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ANTECEDENTS ET CADRE THEORIQUE

1. LES MODES D’ORGANISATION DES SOCIETES MAYAS AU CLASSIQUE Bien que fondamentalement agraires, les sociétés mayas des Basses Terres de la période Bien que fondamentalement agraires, les sociétés mayas des Basses Terres de la période

1.1. Royauté sacrée et maisons nobles au Classique

L’organisation socio-politique des sociétés mayas classiques était fondée sur un système complexe qu’il est impossible de schématiser malgré de nombreuses avancées faites dans la compréhension des composantes des entités politiques depuis l’entourage des dynasties régnantes (e.g. Inomata et Houston, 2001a) jusqu’aux communautés rurales (e.g. Robin,

2003). Tout indique que les cités-états mayas étaient dirigées chacune par un souverain, sous le régime peu différencié de la « royauté sacrée », qui assurait son autonomie. Aucune grande structure centralisatrice ne semble avoir existé dans les Basses Terres. Cependant, on peut affirmer que les rois entraient en interaction dans le cadre d’une hiérarchie de statuts et de positions qui régissait les affiliations, les loyautés et les complexes systèmes d’alliances, de visites et de guerres (Demarest, 2013b : 24 ; Martin et Grube 2000). Mais les relations politiques intérieures aux cités elles-mêmes nous échappent du fait de l’information limitée fournie à ce niveau par les inscriptions glyphiques et de la grande variabilité des situations observées (Demarest, 1996 : 822). C’est ainsi que, par exemple, on propose un Etat centralisé pour la cité de Caracol (A. Chase et D. Chase, 1996b), mais un Etat segmentaire pour celle de Copan (Sanders, 1989). Chaque royaume se présentait comme un ensemble socialement hétérogène et stratifié, divisé entre différentes entités sociales que l’on saisit de façon relativement opérante ou efficace au moyen du modèle des « maisons » de C. Lévi-Strauss, groupes sociaux eux-mêmes en perpétuelle compétition comme les cités (Gillespie, 2000b ; Lemonnier, 2009 : 87-88 ; Sharer et Golden, 2004).

1.1.1. Le k’uhul ajaw et la royauté classique

Sur le plan socio-politique, la période classique se caractérise par la domination de dynasties héréditaires, avec cependant de grandes variations selon les cités ou les régions. A partir du Ier siècle apr. J.-C., les dirigeants de certaines cités, désignés comme ajaw

(« souverain », « maître » ou « père de famille »), apparurent dans les inscriptions glyphiques (Martin et Grube, 2000 : 17). La maîtrise de l’écriture et des calendriers, en particulier celui du « Compte Long », mis en place à la fin du Préclassique (Martin et Grube, 2000 : 13 ; Saturno, Stuart et Beltrán, 2006), allait constituer la composante essentielle des stratégies de légitimation des groupes familiaux au pouvoir, en même temps qu’une théâtralisation de cérémonies politiques qui exigeait déjà la mise en chantier de projets architecturaux monumentaux (Demarest, 2006 ; Inomata, 2001c). Les dynasties de ce type se multiplièrent dans les Basses Terres et à partir de 400 apr. J.-C., les principaux souverains se parèrent alors

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du titre de k’uhul ajaw, « roi divin » (Stuart et Houston, 1996 : 295 ; voir aussi Dehouve,

2010a), pour se distinguer des autres ajaw (Martin et Grube, 2000 : 17), et s’arroger une

essence surnaturelle qu’ils entretenaient au travers de nombreuses cérémonies où ils apparaissaient comme des médiateurs entre leurs sujets et les divinités (Demarest, 2013b : 23 ; Inomata et Houston, 2001c : 13-14). Grâce à l’épigraphie, on sait que les différentes cités-états étaient contrôlées chacune par une dynastie héréditaire, laquelle maintenait malgré tout difficilement la stabilité politique dans le temps. Toutes ces entités, chacune représentée par un glyphe-emblème composé d’un titre politique et d’un toponyme, interagissaient entre elles par des échanges, des visites, des alliances, des mariages royaux et bien entendu des conflits guerriers (Martin et Grube, 2000 : 14-21). En dépit de leur apparente indépendance, ces dynasties étaient fortement hiérarchisées entre elles et de nombreuses inscriptions explicitent le fait que certains dirigeants étaient intronisés « sous le contrôle » d’un souverain de plus haut rang (Ibid. : 20-21). De fait, les Basses Terres Centrales et Méridionales furent tout au

