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ANTECEDENTS ET CADRE THEORIQUE

2. CARACTERISATION SOCIO-ECONOMIQUE DES UNITES D’HABITAT DANS LES COMMUNAUTES MAYAS CLASSIQUES LES COMMUNAUTES MAYAS CLASSIQUES

2.1. Hiérarchie interne des sociétés mayas classiques

Il est clairement établi, au travers des fouilles archéologiques comme de l’étude des inscriptions, que les populations mayas présentaient une hiérarchie socio-économique très marquée, coiffée par la dynastie régnante et quelques groupes dominants, qualifiés ensemble « d’élites ». Mais la nature et les prérogatives des différents groupes, ainsi que leurs limites, sont encore sujet à débats et diffèrent selon le modèle d’organisation socio-politique retenu.

2.1.1. Elites/roturiers, une vision schématique

A partir de l’acceptation du modèle de système politique centré sur la personne du

k’uhul ajaw, la société maya du Classique a d’abord été vue comme une communauté très

stratifiée qui comportait essentiellement deux groupes endogames, les élites, dont la famille royale, et les roturiers (commoners, gente del común). Ces deux groupes étaient censés

arborer des différences nettes qui devaient apparaître dans les assemblages mobiliers et les réalisations architecturales associés à chacune de ces grandes classes (A. Chase et D. Chase, 1992 : 8-10 ; Haviland et Moholy-Nagy, 1992). Ont également été proposées une hiérarchisation interne selon les activités économiques pratiquées (A. Chase et D. Chase, 1992 : 11-14), voire même l’existence d’une « classe moyenne » qui se serait développée au cours du Classique récent (selon les fouilleurs de la cité de Caracol, Chase, 1992 ; Chase et Chase, 1996a). Mais cette vision plutôt schématique, qui implique l’existence de frontières nettes entre les strates de la société, vraisemblablement influencée par la description simpliste de la société maya faite par les conquérants espagnols au XVIème siècle (Jackson, 2005 : 32), butte sur les données archéologiques qui donnent plutôt l’impression de l’existence d’un continuum socio-économique plutôt que de classes sociales bien différenciées (Jackson, 2005 : 36 ; Palka, 1995 : 53).

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Il est vrai qu’il est compliqué de distinguer « l’élite » du reste de la population, exception faite du souverain (Jackson, 2005 : 598), et cela, en premier lieu, du fait de la définition vague du terme en lui-même (Houston et Stuart, 2001 : 57 ; Jackson, 2005 : 27 ; Webster, 1992 : 135). En effet, le concept général rattaché à l’idée d’élite renvoie, au sein d’une société donnée, tout aussi bien à un groupe ayant un plus grand pouvoir politique, une plus grande richesse économique ou un plus grand prestige que le reste de la population, voire une combinaison de ces trois formes de capital (Inomata et Triadan, 2003 : 155). Les différentes positions au sein d’une société complexe, identifiées à travers des indices d’inégalités sociales, sont difficilement reconnues car multidimensionnelles et non réductibles à une classe ou une strate rigide (Palka, 1995 : 11). Elles comportent des niveaux et des statuts multiples (économique, social, politique) et superposés (hiérarchie entre les groupes sociaux et à l’intérieur de ces derniers) (Jackson, 2005 : 27 ; Palka, 1995 : 4). Des définitions plus précises permettent de mieux caractériser la notion « d’élite » en la restreignant à la domination socio-politique subordonnant une grande partie de la population, à l’idée d’un groupe « exclusif » qui contrôle les institutions et organise les évènements collectifs à l’échelle de la communauté (Inomata et Triadan, 2003 : 156). Avec l’aide des épigraphistes, certains signes et certaines associations précises peuvent ainsi conduire l’archéologue à repérer des statuts. L’exemple le plus commun est celui du signe pop et du motif du tapis

tressé qui signalent l’exercice direct, ou par délégation, du pouvoir politique (Reents-Budet, 2001).

2.1.2. Hiérarchie et maison

Dans une « société à maisons », cette élite était donc composée des familles qui dominaient les regroupements sociaux, du fait de leurs liens avec les ancêtres/fondateurs (Ames, 2007 : 488 ; Carmean, 1991 : 163-164 ; Lemonnier, 2009 : 89-93) et pour certains membres, de leur position à la cour royale (lorsque celle-ci existait) où ils recevaient statuts et titres honorifiques (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 56). L’ensemble de ces familles, estimé à 5% maximum de la population à Copan par exemple (Ibid. : 179), se différenciait alors du

reste de la population au moyen d’une sous-culture particulière (non réductible à la stricte richesse économique) et d’une idéologie commune, signalées notamment au moyen d’une iconographie et de symboles exclusifs, ainsi que de médias réservés comme l’écriture (Inomata, 2001b : 323-324 ; Inomata et Triadan, 2003 : 156 ; Palka, 1995 : 66 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 56). Une autre distinction consistait en leur capacité à mobiliser main

