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ANTECEDENTS ET CADRE THEORIQUE

2. CARACTERISATION SOCIO-ECONOMIQUE DES UNITES D’HABITAT DANS LES COMMUNAUTES MAYAS CLASSIQUES LES COMMUNAUTES MAYAS CLASSIQUES

2.2. Caractérisation archéologique des élites

Sur le plan archéologique, identifier les positions politiques et socio-économiques des différents groupes qui vivaient dans les Basses Terres mayas à la fin de la période classique implique donc l’étude du mobilier, des résidences, des dynamiques socio-économiques et du contexte chrono-culturel propres à chacune des communautés dans les cités urbaines. De fait, c’est le croisement de l’ensemble de ces données qui permet de déterminer les marqueurs d’inégalités sociales et d’identifier non seulement des différences socio-économiques, en particulier celles qui distinguent les élites, mais même, parfois, les statuts socio-politiques.

2.2.1. Etude de l’architecture domestique et des dynamiques constructives

Comme souvent en ce qui concerne les sociétés agraires, la caractérisation du niveau de prospérité de la population d’une cité passe d’abord par l’étude de l’architecture domestique. En effet, l’analyse des investissements consentis pour la construction de ces résidences permet de quantifier les capacités de mobilisation de main-d’œuvre et de matériaux des groupes constructeurs, et contribue donc à la définition de leurs positions socio-économiques au sein de la communauté (Abrams, 1998 : 127 ; Carmean, 1991 : 156-157 ; Eppich, 2011 : 275 ; Hirth, 1993 : 123-124 ; Wilk, 1983 : 108). Les différences observées quant à la localisation dans la cité par rapport aux monuments publics, aux surfaces construites, à la nature des aménagements (e.g. soubassements, banquettes), à la qualité de la

réalisation et des matériaux ou encore aux programmes décoratifs, sont autant de critères permettant de hiérarchiser les unités d’habitat entre elles et donc de différencier socialement et économiquement ceux qui y vivaient (Ames, 2007 : 508 ; Carballo, 2009 : 495 ; Hirth, 1993 : 133 ; Olson, 2001 : 83-85 ; Palka, 1997 : 293 ; Smith, 1987 : 301). C’est particulièrement le cas des groupes dominants qui voulaient marquer de manière durable leur environnement par le biais de l’édification de certaines structures, dans leur volonté d’exhiber leur position privilégiée et leur statut particulier (Olson, 2001 : 18). De plus, au sein des regroupements sociaux du type « maison », la résidence principale du groupe était considérée, sinon comme la source du pouvoir politique, au moins comme son ancrage territorial de par ses qualités exceptionnelles, dont la présence de sépultures d’ancêtres (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 471-472 ; Gillespie, 2000b : 475-476 ; Lemonnier, 2009 : 89 ; McAnany, 1995). L’attention particulière portée aux lieux de vie des groupes nobles en tant que sièges de l’autorité au sein des différentes entités sociales, entraînait également la réalisation d’aménagements spécifiques en lien avec certaines pratiques particulières, comme la

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réception de dignitaires ou des banquets (Jackson, 2005 : 50). Cela impliquait par exemple la création de « scènes de réception », renforcées par la présence de programmes sculptés et de textes qui fournissaient un véritable discours sur l’identité de la maison (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 482 ; Demarest et al., 2003 ; Hendon, 2009a : 116).

L’architecture domestique est de ce fait considérée comme l’un des meilleurs marqueurs socio-économiques et politiques pour les sociétés mayas classiques (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 182-183). En outre, la dynamique architecturale permet de préciser l'évolution statutaire de ces groupes car les agrandissements et les rénovations sont également perçus comme des signes de développement du groupe, d’un point de vue économique et démographique (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 : 474 ; Lemonnier, 2009 : 89-90 ; 2011 : 19-20). En effet, au-delà des caractéristiques proprement architecturales, ces résidences reflétaient des dynamiques propres à chacune des entités sociales, notamment au travers de la distribution spatiale des bâtiments et des modifications les affectant (expansion, agrandissement, contraction, abandon partiel) (Arnauld, Michelet et Nondédéo, 2013 ; Haviland, 1988 ; Hendon, 1991 ; Lemonnier, 2011). Les transformations architecturales qui avaient lieu au sein des quartiers étaient le reflet des évolutions sociales de chacune des « maisons ». Ainsi, les principales factions politiques marquaient leur réussite et leur domination par l’intégration d’espaces publics au sein de leurs unités d’habitat (Bazy, 2013 : 29-31). Un autre exemple de l’importance des dynamiques constructives concerne la longévité d’une occupation résidentielle, signe de stabilité du groupe occupant. Elle était un paramètre primordial dans une société agraire où l’abandon d’une résidence construite en dur impliquait souvent une reprise de mobilité, la perte des terres agricoles aménagées qui lui étaient liées, donc la privation du pouvoir socio-économique que les droits sur ces espaces conféraient et une perte du statut lié à la maison (Michelet et Arnauld, 2006 : 67 ; Wilk, 1983 : 108). Néanmoins, il faut garder à l’esprit que les différences observées dans les investissements architecturaux peuvent avoir diverses origines, celles liées bien sûr aux différences de rang social ou de niveau de richesse (Inomata et Triadan, 2003 : 176), mais également celles liées à des particularismes régionaux (Tourtellot, Sabloff et Carmean, 1992) ou à des dynamiques d’occupation particulières. En effet, d’une part il est possible d’imaginer que les habitants d’un complexe architectural particulier, à une période donnée, aient été les héritiers des édifices sans qu’eux-mêmes aient conservé les capacités de mobilisation nécessaires à leur entretien (Inomata et Triadan, 2003 : 157). D’autre part, l’absence d’investissement dans des projets architecturaux de la part de certains groupes n’implique pas forcément un défaut de capacités socio-économiques de ces derniers car ceux-ci pouvaient

