• Aucun résultat trouvé

QUESTIONS, CADRES, OPTIONS

2. LES CADRES DE LA RECHERCHE : LE PROJET PETEN NORTE-NAACHTUN, LE SITE ARCHEOLOGIQUE ET SA TRAJECTOIRE

2.4. Situation géographique et contexte socio-politique régional de Naachtun

Naachtun est localisé à quelques kilomètres seulement de la frontière avec le Mexique, dans la région nord-centrale du Petén au Guatemala, au sein du « Biotope Naachtun-Dos Lagunas », lui-même partie de la Réserve de Biosphère Maya (Fig. 3.1 et 3.3). Le site est établi dans une forêt caducifoliée subtropicale humide, au bord de l’un des marais saisonniers façonnant l’environnement. Ce dernier, dénommé El Infierno par les chicleros (exploitants de

gomme naturelle), s’étend vers le nord (Fig. 3.6). Une partie de ce marais est pérenne avec de fortes variations annuelles (Fig. 3.4a) ; il est possible qu’à l’époque préhispanique le lac saisonnier ait couvert plus de 200 hectares. Un marais de moindre importance limite l’établissement humain au sud (Castanet et al., 2015 ; Morales-Aguilar, 2012a). La région est

caractérisée par des précipitations moyennes annuelles de 1500 mm (minimum de 1000 mm et maximum de 1800 mm) montrant de très fortes variations, avec des pics en juin et septembre, ainsi que des tempêtes et des ouragans entre août et novembre. Le paysage aux alentours du site est relativement plat avec des pentes inférieures à 15% et des élévations ne dépassant pas les 30 m au-dessus du niveau du grand marais septentrional. D’un point de vue géomorphologique, les sols n’excèdent pas les 20-30 cm d’épaisseur sur les hauteurs et sont recouverts d’une végétation alternant des zones de feuillus semi-denses avec des secteurs de forêt basse, siège d’une biodiversité très importante (Fig. 3.4), tant au niveau botanique que faunistique (Castanet et al., 2015 ; Morales-Aguilar, 2012a).

144

Naachtun se trouve donc au nord du Petén, au cœur des Basses Terres Centrales mayas, dans une position géopolitique qui a beaucoup influencé son développement. En effet, le site est situé en limite est du bassin de Mirador, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de El Mirador, mais également dans une position intermédiaire entre les deux supra-capitales rivales du Classique, à savoir Tikal, localisée à environ 60 km au sud, et Calakmul, établie à 30 km au nord (Fig. 3.5). Dans cette zone du Petén nord, Naachtun joua un rôle de capitale régionale, ce dont témoignent l’étendue de son emprise et le volume de ses ensembles architecturaux monumentaux, ainsi que le nombre élevé de monuments : 66 stèles et autels, dont 35 au moins sont porteurs d’inscriptions.

La microrégion de Naachtun, dans un rayon de quelques kilomètres aux alentours du site, comporte plusieurs établissements mineurs mal connus (Fig. 3.6). Naachtun Este se trouve à moins d’un kilomètre des dernières unités de la Zone Nord-Est de l’épicentre du site (Fig. 3.7). Construit au sommet d’une colline, le site est constitué d’une dizaine de structures organisées autour d’une place unique dotée de quatre stèles (dont trois avec des restes d’inscriptions) et un autel, datant probablement du Classique récent. Ce groupe excentré, dénué d’architecture monumentale, serait à relier aux bouleversements politiques que connut le site à la fin du Classique récent (Cases et Lacadena, 2014 ; Michelet et al., 2013). El Juilín,

se trouve à 6,5 km au sud-est de Naachtun (Fig. 3.6). Il se compose d’au moins deux groupes de structures, dont l’un organisé autour de deux places, et d’une aguada située à environ 500

m des monticules. Une stèle qui figure une représentation d’un personnage en pied et une série de glyphes, ainsi qu’une autre stèle et un autel, ont été découverts dans le groupe incluant les places. Le monument sculpté présente une iconographie et une inscription indiquant une date d’érection comprise entre 376 et 416 apr. J.-C., qu’il faut rapprocher d’autres stèles datées de 396 apr. J.-C. et localisées aux alentours, à Candzibaantun (Fig. 3.6) et à Balakbal (Fig. 3.5) (Morales-Aguilar, Cases et Lacadena, 2014).

