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ANTECEDENTS ET CADRE THEORIQUE

1. LES MODES D’ORGANISATION DES SOCIETES MAYAS AU CLASSIQUE Bien que fondamentalement agraires, les sociétés mayas des Basses Terres de la période Bien que fondamentalement agraires, les sociétés mayas des Basses Terres de la période

1.2. Subsistance, production et échanges au Classique

A l’image des modes d’organisation socio-politique qui régissaient les sociétés mayas classiques, le fonctionnement de leur économie reste pour le moment très discuté et il est difficile de proposer un modèle unique pour l’ensemble des Basses Terres du fait de la diversité qui les caractérise (Lemonnier, 2009 : 87). De fait, tout indique qu’il existait une grande variété de situations selon les types de production, la nature des communautés ou encore l’accès à des ressources particulières de ces dernières. Cette variabilité concernait également le rôle que les groupes nobles et la royauté jouaient au sein de la sphère économique, l’hypothèse première étant que les systèmes d’échanges étaient en partie l’objet de contrats passés à l’intérieur de chacun des groupes sociaux (« maisons ») et entre ces derniers. Pour le moment, les interprétations sont limitées notamment par le peu de données

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disponibles sur les modes de production et de distribution des artefacts manufacturés les plus abondants (récipients céramiques, outils bifaciaux en silex…). Cela est dû à la rareté des fouilles réalisées dans des ateliers, souvent localisés dans des secteurs éloignés des épicentres des cités, très peu explorés du point de vue archéologique (Andrieu, 2009a : 393 ; 2013 : 21), ainsi qu’au petit nombre d’études quantitatives, indispensables aux comparaisons (Andrieu et Sion, sous presse ; Masson et Freidel, 2012 : 478).

1.2.1. Agriculture, productions domestiques, ateliers et marchés

Il est admis qu’au cours du Classique la base du système productif et de stockage, mais aussi de distribution des biens, était localisée au niveau des unités domestiques élémentaires et des quartiers (Hendon, 1991 ; 1996 ; 2000 ; Lemonnier, 2011 : 8-9 ; Sheets, 2000 : 228), comme cela est avéré dans toute la Mésoamérique (Hayden et Cannon, 1982 ; Hirth, 2009 ; Santley et Hirth, 1993). Néanmoins, les données recueillies tendent à démontrer qu’il existait également de véritables ateliers de production ainsi que des marchés.

1.2.1.1. La production

Les Mayas de la période classique se présentaient avant tout comme une société agraire qui reposait sur l’existence d’un système d’exploitation agricole intensive, au sein et aux abords immédiats des zones résidentielles, et extensive, avec la culture, dans des champs éloignés des établissements, de milpas (champs de maïs cultivés sur brûlis après essartage)

(Lemonnier, 2009 : 30-31). Les unités d’habitat correspondaient de fait à des unités de production agricole (D. Chase et A. Chase, 2014a : 245 ; Lemonnier, 2011 : 36). En outre, la préparation quotidienne des repas, ainsi que la collecte et le stockage des aliments, correspondent à des activités qui ont été identifiées dans la grande majorité des unités d’habitat, quel que soit leur rang socio-économique, ce qui laisse supposer une certaine autonomie alimentaire de ces dernières (Hendon, 1991 : 904 ; Sheets, 2000 : 224 ; Sion, 2010 ; Smith, 1987 : 309-310 ; Triadan, 2000). Ceci s’appliquait bien sûr aux communautés rurales (Robin, 2002 ; Sheets, 2000), mais également aux centres urbains où l’on suppose que l’usage des terres agricoles et des ressources naturelles fondait le pouvoir socio-économique des groupes nobles sur des familles de rangs inférieurs socialement liées et redevables de travaux agricoles (Carmean, 1991 : 163-164 ; Lemonnier, 2009 : 93-95 ; 2011 : 36 ; Sanders, 1989 : 99 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 188-189). Par contre, il existe peu d’indices d’une implication directe des souverains dans la gestion de la production agricole, exception

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faite de quelques exemples où la densité de population et la nécessité de réaliser des aménagements de grande ampleur (réseaux d’irrigation, vastes systèmes de terrasses…) a dû impliquer une impulsion du pouvoir (Demarest, 2013b : 25), comme à Caracol (A. Chase et D. Chase, 1996b : 808).