long du Classique sous la domination plus ou moins effective des « superpuissances hégémoniques » qu’étaient Tikal et Calakmul (Fig. 1.1). Ces dernières s’immisçaient dans les successions dynastiques de la plupart des cités qu’elles considéraient comme leurs vassales, au moyen d’alliances, de rituels pratiqués en commun, ainsi que de guerres (Grube et Martin, 2000 : 149-150). Mais en dépit de l’abondance des inscriptions glyphiques, nous n’avons pas de description institutionnelle des mécanismes qui régissaient les relations entre les différentes entités politiques. De plus, il est impossible de définir un modèle d’organisation supérieure qui aurait fonctionné pour l’ensemble des Basses Terres, lesquelles n’étaient certainement pas unifiées, chaque cité ayant ses propres spécificités et sa propre histoire politique (D. Chase et A. Chase, 2004a : 145 ; Demarest, 1996 : 821 ; Jackson, 2005 : 276). Un exemple est donné par la région de Río Bec dont certains centres intégrèrent des éléments classiques comme les stèles à inscriptions, alors que d’autres présentaient une organisation spatiale tout à fait locale, sans qu’aucune entité ne soit parvenue à contrôler l’ensemble de la région (Nondédéo et al., 2010 ; Nondédéo, Arnauld et Michelet, 2013). Elle fournit un modèle

de variation qu’on pourrait appliquer par translation à l’ensemble des Basses Terres (Jackson 2005). Par son opacité, la notion élémentaire de « centre » est en elle-même un handicap pour le chercheur, mais elle demeure difficile à remplacer dans l’état de nos connaissances.

Tout aussi pauvre est notre compréhension des relations entre le pouvoir dynastique et les autres familles nobles (Inomata et Houston, 2001c). Les souverains et leurs familles étaient entourés d’une cour composée de l’ensemble des personnes qui vivaient à leur contact (courtisans, dignitaires, prêtres…) et à leur service direct (serviteurs, gardes…). Ils résidaient

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au sein de complexes architecturaux qui combinaient le plus souvent des lieux d’exercice du pouvoir (administratif, judiciaire, diplomatique et cérémoniel) et des bâtiments à vocation plus résidentielle (Inomata et Houston, 2001c : 3, 12-13 ; Jackson, 2005 : 65-67), des espaces pour lesquels les notions de « public » ou de « privé » s’appliquent malaisément (Bazy, 2013 : 12). Un certain nombre de nobles de haut rang étaient présents autour du roi, comme le montrent les représentations peintes notamment sur des récipients polychromes et les nombreuses mentions dans les inscriptions (Houston et Stuart, 2001). La proximité physique avec le souverain était une source importante de prestige et d’autorité, permettant également un accès aux dignitaires étrangers et donc des possibilités d’alliances (Inomata, 2001a : 34). Mais tous les nobles ne résidaient pas « à la cour ». Tout en assistant le dirigeant, les différentes factions nobles étaient engagées entre elles et avec la famille régnante dans de perpétuelles négociations pour le pouvoir (Inomata, 2001a ; Inomata et Houston, 2001c : 12 ; Ringle et Bey, 2001 : 266-267). De façon empirique, ces dynamiques de compétition sont notamment illustrées par les changements observés dans les articulations spatiales et architecturales existant entre les principaux ensembles résidentiels, sièges des différents groupes dirigeants, et les espaces politico-cérémoniels, lieux de contrôle de la communauté (Bazy, 2010). En effet, le développement et les évolutions des espaces monumentaux (leur « séquence ») sont le reflet de la compétition qui existait au sein de chacune des cités (Bazy, 2011) entre les différentes entités factieuse entourant la famille régnante. Pour croître et augmenter leur influence, elles s’appuyaient sur leurs ressources propres, droits sur des terres et des ressources naturelles (quoique le droit de propriété privée n’ait pas existé comme tel), tributs, mais avant tout sur leurs réseaux de clients, parents et autres subordonné (Inomata, 2001a : 34 ; Lemonnier, 2011 : 10 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 185). De fait, de véritables cours « secondaires » se développaient alors autour des dignitaires de haut rang, organisées plus ou moins sur le même modèle que celles des souverains, au sein d’une architecture et d’assemblages mobiliers assez semblables, et qui ne s’en distinguaient qu’au niveau symbolique, c’est-à-dire par le contenu des inscriptions et les relations spatiales entretenues avec les espaces politico-cérémoniels (Inomata et Houston, 2001c : 7 ; Webster, 2001 : 153), sans pour autant que les différences aient été très marquées dans certains cas (Jackson, 2005 : 598 ; Tsukamoto et al., 2015).