Vis-à-vis du « Bassin de Mirador », Naachtun se trouve à la limite nord-est de cette vaste région dominée par la cité d’El Mirador (Fig. 3.3 et 3.5), avec laquelle le site montre de nombreux indices d’interactions culturelles, perceptibles notamment dans le mobilier céramique (D. Forsyth, com. perso. 2012), mais également de singuliers décalages temporels dans son développement. En effet, le Bassin de Mirador fut occupé dès le Préclassique moyen et connut un formidable développement au Préclassique récent caractérisé par une architecture politico-cérémonielle aux dimensions colossales dans des cités comme El Mirador, Nakbe, Tintal, Wakna, La Florida ou Pacaya (Forsyth, 2006 : 500). Puis l’ensemble des sites semble n’avoir plus été occupé que de manière partielle et aucune construction d’ampleur ne fut plus

145

entreprise au Préclassique terminal (Ibid. : 500-501). Cette période est généralement identifiée

comme la « crise de 150 apr. J.-C. ». Les raisons n’en sont pas encore bien définies, mais il semble que des problèmes de déforestation et d’érosion des sols liés à l’essor démographique de la période précédente en aient été l’une des composantes (Dunning, Beach et Luzzadder-Beach, 2012 : 3654 ; Hansen et al., 2002 ; Hansen, Howell et Guenter, 2008).

Au Classique ancien, la région n’était plus que très faiblement peuplée et les rares constructions datées de cette époque ont été localisées dans le site de La Muerta, à quelques kilomètres d’El Mirador (Hansen, Howell et Guenter, 2008: 501). Cette situation contraste fortement avec celle de Naachtun, une cité qui se développa réellement à partir de cette époque. Il est possible d’en inférer que Naachtun a profité de l’effondrement des sites du bassin de Mirador (Morales-Aguilar, Guenter et Hansen, 2013 ; Nondédéo et al., 2013 :

125-127).

Par la suite, la région de Mirador se repeupla peu à peu au cours du Classique récent et de nombreux groupes résidentiels furent construits. Pourtant, l’absence de stèles sculptées, de temples-pyramides ou de grandes places datant de cette époque dans les sites de la région indique que celle-ci resta en marge du développement que connut l’aire maya au Classique récent (Forsyth, 2006 : 501-502 ; Morales-Aguilar, 2010). Certains chercheurs supposent que Naachtun contrôlait alors peut être cette région (Morales-Aguilar, Guenter et Hansen, 2013), mais la quasi absence sur ce site de récipients du type Estilo Codice du Groupe Zacatal (seuls

trois tessons ont été pour l’instant identifiés ; Martinez et Forné, 2014) ne corrobore pas cette hypothèse. En effet, ces céramiques à forte connotation politique, liées en particulier à la dynastie Kaan de Calakmul (Morales-Aguilar, 2010), étaient en partie produites sur des sites

comme Nakbe (Reents-Budet et al., 2011). A l’inverse, des récipients de ce type ont été

découverts dans la cité d’Uxul, clairement affiliée à Calakmul (Grube et Paap, 2008 : 276), ce centre apparaissant alors comme un meilleur candidat pour le contrôle de cette région (Morales-Aguilar, 2013 : 782).

A partir de 800 apr. J.-C., la population du Bassin de Mirador déclina de nouveau et se concentra dans un petit nombre de sites déjà en cours d’abandon comme El Mirador, Nakbe, Tintal, Paixbancito, Civalito Norte et Yaxche (Morales-Aguilar, Guenter et Hansen, 2013). Ces sites présentaient alors une organisation spatiale similaire à celle observée à Naachtun à la même époque, c’est-à-dire que seuls étaient encore occupés quelques groupes résidentiels dispersés et un secteur central où se concentrait une partie importante des habitants (Morales-Aguilar, Guenter et Hansen, 2013 ; Sion, sous presse). L’exemple explicite de ce qu’il faut considérer comme une nette contraction de l’habitat provient du site d’El Mirador où de très

146

nombreuses constructions domestiques furent adossées aux édifices préclassiques 2A8-2 et 3A8-1 sur la plate-forme colossale de La Danta. Ces petites pièces de piètre qualité, édifiées en réutilisant le matériel de construction ancien, étaient toutes accolées les unes aux autres (Allen, 2011 ; Hansen, Howell et Guenter, 2008 ; Morales-Aguilar, Guenter et Hansen, 2013), dans une configuration peu classique proche de celle de la Structure II de Calakmul à la même époque (Braswell et al., 2004: 173-174). Puis la région du Bassin de Mirador fut

apparemment totalement abandonnée aux alentours de 900 apr. J.-C. (Morales-Aguilar, Guenter et Hansen, 2013).