Il apparaît qu’un certain nombre de productions domestiques étaient directement réalisées au sein de ces unités d’habitat, comme cela est notamment attesté pour l’outillage en silex sur éclat (Andrieu, 2009a : 73). Ces unités familiales étaient également souvent le siège de productions plus « spécialisées » : il s’agissait de productions de biens non destinés à leur consommation propre mais à « celle des autres » (Costin, 2007 : 150, cité dans Andrieu, 2013 : 22), échangés dans leur groupe social d’appartenance ou en dehors, sans restrictions de quantités, d’échelle ou de mode de réalisation (Andrieu, 2013 : 22). De grandes disparités existaient entre les unités d’habitat quant à la nature de ces productions (D. Chase et A. Chase, 2014a : 245 ; Sheets, 2000) réalisées sous la forme d’un artisanat à « temps partiel » ou « intermittent » au cours de l’année (Hirth, 2009 : 21-22 ; Inomata et Triadan, 2000 : 62-63 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 87-93). Celles-ci reflétaient les stratégies économiques de chacune des unités pour assurer son développement économique selon ses propres ressources (Hirth, 2009 : 18-19). Ces productions ont été repérées à l’intérieur des espaces résidentiels (Hendon, 1991 : 904) et, dans la plupart des cas, identifiées comme des activités à petite échelle comprenant le travail de l’os et des coquillages (Emery et Aoyama, 2007 ; Widmer, 2009), le filage/tissage de coton et de fibres comme l’agave (Chase et al., 2008 ;

Halperin, 2008 ; Sheets, 2000 : 226) ou la fabrication de papier (McAnany, 2010 : 122-123). Mais les fouilles effectuées dans certains groupes, souvent modestes et pas tous de nature résidentielle, ou dans les secteurs situés en dehors des épicentres, ont aussi permis de localiser de véritables ateliers, c’est-à-dire des lieux de fabrication de grandes quantités d’artefacts (Andrieu, 2013 : 23-24) : récipients céramiques (Becker, 2003 ; López Varela, McAnany et Berry, 2001), figurines en terre cuite (Halperin, 2007 ; Halperin et al., 2009), outillage

lithique en silex (Masson, 2001 ; Shafer et Hester, 1983) et en obsidienne (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 91), matériel de mouture (Longstaffe, 2011 : 182-183 ; Ward, 2013) ou encore tabletterie en os animal (Emery, 2008). Leurs localisations, souvent excentrées, semblent devoir s’expliquer par la proximité de sources des matières premières (e.g. argile, silex) et les

contraintes techniques induites par ces activités, comme les volumes de déchets produits ou la dangerosité des processus de fabrication (e.g. cuisson au feu).