Il apparaît que ces nobles virent leur rôle socio-politique croître à la fin du Classique récent (VIIIème siècle) et au Classique terminal, une évolution perceptible au travers de l’augmentation du nombre de titres non royaux. Elle serait le résultat logique de la multiplication des dynasties et des maisons nobles regroupant de plus en plus de personnes

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(Houston et Stuart, 2001 : 74). Le constat empirique en est fait au travers de la fréquence des édifices de réunion qui expriment un partage accru du pouvoir au sein des cités (Arnauld, 2001 ; Cheek, 2003). A Copan (Webster, 2001 : 157-158) et à Cancuen (Demarest et al.,

2014 : 207-210) par exemple, ce changement se matérialisa par une croissance très rapide de nombreux ensembles résidentiels maçonnés qui abritaient des groupes élitaires et reflétaient la compétition exacerbée entre les factions nobles et la dynastie régnante, à un moment où cette dernière semblait être en état de faiblesse politique. Dans l’ouest de la région Puuc, cette évolution déboucha sur la mise en place d’un régime politique tout aussi hiérarchisé, mais de nature plus aristocratique que royal, où le pouvoir était détenu par un groupe de sajaloob. On

y observe alors un contrôle moins marqué sur la diffusion des textes et des calendriers politiques qui cessèrent de donner lieu à l’érection de stèles dans les espaces publics où elles témoignaient de pouvoirs politiques auparavant intangibles (Dunning, 2000 : 336). Ces groupes nobles comportaient chacun un lignage dominant, probablement à tendance patrilinéaire, dont la puissance reposait, tantôt sur une relation privilégiée à la royauté au sein la cour, tantôt sur un regroupement de dépendants, parents et clients non nobles, qui vivaient en co-résidence avec la famille dominante selon le modèle des sociétés à maisons (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 ; Gillespie, 2000b ; Lemonnier, 2009 ; Watanabe, 2004). La question du degré d’autonomie ou d’intégration de ces groupes par rapport à la royauté est posée (Demarest, 2013b : 38), car il est rare qu’ils aient réussi à se maintenir durablement après la disparition des régimes dynastiques en place dans ces cités (exemple de Copan : Manahan, 2004 : 1212), et cette question se pose particulièrement pour Naachtun. Au contraire, certaines communautés rurales perdurèrent tout en connaissant également d’importants bouleversements, par exemple dans la région des Lacs du Petén Central (Schwarz, 2013). Le sort de nombreuses factions nobles des Basses Terres après 1050 apr. J.-C. nous est inconnu : elles ont sans doute émigré en groupe, ou se sont désagrégées et dispersées.

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Des conclusions différentes se basant sur une occupation beaucoup plus longue de la vallée sont défendues par Webster et ses collègues (Webster, Ferter et Gonlin : 2000 : 198-205 ; Webster, Freter et Storey, 2004). Mais celles-ci reposent avant tout sur des datations réalisées à partir de l’hydratation de l’obsidienne, une technique remise en cause du fait des disparités observées avec les résultats radiocarbones et céramiques à Copan (Fash, Andrews et Manahan, 2004), mais aussi à Xunantunich par exemple (LeCount et al., 2002 : 57-58).

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1.1.2. Les maisons nobles

En général, les cités mayas classiques présentent une organisation spatiale urbaine assez éclatée, avec une multitude d’unités d’habitat élémentaires disséminées aux alentours des épicentres. Prenant le plus souvent la forme de groupes à patio, elles sont identifiées comme les unités élémentaires de ces sociétés (Lemonnier, 2011 : 8-9). Sur le plan social, elles représentaient chacune une maisonnée (Wilk et Ashmore, 1988) et abritaient une famille étendue qui vivait en co-résidence (Haviland, 1988). Sur le plan économique, ces groupes domestiques correspondaient aux unités de base des systèmes de production, d’échange et de stockage des produits agricoles et manufacturés (Chase et Chase, 2014a : 245 ; Hendon, 1996 ; Sheets, 2000 : 228). Les dynamiques de développement de ces unités d’habitat élémentaires étaient fondées sur la croissance démographique naturelle de chacune des familles étendues, lesquelles étaient structurées par les liens de parenté et la co-résidence (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 ; Haviland, 1988 ; Lemonnier, 2011). Ces unités sont partout distantes les unes des autres d’au moins 25-30 m dans les zones résidentielles.

