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LE CLASSIQUE TERMINAL DANS LES BASSES TERRES MAYAS

2. LE CLASSIQUE TERMINAL : UNE PERIODE DE TRANSITION GRADUELLE ET DIVERSIFIEE ET DIVERSIFIEE

2.2. La région Puuc

2.2. La région Puuc

Simultanément, dans le Puuc, une zone de collines située au nord-ouest de la péninsule du Yucatán s’étendant sur plus de 3 000 km² (Fig. 2.1), les cités connaissaient une évolution différente puisque le IXème et le début du Xème siècle correspondent localement à un apogée politique, démographique et culturel, avant un déclin rapide dans la seconde moitié du Xème

6 Un personnage nommé Knife-Wing qui est cité sur la Stèle 1 de Ceibal, datée de 869 apr. J.-C., correspond peut-être à un individu portant le même nom présent sur divers monuments de Chichen Itza à la fin du IXème siècle (Tourtellot et Gonzalez, 2004 : 69-70).

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siècle (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 442). Cette région comporte de vastes secteurs de terres fertiles propices à l’agriculture sous-exploitées à l’époque antérieure car peu peuplées, mais dont l’équilibre à long terme était toutefois fragile (Isendahl, Dunning et Sabloff, 2014 : 47). Elle devait également faire face à de sévères problèmes d’approvisionnement en eau, une contrainte qui fut en partie compensée par la mise en place de nombreux systèmes de captation des eaux de pluie sous la forme de chultun (citerne

souterraine) et de réservoirs lors de cette période (Isendahl, Dunning et Sabloff, 2014 : 47 ; Dunning, Beach et Luzzadder-Beach, 2012 : 3655).

La région connut un véritable essor à partir d’environ 770 apr. J.-C. avec le développement ou la création de cités comme Uxmal, Sayil, Kabah, Labna et Xculoc (Fig. 2.3) (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 424-425). La forte croissance démographique observée au sein de ces cités fut sans doute en partie favorisée par l’arrivée de populations ayant migré depuis le sud des Basses Terres, notamment des groupes nobles (Aimers, 2007 : 337 ; Arnauld, Andrieu et Forné, 2014 ; Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 442). Ces cités présentaient alors des édifices construits dans un style architectural caractérisé par des techniques de maçonnerie propres à cette région et par des programmes décoratifs qui intégraient des motifs géométriques similaires à ceux observés au Veracruz et en Oaxaca. Dénommé « style Puuc », son influence est perceptible sur l’architecture du nord de la péninsule du Yucatán, comme à Yaxuna ou à Edzna (Fig. 2.3). Beaucoup moins nombreux que dans les cités des Basses Terres Méridionales et Centrales, les monuments sculptés présentaient, quant à eux, des programmes narratifs mettant en scène de nombreux personnages et non plus uniquement le roi-sacré de pied, selon un format spécifique de panneaux s’y combinant à des éléments influencés par l’iconographie du Mexique Central (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 427-431). Du point de vue politique, la région, densément peuplée, présentait une organisation territoriale fortement décentralisée avec de nombreux établissements considérés comme indépendants tout en ayant été géographiquement proches et interconnectés, ce que prouve l’existence de chaussées entre certains d’entre eux, notamment celle qui reliait Uxmal, Nohpat et Kabah (Fig. 2.3) (Carmean et Sabloff, 1996 : 322 ; Michelet, 2002 : 76). Concernant leur mode de gouvernance, ces florissants centres du Puuc présentaient une grande diversité. Des cités d’occupation ancienne, comme Oxkintok, semblent avoir été contrôlées au Classique terminal par un conseil de nobles, comme l’attestent les monuments sculptés, et cela après avoir été régies par une royauté sacrée d’essence classique suivie d’une atomisation du pouvoir au VIIIème et au début du IXème siècle (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 427). Des cités comme Sayil étaient,

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pour leur part, apparemment dirigées par une royauté émergente, avec érection de stèles, qui ne semble pas s’être imposée aux différentes factions de la cité (Carmean, 1998 ; Carmean et Sabloff, 1996 : 325-326). Dans l’ouest de la région, à Xcalumkin par exemple, c’était un régime politique aristocratique qui fut vraisemblablement mis en place précocement, dominé par un groupe de nobles portant le titre de sajal (Dunning, 2000 : 336 ; Carmean, Dunning et

Kowalski, 2004 : 437-438 ; Michelet, 2002 : 81).