54 1.2.1.2. La distribution locale

En ce qui concerne la distribution des artefacts, notamment ceux issus de productions plus « spécialisées », de nombreuses interrogations demeurent et encore une fois, il semble que selon la nature des biens ou des communautés, différentes modalités d’échange coexistaient (Masson et Freidel, 2012 : 457-458 ; Sheets, 2000). Le type d’échange le plus simple devait prendre la forme d’un troc, c’est-à-dire d’une transaction sporadique entre personnes, sans l’existence d’un média d’échange formel ni d’équivalence de valeur entre les produits au début de la transaction (Feinman et Garraty, 2010 : 171). Ces « échanges horizontaux » (Sheets, 2000) se déroulaient à l’intérieur même des quartiers ou avec des consommateurs d’autres groupes sociaux, voire d’autres communautés, chacune ayant des productions agricoles ou des activités artisanales particulières (céramique domestique, outillage bifacial en silex, matériel de mouture en pierre locale…) selon les ressources disponibles. Cela créait alors des interdépendances économiques entre ces différentes entités (Andrieu, 2013 : 23 ; Mock, 1997). Ce type de réseaux régionaux aurait ainsi permis la création d’un système qui s’adaptait rapidement aux changements sociaux, mais aussi environnementaux, en particulier en contexte semi-tropical où les ressources sont très dispersées (Scarborough et Valdez, 2009 : 211). Il est proposé que les regroupements sociaux du type « maison » étaient du point de vue économique relativement autonomes les uns des autres, et donc qu’un grand nombre d’échanges de biens aient eu lieu à l’intérieur et entre des groupes aux relations sociales privilégiées (Hendon, 1991 ; Lemonnier, 2011 : 19-20 ; Sheets, 2000), certains se spécialisant alors pour fournir les autres familles (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 89). Néanmoins, les modes d’échanges entre les membres de ces entités ne sont pas clairs, notamment entre les groupes nobles et les autres familles socialement dominées (Andrieu, 2013 : 22-23). De plus, les données archéologiques supportent pour l’instant difficilement cette proposition de grande autonomie de chacune des entités dans la mesure où les assemblages mobiliers qui leurs sont associés ne présentent pas de différences majeures dans leur composition (pour le matériel lithique, voir Andrieu, 2009a : 385-386). Ce degré d’homogénéité, qui demeure à évaluer, tend à indiquer que la distribution sur des marchés existait.

Il est en effet aujourd’hui également admis qu’une partie des biens échangés l’était par l’intermédiaire d’un système de place de marché (Andrieu, 2013 ; McAnany, 2010 : 260-264 ; Masson et Freidel, 2013), c’est-à-dire sous la forme d’échanges entre personnes dont la fréquence et le volume exigeaient l’existence de règles, d’échelles de prix et de valeurs

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partagées, ainsi que d’espaces et de moments dédiés (Feinman et Garraty, 2010 : 171). Cela n’implique par contre pas de fréquence régulière des échanges, ni de grande complexité du contexte social (Ibid. : 172). Empiriquement, les places de marché peuvent être identifiés

selon plusieurs approches (Feinman et Garraty, 2010 : 177-178 ; Shaw, 2012) :

- configurations spatiales particulières de bâtiments comportant la présence de « stands » construits, de signatures chimiques distinctives dans les sols et de répartition de micro-artefacts (Cap, 2015 ; Dalhin et al., 2007), analyses qui restent toutefois assez difficiles à

corroborer de manière assurée en raison d’usages alternatifs des espaces ;

- analyses quantitatives des distributions des artefacts échangés à différentes échelles dans la cité ou le quartier, notamment ceux issus d’un commerce à longue distance (Andrieu, 2013 ; Hirth, 1998 ; Masson et Freidel, 2012 ; 2013) : de fait, l’hétérogénéité des lieux de production spécialisée comparée à l’homogénéité de la distribution de certains biens démontre l’interdépendance qui existait entre les unités d’habitat et qui caractérise un système de marché (D. Chase et A. Chase, 2014a : 245 ; Feinman et Garraty, 2010 : 177-178 ; Masson et Freidel, 2012 : 461-462).

Rattachés à des contextes urbains du fait de la « centralité » de ces derniers au sein des réseaux économiques (Hirth, 1998), ces marchés auraient également existé dans des centres secondaires pour permettre aux communautés rurales d’obtenir certaines catégories d’artefacts exogènes (Scarborough et Valdez, 2009 : 211 ; Sheets, 2000 : 228). La présence d’artisans itinérants, c’est-à-dire circulant d’un marché à l’autre pour produire sur demande certains types d’objets, a également pu être déterminée au sein de l’aire maya, au moins dans le cas de feuilles lancéolées en silex brun distribuées selon ce système dans le sud du Campeche (Andrieu, 2013).