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avoir choisi d’investir leurs richesses et leurs alliances dans d’autres activités et sous d’autres formes (Eppich, 2011 : 277 ; Inomata et Triadan, 2003 : 158 ; Smith, 1987 : 307), entre autres les échanges mercantiles. Une dynamique spécifique au Classique terminal est sensible dans les Basses Terres mayas à ce sujet, particulièrement à Naachtun.

2.2.2. Etudes du mobilier

Il est admis que les assemblages mobiliers associés aux résidences reflètent les ressources que contrôlait chacune des unités d’habitat (Hirth, 1993 : 123-124 ; Smith, 1987 : 302), les pratiques particulières à chacun des groupes (Jackson, 2005 : 50), ainsi que leurs capacités et dynamiques économiques propres (Carballo, 2009 ; Hirth, 2009 : 18-19 ; Olson, 2001). De fait, les unités d’habitat élémentaires correspondaient à l’échelle de base d’une grande partie de la production économique des Mayas de la période classique, à l’image du reste de la Mésoamérique. Le mobilier archéologique reflète les activités pratiquées en leur sein, parfois directement dans le cas de concentrations d’artefacts particuliers ou de déchets in situ et de facto (Chase et Chase, 2000 ; Hendon, 1991 ; Hirth, 1993). La diversité des biens est

considérée en soi comme le signe d’une complexité dans l’organisation interne du groupe, ce qui est un bon marqueur socio-économique (Ames, 2007 : 508 ; Hirth, 1993 : 123). Elle permet également d’illustrer les stratégies économiques mises en place au niveau de chacune des unités (Hirth, 2009 : 22), au moyen de la production de biens destinés à être échangés par le biais de réseaux à longue distance par exemple (Hoggarth, 2012 : 27 ; Masson, 2002). Ces échanges, perceptibles par la présence dans les assemblages d’artefacts importés, prouvent, quant à eux, les capacités des groupes à établir des connexions et à maintenir des réseaux sociaux à l’extérieur de leur communauté, cela afin d’acquérir des biens et des matériaux exogènes grâce à des alliances qui impliquaient des contreparties (Godelier, 2004 : 146-147 ; Helms, 1993 ; Hirth, 1992 : 24-25).

Néanmoins, il apparaît que les informations qui peuvent être tirées de l’étude de ce mobilier soient limitées quand il s’agit d’évaluer des nuances socio-économiques entre les unités mayas. En effet, la très grande majorité du matériel domestique fournit des inventaires assez similaires pour des positions différentes, formant un continuum archéologique entre les extrêmes, même si ces derniers s’écartent très nettement (Hayden et Cannon, 1983 : 160 ; Palka, 1995 : 53). Ceci vaut en particulier pour les sépultures (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 183-185). Ce phénomène est renforcé par la distribution par marchés (hypothétique) qui permettaient au plus grand nombre de se procurer des biens identiques, issus des

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productions locales mais surtout exogènes (Masson et Freidel, 2012 : 461). Ce mode d’acquisition pouvait impliquer l’existence d’intermédiaires et donc pas forcément de contacts directs entre les groupes producteurs et les consommateurs. Cette homogénéisation limite les interprétations issues de l’étude du matériel, qui sont alors pertinentes à l’échelle de la cité plutôt qu’à celle de l’unité élémentaire. Malgré tout, les assemblages mobiliers demeurent l’une des principales sources d’informations archéologiques à disposition car ils reflètent au moins indirectement certaines différences socio-économiques au travers notamment des quantités, de la qualité, de la diversité de certains artefacts (Ames, 2007 : 508 ; Hirth, 1993 : 124) et de la présence de certaines catégories d’objets à la distribution plus limitée, ou « biens de prestige ». La recherche d’indices signifiants combinant de telles qualités et quantités de biens particuliers est un des objectifs premiers du présent travail de doctorat.