La région dût notamment profiter de la richesse de ses terres agricoles, mais des cités comme Oxkintok et Uxmal devaient également servir d’intermédiaires dans le commerce développé entre les ports situés sur les côtes du Campeche, comme Uaymil, et les plaines du nord de la péninsule du Yucatán (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 427). Les analyses de l’obsidienne permettent d’illustrer les évolutions que connurent les réseaux commerciaux régionaux à cette époque : alors qu’un centre comme Sayil présentait des assemblages quasiment exclusivement constitués d’obsidienne en provenance d’El Chayal aux IXème et Xème siècles (Ibid. : 434), Uxmal recevait aux Xème

et XIème siècles des matières premières majoritairement issues de sources mexicaines, les mêmes qui approvisionnaient alors Chichen Itza (Braswell et Glascock, 2003 : 44-46 ; Cobos, Anda Alanis et García Moll, 2014 : 63). En effet, à la fin du IXème et au début du Xème siècle, le pouvoir se centralisa dans la cité d’Uxmal qui se mua en véritable capitale régionale et étendit sa domination sur la fertile vallée de Santa Elena, avec l’aide de ses alliés de Kabah et de Nohpat (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 431-432 ; Michelet, 2002 : 76) et sans doute le soutien de Chichen Itza qui connaissait alors un premier apogée (Cobos, 2004 : 531-533 ; Volta et Braswell, 2014 : 386-387). Uxmal était alors dirigée par un k’ujul ajaw identifié comme Chan Chak K’ak’nal Ahaw (« Lord Chaak ») qui régna entre 890 et 915 apr. J.-C. (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 431 ;

quoique l’identification d’un souverain unique est remise en cause, voir Cobos, Anda Alanis et García Moll, 2014 : 61). Celui-ci remodela la cité, en particulier au travers de la construction d’édifices monumentaux comme le Terrain de jeu de balle n°1, le Quadrilatère des Nonnes ou encore la Maison du Gouverneur, cette dernière structure articulant résidence royale et salles de réunion (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 431 ; Isendahl, Dunning et Sabloff, 2014 : 48 ; Ringle, 2012). Mais malgré les investissements architecturaux réalisés, ainsi que les efforts diplomatiques et militaires déployés par les dirigeants d’Uxmal, cette centralisation du pouvoir dans la région Puuc dura peu de temps (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 444).

A partir des années 920-950 apr. J.-C., dans la plupart des cités du Puuc de nombreux édifices en cours de construction furent abandonnés et des unités d’habitat élitaires désertées.

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Cette période sonna la fin des projets architecturaux monumentaux (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 ; Reindel, 2002 : 133-134), une cessation de grands projets étant observée un peu plus tard à Chichen Itza (Volta et Braswell, 2014 : 388). Certains établissements perdirent rapidement une grande partie de leur population, comme Sayil ou Labna (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 434-436), mais dans l’ensemble, ce déclin fut progressif puisque la majorité des cités présentait encore une occupation dans la seconde moitié du Xème et la première moitié du XIème siècle (Cobos, Anda Alanis et García Moll, 2014 : 65). Cette phase « post-monumentale », également observée dans d’autres secteurs du Yucatán (Bey, Hanson et Ringle, 1997 : 249-250), est caractérisée par l’apparition de nouveaux types de bâtiments comme les « structures en forme de C ». Elle présente une grande continuité dans les assemblages céramiques (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 446 ; Reindel, 2002 : 133-134), si ce n’est l’apparition de types marqueurs de la sphère Sotuta, notamment les récipients importés Silhó Naranja Fino et Tohil Plomizo7 (Cobos, 2004 : 521 ; Cobos, Anda Alanis et García Moll, 2014 : 63). Certaines cités comme Xuch ou Kabah (Fig. 2.3) continuèrent d’être occupées au cours du Postclassique, sans doute pour des raisons historiques particulières (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 432-433, 446). Les causes du déclin que connut la région Puuc sont vraisemblablement multiples, mêlant événements politico-militaires et problèmes environnementaux. Le Xème siècle apparaît comme une période d’augmentation des épisodes guerriers, perceptible dans l’iconographie et l’existence de systèmes de fortifications dans plusieurs cités. Cette situation était sans doute liée à l’expansion d’Uxmal, puis à celle de Chichen Itza (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 444 ; Dalhin, 2000), sans pour autant qu’il soit possible de rattacher l’arrêt soudain des constructions ou la désertion de nombreux centres à des attaques militaires (Reindel, 2002 : 133 ; Simms et al., 2012). Les guerres