Il existait donc plusieurs systèmes de distribution des biens qui coexistaient et évoluèrent au sein des sociétés mayas du Classique : échanges directs entre producteurs ou au sein des entités sociales pour une partie du mobilier domestique, et de même sans doute pour une partie des ressources agricoles, et des productions plus spécialisées, notamment les artefacts en matières premières exogènes, accessibles au plus grand nombre grâce à l’existence de places de marché. Un lien entre ces marchés et les élites est souvent avancé, ces dernières ayant dû jouer un rôle de contrôle et dans la mise en place des relations nécessaires à la création et au maintien de réseaux commerciaux, parfois à longue distance, mais également du fait de la localisation des places de marché dans les centres politiques (Hirth, 1998 ; Sheets, 2000 : 227). De même, les groupes dominants devaient être étroitement associés à la distribution de certains artefacts, souvent d’origine exogène, identifiés comme

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des « biens de prestige » de par leur symbolique particulière, dont la possession et la (re)distribution constituaient des éléments de légitimation des dirigeants (voir plus avant).

1.2.2. Echanges à longue distance et rôle des élites

Au travers des échanges organisés aux échelles locale et régionale, combinés à leurs propres productions, chacun des groupes sociaux mayas avait accès à l’ensemble des biens manufacturés et des ressources nécessaires aux activités domestiques quotidiennes, ce qui leur conférait donc une certaine autonomie (Lucero, 2006 : 285, cité dans Masson et Freidel, 2012 : 476). Pourtant, les analyses des assemblages mobiliers montrent clairement qu’une partie des biens des unités d’habitat étudiées, et cela quelle que soit leur position socio-économique, était le fruit d’échanges à longue distance (Masson et Freidel, 2012 ; Sheets, 2000). Et cela alors même que des productions locales (e.g. céramique, matériel de mouture)

(Sheets, 2000 : 220) ou des matières premières équivalentes (silex versus obsidienne)

(Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 88) étaient disponibles. Il apparaît donc que la plupart de

ces échanges n’avaient pas de justifications uniquement économiques. La plupart des biens échangés représentaient en effet des équivalents exogènes à des artefacts disponibles localement, ainsi que du mobilier non utilitaire comme des ornements (biens de prestige), liés aux stratégies de légitimation des groupes dominants (Demarest, 2013b : 24). Ces derniers devaient donc contrôler, en partie au moins, ces échanges longue-distance dont l’existence même impliquait d’établir et de maintenir des relations sociales entre ces élites et d’autres groupes éloignés (Hirth, 1992 : 19 ; Smith, 1987 : 320).

1.2.2.1. Mobilier exogène et échanges à longue distance

Le mobilier exogène obtenu par des échanges à longue distance représentait une part non négligeable des assemblages matériels des unités d’habitat de tous les rangs socio-économiques, et cela qu’on soit en contexte urbain (exemple de Tikal et Copan : Masson et Freidel, 2012 ; Webster, Gonlin et Sheets, 1997 : 56-57) ou rural (exemple de Cerén de la Joya : Sheets, 2000 ; Webster, Gonlin et Sheets, 1997 ). Les biens exogènes d’usage quotidien ainsi échangés prenaient alors majoritairement la forme de récipients céramiques, de lames prismatiques d’obsidienne, de matériel de mouture (meules et molettes en basalte, andésite, ou granite), et d’outils pour le travail du bois et de la pierre (haches et herminettes en roches métamorphiques). Mais ces éléments ne correspondent qu’aux biens importés facilement identifiables et détectables du point de vue archéologique, tandis que les productions agricoles

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ou le sel, certainement aussi échangés (Woodfill et al., 2015), laissaient peu de traces. Même

les volumes d’obsidienne, relativement peu importants rapportés aux populations concernées, laissent à penser qu’ils ne témoignent que d’une petite partie des échanges réalisés (Andrieu et Sion, sous presse ; Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 90).