Les biens de prestige, le plus souvent des artefacts non utilitaires (ornements, éléments de parure, insignes statutaire) ou réservés à des usages très particuliers (consommation du cacao, autosacrifice…), ne représentent que de très petites quantités au regard des volumes généraux des assemblages mobiliers (Masson et Freidel, 2012 : 457-458). Mais ils sont néanmoins considérés comme des marqueurs socio-économiques pour diverses raisons évoquées plus haut : leur valeur symbolique de par certaines de leurs caractéristiques, leur valeur sociale par l’origine exogène de la plupart des matières premières utilisées impliquant l’existence de réseaux sociaux lointains (Godelier, 1996 : 235 ; Helms, 1993 ; Hirth, 1992 : 19 ; Plourde, 2009 : 271 ; Rochette, 2014 : 167), sans négliger leur réelle valeur mercantile, que ce soit pour les entités qui fournissaient et échangeaient ces matériaux, ou pour les groupes capables de les accumuler avant d’en redistribuer une partie sous forme de cadeaux, de dons — ou inversement de tributs — affichant ainsi leur différence sociale (Ames, 2007 : 490 ; Demarest, 2013a : 374 ; Goldelier, 1996 : 222 ; Plourde, 2009 : 271), tout en maintenant et en développant leurs réseaux sociaux (Masson et Freidel, 2012 : 457). Ce n’est donc pas la seule présence/absence de tels objets qui peut aider à caractériser la position socio-économique des unités d’habitat (Palka, 1995 ; Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 183-185), mais biens les comparaisons de quantités, qui permettent de repérer les processus d’accumulation, tandis que les comparaisons qualitatives détectent des phénomènes de gradation de valeurs pour certaines catégories d’artefacts (Godelier, 1996 : 225-226 ; Masson et Freidel, 2012 : 458). On l’a vu, les indices de fabrication de certains de ces biens de prestige peuvent être considérés comme des éléments d’identification des élites car ces objets constituaient, d’une part pour certains des marqueurs de statut socio-politique, d’autre part pour d’autres un véritable « capital culturel et symbolique » (Inomata, 2001b : 324) qui

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impliquait des connaissances intellectuelles, notamment dans la réalisation d’inscriptions (Callaghan, 2013 ; Inomata, 2007). Pour autant, les signes de l’existence de lois somptuaires qui contrôlaient la diffusion de ces objets de manière stricte sont limités (Webster, Freter et Gonlin, 2000 : 183), exception faite de la diffusion de certains artefacts en jade principalement (Andrieu, Rodas et Luin, 2014 : 141-142). Il est possible que le matériel ait

reflété une richesse économique non directement liée à un pouvoir d’ordre socio-politique (Jackson, 2005 : 42). La question de la corrélation entre les valeurs symbolique, statutaire, mercantile et économique des catégories d’objets somptuaires s’est posée tout au long de notre recherche.

Caractériser les différents groupes qui constituaient les sociétés mayas classiques implique de croiser autant que faire se peut les données matérielles, dont l’architecture et l’épigraphie, afin de permettre de hiérarchiser entre elles les différentes unités (Hendon, 1991 ; Palka, 1995). De fait, la multiplication des données et leurs croisements apparaissent comme indispensables étant donné la diversité des situations observées dans les communautés des Basses Terres mayas, ainsi que des évolutions dans le temps et l’espace de la distribution de certains biens ou de la diffusion de techniques architecturales (Kowalewski, Feinman et Finsten, 1992 : 274 ; Tourtellot, Sabloff et Carmean, 1992). Différents rangs hiérarchiques et des inégalités sociales « multi-facettes » (Palka, 1995 : 66 ; 1997 : 303) forment un tableau complexe, et non pas deux blocs élites/roturiers bien définis comme cela est encore posé fréquemment, souvent par convention ou facilité. Par exemple, les complexes résidentiels élitaires regroupaient des familles qui appartenaient à une même entité, bien que de positions sociales différentes, et ces regroupements, au moins les plus complexes, représentaient une ou plusieurs maisons, elles-mêmes hiérarchisées entre elles. Chacun de ces rangs ou positions socio-économiques, voire même certains statuts définis de façon emic, doit pouvoir être

caractérisé du point de vue archéologique par la combinaison de biens matériels et d’éléments architecturaux qu’il faut recontextualiser au sein des dynamiques socio-politiques et économiques propres aux entités et à la cité.

C’est dans ce cadre théorique général sur les sociétés mayas que s’inscrit notre recherche doctorale. Mais à la fin du Classique, de profonds bouleversements divers vont affecter les Basses Terres et modifier les modalités d’organisation alors en place. Cette période, désignée comme le Classique terminal, correspond à l’ultime phase d’occupation de Naachtun, période sur laquelle se concentre notre travail.

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Le chapitre suivant présente donc la situation des sociétés mayas dans les Basses Terres au Classique terminal, au travers des changements comme des adaptations affectant les modes d’organisations socio-politiques et économiques, ainsi que des processus évolutifs qui aboutiront par la suite à la mise en place de la société postclassique.

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