Mais c’est la position géopolitique de Naachtun entre Calakmul au nord et Tikal au sud qui, à l’échelle des Basses Terres Centrales, explique que Naachtun joua un rôle de premier ordre dans l’histoire politique du Nord Petén au Classique en tant que capitale régionale située entre ces deux entités rivales très puissantes (Fig. 3.5). Les données épigraphiques récentes obtenues à Naachtun identifient la cité comme un acteur majeur des bouleversements politiques locaux, tant au Classique ancien qu’au Classique récent (Cases et Lacadena, 2015).

De fait, pour la période du Classique ancien, les inscriptions des Stèles 23 et 24 de Naachtun permettent d’affirmer que la cité était une alliée de Teotihuacan (Cases et Lacadena, 2015), la grande cité mexicaine qui dominait l’ensemble de la Mésoamérique du sud-est selon des modalités encore très peu connues (Martin, 2000 : 104-111 ; Stuart, 2002). Les dirigeants de Naachtun y sont présentés comme des auxiliaires militaires du fameux Siyaj K’ahk’,

capitaine teotihuacano qui instaura un nouvel ordre politique aux Basses Terres Centrales

(Cases et Lacadena, 2015). En 378 apr. J.-C., une expédition militaire menée avec des alliés

mayas aurait permis à Siyaj K’ahk’ de mettre en place de nouvelles dynasties à Tikal et à

Uaxactun, après l’exécution des dirigeants et le mariage de dignitaires teotihuacanos avec des

princesses mayas (Martin et Grube, 2000 : 29-31 ; Stuart, 2002). D’autres cités comme Bejucal (en 381 apr. J.-C.), Río Azul (en 393 apr. J.-C.) ou Copán (en 426 apr. J.-C.) connurent l’intronisation de dirigeants se déclarant subordonnés de Siyaj K’ahk’ ou évoquant

des liens de parenté avec ce dignitaire mexicain (Martin et Grube, 2000 : 29-31 ; 193 ; Stuart, 2002). Les données épigraphiques de Naachtun attestent d’une alliance avec Teotihuacan. Il devait donc exister des liens forts entre Naachtun et le Mexique Central, avec certainement des implications commerciales. Mais des liens étroits devaient également exister avec la nouvelle dynastie régnante de Tikal, ce que suggèrent les données archéologiques, en particulier la céramique (Patiño, 2015) et le dynamisme constructif du site au Classique ancien (voir plus avant).

147

Le déchiffrement des inscriptions de Naachtun a également fourni des informations quant aux relations de la cité avec Calakmul pendant le Classique. Précisons d’abord que les textes des Stèles 23 et 24 déjà mentionnées, portant les dates 361, 363 et 378, confirment en effet que Naachtun fut le siège du pouvoir de la dynastie Suutz’ durant au moins la seconde

moitié du IVème siècle apr. J.-C. (Cases et Lacadena, 2015). Le glyphe-emblème associé à cette dynastie, notamment composé d’un glyphe représentant une tête de chauve-souris, a également été repéré pour le Classique ancien sur le site de Balakbal (Stèle 5 : 396 apr. J.-C. ; Grube, 2005 : 99-100) et surtout à Calakmul (Fig. 3.5) sur un monument antérieur à l’installation de la dynastie Kaan dans cette cité (Stèle 114 : 435 apr. J.-C. Grube, 2005 :

97-99 ; Martin, 2005 : 9-10). Il est intéressant de noter que les inscriptions du Classique récent associent souvent le glyphe de la dynastie Suutz’ et le titre kalom’te’, l’un des titres politiques

les plus élevés de l’aire maya classique (Grube, 2005 : 100). De telles inscriptions ont été identifiées pour cette époque sur des monuments de Calakmul et de cités satellites, pour des dates antérieures ou postérieures à la présence ou la domination politique de la dynastie Kaan.

Les cas les plus anciens pour le Classique récent correspondent à des textes déchiffrés sur les Stèles 2 et 3 de Uxul, avec la date de 632 apr. J.-C. (Grube, 2005 : 99 ; Grube et Paap, 2008 : 270 ; Grube et al., 2012 : 20-21), alors que cette cité ne sera réellement sous domination totale

de Calakmul et des Kaan qu’à partir du règne de Yuknoom Ch’een II (636-686 apr. J.-C. ;