On l’a vu, la grande homogénéité observée au niveau de la répartition des biens utilitaires exogènes à l’intérieur des unités d’habitat de chacune des cités induit l’existence de places de marché qui est l’unique mode de distribution ayant pu permettre une diffusion de telles quantités et d’une telle diversité de mobilier (Hirth, 1998 ; Masson et Freidel, 2012 : 461-462). Mais on observe tout de même de grandes disparités entre les assemblages mobiliers de cités géographiquement proches et d’importance équivalente. Elles concernent essentiellement les quantités de certains types de matériel importé, comme des types céramiques ou des matières premières. C’est le cas pour l’obsidienne : quand on compare les volumes d’outils et de déchets de production retrouvés à Tikal et à Calakmul (Andrieu, 2009a) ou à Chunchucmil et dans des cités environnantes comme Edzna (Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 87-88), des différences significatives apparaissent (Fig. 1.1). Ces observations impliquent que ces cités (et donc les marchés qui en dépendaient) avaient un accès différencié à certains réseaux d’échanges et à certaines ressources et suggèrent donc l’existence d’une interdépendance économique entre les communautés dont certaines jouaient le rôle de centre régional de redistribution, à l’image de Cancuen (Demarest et al., 2014 : 203-204) ou de

Chunchucmil (Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 87-88), cités dotées de facilités portuaires . Ces différences d’accès apparaissent de plus en plus clairement comme étant les conséquences de décisions stratégiques des dirigeants de ces cités et des relations établies par ces derniers afin de se garantir un accès à certaines ressources (Demarest, 2013b : 24 ; Forné, Andrieu et Demarest, 2014 : 46). C’est ce qui est proposé pour expliquer les ambitions de la dynastie Kaan qui régnait sur Calakmul et qui multiplia les alliances et les conquêtes à l’ouest

des Basses Terres au VIIème siècle, afin de sécuriser une route d’approvisionnement depuis les Hautes Terres (Canuto et Barrientos, 2013 ; Freidel et al., 2007) concurrente de celle

organisée par Tikal autour du fleuve Pasión au Classique ancien (Woodfill et Andrieu, 2012) (Fig. 1.1). De même, il apparaît que les dirigeants de Cancuen établirent de nouvelles routes commerciales avec l’ouest de l’aire maya et le Veracruz dans la seconde moitié du VIIIème siècle afin de remplacer les anciens réseaux d’échanges très perturbés par la dégradation du contexte politico-militaire sur les rives des fleuves Pasión et Usumacinta (Demarest et al.,

2014 : 193 ; Forné, Andrieu et Demarest, 2014 ; Golden et al., 2012). L’implication des élites

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d’usage courant apparaît donc nécessaire, sans pour autant que cela ne présuppose l’existence d’un pouvoir fortement centralisé, comme le montre l’exemple de l’obsidienne accessible à longue distance malgré l’absence de royauté dans des communautés comme celles de Río Bec (Andrieu, 2009a) ou de Chunchucmil (Hutson, Dalhin et Mazeau, 2010 : 95). De même, la distribution de ces biens par l’intermédiaire des marchés, avec des lieux dédiés et l’existence de règles, implique la présence d’une autorité reconnue, soit royale, soit noble (et donc décentralisée), garantissant le bon déroulement des opérations commerciales (Ibid.). Mais

certaines données montrent qu’il devait également exister des réseaux secondaires, comme celui de distribution de l’obsidienne de San Martin Jilotepeque (Fig. 1.1) dans les zones rurales au cours du Classique (Andrieu, 2009a : 190), dont les modalités d’organisation sont encore inconnues.

Il semble donc qu’une certaine flexibilité caractérisait également la distribution des biens exogènes d’usage domestique — mais les données disponibles concernent surtout l’obsidienne — au cours de la période classique, selon des modalités qui variaient dans les communautés, avec des disparités perceptibles en fonction de leur organisation socio-politique ou de leur localisation géographique (Andrieu, 2009a : 391-392). Néanmoins, les échanges, et parfois la production, des biens de prestige semblent avoir été, quant à eux, contrôlés par les groupes dominants de manière beaucoup plus significative (Demarest, 2013b).

