupé de manière notable (Cuidad Ruiz et al., 2013 : 84-85 ; Demarest, 2004 : 117 ; Foias, 1996 : 42-43 ; Tourtellot et Gonzalez, 2004 :

80-81 ; voir aussi Johnston, Breckenridge et Hansen, 2001).