Grube et al., 2012 : 23). Les mentions se multiplient dans la seconde moitié du VIIIème

siècle, alors que la dynastie Kaan disparaît des registres épigraphiques à partir de 736, suite à sa

débâcle face à Tikal en 695 et les défaites successives de ses alliés, (Martin, 2005 : 11-12 ; Martin et Grube, 2000 : 114-115). En revanche à cette période, Naachtun connaît des changements majeurs. Le glyphe-emblème Suutz’ réapparaît sur au moins deux monuments

de Calakmul, les stèles 59 et 62 datées de 751 (Grube, 2005 : 97-99 ; Martin, 2005 : 9-10), ainsi que sur un autre de la cité d’Oxpemul (Stèle 2 : 771 apr. J.-C.) en limite de la région Río Bec (Grube, 2005 : 97). A El Perú-Waka’ (Fig. 3.5), ancienne alliée de Calakmul, le

glyphe-emblème Suutz’ apparaît sur le Stèle 32 (790 apr. J.-C.) où il est associé au nom de Pakal, une étrangère de très haut rang qui arriva sur le site en 771 apr. J.-C. (Guenter, 2005 :

374-375).

Les données épigraphiques confirment donc qu’il existe une relation étroite entre Naachtun et Calakmul, par l’intermédiaire de la dynastie Suutz’ qui semble avoir été en

concurrence directe avec la dynastie Kaan tout au long du Classique. Ces liens avec Calakmul

sont notamment perceptibles dans l’organisation spatiale de certains secteurs du site — dont les résidences du Groupe B — et dans les monuments (paire de stèles avec le couple de

148

dirigeants face à face (Grube et al., 2012 : 21), iconographie…). Des liens tout aussi tangibles

semblent exister avec la cité d’Oxpemul et la région Río Bec toutes proches (Nondédéo et al.,

2010 : 54), par exemple des techniques de construction dans l’architecture monumentale comme le Soubassement 6O-4 (voir Chap. 5).

A partir du début du IXème siècle, la plupart des cités des Basses Terres Centrales, à l’image du Bassin de Mirador, connurent une baisse significative de population, avant d’être abandonnées définitivement au cours du Xème siècle. Cette crise démographique affecta en particulier des cités et leurs périphéries rurales comme Tikal et Uaxactún (Valdés et Fahsen, 2004 : 158), ou Calakmul (Braswell et al., 2004 : 188). Celles-ci virent le nombre de leurs

habitants décroitre de plus de 80%, ces derniers se regroupant alors dans les épicentres et près des réserves d’eau (Braswell et al., 2004 : 188-189 ; Valdés et Fahsen, 2004 : 151). Ce

phénomène n’épargna pas Naachtun. Cette dynamique eut sur les cités satellites de ces grands centres politiques des conséquences contrastées: à Uxul, très liée à Calakmul, le déclin de cette grande cité entraîna un début d’abandon dès 750 apr. J.-C. (Grube et al., 2012 : 37),

alors que La Corona, bien que déjà sur le déclin, continua d’être occupée jusque durant le Classique terminal (Ponce, 2013). A l’inverse, des sites comme Oxpemul et La Muñeca dans les environs de Calakmul (Braswell et al., 2004 : 180 ; Martin et Grube, 2000 : 115), ou Ixlu

et Jimbal près de Tikal (Martin et Grube, 2000 : 52-53), virent leurs élites ériger leurs propres stèles au cours du IXème siècle (Aimers, 2007 : 235-236).

De fait, cette période vit aussi, pour une durée limitée, certains sites atteindre leur apogée démographique, comme El Perú-Waka’ (Eppich, 2011 : 40-43) et La Joyanca

(Arnauld et Forné, 2004 : 35-36) localisés à l’ouest du Petén, voire leur apogée politique

comme Nakum situé sur les bords du fleuve Holmul (Źrałka et Hermes, 2012). Nakum conservait son régime politique d’un k’uhul ajaw, à l’image de Tikal ou Calakmul (Braswell et al., 2004 : 180 ; Valdés et Fahsen, 2004 : 150). En revanche de nombreux sites tels

Naachtun, Caracol (Chase et Chase, 2015 : 48), Yaxha ou Holmul (Źrałka, 2008 : 210) étaient, quant à eux, gouvernés selon d’autres modalités socio-politiques, sans pouvoir de type dynastique.

En dépit des aptitudes d’adaptation des populations, le nord des Basses Terres Centrales fut peu à peu déserté, nonobstant certains épisodes de réoccupation par des groupes en provenance de la zone Puuc à Río Azul (Adams et al., 2004 : 339) ou de la région lacs du

Petén Central à Tikal (Culbert, 2003 : 63). Aux alentours de 1000 apr. J.-C., les cités étaient très peu peuplées, voire désertes. Au Postclassique, elles reçurent des visites sporadiques comme l’indique la présence d’encensoirs du type Chen-Mul Modelado découverts en

149

surface, par exemple à Naachtun (Walker et Reese-Taylor, 2012 : 68) ou à Calakmul (Braswell et al., 2004 : 177).