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d’œuvre et ressources pour leurs projets (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 471 ; Sanders, 1989 : 104). Cela dit, l’étude des inscriptions montre qu’il n’est pas possible de considérer le groupe des élites, pourtant numériquement réduit, comme un bloc homogène, ni de le hiérarchiser de manière stricte (Houston et Stuart, 2001 : 57 ; Jackson, 2005 : 598). Enfin, la composition même des maisons, mais aussi de la cour royale, incite à nuancer cette vision d’un groupe dominant clairement séparé du reste de la population car ces grandes entités réunissaient alors des individus et des groupes de tous rangs socio-économiques (Inomata, 2001a : 36-39 ; Lemonnier, 2009 : 88-89 ; Palka, 1995 : 12-13 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 57). Et la nature même des liens sociaux qui les unissaient laissent supposer qu’il existait des possibilités de mobilité sociale (Palka, 1995 : 11) : certains individus de « basse » extraction devaient pouvoir obtenir un statut supérieur par le fait du souverain, par mariage au sein d’une maison, par haut-fait guerrier ou tout autre moyen (Inomata, 2001a : 36-39 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 56-57). Le contraire est bien sûr envisageable, en cas de perte de pouvoir et d’influence d’un groupe en conséquence d’événements, tel un changement de dynastie ou de rapport de force politique entre factions concurrentes, entraînant des évolutions négatives du point de vue de la position ou même du statut de ses membres (Jackson, 2005 : 42-43).

Au-delà de ces groupes dominants, le reste de la population était composé de familles aux situations socio-économiques extrêmement variées (Palka, 1997 : 303). Les unes travaillaient directement au service de la royauté et des groupes nobles (cuisiniers, serviteurs, gardes…, mais aussi commanditaires, commerçants, chefs de guerre…) et vivaient à proximité ou dans leurs résidences en tirant des bénéfices du statut et de la position de ces groupes (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 57). D’autres résidaient de manière plus autonome dans des petites unités d’habitat hétérogènes localisées dans les cités ou leurs périphéries (Webster et Gonlin, 1988 ; Yaeger et Robin, 2004). Ces groupes étaient notamment investis dans l’exploitation des terres agricoles et des ressources naturelles associées (bois, pierre…) (Sheets, 2000 ; Yaeger et Robin, 2004), mais aussi dans les productions artisanales plus ou moins spécialisées (D. Chase et A. Chase, 2014a : 244-245 ; Sheets, 2000), le transport ou encore le commerce (Demarest et al., 2014). Les rapports entre ces roturiers et les groupes

dominants étaient établis en fonction de leur appartenance commune à une entité sociale, la maison, grâce à des liens de parenté réels ou fictifs et/ou clientélistes, et entretenus au moyen d’un culte partagé aux ancêtres, d’autres rituels religieux et sociaux, ainsi que de la construction de la résidence principale, sans oublier son entretien (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 109). Cela impliquait également, sans

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doute, la remise d’une partie de leurs productions aux nobles, qui contrôlaient la terre, et une mobilisation temporaire comme main-d’œuvre pour la réalisation de projets collectifs (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 186-187 ; Yaeger et Robin, 2004). Les indices de mobilité à l’intérieur même des cités sont notamment perceptibles dans l’abandon de petites unités et des phénomènes de contraction de l’habitat autour de résidences nobles, reflétant l’investissement consenti par les familles dominantes pour attirer et regrouper autour d’elles les roturiers, et donc l’importance du capital humain qu’ils représentaient dans les processus de compétitions entre maisons (Arnauld et al., 2014 ; Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 ;

Inomata, 2004 : 181).

Dans les faits, les notions anthropologiques de position, de rang et de statut sont difficiles à transposer en archéologie où les données de base (mobilier et architecture) renseignent plus sur ce que nous appelons les capacités économiques, que sur la puissance politique ou le prestige attachés à chacun des groupes (Inomata et Triadan, 2003 : 155 ; Kowalewski, Feinman et Finsten, 1992 : 259-260). Les badges d’autorité comme les objets statutaires permettant d’identifier des rôles politiques et religieux précis pour leurs possesseurs sont assez rares en archéologie (Carballo, Carballo et Lesure, 2014 ; Kowalewski, Feinman et Finsten, 1992 : 263), exception faite d’objets exceptionnels comme les diadèmes en jade représentant le « dieu bouffon » clairement réservés aux souverains (Inomata, 2013 : 132 ; Kovacevic, 2013 : 98). De plus, la hiérarchie, et donc la reconnaissance que certains étaient supérieurs au reste de la population, résultait partout d’une histoire locale où les élites étaient identifiées comme telles (Houston et Stuart, 2001 : 57), ce qui nous oblige à replacer les données obtenues dans un contexte assez large pour en prendre toute la mesure (Jackson, 2005 : 49). Il existe une disjonction entre la hiérarchie idéale, énoncée par exemple dans les inscriptions, et la réalité historique bien plus complexe (Jackson, 2005 : 43 ; D. Chase et A. Chase, 1992 : 312 ; Tourtellot, Sabloff et Carmean, 1992), outre les évolutions chronologiques et les disparités locales au niveau des marqueurs d’inégalités sociales (Ames, 2007 : 503 ; Kowalewski, Feinman et Finsten, 1992 : 274 ; Tourtellot, Sabloff et Carmean, 1992 : 86-87). Pour pouvoir être valables, les hiérarchies reconstruites et la caractérisation des différentes situations socio-économiques doivent donc s’appuyer sur de vastes bases de données quantifiées (Ames, 2007 : 508 ; Kowalewski, Feinman et Finsten, 1992 : 263) issues de véritables fouilles horizontales extensives et de multiples comparaisons intra-sites (Inomata et Triadan, 2003 : 176 ; Webster et al., 1998 : 338-339). C'est dans cette dynamique

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