Il existait également des regroupements de dimensions intermédiaires à l’échelle des cités sous la forme de quartiers, aussi désignés Unités de Regroupement Intermédiaires (Lemonnier, 2009 : 90 ; 2011 : 16-20), qui rassemblaient d’assez nombreuses familles en co-résidence hiérarchisée et organisée autour de la co-résidence d’une famille noble dominante (Hendon, 1991 ; Lemonnier, 2009 : 90-91). De par leurs dimensions démographiques, ces ensembles ne peuvent pas avoir été le résultat de la croissance naturelle d’une même famille étendue (Lemonnier, 2011 : 19-20) et sont donc la traduction spatiale de modalités de développement et de recrutement plus complexes (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013), ce que confirme l’hétérogénéité socio-économique des habitants de ces regroupements.

Pour appréhender ces regroupements d’unités d’habitat et les relations entre les groupes familiaux qui y vivaient, le modèle généralement admis en archéologie maya jusqu’à peu se basait sur le concept anthropologique de lineage (par exemple à Copan : Hendon,

1991 : 911-912 ; Sanders, 1989 : 102-104 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 185). Ce modèle est centré sur la constitution d’un groupe social autour du principe de descendance unilinéaire se développant au travers de mariages contrôlés exogames. Il existe également différents traits qui fédèrent les membres de cette entité sociale : un espace résidentiel localisé où vivent en co-résidence les différentes unités familiales entretenant des liens hiérarchisés de parenté et une identité collective perceptible, notamment, grâce à un culte aux ancêtres communs, ainsi que la transmission de biens, matériels et immatériels, en ligne directe entre générations

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(Hageman, 2004 : 64-68 ; Ringle et Bey, 2001 : 287-288). Toutefois, ce modèle linéaire assez rigide est remis en cause car il ne permet pas d’expliquer, par exemple, les processus de croissance des regroupements de taille intermédiaire, ou la dispersion d’un même patronyme sur des territoires étendus (Ringle et Bey, 2001 : 289-290). Les tenants du modèle de « maisons » se basent quant à eux sur le type d’organisation sociale identifié par Lévi-Strauss comme celui des sociétés à maisons (Gillespie, 2000b). Ce modèle partage de nombreux traits avec celui du lineage, les différences se situant principalement au niveau des liens de parenté

puisqu’une « maison » englobe plusieurs lignées pratiquant chacune à la fois des mariages exogames et endogames (Lemonnier, 2009 : 90), moyens (parmi d’autres) de recruter de nouveaux membres, en particulier des voisins (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013). Ceci permettait de faire croître et se développer l’entité sur le long terme. Archéologiquement, ces différences au niveau des processus de descendance et des liens de parenté sont quasiment impossibles à démontrer3, si ce n’est par la rapidité de la croissance démographique d’un groupe donné, ainsi que par une analyse des données matérielles issues des fouilles de ces regroupements intermédiaires permettant de constater que le modèle plus inclusif de la « maison » peut être transposé aux sociétés mayas classiques (Lemonnier, 2009 : 90-95).

Ce modèle s’appuie sur des données ethnographiques amérindiennes, et donc sur une vision emic décrite par Lévi-Strauss dont la définition d’une « maison » est :

« une personne morale, détentrice d’un domaine composé à la fois de biens matériels et immatériels, et qui se perpétue par la transmission de sa fortune et de ses titres en ligne réelle ou fictive, tenue pour légitime à la condition que cette continuité puisse s’exprimer dans le langage de la parenté ou de l’alliance, et le plus souvent, des deux ensemble. » (Lévi-Strauss, 1979 : 151-152, cité dans Lemonnier, 2009 : 88).

Une « maison » partage donc des points communs avec un lineage (transmission des biens,

importance idéologique et pratique de la parenté, de l’ascendance et de la descendance) et se présente comme une entité socio-économique dominée par une famille noble qui est « l’héritière » des propriétés matérielles (mobilier, bâtiments, accès à certaines terres) et immatérielles (nom, titres, renommée, pouvoir politique et rituel) du groupe. Mais au

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Exception faite des groupes pour lesquels on dispose de données épigraphiques, c’est-à-dire en très grande majorité les dynasties royales, pour lesquelles les informations sur les liens entre lignées tirées des textes peuvent être comparées aux informations archéologiques (Vásquez López, 2014).

