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LE CLASSIQUE TERMINAL DANS LES BASSES TERRES MAYAS

1. QUE RECOUVRE LA NOTION DE « CLASSIQUE TERMINAL » ?

1.1. Le « collapse » de la fin du Classique et la recherche mayaniste

Cette notion de « Classique terminal » est donc étroitement liée depuis sa création à celle de l’écroulement qu’aurait connue la civilisation maya classique aux IXème et Xème siècles, le fameux « collapse ». Cette période était alors considérée comme celle de la disparition rapide de la culture maya classique, perceptible par la fin de l’érection de monuments sculptés, la cessation de la construction d’édifices pyramidaux monumentaux et l’arrêt de la fabrication de céramiques polychromes, qui marquaient la séparation entre le Classique et le Postclassique que l’on pensait alors nette (Chase et Chase, 2004b : 13-15 ; Rice, Demarest et Rice, 2004 : 3 ). En 1970 furent entrepris les premiers travaux de comparaisons archéologiques à l’échelle de l’aire maya concernant cette période. Les données provenaient alors de cités concentrées dans le sud des Basses Terres et étaient essentiellement constituées du matériel des derniers niveaux d’occupation des sites fouillés, calés sur la phase céramique Tepeu 3 de Uaxactun et sur la sphère céramique Eznab de Tikal. Il s’ensuivit la publication de l’ouvrage The Classic Maya Collapse (Culbert, 1973) qui définissait alors le Classique

terminal comme la période comprise entre 830 et 950 apr. J.-C. correspondant à la fin du classicisme, c’est-à-dire à l’arrêt de plusieurs pratiques culturelles caractéristiques du Classique (Rice, Demarest et Rice, 2004 : 3). Après avoir identifié les tendances principales de cette période de crise désormais dénommée Classique terminal, les chercheurs se sont employés à trouver une explication globale à ce phénomène qui toucha les Basses Terres

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mayas et furent alors proposées diverses hypothèses sur les causes de la chute apparemment rapide de tout le système politico-économique en place au Classique. Ces propositions mettent en relief des causalités aussi bien écologiques (sécheresses, surexploitation des sols agricoles), que sociales (révoltes paysannes ou d’une partie de la noblesse), économiques (changements dans les réseaux d’échanges) ou politico-militaires (invasions, guerres endémiques entre royaumes) (Aimers, 2007 : 333). Ces dernières auraient conduit à une série de processus impliquant une fragmentation politique encore plus marquée des différentes entités, la faillite de l’idéologie politico-religieuse en place, l’effondrement des systèmes économiques locaux et l’abandon des centres urbains (Rice, 2013 : 11 ; Schwartz, 2006 : 5-6). La volonté de trouver un modèle global pour l’ensemble des Basses Terres trouvait en partie son origine dans le fait que la majorité des premières données disponibles était issue des fouilles de quelques cités ayant connu des trajectoires d’occupation proches, notamment une cessation de l’érection de monuments datés suivi d’un abandon considéré comme rapide (Chase et Chase, 2004b : 15). En somme, les processus apparaissaient compactés temporellement et spatialement, et cet horizon culturel du Classique terminal était alors vu avant tout comme l’écroulement assez rapide d’une civilisation.

Mais les recherches sur le Postclassique des Basses Terres entreprises à la fin des années 1970 et dans les années 1980, avec la publication d’ouvrages tels The Lowland Maya Postclassic (Chase et Rice, 1985) ou Late Lowland Maya civilization (Sabloff et Andrews,

1986), firent apparaître les IXème et Xème siècles comme une époque de transition vers de nouveaux systèmes politico-économiques plutôt que comme celle d’une véritable disparition (Rice, Demarest et Rice, 2004 : 4). De fait, les comparaisons menées sur l’ensemble des périodes de l’occupation préhispanique des Basses Terres ont permis de mettre en évidence plusieurs processus sur la longue durée. Tout d’abord, il est apparu de plus en plus clairement que divers éléments considérés comme caractéristiques du Classique terminal et du Postclassique avaient des antécédents dans la culture classique ou se présentaient comme l’aboutissement de processus et d’évolutions entamés lors des périodes précédentes (Chase et Chase, 2004b : 19-20 ; Tourtellot et Gonzalez, 2004 : 71-74). C’est par exemple le cas pour la céramique dans des régions comme celles des lacs du Petén Central ou du nord du Belize où cette continuité culturelle est problématique puisqu’elle dura même très longtemps. La distinction entre les productions du Classique terminal et du Postclassique ancien y est alors très compliquée, voire impossible (Chase et Chase, 2004b : 19 ; Rice et Forsyth, 2004 : 35). En réalité, dans de nombreuses zones des Basses Terres, la production d’une majorité des types de récipients domestiques du Classique récent perdura au Classique terminal (Forsyth,