1.2.2.2. Biens de prestige, tributs, redistribution, banquets et idéologie

Les échanges à longue distance entre les différentes cités n’étaient donc pas seulement fonction de la distribution géographique des ressources mais reflétaient également des contextes politiques particuliers, notamment de systèmes d’alliances sociales à grande distance et de soumission politique de certaines entités à d’autres (Grube et Martin, 2000 : 157). Les mouvements de biens pouvaient alors prendre diverses formes, dont celle de tributs remis aux membres de l’élite dominante par des groupes subordonnés, un système bien connu en Mésoamérique notamment pour la période aztèque (Gutiérrez, 2013), mais qui reste très mal compris pour la période classique dans l’aire maya bien qu’attesté dans les inscriptions et l’iconographie (Lacadena, 2008 ; McAnany, 2013 ; Tokovinine et Beliaev, 2013). De fait, les quantités de biens, ainsi que leurs modalités de redistribution, ne sont pas connues, pas plus que la nature exacte des marchandises concernées, même s’il est souvent admis qu’une partie des biens de prestige ou des matières premières nécessaires à leur réalisation était ainsi

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obtenue par les groupes nobles (McAnany, 2013). Ces artefacts étaient aussi sans doute acquis et redistribués au travers de l’organisation par les élites de commensalités, c’est-à-dire d’évènements du type « banquet » ou « festin » au cours desquels elles échangeaient des présents avec des groupes alliés et redistribuaient une partie de leurs surplus à leurs affiliés (Hirth, 1996 : 217 ; LeCount, 2001 : 935). Ces manifestations auraient alors trouvé leur légitimité dans le fait qu’elles permettaient de renforcer les liens sociaux qui existaient entre les différents groupes, tout en marquant bien la hiérarchisation sociale en place, du fait des cérémonies de reconnaissance de statuts et des accumulations de biens comme de nourriture nécessaires à leur tenue (Hendon, 2003 : 205-207 ; LeCount, 2001 : 938 ; McAnany, 2010 : 132). Les liens de dépendance étaient entérinés, mais d’autres étaient ainsi créés, tels que décrits par M. Godelier :

« Donner semble instituer simultanément un double rapport entre celui qui donne et celui qui reçoit. Un rapport de solidarité, puisque celui qui donne partage ce qu’il a, voire ce qu’il est, avec celui à qui il donne, et un rapport de supériorité puisque celui qui reçoit le don et l’accepte se met en dette vis-à-vis de celui qui a donné. Par cette dette il devient son obligé, et donc se retrouve jusqu’à un certain point sous sa dépendance, du moins pour le temps où il n’aura pas “rendu”ce qu’on lui a donné. » (Godelier, 1996 : 21).

Ces évènements produisaient donc des processus de compétition entre factions et de remise en cause de l’ordre établi (Hendon, 2003 : 226-227 ; LeCount, 2001 : 936 ; Plourde, 2009 : 273), quand s’exprimait une volonté de donner ou rendre afin de montrer ses capacités d’accumulation et de redistribution (Godelier, 2004 : 148). Ces modes de redistribution correspondaient, semble-t-il, aux moyens privilégiés pour l’acquisition et la distribution des biens de prestige, mais ils étaient par contre inadaptés à une très large diffusion de biens d’usage domestique et alimentaire quotidien, y compris ceux obtenus au moyen d’échanges à longue distance (Masson et Freidel, 2012 : 457 ; Stanton et Gallareta Negrón, 2001 : 133).

De fait, il s’agit des modes d’échanges dont la portée sociale était plus signifiante que l’importance économique pour les élites, définis comme des échanges non marchands par Testart (2001), car ils conditionnaient les relations entre les groupes et leurs interdépendances à l’échelle interrégionale comme au sein de la communauté (Godelier, 1996 : 142 ; Hirth, 1992 : 19 ; LeCount, 1999 : 240-241). De plus, ces échanges monopolisés par les élites concernaient avant tout les biens de prestige, c’est-à-dire des artefacts « non utilitaires » pour les activités quotidiennes, porteurs d’une grande valeur mercantile et symbolique (LeCount,

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1999 : 222), mais qui ne représentaient qu’une part infime des assemblages mobiliers (Masson et Freidel, 2012 : 457-458). Les dirigeants les utilisaient pour marquer leur différence vis-à-vis des autres groupes sociaux, notamment par leur accumulation (Demarest, 2013a : 374 ; Goldelier, 1996 : 222 ; Plourde, 2009 : 271 ; Rice, 2009 : 72). Dans les faits, ces biens de prestige se présentaient le plus souvent comme des objets réalisés en matières