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contraire du lineage, qui tend à expulser les branches latérales pour conserver l’héritage

indivisible, la « maison » administre, protège et parfois même nourrit les familles subordonnées, apparentées ou associées. Ces familles alliées et clientes sont recrutées de manière flexible au travers de mariages exogames comme endogames, et d’alliances avec d’autres factions. Le processus renforce le capital social et politique de l’entité, lui apportant soit des biens, soit une force de travail supplémentaire, tout en créant des relations fortes entre les groupes de positions socio-économiques différentes impliquant des obligations d’assistance et de protection (Godelier, 2004 : 146-147 ; Hendon, 2009a : 114 ; Lemonnier, 2009 : 88-89). Le culte des ancêtres, un phénomène social majeur dans les sociétés mayas depuis le Préclassique (McAnany, 1995), apparaît alors comme le principal moyen de créer et maintenir une identité sociale commune aux différentes familles rattachées à une maison, grâce à la reconnaissance d’ancêtres communs (réels ou fictifs). Une attention particulière était d’ailleurs portée à la résidence de la famille dominante où était souvent localisée la sépulture du « fondateur » qui symbolisait alors le groupe social de manière pérenne (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 471-472 ; Gillespie, 2000a ; 2000b : 475-476 ; Lemonnier, 2009 : 89). Ce culte permettait également de perpétuer les différences sociales existantes entre les membres de la « maison » et de légitimer l’autorité du groupe dominant car, du point de vue de la parenté, ce dernier était plus proche des « fondateurs » que les autres membres associés, et cette supériorité était renforcée par la construction de leurs résidences « au plus proche » des défunts (Lemonnier, 2009 : 89-93). Les différentes familles qui appartenaient à une même « maison » se trouvaient donc regroupées autour de l’unité d’habitat du groupe qui possédait les droits sur les ressources naturelles et les meilleures terres du fait de l’existence de liens privilégiés entretenus avec les premiers occupants (Carmean, 1991 : 163-164 ; Carmean, McAnany et Sabloff, 2011 : 155 ; McAnany, 1995). Ce pouvoir local (Houston et Stuart, 2001 : 57), ancré dans un territoire au travers de la présence des ancêtres (Michelet et Arnauld, 2006 : 68), impliquait donc l’existence de regroupements résidentiels hiérarchisés en interne, organisés selon des principes de co-résidence, de parenté et d’exploitation collective des terres (Lemonnier, 2009 : 93-94).

Les familles nobles contrôlaient donc l’accès et l’usage de terres agricoles situées à l’intérieur et/ou à l’extérieur des cités, une situation qui leur fournissait un fort pouvoir d’attraction sur d’autres groupes sociaux des mêmes communautés (Arnauld et al., 2014 ;

Lemonnier, 2009 : 93-94 ; Lemonnier et Vannière, 2013). Ces recrutements, renforcés par des mariages et des alliances entre lignées, permettaient à chacune des « maisons » de se développer en augmentant ses capacités politique et sociale (Arnauld, Michelet et Nondédéo,

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2013 : 473-474 ; Lemonnier, 2009 : 88-90 ; 2011 : 34-35). Cette croissance et ces recrutements impliquaient une compétition entre les différentes « maisons » d’un même établissement, certaines se dissolvant et d’autres se consolidant au cours du temps (Gillespie, 2000b : 477). Ils provoquaient aussi des tensions et des rivalités au sein de chacune des entités où le pouvoir était négocié entre les différentes familles (Lemonnier, 2009 : 93). Empiriquement, des changements au niveau de la hiérarchie interne de ces groupes sont parfois perceptibles dans les évolutions architecturales de certaines unités, notamment celles en lien avec les « ancêtres » qui symbolisaient l’identité du groupe et étaient à la base du pouvoir de la famille dominante. Cela a été caractérisé à Chunchucmil, par exemple, où les évolutions observées auraient traduit des tensions pour l’héritage entre les membres d’une même unité, au travers de négociations qui impliquaient les vivants comme les morts (Hutson, Magnoni et Stanton, 2004 : 85-89).

Ce modèle social fondé sur la notion de « maison » n’est sans doute pas applicable à l’ensemble des sociétés mayas classiques et à leurs différentes composantes qui se caractérisaient par une grande diversité, visible dans la variation de l’organisation spatiale des sites (D. Chase et A. Chase, 2004a : 145). Mais il s’applique assez bien aux cités comportant des quartiers et un parcellaire agricole (Lemonnier, 2009 : 88 ; Lemonnier et Vannière, 2013) Il faut lui adjoindre d’autres modèles pour comprendre le fonctionnement et le développement d’institutions ou d’entités particulières autant au sommet de la hiérarchie socio-politique (Houston et McAnany, 2003 ; Jackson, 2005 : 60-61 ; mais voir Vásquez López, 2014) qu’à sa base rurale (Freter, 2004 ; Hageman, 2004 ; Robin et al., 2014).