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2005). Et même s’il existe évidemment des différences culturelles entre le Classique et le Postclassique, celles-ci ne sont pas aussi marquées que ce qui était admis par les archéologues encore récemment (Chase et Chase, 2004b : 20-25), ce qu’illustrent par exemple les occupations continues observées dans la région des lacs du Petén Central (Rice, Rice et Pugh, 1998 ; Schwarz, 2013) ou dans la cité de Lamanai (Aimers, 2007 : 349 ; Pendergast, 1986). Tout indique donc que cette crise du Classique terminal ne correspond pas à un écroulement généralisé radical, mais bien à des changements et des évolutions des manifestations régionales de la culture maya classique, en particulier des régimes et de l’idéologie politiques (Demarest, Rice, et Rice, 2004a). En effet, le développement de la recherche mayaniste a permis de démontrer l’existence d’une grande diversité des processus en cours lors du Classique terminal, avec d’importantes disparités géographiques et temporelles. Ces données ont notamment été obtenues grâce à la multiplication et la précision accrue des résultats de fouilles sur des sites aux dimensions et aux caractéristiques diverses (grands centres urbains, hameaux ruraux, ports), et aux avancées réalisées dans les domaines comme l’épigraphie ou les études paléo-environnementale (Aimers, 2007 ; Demarest, 2013b ; Demarest, Rice et Rice, 2004a). C’est avant tout la « rapidité » de la crise qui est largement remise en cause par les données chronologiques (séquences céramiques, dates du calendrier maya du Compte Long, datations absolues) puisque cette transition entre le Classique et le Postclassique s’étend dans les Basses Terres mayas de 750 à 1050 apr. J.-C. environ (Aimers, 2007 : 349 ; Arnauld, Andrieu et Forné, 2014 ; Chase et Chase, 2004b : 15 ; Rice, Demarest et Rice, 2004 : 2). C’est aussi la multiplicité des facteurs de crise, tant anthropiques qu’environnementaux, de leurs articulations et des réponses apportées par les populations qui est aussi perceptible dans les données accumulées ces dernières décennies (Aimers, 2007 : 351 ; Demarest, 2013b ; Demarest, Rice et Rice, 2004a ; Hodell, Brenner et Curtis, 2005 : 1425). Ces résultats remettent définitivement en cause la recevabilité des modèles à causalité globale basés sur des données partielles (celles d’un site ou d’une région) et généralisés à toute l’aire culturelle qui nient la diversité existant alors à tous les niveaux dans les Basses Terres, avec parfois des données contradictoires (Demarest, Rice et Rice, 2004b : 546-547 ; Yaeger et Hodell, 2008 : 198 ; voir Dalhin, 2002).

Cette situation concorde avec ce qui est observé dans le reste du monde à toutes les époques où des phénomènes d’effondrement sociétal se sont produits, mais ne se sont jamais totalement achevés, c’est-à-dire jusqu’à la disparition complète des systèmes politiques et des structures culturelles et sociétales d’une civilisation. Ils correspondent plutôt à des phases d’intenses réorganisations sociales intégrées à des processus continus de transformation (Rice,

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2013 : 11 ; Schwartz, 2006 : 6). Il apparaît également que ces crises sont souvent cycliques, ce qu’entérine l’histoire des Basses Terres. En effet, une situation analogue a été observée à la fin du Préclassique, aux alentours de 150 apr. J.-C., avec une crise qui déboucha sur la mise en place des fondements de la culture classique. Ces phases de profonds bouleversements ont donc systématiquement été suivies de phases d’adaptation, puis de reconstruction de nouvelles institutions sociales qui intégrèrent une partie des éléments structurels et culturels antérieurs (Rice, 2013 : 11-12 ; Schwartz, 2006 : 7). Cette capacité de résilience des sociétés mayas, malgré la conquête espagnole du XVIème siècle, est encore aujourd’hui perceptible au Mexique, au Belize ou au Guatemala où des millions de locuteurs mayas continuent de faire vivre et évoluer cette tradition culturelle (Aimers, 2007 : 351-352 ; Rice, 2013 : 12).

1.2. Problèmes de définition, d’identification et de caractérisation du Classique