déclenchées par les rivalités politiques entre cités, mais aussi entre factions au sein de ces dernières, ont dû fragiliser les groupes nobles de la région, alors même que le nord du Yucatán connaissait une nouvelle période de sécheresse à partir de 920 apr. J.-C. (Cobos, Anda Alanis et García Moll, 2014 : 63), même si les corrélations entre changement climatique et développements sociétaux sont difficiles à établir dans le Puuc (Yaeger et Hodell, 2008 : 234). Néanmoins, cet épisode de déficit en pluie n’était pas le premier puisqu’un cycle de

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L’utilisation de ces types céramiques comme marqueurs de la présence de populations liées à Chichen Itza, ou de son influence, doit néanmoins être considérée avec précaution car ces récipients, produits sur la côte pacifique du Guatemala pour le type-variété Tohil Plomizo et au niveau de l’embouchure du fleuve Usumacinta pour le Silho Naranja Fino, connurent une très large diffusion dans toute la Mésoamérique, sans que celle-ci n’ai été sous le contrôle de Chichen Itza (Ringle et al., 2004 : 512 ; Stanton et Gallareta Negrón, 2001 : 238).

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sécheresses plus ou moins prolongées avait débuté dans les Basses Terres au début du IXème siècle (Hodell, Brenner et Curtis, 2005) et combiné aux phénomènes de compétition exacerbée et à la fragilité du système agricole surexploité, il put mener à la désagrégation des entités socio-politiques en place, avec des groupes dirigeants incapables de s’adapter à la nouvelle situation (Dunning, Beach et Luzzadder-Beach, 2012 : 3655 ; Isendahl, Dunning et Sabloff, 2014 : 49-50).

Quoiqu’il en soit, Chichen Itza (Fig. 2.3) connut à partir de 950 un renouveau marqué par le début des constructions de « style international » associées à son second apogée (Cobos, 2004 : 531-533 ; Volta et Braswell, 2014 : 388-389). Peut-être capitalisa-t-elle sur son statut de centre de pèlerinage (Ringle, Gallareta Negrón et Bey, 1998 ; Volta et Braswell, 2014 : 38) et, à partir de 920, dans une nouvelle période sèche, les énormes réserves d’eau de ses cenotes. La cité entretenait en outre de solides réseaux économiques avec le Veracruz et le

Haut Plateau Central, notamment grâce à ses ports côtiers comme Isla Cerritos. A cette époque, son régime politique probablement de nature aristocratique, était peut-être mieux à même de s’adapter (Boot, 2007 ; Cobos, Anda Alanis et García Moll, 2014 ; Dalhin, 2002 :

334 ; Yaeger et Hodell, 2008 : 230-231). Et alors que son influence économique dans le Puuc semble confirmée (Braswell et Glascock, 2003 ; Cobos, 2004), elle aurait en outre exercé une pression de nature guerrière sur les cités de cette région selon plusieurs chercheurs (Carmean, Dunning et Kowalski, 2004 : 445 ; Dalhin, 2002 : 334). Ce modèle hégémoniste aurait le mérite de combiner le type d’organisation socio-politique alors en place à Chichen Itza (Baudez et Latsanopoulos, 2010), avec son contrôle avéré des territoires situés entre cette cité et la côte nord (Cobos, 2004 : 531-533 ; Manahan, Ardren et Alonso, 2012), et serait conforme à celui qui a été proposé à partir des données d’autres zones du nord du Yucatán, par exemple pour Yaxuna (Sulher et al., 2004). Mais un tel interventionnisme est néanmoins

remis en cause en ce qui concerne la crise de la région Puuc du point de vue céramique (Stanton et Gallareta Negrón, 2001) et chronologique (Volta et Braswell, 2014 : 388). Il l’est de même pour d’autres cités du Yucatán comme Ek Balam (Ringle et al., 2004 : 512-513).

Malgré l’hégémonie exercée par Chichen Itza, la région Puuc ne fut donc pas totalement abandonnée au Postclassique, certaines cités continuant même leur développement avec des populations parfois résiduelles, mais elle ne connut plus de dynamiques démographiques et socio-culturelles telles que celles qu’elle expérimenta brièvement au Classique terminal.

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